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11/10/2022 | FRANCE | N°21/00012

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 11 octobre 2022, 21/00012


ARRET N°473



N° RG 21/00012 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFBJ















S.A.S. SUEZ RV OUEST



C/



[J]

[N]

[N]

[C]

[W]

[W]

[W]

Organisme CPAM DE LA LOIRE-ATLANTIQUE



















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2022





Numéro d'inscrip

tion au répertoire général : N° RG 21/00012 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFBJ



Décision déférée à la Cour : jugement du 17 novembre 2020 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LA ROCHE SUR YON.





APPELANTE :



S.A.S. SUEZ RV OUEST

[Adresse 20]

[Localité 12]



ayant pour avocat post...

ARRET N°473

N° RG 21/00012 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFBJ

S.A.S. SUEZ RV OUEST

C/

[J]

[N]

[N]

[C]

[W]

[W]

[W]

Organisme CPAM DE LA LOIRE-ATLANTIQUE

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 11 OCTOBRE 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 21/00012 - N° Portalis DBV5-V-B7F-GFBJ

Décision déférée à la Cour : jugement du 17 novembre 2020 rendu par le TJ hors JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP de LA ROCHE SUR YON.

APPELANTE :

S.A.S. SUEZ RV OUEST

[Adresse 20]

[Localité 12]

ayant pour avocat postulant de Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS - ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Florian GROBON, avocat au barreau de LYON

INTIMES :

Madame [P] [J] épouse [W]

née le [Date naissance 7] 1961 à [Localité 22]

[Adresse 2]

[Localité 15]

Monsieur [I] [N] mineur représenté par ses parents Mme [B] [W] et Mr [K] [N]

né le [Date naissance 11] 2012 à [Localité 22]

[Adresse 5]

[Localité 18]

Monsieur [G] [N] mineur représenté par ses parents Mme [B] [W]et Mr [K] [N]

né le [Date naissance 4] 2015 à [Localité 22]

[Adresse 5]

[Localité 18]

Madame [Z] [C] épouse [W]

née le [Date naissance 6] 1932 à [Localité 24]

[Adresse 1]

[Localité 16]

Madame [U] [W]

née le [Date naissance 3] 1988 à [Localité 22] (MAINE-ET-LOIRE)

[Adresse 17]

[Localité 13]

Madame [B] [W]

née le [Date naissance 10] 1985 à [Localité 22] (MAINE-ET-LOIRE)

[Adresse 5]

[Localité 18]

Madame [A] [W]

née le [Date naissance 9] 1993 à [Localité 22] (MAINE ET LOIRE)

[Adresse 2]

[Localité 15]

ayant tous les sept pour avocat postulant Me Henri-noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Xavier CORNUT, avocat au barreau de NANTES

CPAM DE LA LOIRE-ATLANTIQUE

[Adresse 19]

[Localité 14]

défaillante

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 20 Juin 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Madame Anne VERRIER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

- Réputé contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

[V] [W] était employé par la société Nantaise de flexibles (Oleo) en qualité de technicien mobile de maintenance. Il s'est déplacé le [Date décès 8] 2017 sur le site de tri de la société Suez Rv Ouest à [Localité 23] (Vendée). Il a été victime d'un accident mortel du travail provoqué par un mouvement du balancier du bras de la pelle hydraulique sur laquelle il intervenait. L'engin était manoeuvré par [L] [T].

Par jugement du 22 octobre 2018, le tribunal correctionnel de la Roche-sur-Yon a relaxé la société Nantaise de flexibles (Oleo), employeur de la victime, poursuivie pour homicide involontaire en l'absence de plan de prévention et de formation suffisante de son salarié.

Par assignation des 12 et 16 avril 2019, les ayants-droit de [V] [W] ont assigné la société Suez Rv Ouest et la caisse primaire d'assurance maladie de la Loire-Atlantique devant le tribunal de grande instance de La Roche-sur-Yon. Ils ont demandé de déclarer la Société Suez Rv Ouest civilement responsable de l'accident mortel de [V] [W] et de la condamner à leur payer à titre de dommages et intérêts les sommes de 10.000 € en réparation du préjudice de souffrance du défunt, 30.000 € à la conjointe, 15.000 € à chacune des filles de la victime et 7.500 € à chacun des petits-enfants en réparation de leurs préjudices moraux d'affection. Ils ont soutenu que l'employeur avait commis une faute en ne s'étant pas assuré de la formation suffisante de son salarié, à l'origine du décès et qu'il était demeuré le gardien de la chose.

La défenderesse a conclu au rejet de ces demandes aux motifs :

- qu'elle n'avait plus la garde de la chose lors de l'accident, son salarié qui n'était pas un professionnel de la maintenance ayant exécuté les instructions de la victime ;

- que les causes et circonstances de l'accident étaient demeurées indéterminées.

Par jugement du 17 novembre 2020, le tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon (anciennement tribunal de grande instance) a statué en ces termes :

'DIT que la société SUEZ RV OUEST est civilement responsable de l'accident mortel dont a été victime Monsieur [V] [W] le [Date décès 8] 2017 ;

CONDAMNE la société SUEZ RV OUEST au paiement de sommes suivantes, au titre du préjudice d'affection des victimes indirectes :

- à Madame [P] [J] la somme de 30 000 €,

- à Mesdames [B] [W], [U] [W], [A] [W] la somme de 12 000 € chacune,

- à Madame [B] [W] et Monsieur [K] [N], en qualité de représentants légaux des mineurs [I] et [G] [N] la somme de 10.000 €;

- à Madame [Z] [W] née [C] la somme de 20 000 € ;

REJETTE les autres demandes des consorts [W] ;

CONDAMNE la société SUEZ RV OUEST à verser aux consorts [W] une indemnité de 3.500 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la société SUEZ RV OUEST aux dépens, dont distraction au profit de Maître Caroline ATIAS DESGREES DU LOU en application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

ORDONNE l'exécution provisoire de la présente décision'.

Il a considéré :

- que [L] [T] avait commis une faute en ayant quitté la pelle moteur tournant ;

- qu'il n'était pas établi qu'il avait exécuté les instructions de la victime qui ne disposait pas de la qualification pour manoeuvrer l'engin ;

- que le rôle causal de celui-ci était avéré.

Il n'a pas retenu le préjudice de souffrance de la victime et a fait droit aux demandes d'indemnisation d'un préjudice moral des ayants-cause.

Par déclaration reçue au greffe le 4 janvier 2021 et enrôlée sous le numéro 21/12, la société Suez Rv Ouest a interjeté appel de ce jugement.

Par déclaration reçue au greffe le 4 janvier 2021 et enrôlée sous le numéro 21/22, la société Suez Rv Ouest a interjeté appel de ce jugement.

Ces procédures ont été jointes par ordonnance du conseiller de la mise en état du 21 janvier 2021.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 22 avril 2022, la société Suez Rv Ouest a demandé de :

'Vu les articles 1240,1241 et 1242 du Code Civil,

Vu les pièces produites,

DECLARER la société SUEZ RV OUEST bien fondée en son appel,

INFIRMER le Jugement rendu le 17 novembre 2020 par le Tribunal Judiciaire de la ROCHE SUR YON, en ce qu'il :

« DIT que la société SUEZ RV OUEST est civilement responsable de l'accident mortel dont a été victime Monsieur [V] [W] le [Date décès 8] 2017 ;

CONDAMNE la société SUEZ RV OUEST au paiement de sommes suivantes, au titre du préjudice d'affection des victimes indirectes :

- à Madame [P] [J] la somme de 30 000 €,

- à Mesdames [B] [W], [U] [W], [A] [W] la somme de 12 000 € chacune,

- à Madame [B] [W] et Monsieur [K] [N], en qualité de représentants légaux des mineurs [I] et [G] [N] la somme de 10 000 € ;

- à Madame [Z] [W] née [C] la somme de 20 000 € ;

CONDAMNE la société SUEZ RV OUEST à verser aux consorts [W] une indemnité de 3 500 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

CONDAMNE la société SUEZ RV OUEST aux dépens, dont distraction au profit de Maître Caroline ATIAS DESGREES DU LOU en application des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.

En conséquence et STATUANT DE NOUVEAU :

1°/ A titre principal :

' Juger que la responsabilité de la société SUEZ RV OUEST n'est pas susceptible d'être reconnue ;

' Débouter les Consorts [W] de l'intégralité de leurs demandes injustifiées et non fondées ;

2°/ A titre subsidiaire, si par extraordinaire la responsabilité délictuelle de la société SUEZ RV OUEST était reconnue :

' Juger que Monsieur [W] a commis une faute, ce qui exonère la société SUEZ RV OUEST de toute responsabilité, ou à tout le moins, est une cause d'exonération partielle, la faute de Monsieur [W] devant être retenue à hauteur de 90%.

En conséquence

' Limiter les condamnations éventuellement mises à la charge de la société SUEZ RV OUEST à hauteur de 10 % maximum des demandes formulées par le Consorts [W].

' Débouter les Consorts [W] de leur action successorale s'agissant du préjudice personnel de Monsieur [V] [W],

' Réduire, en tout état de cause, l'indemnisation des Consorts [W] au titre de leur préjudice moral et la ramener à de plus justes proportions;

' Condamner les Consorts [W] aux entiers dépens de l'instance'.

Elle a soutenu que son salarié, qui disposait des qualifications et de la formation nécessaires pour manoeuvrer l'engin, avait exécuté les instructions de la victime. Elle a rappelé qu'aucune poursuite pénale n'avait été engagée à son encontre. Elle a contesté avoir commis une faute et être restée gardienne de la pelle mécanique. Selon elle, l'enquête n'avait pas imputé à son salarié l'accident dont les causes étaient restées indéterminées. Elle a ajouté que la victime en intervenant sur la pelle en avait modifié la structure dont elle n'avait plus la garde.

Subsidiairement, elle a soutenu que la faute de la victime l'exonérait en tout ou partie de sa responsabilité et conclu à la réduction des prétentions formées à son encontre.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 juin 2021, [P] [W] née [J] (conjointe), [B] [W] (fille), [U] [W] (fille), [A] [W] (fille), [Z] [W] née [C] (mère), [I] et [G] [N] (petits-fils) mineurs représentés par leurs parents administrateurs légaux, [B] [W] et [K] [N] ont demandé de :

'Vu les dispositions du Code civil,

Vu les jurisprudences et les pièces versées aux débats,

[...]

CONFIRMER en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de LA ROCHE SUR YON le 17 novembre 2020.

DEBOUTER la Société SUEZ RV OUEST de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions.

CONDAMNER la Société SUEZ RV OUEST à verser aux consorts [W] la somme de 3.500,00 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens'.

Ils ont maintenu que :

- le salarié de l'appelante avait commis une faute en abandonnant le poste de conduite de la pelle mécanique sans avoir arrêté le moteur ainsi que recommandé ;

- la société Suez Rv Ouest n'avait pas délivré une formation suffisante à son salarié ;

- la responsabilité de l'employeur était engagée du fait de son préposé.

- l'appelante avait conservé la garde de l'engin qui avait eu un rôle causal dans la survenance de l'accident mortel, la victime n'ayant pas eu les qualifications pour le manoeuvrer.

Ils ont conclu à la confirmation du jugement sur l'évaluation de leurs préjudices.

La caisse primaire d'assurance maladie de Loire-Atlantique n'a pas constitué avocat.

L'ordonnance de clôture est du 25 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

SUR LA RESPONSABILITE DU FAIT D'AUTRUI

L'article 1242 du code civil dispose que : 'On est responsable non seulement du dommage que l'on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre, ou des choses que l'on a sous sa garde' et que sont ainsi responsables : 'Les maîtres et les commettants, du dommage causé par leurs domestiques et préposés dans les fonctions auxquelles ils les ont employés'.

La mise en oeuvre de la responsabilité du commettant du fait du préposé suppose la preuve d'une faute de ce dernier.

L'enquête de police n'a pas permis de déterminer avec certitude les circonstances de l'accident. La seule personne présente lors de l'accident était, hormis la victime, [L] [T], salarié de l'appelante et conducteur de la pelle hydraulique. Entendu le 31 janvier 2017 par les enquêteurs, il a déclaré:

'---QUESTION . A l'arrivée de Mr [W], qu'avez-vous fait'

---REPONSE : Je me suis présenté vers lui, lui mentionnant que j'étais le chauffeur.---

---Il m'a demandé de sortir la pelle du hangar pour la stationné devant le bâtiment ou l'accident à eu lieu.---

---Ensuite, le moteur toujours tournant, il m'a demandé d'actionner la pince pour détecter la fuite hydrolique.

---Chose que j'ai fait sans incident.---

---Un fois la fuite détectée, j'ai coupé le contact du véhicule, sans retirer les clés du contact puis je suis descendu pour continuer du tri à la main et laisser Mr [W] travailler.---

[...]

---QUESTION Pouvez maintenant me parler du moment de l'accident '

---REPONSE : Vers 11h15, je me trouvais toujours dans le hangar, Mr [W] est venu me chercher me demandant d'actionner la pelle et de lever le bras pour séparer les 2 platines et pour vérifier la provenance de la fuite.---

---Je suis monté dans la pelle, j'ai démarré, actionné le système pour lever le bras sur environ 60/70cms, il se trouvait face à moi et il m'a fait signe avec ses 2 pouces que c'était bon pour lui, qu'il visionnait la fuite.---

---De là, je suis redescendu de la pelle, moteur tournant, je me suis dirigé vers Mr [W] qui se trouvait devant la pince, le bras de la pelle à l'arrière à hauteur de sa tête et il m'a fait constater que la fuite se trouvait au niveau de la pince.---

---Puis Mr [W], est resté au même endroit, et m'a demandé d'aller couper le moteur pour effectuer les travaux de réparation.---

---Je me suis redirigé vers la pelle, je me trouvais au niveau des marches, je m'apprêtais à monter et de là, le bras de la pelle a fait balancié de l'avant vers l'arrière comme si elle voulait revenir à son emplacement, percutant Mr [W] par l'arrière de la tête, le faisant chuter au sol sur le dos, et faisant tomber la pince.---'

L'enquête n'a pas permis de déterminer la cause du mouvement du bras de la pelle, à l'origine du décès de [V] [W].

En pages 3 et 4 de son avis en date du 12 juin 2017, l'ingénieur de prévention de la direction régionale des entreprises, de la concurrence, de la consommation, du travail et de l'emploi des Pays de la Loire a indiqué:

'Il apparaît à la lecture de la notice d'utilisation de la pelle de marque LIEBHERR A316 Litronic, remise par la société LEM, que contrairement aux recommandations du constructeur, le technicien de maintenance de chez OLEO, avait demandé que la machine soit en marche au moment de l'opération, circonstance à l'origine de l'accident mortel.

Cependant, certaines recherches de panne nécessitent que l'équipement soit en fonctionnement'.

Il a indiqué en page 4 avoir entendu [M] [D], représentant de la société Somtp représentante de la marque Liebherr, qui lui avait apporté les précisions suivantes :

'Monsieur [D], nous confirme que la réparation de ce type de panne est totalement possible chez le client,

[...]

Le mode opératoire mis en 'uvre lors de l'accident n'a pas totalement rempli certains étapes (4 et 5).

A savoir ramener légèrement la platine fixée sur le balancier vers le devant de la pince et se positionner sur le côté pour identifier l'origine de la fuite.

Monsieur [D] nous a également indiqué que lorsque l'engin est en fonctionnement, le pelleur doit rester sur son siège. Consigne de sécurité reprise en page 3-63 du manuel d'utilisation de la pelle.

Le fait que le pelleur soit descendu tout en relevant le levier de sécurité, ne peut être identifié comme l'origine de l'accident.

Le placement du balancier devant la pince et l'intervention de côté du technicien de maintenance auraient pu éviter l'accident ou, à défaut en limiter la gravité'.

S'agissant du mouvement de balancier, il a indiqué en pages 4 et 5 que:

'Au vu des blessures, on peut exclure un mouvement lent du balancier (par gravité) par une baisse de pression.

Il apparait que seule une action manuelle sur les commandes a pu engendrer le mouvement.

Cependant, la cabine était vide et le levier de sécurité en position haute.

Lorsque le levier de sécurité est mis en position haute, aucun mouvement du balancier n'est possible.

[...]

Sur ce point, Monsieur [D], nous confirme également que la mise en place du levier de sécurité en position haute ne permet aucun mouvement de la pelle, de la flèche et du balancier, qu'une action humaine est nécessaire à tout mouvement'.

Les hypothèses retenues pour expliquer ce mouvement sont soit un levier de sécurité inopérant, soit une surpression hydraulique.

Il a émis l'avis que :

'Le levier de sécurité étant connecté électriquement à l'aide d'un capteur, nous avons émis l'hypothèse que ce dernier pouvait être défectueux. Hypothèse renforcée par le constat suite à une vérification sur un autre engin que certains circuits électriques avaient été endommagés par des rongeurs'.

Le livret conducteur d'engin édité par la société Suez Sita indique :

- en page 7, au paragraphe 'installation au poste de conduite' que : 'Je suis vigilant à tout instant pour pouvoir réagir immédiatement' ;

- en page 8 : 'Je stationne l'engin, équipement au sol, au point mort, frein tiré, moteur coupé'.

Il n'est pas contesté que ce document qui n'est illustré que de représentations de chariots élévateurs, s'appliquait à la conduite de la pelle mécanique.

La notice de l'Institut national de recherche et de sécurité (Inrs) a édité une notice 'pelles hydrauliques'. Au paragraphe '7.1. Règles de base' de cette notice, il a été précisé : 'Ne descendez de votre engin qu'une fois :

- l'équipement posé au sol,

- le moteur arrêté,

- le frein de parking serré'.

Il résulte de ces développements que [L] [T], en laissant moteur tournant la pelle mécanique qu'il venait de quitter, en manquement aux règles de sécurité, au surplus s'agissant d'une pelle présentant une défaillance du circuit hydraulique permettant la manoeuvre du bras, a commis une faute dont son employeur est responsable.

SUR LE FAIT PERSONNEL DE L'EMPLOYEUR

L'article 1240 du code civil dispose que : 'Tout fait quelconque de l'homme, qui cause à autrui un dommage, oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer'.

L'article L 4121-1 du travail dispose que :

''L'employeur prend les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs.

Ces mesures comprennent :

1° Des actions de prévention des risques professionnels et de la pénibilité au travail ;

2° Des actions d'information et de formation ;

3° La mise en place d'une organisation et de moyens adaptés.

L'employeur veille à l'adaptation de ces mesures pour tenir compte du changement des circonstances et tendre à l'amélioration des situations existantes'.

L'article L 4122-1 alinéa 2 du même code précise que : 'Les instructions de l'employeur précisent, en particulier lorsque la nature des risques le justifie, les conditions d'utilisation des équipements de travail, des moyens de protection, des substances et préparations dangereuses. Elles sont adaptées à la nature des tâches à accomplir'.

L'article L 4154-1 du même code dispose que :

'Les salariés titulaires d'un contrat de travail à durée déterminée, les salariés temporaires et les stagiaires en entreprise affectés à des postes de travail présentant des risques particuliers pour leur santé ou leur sécurité bénéficient d'une formation renforcée à la sécurité ainsi que d'un accueil et d'une information adaptés dans l'entreprise dans laquelle ils sont employés.

La liste de ces postes de travail est établie par l'employeur, après avis du médecin du travail et du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail ou, à défaut, des délégués du personnel, s'il en existe. Elle est tenue à la disposition de l'agent de contrôle de l'inspection du travail mentionné à l'article L. 8112-1".

Le contrat de travail de [L] [T] était à durée déterminée.

En pages 13 et 14 du procès-verbal n° 2017/09 du [Date décès 8] 2017 qu'il a dressé, le contrôleur du travail s'étant déplacé sur les lieux de l'accident a relevé un manquement à l'obligation générale de formation à la sécurité et à celle de formation renforcée à la sécurité en raison du poste occupé par son salarié.

Les fiches d'accueil de ce salarié, en date des 17 novembre 2015 et 26 décembre 2016 indiquent, au paragraphe 'supports documentaires' : 'Explication et remise des Fiches Sécurité Métier'. Il n'est pas justifié d'une formation spécifique à la sécurité. La fiche 'causerie sécurité' à laquelle [L] [T] a participé le 24 janvier 2017, en raison d'un 'Accident equipier [Localité 21]', n'est pas le justificatif d'une formation renforcée à la sécurité, s'agissant de la pelle hydraulique confiée.

Le contrôleur du travail a de plus relevé en pages 6 et 7 du procès-verbal une absence d'inspection commune préalable des lieux (articles R 4512-2 à 5 du code du travail) par les deux employeurs (Oléo et Suez) et une absence de plan de prévention des risques (articles R 4512-6 à 12 du code du travail).

Ces manquements en matière de sécurité des travailleurs ont eu un rôle causal dans la survenance de l'accident, les risques liés à l'intervention au cas d'espèce de [V] [W] et au maniement de la pelle hydraulique par [L] [T] n'ayant pas été identifiés ni prévenus par une formation suffisante.

SUR LA RESPONSABILITE DU FAIT DES CHOSES

La mise en oeuvre de la responsabilité de l'appelante sur ce fondement (article 1242 précité du code civil) suppose d'une part qu'elle eu la garde de la pelle hydraulique, d'autre part que celle-ci ait eu un rôle actif dans la réalisation du dommage.

La responsabilité du fait d'autrui et du fait personnel n'exclut pas celle du fait des choses, ces fondements juridiques pouvant être cumulativement invoqués.

La pelle mécanique était la propriété de l'appelante. Elle était conduite par son salarié. [V] [E] n'était pas titulaire du certificat d'aptitude à la conduite de l'engin (caces). Il n'a pas manoeuvré cette pelle mécanique. Il n'avait sur elle aucun pouvoir d'usage et de direction. Celui-ci n'avait pas été transféré par les demandes formulées auprès de [L] [T]. Il s'en déduit que l'appelante avait conservé la garde de la chose.

Celle-ci, en mouvement, a causé la mort de [V] [E].

La société Suez Rv Ouest est pour ces motifs tenue sur le fondement de la responsabilité du fait des choses.

Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a retenu la responsabilité de cette société.

SUR UNE FAUTE DE LA VICTIME

La procédure d'enquête n'a pas caractérisé de faute de [V] [E] de nature à limiter ou exclure le droit de ses ayants-cause à être indemnisés.

SUR LE PREJUDICE

Les intimés sollicitent l'indemnisation du préjudice moral subi en raison du décès de [V] [W].

La société Suez Rv Ouest conclut à la réduction des indemnisations accordées par le premier juge.

Il résulte du jugement, non contesté sur ces points, que :

- [V] [W], décédé à l'âge de 55 ans, était marié à [P] [J] depuis 32 ans ;

- le couple avait eu trois enfants, [B], [U] et [A] âgées respectivement de 31 ans, 28 ans et 23 ans au moment de l'accident, qui ne résidaient plus avec leur père ;

- [Z] [W] était la mère de la victime ;

- qu'[I] et [G] [N], mineurs représentés par leurs parents [B] [W] et [K] [N] étaient les petits-fils du défunt et étaient âgés respectivement de 4 et 2 ans à la date des faits.

Le tribunal a en considération de ces éléments exactement apprécié les indemnisations à revenir à ces victimes indirectes, soit :

- 30.000 € à la veuve ;

- 12.000 € à chacune des filles du défunt ;

- 5.000 € à chacun des petits enfants ;

- 20.000 € à la mère du défunt.

Le jugement sera pour ces motifs confirmé de ces chefs.

SUR LES DEMANDES PRESENTEES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Le premier juge a équitablement apprécié l'indemnité due sur ce fondement par l'appelante.

Il serait par ailleurs inéquitable et préjudiciable aux droits des intimés de laisser à leur charge les sommes exposées par eux et non comprises dans les dépens d'appel. Il sera pour ce motif fait droit à leur demande formée de ce chef pour le montant ci-après précisé.

SUR LES DEPENS

La charge des dépens d'appel incombe à l'appelante.

PAR CES MOTIFS

statuant par arrêt mis à disposition au greffe, réputé contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement du 17 novembre 2020 du tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon ;

y ajoutant

CONSTATE l'absence de faute de [V] [E] de nature à limiter ou exclure le droit de ses ayants-cause à être indemnisés ;

CONDAMNE la société Suez Rv Ouest à payer en cause d'appel à [P] [W] née [J], [B] [W], [U] [W], [A] [W], [Z] [W] née [C], [I] et [G] [N] mineurs représentés par leurs parents administrateurs légaux, [B] [W] et [K] [N], la somme de 2.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE la société Suez Rv Ouest aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00012
Date de la décision : 11/10/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-10-11;21.00012 ?
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