JMA/PR
ARRET N° 561
N° RG 20/02663
N° Portalis DBV5-V-B7E-GD32
[P]
C/
ASSOCIATION LA CROIX ROUGE FRANÇAISE
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre sociale
ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 octobre 2020 rendu par le conseil de prud'hommes de Rochefort sur Mer
APPELANT :
Monsieur [R] [P]
né le 04 juillet 1986 à [Localité 4] (47)
[Adresse 3]
[Localité 1]
Ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS-ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Alexandra DUPUY, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
INTIMÉE :
ASSOCIATION LA CROIX ROUGE FRANÇAISE
Institut médico-éducatif de [Localité 5]
[Adresse 2]
[Localité 5]
Ayant pour avocat postulant Me François-Xavier GALLET de la SELARL GALLET & GOJOSSO AVOCATS, avocat au barreau de POITIERS
Ayant pour avocat plaidant Me Christophe BIAIS de la SELARL BIAIS ET ASSOCIES, avocat au barreau de BORDEAUX
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 13 juin 2022, en audience publique, devant :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller
Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIÈRE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
La Croix Rouge Française a embauché M. [R] [P], suivant contrat de travail à durée déterminée en date du 27 septembre 2010, en qualité de professeur d'EPS adaptée.
La relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à effet du 27 juillet 2012.
Le 24 octobre 2018, le médecin du travail a déclaré M. [R] [P] inapte à tous les postes de l'établissement de La Croix Rouge Française situé à [Localité 5].
Le 14 décembre 2018, la Croix Rouge Française a proposé à M. [R] [P] un premier poste de reclassement, puis le 24 décembre suivant un second poste de reclassement.
La Croix Rouge Française a convoqué M. [R] [P] à un entretien préalable à son éventuel licenciement.
Le 19 février 2019, la Croix Rouge Française a notifié à M. [R] [P] son licenciement pour inaptitude et impossibilité de procéder à son reclassement.
Le 10 mai 2019, M. [R] [P] a saisi le conseil de prud'hommes de Rochefort-sur-Mer aux fins, sous le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir et en l'état de ses dernières prétentions, de voir :
- juger que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner la Croix Rouge Française à lui payer, majorées des intérêts à compter du jour de la demande, les sommes suivantes:
- 58 702,87 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive de son contrat de travail ;
- 4 891,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 489 euros au titre des congés payés y afférents ;
- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail ;
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par jugement en date du 22 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Rochefort-sur-Mer a :
- débouté M. [R] [P] de sa demande pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- débouté M. [R] [P] de ses autres demandes ;
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Le 20 novembre 2020, M. [R] [P] a relevé appel de ce jugement en ce qu'il :
- l'avait débouté de sa demande pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- l'avait débouté de ses autres demandes ;
- avait dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- avait laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Par conclusions reçues au greffe le 18 février 2021, M. [R] [P] demande à la cour:
- d'infirmer le jugement entrepris ;
- de juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- de condamner la Croix Rouge Française à lui payer, majorées des intérêts à compter du jour de la demande, les sommes suivantes:
- 58 702,87 euros à titre d'indemnité pour rupture abusive de son contrat de travail ;
- 4 891,90 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de '500 euros' au titre des congés payés y afférents ;
- 5 000 euros à titre de dommages et intérêts pour rupture brutale et vexatoire de son contrat de travail ;
- 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile pour la procédure de première instance et celle de 3 000 euros en cause d'appel ainsi qu'aux entiers dépens ;
- de débouter la Croix Rouge Française de l'ensemble de ses demandes.
Par conclusions reçues au greffe le 4 mai 2021, la Croix Rouge Française sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris, déboute M. [R] [P] de l'ensemble de ses demandes et condamne ce dernier à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens tant de première instance que de l'appel.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 16 mai 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 13 juin 2022 à 14 heures pour y être plaidée.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au soutien de son appel, M. [R] [P] expose en substance:
- qu'en vertu des dispositions de l'article L 1226-2 du Code du travail, lorsqu'un salarié victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel est déclaré inapte par le médecin du travail, l'employeur doit lui proposer un autre emploi approprié à ses capacités et cette proposition est soumise à l'avis du comité social et économique lorsque celui-ci existe ;
- qu'à défaut d'élection d'un comité social et économique, le rôle revient au délégué du personnel tel que visé par l'article L 1226-2 du Code du travail ;
- que l'employeur ne peut se soustraire à l'obligation de consulter les délégués du personnel quand bien même il estime être dans l'impossibilité de proposer un reclassement ;
- que l'absence de délégué du personnel dans une entreprise qui devrait en compter n'est pas de nature à exonérer l'employeur de sa responsabilité sauf à ce qu'il produise un procès-verbal de carence des élections ;
- que le défaut de consultation fautif des délégués du personnel entraîne automatiquement le constat du caractère sans cause réelle ni sérieuse du licenciement ;
- que la consultation des délégués du personnel ne peut être remplacée par la consultation du comité d'entreprise ;
- qu'en l'espèce aucun délégué du personnel n'a été consulté au sujet des propositions de reclassement de l'employeur, seul le comité d'entreprise l'ayant été ;
- que son licenciement se trouve donc dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- que les dispositions de l'article L 1235-3 du Code du travail sont inconventionnelles en ce qu'elles font obstacle à la réparation intégrale du préjudice consécutif à un licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- qu'en effet ces dispositions sont contraires à celles de l'article 10 de la convention n°158 de l'OIT ratifiée par la France mais aussi à celles de l'article 24 de la Charte sociale européenne applicable en droit interne ;
- qu'il peut donc prétendre à une indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse excédant celle prévue par cet article L 1235-3 compte-tenu de son ancienneté et des préjudices professionnel et financier qu'il a subis ;
- qu'il peut également prétendre à des dommages et intérêts en réparation de son préjudice causé par les circonstances brutales et vexatoires de son licenciement.
En réponse, la Croix Rouge Française objecte pour l'essentiel:
- qu'à la suite de l'avis d'inaptitude rendu par le médecin du travail à l'égard de M. [R] [P], elle a recherché des solutions de reclassement au profit de ce dernier ;
- qu'elle a ainsi proposé deux postes de reclassement à M. [R] [P], le premier le 14 décembre 2018, le second le 24 décembre suivant ;
- que M. [R] [P] ne lui a pas répondu ;
- que les représentants du personnel ont bien été consultés sur ce plan même si ce sont les membres du CE qui ont été consultés en lieu et place des délégués du personnel, ces derniers ayant démissionné ;
- que cette consultation est survenue dans un contexte de négociation au sein de l'entreprise pour la mise en place d'un CSE ;
- qu'au cours de cette négociation des accords ont été signés avec des organisations syndicales, la DIRECCTE a été saisie à deux reprises et a rendu deux décisions qui ont été contestées par plusieurs organisations syndicales et annulées par décision de justice et enfin un accord de dialogue social a été signé à la majorité des organisations syndicales le 22 mars 2019 et un protocole d'accord pré-électoral a été signé le 28 juin 2019 ;
- que jusqu'aux résultats des élections professionnelles qui devaient être organisées en novembre 2019, les mandats des élus qui étaient en cours à la date de la saisine de la DIRECCTE en août 2016, ont été prorogés en application de l'article L 2322-5 du Code du travail ;
- que durant cette période de négociation, les délégués du personnel ont démissionné et n'étaient plus en place au moment de la mise en oeuvre de la procédure de licenciement pour inaptitude de M. [R] [P] ;
- qu'elle a tout mis en oeuvre pour organiser les élections professionnelles et renouveler au plus vite les mandats des représentants du personnel ;
- qu'elle a associé les représentants du personnel, via le CE, à la question du reclassement de M. [R] [P] et le CE a émis un avis positif ;
- que les barèmes de l'article L 1235-3 du Code du travail ont été validés tant par le Conseil d'Etat que par le Conseil Constitutionnel ;
- que les pièces produites par M. [R] [P] au soutien de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse n'établissent pas le préjudice dont il réclame réparation à hauteur de 20 mois de salaire ;
- que le licenciement pour inaptitude est une situation qui s'impose à l'employeur sur laquelle il n'a plus la maîtrise dès lors que le médecin du travail s'est prononcé, étant rappelé qu'en l'espèce M. [R] [P] a refusé de répondre aux offres de reclassement qu'il lui a faites, l'ensemble faisant obstacle à la demande du salarié formée pour licenciement dans des conditions brutales et vexatoires.
L'article L 1226-2 du Code du travail, dans sa version applicable à l'espèce, prévoit que lorsqu'un salarié, victime d'une maladie ou d'un accident non professionnel, est déclaré inapte par le médecin du travail à reprendre l'emploi qu'il occupait précédemment, l'employeur lui propose un autre emploi approprié à ses capacités au sein de l'entreprise ou des entreprises du groupe auquel elle appartient le cas échéant, situées sur le territoire national et dont l'organisation, les activités ou le lieu d'exploitation assurent la permutation de tout ou partie du personnel. Cet article prévoit également que cette proposition prend en compte l'avis du comité social et économique lorsque celui-ci existe, les conclusions écrites du médecin du travail et les indications qu'il formule sur les capacités du salarié à exercer l'une des tâches existantes dans l'entreprise.
Ces dispositions imposent donc à l'employeur de consulter, au sujet de sa ou de ses propositions de reclassement du salarié déclaré inapte à la suite d'une maladie ou d'un accident ne relevant pas de la législation professionnelle, non pas les délégués du personnel comme le soutient M. [R] [P] et comme le prévoyait le texte dans sa version applicable antérieurement au 1er janvier 2018, mais le comité social et économique de l'entreprise, et ce sous réserve que celui-ci existe.
S'agissant de cette obligation de consultation qui pèse sur l'employeur, ce n'est qu'en cas de défaut de consultation fautif que le licenciement du salarié concerné se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Or en l'espèce, étant rappelé que La Croix Rouge a proposé deux postes de reclassement à M. [R] [P], propositions auxquelles ce dernier n'a donné aucune suite, il ressort des éléments produits aux débats par l'employeur d'une part que ce dernier, au cours de la période concomitante de la procédure de licenciement de M. [R] [P], a entrepris, dans l'objectif de régulariser un protocole d'accord préélectoral destiné à couvrir l'ensemble des institutions représentatives du personnel et notamment, à partir de 2018, en vue de la mise en place du comité social et économique instauré par ordonnance n° 2017-1386 du 22 septembre 2017, de nombreuses démarches de négociation avec les organisations syndicales représentatives, des démarches administratives auprès de la DIRECCTE, laquelle a rendu deux décisions en janvier 2017 puis en septembre 2017 qui ont été successivement annulées par décision de justice, la dernière de ces décisions ayant été rendue le 20 juillet 2018, démarches qui ont abouti d'abord à un accord relatif au dialogue social dans l'entreprise signé le 22 mars 2019 puis à la signature d'un accord préélectoral le 28 juin suivant et d'autre part et surtout que les délégués du personnel dont les mandats étaient en cours en 2016 pour avoir été prorogés le 18 février 2015 par un accord signé à l'unanimité des organisations syndicales représentatives au sein de l'entreprise, avaient démissionné en octobre 2017 (pièce de l'employeur n°14) soit postérieurement à l'ordonnance du 22 septembre 2017 qui avait créé le comité social et économique qui remplaçait les trois instances représentatives du personnel qui jusque là existaient dans les entreprises et parmi celles-ci les délégués du personnel.
Ces circonstances font donc ressortir qu'au cours de la période concomitante de la procédure de licenciement de M. [R] [P], et nonobstant les initiatives de La Croix Rouge, il n'existait pas encore de comité social et économique et il n'existait plus de délégués du personnel au sein de l'établissement de [Localité 5] qui employait M. [R] [P] et qu'en conséquence il ne peut être reproché à l'employeur un défaut de consultation fautif de ces institutions représentatives.
En conséquence de quoi, étant observé que M. [R] [P] ne fait pas grief à La Croix Rouge d'avoir manqué à ses obligations en matière de renouvellement de ses institutions représentatives du personnel, la demande de ce dernier tendant à voir juger que son licenciement se trouve dépourvu de cause réelle et sérieuse doit être rejetée et il doit être débouté de ses demandes indemnitaires subséquentes, étant en outre précisé qu'aucune des pièces (n°6 à 14 et 34) qu'il verse aux débats, dans le but d'étayer sa demande de dommages et intérêts pour rupture de son contrat de travail dans des conditions brutales et vexatoires, ne conforte sa thèse.
Succombant en toutes ses demandes, M. [R] [P] sera condamné aux entiers dépens d'appel.
En revanche il n'apparaît pas inéquitable de laisser à la charge de La Croix Rouge l'intégralité des frais par elle exposés et non compris dans les dépens. Aussi, La Croix Rouge sera déboutée de sa demande sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, la cour confirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu'il a dit n'y avoir lieu à application de ces dispositions au titre des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
Et, y ajoutant, déboute les parties de leur demande respective sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles de l'appel et condamne M. [R] [P] aux entiers dépens d'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,