JMA/PR
ARRET N° 560
N° RG 20/02648
N° Portalis DBV5-V-B7E-GD3F
[R]
C/
Association ATASH
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre sociale
ARRÊT DU 08 SEPTEMBRE 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 22 octobre 2020 rendu par le conseil de prud'hommes de Rochefort-sur-Mer
APPELANTE :
Madame [P] [R]
née le 30 janvier 1970 à [Localité 6] (79)
[Adresse 4]
[Localité 3]
Ayant pour avocat plaidant Me Laurence RICOU, avocat au barreau de SAINTES
INTIMÉE :
ASSOCIATION POUR LE TRAITEMENT, L'ACCOMPAGNEMENT, LES SOINS ET L'HANDICAP (ATASH)
[Adresse 1]
[Localité 2]
Ayant pour avocat constitué Me Cécile HIDREAU de la SCP BODIN- BOUTILLIER-DEMAISON-GIRET-HIDREAU-SHORTHOUSE, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
Ayant pour avocat plaidant Me Rebecca SHORTHOUSE de la SCP BODIN- BOUTILLIER-DEMAISON-GIRET-HIDREAU-SHORTHOUSE, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 13 juin 2022, en audience publique, devant :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller
Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Patrick CASTAGNÉ, Président, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
Mme [P] [R] a été embauchée par le Centre Communal d'Action Sociale de la commune de [Localité 5] le 1er septembre 1996 pour exercer les fonctions d'agent d'entretien au sein de l'EHPAD [7].
L'Association pour le Traitement, l'Accompagnement, les Soins et le Handicap, ci-dessous dénommée l'ATASH, a repris cet EHPAD le 1er avril 2007 et Mme [P] [R] est devenue salariée de l'ATASH dans le cadre d'un contrat de travail à durée indéterminée à temps complet en date du 27 mars 2007, en qualité d'agent de soins.
Au dernier état de la relation de travail, Mme [P] [R] occupait le poste d'aide-soignante.
Le 24 octobre 2016, l'ATASH a adressé à Mme [P] [R] une lettre d'observation.
Le 11 avril 2019, l'ATASH a convoqué Mme [P] [R] à un entretien préalable à son éventuel licenciement et lui a concomitamment notifié sa mise à pied à titre conservatoire. Cet entretien a eu lieu le 19 avril 2019.
Le 25 avril 2019, l'ATASH a notifié à Mme [P] [R] son licenciement pour faute grave.
Le 18 juin 2019, Mme [P] [R] a saisi le conseil de prud'hommes de Rochefort-sur-Mer aux fins, sous le bénéfice de l'exécution provisoire du jugement à intervenir et en l'état de ses dernières prétentions, de voir :
- juger que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- condamner l'ATASH à lui payer, majorées des intérêts de droit à compter de la demande, les sommes suivantes :
- 53 690 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 5 369 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 536,90 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
- 18 120,38 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- 1 163,14 euros bruts à titre de rappel de salaire de la période de sa mise à pied outre 116,31 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
- ordonner à l'ATASH de lui remettre un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifiés en tenant compte de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé 8 jours de la notification de cette décision ;
- condamner l'ATASH à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par jugement en date du 22 octobre 2020, le conseil de prud'hommes de Rochefort-sur-Mer a :
- débouté Mme [P] [R] de l'intégralité de ses demandes ;
- condamné Mme [P] [R] à verser à l'ATASH la somme de 100 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ;
- laissé les dépens à la charge de chacune des parties.
Le 20 novembre 2020, Mme [P] [R] a relevé appel de ce jugement en ce qu'il :
- avait jugé fondé son licenciement pour faute grave ;
- l'avait déboutée de l'ensemble de ses demandes tendant à voir :
- condamner l'ATASH à lui payer, majorées des intérêts de droit à compter de la demande, les sommes suivantes :
- 53 690 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 5 369 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 536,90 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
- 18 120,38 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- 1 163,14 euros bruts à titre de rappel de salaire de la période de sa mise à pied outre 116,31 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
- ordonner à l'ATASH de lui remettre un bulletin de paie, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifiés en tenant compte de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé 8 jours de la notification de cette décision ;
- l'avait condamnée à verser à l'ATASH la somme de 100 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile.
Par conclusions reçues au greffe le 12 février 2021, Mme [P] [R] demande à la cour :
- de réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions ;
- de juger que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;
- de condamner l'ATASH à lui payer, majorées des intérêts de droit à compter de la saisine du conseil de prud'hommes, les sommes suivantes :
- 53 690 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;
- 5 369 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre celle de 536,90 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
- 18 120,38 euros à titre d'indemnité de licenciement ;
- 1 163,14 euros bruts à titre de rappel de salaire de la période de sa mise à pied outre 116,31 euros bruts au titre des congés payés y afférents ;
- d'ordonner à l'ATASH de lui remettre un bulletin de paie faisant mention des condamnations précitées, une attestation Pôle Emploi et un certificat de travail rectifiés en tenant compte de la décision à intervenir, ce sous astreinte de 100 euros par jour de retard passé 8 jours de la notification de cette décision ;
- de condamner l'ATASH à lui verser la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
Par conclusions reçues au greffe le 8 mai 2021, l'ATASH sollicite de la cour qu'elle confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions, déboute Mme [P] [R] de l'ensemble de ses demandes, et condamne cette dernière à lui verser la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens.
La clôture de l'instruction de l'affaire a été prononcée le 16 mai 2022 et l'affaire a été renvoyée à l'audience du 13 juin 2022 à 14 heures pour y être plaidée.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et prétentions et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux écritures des parties.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Au soutien de son appel, Mme [P] [R] expose en substance :
- qu'elle a été licenciée pour faute grave aux motifs d'actes de maltraitance sur la personne d'une résidente de l'EHPAD, Mme [J] [U] ;
- que, dans la soirée du 10 avril 2019, elle a souhaité changer la protection de Mme [J] [U] qui était salie ;
- que celle-ci ne voulait pas que sa protection soit changée mais que pour des raisons d'hygiène elle a néanmoins réalisé son intervention ;
- que cette intervention s'est réalisée sans violence ;
- qu'au cours de cette intervention un matelas, qui habituellement était placé au sol de la chambre de Mme [J] [U] et qui se trouvait alors en appui sur le placard de cette chambre, était tombé en provoquant un bruit de 'claquage' ;
- que Mme [H] qui a attesté en faveur de l'employeur n'a pas été témoin direct de la scène et a simplement entendu un bruit qu'elle a identifié comme un claquement de main alors qu'il s'agissait seulement du bruit causé par la chute du matelas sur le sol ;
- qu'aucune personne n'a été témoin des faits qui lui sont reprochés et que le doute doit lui profiter en application de l'article L 1235-1 du Code du travail ;
- que Mme [J] [U] a déclaré avoir été frappée par elle mais ses déclarations ont varié en ce qui concerne le siège des coups prétendument portés ;
- que 'les résidents des EHPAD sont très souvent des personnes dépendantes dont les capacités cognitives sont réduites'.
En réponse, l'ATASH objecte pour l'essentiel :
- que Mme [J] [U], résidente de l'EHPAD [7] depuis février 2019, a dénoncé des violences commises à son encontre par Mme [P] [R] ;
- que ces violences ont toujours été relatées de la même manière par Mme [J] [U] et notamment auprès de Mme [C] [H], autre salariée présente dans l'établissement au moment des faits ;
- que Mme [J] [U] a réitéré ses accusations contre Mme [P] [R] auprès de Mme [T] [F] et de Mme [L] [D], neuropsychologue ;
- que ce n'est que dans ses écritures que Mme [P] [R] a évoqué pour la première fois sa thèse du 'claquage' d'un matelas sur le sol ;
- que Mme [P] [R] avait déjà fait l'objet d'une lettre d'observations en 2016 en raison de maltraitances qui lui avaient été reprochées ;
- qu'elle se doit d'assurer la sécurité de tous les résidents et n'avait pas d'autre choix que de licencier Mme [P] [R].
Selon la lettre qui lui a été adressée par l'ATASH le 25 avril 2019, Mme [P] [R] a été licenciée pour faute grave aux motifs énoncés d'actes de maltraitance commis dans la soirée du 10 avril 2019 sur la personne d'une résidente, Mme [J] [U].
Il est de principe que la faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constitue une violation des obligations résultant du contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Il est également de principe qu'il appartient à l'employeur qui entend se prévaloir de la faute grave du salarié d'en rapporter seul la preuve.
En l'espèce, dans le but de rapporter cette preuve, l'ATASH verse aux débats notamment les pièces suivantes :
- sa pièce n°8 : il s'agit d'une attestation rédigée par Mme [C] [H], agent de soin de nuit et ancienne collègue de Mme [P] [R] au sein de l'association, laquelle y déclare notamment :
'Vers 21 h 30.....j'ai entendu un claquement de mains provenant du couloir. J'ai entendu Mme [A], chambre 13, dire : 'Vous n'avez pas le droit de me frapper', puis plus avant 'vers 24 h, je suis allée voir Mme [A]. .....pour vérifier qu'elle allait bien. A ce moment là, elle me dit : 'La grosse dame m'a frappée' puis plus avant encore : 'Elle me dit : 'Je vous jure madame, je ne mens pas, elle m'a frappée' ;
- sa pièce n°9 : il s'agit d'une attestation rédigée par Mme [K] [N], agent de soin et ancienne collègue de Mme [P] [R] au sein de l'association, laquelle y déclare notamment :
'Je suis allée aux transmissions avec l'équipe de nuit. Mme [H] m'a prise à part pour me parler de sa collègue. Elle m'a raconté ce qui s'était passé avec Mme [A] (résidente). Je suis allée voir Mme [A] à 7 h 30 pour voir comment elle allait.....Je suis allée chercher Mme [H] pour voir si Mme [A] la reconnaissait. Je me suis assise à côté de Mme [A] en lui demandant ce qui s'était passé. Elle m'a répondu : 'La grosse, elle m'a tapée'. Je lui ai demandé où. Elle répond : 'Au torse et elle m'a secouée.....' ;
- sa pièce n°10 : il s'agit d'une attestation rédigée par Mme [T] [F], infirmière et ancienne collègue de Mme [P] [R] au sein de l'association, laquelle y déclare notamment :
'A ma prise de poste, le 11/04/2019, à 8 h, je suis interpellée par Mme [H] [C] qui me signale avoir entendu le 10/04/2019 à 21 h 30 un claquement de mains suivi des dires de Mme [A] : 'Vous n'avez pas le droit de me frapper'.
Suite à cela je suis allée voir Mme [A]. à qui je demande comment s'est passé son couché de la veille au soir. A cela elle me répond : 'Bien avec la petite aux cheveux courts'. Lorsque je lui demande 'et avec l'autre personne', elle me répond que 'la personne forte l'a frappée'. Je lui demande où. Elle répond en me montrant avec ses mains, le front, la joue et le torse'. A cela elle m'explique que 'la forte' lui a serré le torse avec sa chemise de nuit'. Ce témoin ajoute : 'Le nom de la veilleuse est Mme [P] [R]' ;
- sa pièce n°11 : il s'agit d'un document sans titre et non daté mais signé par une dame [L] [D] 'neuro-psychologue'. Dans ce document sa rédactrice expose en substance que Mme [U] lui a confirmé avoir été 'frappée/bousculée' et que celle-ci était perturbée 'car elle avait peur que cette personne revienne s'occuper d'elle et elle avait peur que ça se reproduise'. Ce témoin ajoute que Mme [U] lui avait demandé à plusieurs reprises : 'Elle ne reviendra pas hein, ça ne se reproduira pas''. Mme [L] [D] précise encore que le 17 avril 2019, Mme [U] 'semblait encore perturbée et angoissée' et que 'plusieurs soignants' l'avaient informée 'qu'elle était inquiète depuis cet événement, surtout le soir, et qu'elle demandait souvent si la personne n'allait pas revenir s'occuper d'elle le soir'.
Ces éléments, précis et cohérents, conduisent la cour à retenir que les faits aux motifs desquels Mme [P] [R] a été licenciée pour faute grave sont établis, étant observé d'une part que la résidente concernée, Mme [U], a réitéré ses déclarations à plusieurs reprises auprès de personnes différentes et a manifesté, au cours des jours ayant suivi le 10 avril 2019, des craintes que Mme [P] [R] s'occupe à nouveau d'elle, ce qui renforçait encore la crédibilité de ses déclarations et d'autre part que les affirmations de Mme [P] [R] selon lesquelles 'les résidents des EHPAD sont très souvent des personnes dépendantes dont les capacités cognitives sont réduites', sont d'ordre général et donc dépourvues d'intérêts en l'espèce s'agissant des faits dénoncés par Mme [U].
La cour retient que ces faits, imputables à Mme [P] [R], constituent bien une violation des obligations résultant de son contrat de travail ou des relations de travail d'une importance telle qu'elle rendait impossible son maintien dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
En conséquence de quoi, la cour déboute Mme [P] [R] de l'ensemble de ses demandes.
Succombant en toutes ses demandes, Mme [P] [R] sera condamnée aux entiers dépens tant de première instance que d'appel.
En outre, il serait inéquitable de laisser à la charge de l'ATASH l'intégralité des frais par elle exposés et non compris dans les dépens. Aussi, Mme [P] [R] sera condamnée à lui verser la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel, la cour confirmant par ailleurs le jugement déféré en ce qu'il a condamné Mme [P] [R] à verser à l'ATASH la somme de 100 euros sur ce même fondement au titre des frais irrépétibles de première instance.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR,
Confirme le jugement entrepris sauf en ce qu'il a laissé les dépens à la charge de chacune des parties ;
Et, statuant à nouveau sur ce point :
- Condamne Mme [P] [R] aux entiers dépens de première instance ;
Et, y ajoutant :
- Condamne Mme [P] [R] à verser à l'ATASH la somme de 500 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel ainsi qu'aux entiers dépens de l'appel.
LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,