La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

20/09/2022 | FRANCE | N°21/00326

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 20 septembre 2022, 21/00326


ARRÊT N°450



N° RG 21/00326



N° Portalis DBV5-V-B7F-GFYS













S.C.I. DAO



C/



HUMEAU















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022





Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 janvier 2021 rendu par le Tribunal Judiciaire de POITIERS







APPELANTE :<

br>


S.C.I. DAO

N° SIRET : 388 827 000

[Adresse 1]



ayant pour avocat postulant Me Maxime BARRIERE de la SELAS ACTY, avocat au barreau de DEUX-SEVRES



ayant pour avocat plaidant Me Chloé PEYRICHOU, avocat au barreau de NIORT







INTIMÉ :



Maître Thomas HUMEAU

Mandat...

ARRÊT N°450

N° RG 21/00326

N° Portalis DBV5-V-B7F-GFYS

S.C.I. DAO

C/

HUMEAU

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 20 SEPTEMBRE 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du 04 janvier 2021 rendu par le Tribunal Judiciaire de POITIERS

APPELANTE :

S.C.I. DAO

N° SIRET : 388 827 000

[Adresse 1]

ayant pour avocat postulant Me Maxime BARRIERE de la SELAS ACTY, avocat au barreau de DEUX-SEVRES

ayant pour avocat plaidant Me Chloé PEYRICHOU, avocat au barreau de NIORT

INTIMÉ :

Maître Thomas HUMEAU

Mandataire judiciaire

69 Cours National

BP 90256 - 17105 SAINTES

ayant pour avocat postulant Me Henri-noël GALLET de la SCP GALLET-ALLERIT-WAGNER, avocat au barreau de POITIERS

ayant pour avocat plaidant Me Ivan MATHIS, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 09 Juin 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre

qui a présenté son rapport

Madame Anne VERRIER, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

EXPOSÉ :

La SCI DAO est propriétaire au lieudit 'Chez Boyer' à Migron (Charente Maritime) d'un local à usage de bureaux et entrepôt qu'elle a donné à bail le 1er août 1992 à la SARL JBC.

La locataire a été placée en redressement judiciaire par un jugement du tribunal de commerce de Saintes du 16 mars 2017 qui a désigné en qualité de mandataire judiciaire Me Thomas HUMEAU.

La procédure collective a été convertie par jugement du 10 avril 2017 en liquidation judiciaire et Me HUMEAU nommé liquidateur judiciaire.

Faisant valoir que le preneur était resté dans les lieux pendant la procédure collective sans acquitter les loyers, et soutenant que Me HUMEAU avait engagé à ce titre sa responsabilité personnelle envers elle en ne dénonçant pas le bail immédiatement alors qu'il n'avait pas les fonds pour payer les loyers courants, la SCI DAO a fait assigner Thomas HUMEAU par acte du 6 février 2019 devant le tribunal de grande instance de Poitiers pris, s'agissant de la mise en cause d'un auxiliaire de justice, comme juridiction limitrophe au sens de l'article 47 du code de procédure civile, afin de voir juger qu'il avait manqué aux obligations lui incombant dans le cadre de l'exécution du bail commercial liant les deux sociétés et pour l'entendre condamner à lui verser en réparation de son préjudice une somme de 61.015,43 euros correspondant pour 60.491,77 euros aux loyers impayés entre avril 2017 et février 2018, et pour 523,66 euros à des frais d'assurance, une indemnité de procédure de 3.000 euros étant également sollicitée en vertu de l'article 700 du code de procédure civile.

Thomas HUMEAU a invoqué l'irrecevabilité de cette action au motif qu'elle était prématurée puisque la liquidation judiciaire n'étant pas clôturée, le défaut de paiement des loyers en souffrance n'était pas certain. À titre subsidiaire, il a conclu au rejet de tous les chefs de prétentions en contestant avoir engagé sa responsabilité.

Par jugement du 4 janvier 2021 le tribunal -entre-temps devenu tribunal judiciaire- de Poitiers a

* déclaré recevables les demandes de la SCI DAO

* débouté la SCI DAO de sa demande d'indemnisation

* condamné la SCI DAO aux dépens de l'instance et à payer 2.000 euros d'indemnité de procédure à Thomas HUMEAU.

Pour statuer ainsi, il a retenu, en substance

.que la demanderesse était en droit de saisir le tribunal limitrophe

.qu'elle avait intérêt à agir, la fin de non-recevoir tirée du caractère prétendument encore hypothétique du préjudice invoqué constituant en réalité un moyen de défense au fond

.que Me HUMEAU avait été ès qualités à l'initiative de la résiliation du bail, le 6 mars 2018

.que la SCI, bailleresse, n'ayant pas mis le liquidateur judiciaire en demeure de payer les loyers courants ni demandé comme elle le pouvait la résiliation du bail, elle ne pouvait se prévaloir d'un comportement fautif du liquidateur qui engagerait sa responsabilité.

La SCI DAO a relevé appel le 28 janvier 2021.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

* le 14 octobre 2021 par la SCI DAO

* le 12 avril 2022 par Thomas HUMEAU

La SCI DAO demande à la cour de réformer le jugement, de déclarer que Maître Thomas HUMEAU a commis une faute à son encontre dans la poursuite du bail au mépris des dispositions de l'article L.641-11-1 II du code de commerce, de dire qu'elle-même n'a pas commis de faute dans la réalisation de son propre préjudice, et de condamner Maître Thomas HUMEAU à l'indemniser de son préjudice à hauteur de 61.015,43 euros avec intérêts au taux légal, ainsi qu'à lui verser 3.000 euros d'indemnité de procédure.

Elle indique que son dirigeant, qui est le même que celui de la société locataire JBC, est atteint d'une grave maladie dont l'évolution fluctue, et qu'il a fait toute confiance au professionnel des procédures collectives qu'était à ses yeux le liquidateur judiciaire.

Elle indique que Me HUMEAU n'a pas dénoncé immédiatement le bail alors qu'il savait que la débitrice ne disposait pas des fonds pour payer le loyer courant, connaissant l'état des fonds disponibles et voyant la situation s'aggraver pendant le redressement, où le passif se creusa de plus de 54.000 euros en quelques semaines au point qu'il demanda la conversion en liquidation. Elle soutient que lorsqu'il se décida à dénoncer le bail, il crut pouvoir le résilier avec effet rétroactif, ce qui n'est pas possible pour un contrat à exécution successive.

Elle considère au regard de l'article L.641-11-1 I du code de commerce qu'il s'agit là de fautes du liquidateur judiciaire, qui l'ont privée des loyers et ont immobilisé les locaux alors qu'ils auraient pu être reloués à un preneur solvable.

Elle récuse toute faute de sa part, en affirmant que seule une faute inexcusable de la victime prive celle-ci de toute réparation de son préjudice, ce qui n'est aucunement le cas. Elle indique avoir attiré l'attention de l'étude HUMEAU sur l'arriéré locatif dès le 27 février 2018. Elle affirme que la non-communication du bail n'est qu'un prétexte avancé après coup.

Thomas HUMEAU demande à la cour de juger que la SCI DAO ne fait la démonstration d'aucun préjudice en lien causal avec une faute qu'il aurait commise alors qu'il n'en a commis aucune, et de confirmer en conséquence purement et simplement le jugement en lui allouant aussi 4.000 euros d'indemnité de procédure en cause d'appel.

Il soutient que pendant la phase de redressement judiciaire, il n'avait pas à se substituer au dirigeant, qui avait seul le pouvoir de décider du sort du bail au vu de la faculté de l'entreprise à payer ou non les loyers courants. Il fait valoir qu'ensuite, lorsqu'il est devenu liquidateur judiciaire, il n'avait pas à décider de poursuivre ou pas le bail, puisque celui-ci continuait de par le seul effet de la loi, en application de l'article L.641-11-1 I du code de commerce.

Il soutient que c'était au bailleur de veiller à ses intérêts propres en sollicitant au besoin la résiliation du bail, conformément à ce que prévoit l'article L.641-12-3°, et que le bailleur ne l'a jamais interrogé, ni a fortiori ne lui a notifié sa décision de résilier le bail pour défaut de paiement. Il ajoute que la SCI ne lui a jamais même communiqué le bail. Il relate que les sociétés bailleresse et locataire avaient le même dirigeant, que celui-ci projetait de transmettre

l'affaire à son fils, qui a, de fait, formulé une offre de reprise, à laquelle le tribunal de commerce a préféré celle d'un autre candidat. Il affirme que la SCI a été attentiste dans cette perspective d'une reprise par le fils, puis qu'elle a ensuite fait obstruction à la cession des actifs. Il récuse toute faute en indiquant que les locaux n'ont été conservés que pour les stricts besoins de la liquidation, en vue de la conservation et de la cession des actifs, comme il en a la mission.

À titre très subsidiaire, il conteste l'existence même d'un préjudice, en faisant valoir que celui-ci a la nature d'une perte de chance, celle d'avoir pu relouer les locaux, et estime que personne ne voulait prendre les locaux à bail pendant la période où les loyers demeurèrent impayés, faisant valoir qu'ils sont situés dans une bourgade, et qu'il existait déjà un important arriéré locatif avant la procédure collective. Il ajoute que s'agissant des primes d'assurance, le propriétaire doit assurer son bien.

L'ordonnance de clôture est en date du 14 avril 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

Le jugement n'est pas discuté en cause d'appel en ce qu'il a déclaré recevable l'action exercée par la SCI DAO.

Sur le fond, le mandataire judiciaire est personnellement responsable des fautes qu'il commet dans l'exercice de ses missions, par application des dispositions de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, à charge pour le demandeur d'établir l'existence de sa faute, celle d'un dommage, et le lien de causalité entre la faute et le dommage.

La SCI DAO reproche à Me HUMEAU de n'avoir pas résilié le bail commercial la liant à la SARL JBC alors qu'il ne disposait pas des fonds suffisants pour acquitter le loyer courant.

Me HUMEAU est fondé à faire valoir que la question ne se pose que pour la période de liquidation judiciaire.

L'article L.641-12 du code de commerce prévoit que sans préjudice de l'application du I et du II de l'article L.641-11-1, la résiliation du bail des immeubles affectés à l'activité de l'entreprise intervient dans les conditions suivantes :

1°) Au jour où le bailleur est informé de la décision du liquidateur de ne pas continuer le bail

2°) Lorsque le bailleur demande la résiliation judiciaire ou fait constater la résiliation de plein droit du bail pour des causes antérieures au jugement de liquidation judiciaire ou, lorsque ce dernier a été prononcé après une procédure de sauvegarde ou de redressement judiciaire, au jugement d'ouverture de la procédure qui l'a précédée. Il doit, s'il ne l'a déjà fait, introduire sa demande dans les trois mois de la publication du jugement de liquidation judiciaire

3°) Le bailleur peut également demander la résiliation judiciaire ou faire constater la résiliation de plein droit du bail pour défaut de paiement des loyers et charges afférents à une occupation postérieure au jugement de liquidation judiciaire, dans les conditions prévues aux troisième à cinquième alinéas de l'article L.622-14.

L'article L.641-11-1 auquel renvoie l'article L.641-12 énonce que nonobstant toute disposition légale ou toute clause contractuelle, aucune résiliation d'un contrat en cours ne peut résulter du seul fait de l'ouverture ou du prononcé d'une liquidation judiciaire.

Le bail commercial se poursuivait donc pendant la période de liquidation judiciaire et c'est à la SCI DAO qu'il incombait de mettre en demeure le liquidateur judiciaire de payer les loyers courants voire de solliciter la résiliation judiciaire du bail comme l'y autorisait l'article L.641-12-3°, ce qu'elle n'a pas fait, pour des motifs qui lui appartiennent, et que l'intimé attribue de façon plausible au fait que le dirigeant n'y trouvait pas intérêt car son fils formulait auprès de la juridiction consulaire une offre d'acquisition du fonds exploité par la SARL JBC, lequel tirait pour une bonne part sa valeur du droit au bail.

Quoiqu'il en soit, le liquidateur judiciaire -légalement chargé de conserver et réaliser les actifs de la débitrice, dont le droit au bail faisait éminemment partie- n'a pas commis de faute ni donc engagé sa responsabilité en ne prenant pas l'initiative de résilier le bail faute de trésorerie, étant ajouté qu'il fait pertinemment valoir que la créance de loyers de la SCI DAO pour cette période reste susceptible d'être payée en tout ou partie avec les fonds de la liquidation judiciaire, qui n'est pas clôturée.

Me HUMEAU ès qualités n'a pas non plus commis de faute dans la façon dont il a communiqué avec la SCI DAO, avec laquelle il n'a point fait preuve de duplicité, contrairement à ce qui est soutenu, n'ayant pas entretenu la SCI DAO dans la croyance qu'il prendrait l'initiative de décider de ne pas continuer le bail, les courriels échangés entre un collaborateur de l'étude du mandataire judiciaire et le dirigeant de la SCI DAO n'ayant pas le sens que leur prête l'appelante, celui du 27 février 2018 énonçant qu'il ne disposait pas du bail lequel ne lui avait jamais même été communiqué, et celui du 24 mai 2018 indiquant que les loyers seraient assumés par la liquidation judiciaire, que celle-ci n'était pas 'à ce jour ... en mesure de les payer' et précisant qu'elle ne le serait pas tant que la résolution du litige commercial ne serait pas intervenue, ce que deux autres courriels ont confirmé (cf pièces n°9,13, 14 et 15). de sorte que la SCI DAO savait à quoi s'en tenir.

Quand bien même l'appelante a le même dirigeant que la société en liquidation judiciaire JBC, elle n'est pas fondée à faire valoir la mauvaise santé de son représentant légal en indiquant avoir fait confiance à ME HUMEAU et s'en être remise à lui, alors que la SCI DAO, personne juridique distincte de la SARL JCB, n'était pas son administrée, et qu'elle devait veiller à ses intérêts de créancier de la procédure collective, intérêts dont Me HUMEAU n'était pas en charge.

Enfin, Me HUMEAU n'a pas davantage engagé sa responsabilité professionnelle envers la SCI DAO en indiquant lorsqu'il a notifié à la SCI DAO sa décision de procéder à une résiliation du bail, qu'il le faisait de façon rétroactive, ce qu'il appartenait à la bailleresse de contester si elle considérait qu'il n'était pas en droit d'agir ainsi.

Le jugement déféré sera donc confirmé en ce qu'il a débouté la SCI DAO de tous ses chefs de demandes.

Il le sera aussi en ce qu'il a condamné la SCI DAO aux dépens, et mis à sa charge une indemnité de procédure dont le montant est adapté.

La SCI DAO succombant devant la cour, elle supportera les dépens d'appel et versera une indemnité de procédure à Thomas HUMEAU.

PAR CES MOTIFS :

La Cour,

Statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement déféré en toutes ses dispositions

ajoutant :

DÉBOUTE les parties de toutes demandes autres ou contraires

CONDAMNE la SCI DAO aux dépens d'appel

LA CONDAMNE à payer à Thomas HUMEAU une indemnité de procédure de 2.000 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

ACCORDE à la SCP Gallet - Allerit - Wagner, avocat, le bénéfice de la faculté prévue à l'article 699 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 21/00326
Date de la décision : 20/09/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-09-20;21.00326 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award