ASB/LD
ARRET N° 468
N° RG 20/00547
N° Portalis DBV5-V-B7E-F63U
CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE LA VENDEE
C/
[E]
[M] [E]
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 30 JUIN 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 janvier 2020 rendu par le pôle social du tribunal judiciaire de LA ROCHE-SUR-YON
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE LA VENDEE
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Mme [S] [H], munie d'un pouvoir
INTIMÉS :
Monsieur [F] [E]
né le 26 octobre 1974 à [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Mademoiselle [Z] [M] [E]
née le 02 octobre 2014 [Localité 6]
[Adresse 4]
[Localité 2]
Représentée par son père Monsieur [F] [E]
Tous deux représentés par Me Richard FORGET, avocat au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 02 Février 2022, en audience publique, devant :
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller qui a présenté son rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile que l'arrêt serait rendu le 21 avril 2022. A cette date le délibéré a été prorogé au 16 juin 2022 puis au 30 juin 2022
- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
FAITS ET PROCÉDURE :
De l'union de Mme [J] [M] et de M. [F] [E] est née [Z] [M] [E], le 2 octobre 2014. A partir du mois de juin 2016, Mme [J] [M] a quitté la région parisienne où elle résidait avec M. [E], et s'est installée chez sa mère à [Adresse 8].
Agent de conditionnement au sein de la société [X] située à [Adresse 5], Mme [J] [M] a terminé son travail et quitté son poste le 21 novembre 2016 à 13h21.
De 13h41 à 13h50, Mme [J] [M] a eu une conversation téléphonique avec sa s'ur.
Sur le trajet conduisant à son lieu de résidence habituelle, son véhicule s'est déporté sur la voie de gauche et a percuté un camion venant en sens inverse. Mme [J] [M] est décédée à 14h42 sur la commune de [Localité 7] (Vendée).
La société [X] a établi une déclaration d'accident de trajet le 9 décembre 2016.
La caisse a procédé à une enquête.
Par lettre du 19 janvier 2017, la caisse a informé M. [E] de la nécessité de recourir à un délai complémentaire d'instruction.
Par lettre du 27 janvier 2017, la caisse a informé M. [E] de la fin de l'instruction du dossier et de la possibilité de venir consulter les pièces du dossier avant le 14 février 2017, date de la prise de décision à venir. Ce courrier est revenu avec la mention «'pli avisé et non réclamé'».
Par lettre du 14 février 2017, reçue le 16 février 2017, la caisse a informé M. [E] de son refus de prendre en charge l'accident de trajet au titre de la législation sur les risques professionnels.
Contestant cette décision, M. [E] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM, qui dans sa séance du 21 septembre 2017 a rejeté son recours.
Par LRAR du 9 décembre 2017, M. [E] a saisi d'une contestation le tribunal des affaires de sécurité sociale de La Roche-sur-Yon, devenu pôle social du tribunal de grande instance puis du tribunal judiciaire.
Par jugement du 28 janvier 2020, le tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon, pôle social, a':
- constaté que la caisse avait respecté la procédure lors de l'instruction du dossier d'accident mortel dont a été victime Mme [J] [M] le 21 novembre 2016,
- constaté que l'accident dont est décédée Mme [J] [M] le 21 novembre 2016 a eu lieu sur l'itinéraire protégé, entre son lieu de travail et sa résidence habituelle, au temps normal du trajet,
- dit que l'accident dont Mme [J] [M] est décédée est un accident de trajet relevant de la législation professionnelle,
- ordonné l'allocation à M. [E], à compter du 22 novembre 2016, d'une rente viagère de concubin survivant égale à 40'% du salaire annuel de Mme [J] [M],
- ordonné l'allocation à Mlle [Z] [M] [E], à compter du 22 novembre 2016, d'une rente viagère d'orphelin égale à 25'% du salaire annuel de Mme [J] [M],
- dit que ces sommes porteront intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamné la caisse à verser à M. [E], agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de Mlle [Z] [M] [E], une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la caisse aux dépens.
Par courrier recommandé envoyé le 19 février 2020, la caisse a formé appel.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES':
Soutenant oralement ses écritures, la caisse demande à la cour de':
- infirmer le jugement,
- juger que la caisse a fait une juste application de la réglementation en refusant de prendre en charge l'accident du 21 novembre 2016 au titre d'un accident de trajet,
- en cas de confirmation du jugement, constater que le tribunal a été au-delà de sa mission en attribuant des rentes ayant-droits sans décision initiale de la CPAM,
- renvoyer le dossier devant la CPAM pour étude des rentes des ayant-droits.
La caisse considère que l'accident mortel dont Mme [J] [M] a été victime ne peut être qualifié d'accident de trajet au sens de la législation professionnelle'; qu'en effet, cette notion suppose que l'accident soit survenu dans un temps normal par rapport aux horaires de l'entreprise'; que seule une interruption brève du trajet justifiée par une nécessité essentielle de la vie courante permet une prise en charge de l'accident de trajet survenu après l'interruption. Elle estime qu'il existe en l'occurrence une différence de 45 minutes ' non expliquée - entre, d'une part, le temps en principe nécessaire pour accomplir le trajet entre l'entreprise et le lieu de l'accident et, d'autre part, le temps effectivement écoulé entre l'heure de pointage de Mme [J] [M] à la fin de son poste et l'heure de l'accident.
Si la cour reconnaissait à l'accident un caractère professionnel, la caisse estime qu'elle ne pourrait pour autant accorder des prestations sociales à M. [E] et à Mlle [Z] [M] [E] dans la mesure où aucune notification de la caisse n'est intervenue à ce sujet et dans la mesure où ces prestations requièrent une étude spécifique des conditions d'attribution.
Soutenant oralement ses écritures, M. [F] [E] et Mlle [Z] [M] [E] représentée par son père M. [F] [E] demandent à la cour :
$gt; à titre principal, de confirmer le jugement et déclarer que l'accident de trajet dont est décédée Mme [J] [M] le 21 novembre 2016 revêt un caractère professionnel,
$gt; à titre subsidiaire, sur la procédure, infirmer le jugement et':
- déclarer que le caractère professionnel de l'accident de trajet doit être reconnu implicitement,
- «'déclarer que la décision de refus de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident de trajet donc est décédée Mme [J] [M] le 21'»,
$gt; sur les conséquences du caractère professionnel de l'accident de trajet dont est décédée Mme [J] [M]':
- confirmer le jugement,
- ordonner l'allocation d'une rente de concubin survivant au bénéfice de M. [E] à compter du 22 novembre 2016 équivalent à 40'% du salaire annuel de Mme [J] [M], et à tout le moins de 20'%, si par extraordinaire la cour devait considérer que celle-ci et M. [E] étaient séparés au moment des faits,
- ordonné l'allocation d'une rente viagère d'orphelin au bénéfice de Mlle [Z] [M] [E], à compter du 22 novembre 2016, équivalent à 20'% du salaire annuel de Mme [J] [M],
- déclarer qu'en vertu de l'article 1153-1 du code civil l'ensemble des sommes dues portera intérêts au taux légal à compter du jugement,
- condamner la caisse au paiement de la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
M. [E] et Mlle [Z] [M] [E] représentée par son père font valoir que l'accident en cause constitue un accident de trajet'; que le fait d'être en avance ou en retard sur l'horaire normal ne prive pas le salarié de ses droits lorsqu'il peut justifier ce retard par les nécessités du travail ou des circonstances particulières'; qu'en l'occurrence, l'accident est survenu au temps normal du trajet, à une heure compatible avec la distance à parcourir. Ils font valoir à cet égard que Mme [J] [M] a appelé sa s'ur, ce qui ne peut qu'être présumé comme relevant des nécessités de la vie courante, et se trouvait encore sur le site de l'entreprise à 13h50'; qu'il n'existe donc un décalage que de 15 minutes entre, d'une part, le temps en principe nécessaire pour accomplir le trajet entre l'entreprise et le lieu de l'accident (37 minutes) et, d'autre part, le temps effectivement mis par Mme [J] [M] (52 minutes)'; que ce décalage s'explique par les conditions météorologiques et l'état de fatigue de la victime.
Subsidiairement, M. [E] et Mlle [Z] [M] [E] reprochent à la caisse de ne pas avoir respecté le délai d'instruction (30 jours), dès lors qu'elle leur a laissé supposer qu'elle disposait dès le 15 décembre 2016 de tous les éléments nécessaires à l'instruction du dossier, qu'elle ne les a pas avisés du report du point de départ de l'instruction au 21 décembre 2016 selon elle (date à laquelle elle prétend avoir reçu le certificat de décès) et ne les a informés du recours à un délai complémentaire d'instruction que par lettre du 19 janvier 2016.
Subsidiairement encore, ils reprochent à la caisse un manquement à son obligation de loyauté lors de l'instruction, en faisant valoir qu'elle n'a pas tenté d'informer M. [E] par tout moyen de la fin de l'instruction et de la possibilité de consulter le dossier, alors que le courrier contenant cette information était revenu «'non réclamé'». Ils ajoutent que la caisse a envoyé ce courrier le 27 janvier 2017 alors qu'elle avait été informée de leur départ imminent pour le Sénégal pour plusieurs semaines, et qu'elle disposait encore de plus d'un mois et demi pour prendre sa décision dans le cadre du délai complémentaire d'instruction.
Ils soutiennent qu'en conséquence de la prise en charge de l'accident, ils peuvent prétendre au paiement d'une rente. Concernant le montant de celle devant être attribuée à M. [E], ils indiquent que celui-ci et Mme [J] [M] n'étaient pas séparés au moment du décès.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises à l'audience.
MOTIFS DE L'ARRÊT :
A titre liminaire, il est précisé que la cour n'est pas tenue de suivre la hiérarchisation des moyens proposés par les intimés qui tendent à la reconnaissance du caractère professionnel de l'accident dont Mme [J] [M] a été victime.
En vertu de l'article R. 441-10 du code de la sécurité sociale dans sa version en vigueur du 10 juin 2016 au 1er décembre 2019, la caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident.
Sous réserve des dispositions de l'article R. 441-14 [nécessité d'un délai complémentaire d'instruction], en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.
L'article R. 441-14 al. 1 précise que lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception.
En l'espèce, la caisse a informé M. [E] de la nécessité d'un délai complémentaire d'instruction par une lettre datée du 19 janvier 2017 indiquant expressément qu'elle avait reçu la déclaration d'accident du travail le 15 décembre 2016 et avait procédé à l'étude du dossier. Elle n'y évoque pas de caractère incomplet du dossier, en particulier ne fait pas état de l'absence du certificat de décès. Par ailleurs, elle ne justifie aucunement, dans le cadre de la présente procédure, de la date de réception de ce certificat, ou du bulletin de décès en l'occurrence, qui est daté du 22 novembre 2016. L'impression écran qu'elle verse aux débats est inopérante sur ce point, puisqu'elle ne fait que relater la date d'enregistrement de l'acte de décès («'Enregistrer Acte de Décès), le 21 décembre 2016, sans aucunement évoquer sa date de réception. Il est précisé que ces deux dates ne sont pas assimilables': ainsi, alors que la caisse admet avoir reçu la déclaration d'accident le 15 décembre 2016, ce n'est qu'au 20 décembre 2016 qu'est portée la mention «'Enregistrer Déclaration A.T.'».
Surabondamment, la cour relève que la caisse ne présente dans ses conclusions d'appel aucun moyen de défense en réponse à l'argumentation des intimés relative à la date de point de départ du délai d'instruction de 30 jours.
La caisse, qui ne justifie pas du caractère incomplet du dossier au 15 décembre 2016, avait jusqu'au 15 janvier 2017 pour prendre sa décision ou informer M. [E] de la nécessité d'un délai complémentaire d'instruction.
N'y ayant procédé que le 19 janvier 2017, le caractère professionnel de l'accident est reconnu, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens présentés au soutien de la demande.
Par suite, il convient, non de statuer sur les bases de calcul des rentes auxquelles M. [E] et Mlle [Z] [M] [E] sont susceptibles d'avoir droit, puisqu'aucune décision de la caisse n'est encore intervenue sur ce point, mais de renvoyer M. [E] personnellement et en qualité de représentant légal de Mlle [Z] [M] [E] devant la caisse primaire pour la liquidation de leurs droits.
Les demandes d'allocation de rentes sont donc, en l'état du dossier, déclarées irrecevables.
La caisse, partie perdante, est condamnée aux dépens d'appel ainsi qu'à payer à M. [E] et Mlle [Z] [M] [E] la somme globale de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel, en supplément de celle allouée pour la première instance.
PAR CES MOTIFS,
Confirme le jugement rendu le 28 janvier 2020 par le tribunal judiciaire de La Roche-sur-Yon, pôle social, en ce qu'il a':
- dit que l'accident dont Mme [J] [M] est décédée est un accident de trajet relevant de la législation professionnelle,
- condamné la caisse à verser à M. [E], agissant en son nom personnel et en qualité de représentant légal de Mlle [Z] [M] [E], une somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la caisse aux dépens,
L'infirme pour le surplus,
Statuant de nouveau et y ajoutant,
Déclare irrecevables les demandes d'allocation de rentes au profit de M. [E] et de Mlle [Z] [M] [E],
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée à payer à M. [E] et à Mlle [Z] [M] [E] la somme globale de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour la procédure d'appel,
Condamne la caisse primaire d'assurance maladie de la Vendée aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,