VC/LD
ARRET N° 464
N° RG 19/02119
N° Portalis DBV5-V-B7D-FYY2
[E]
C/
CARSAT CENTRE OUEST
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 30 JUIN 2022
Décision déférée à la Cour : Jugement du 13 mai 2019 rendu par le pôle social du tribunal de grande instance de NIORT
APPELANT :
Monsieur [C] [E]
né le 08 Août 1948 à [Localité 4]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Me Guillaume FAUROT de la SELARL FAUROT & ENOS, avocat au barreau des DEUX-SEVRES, substitué par Me Marie-Violaine BOUILLY-DENIAU de la SCP DUFLOS-CAMBOURG, avocat au barreau de POITIERS
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/004668 du 25/10/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de POITIERS)
INTIMÉE :
CARSAT CENTRE OUEST
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Mme [N] [W], munie d'un pouvoir
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 15 Mars 2022, en audience publique, devant :
Madame Valérie COLLET, Conseiller qui a présenté son rapport
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente
Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller
Madame Valérie COLLET, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lionel DUCASSE
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile que l'arrêt serait rendu le 09 juin 2022. A cette date le délibéré a été prorogé au 30 juin 2022.
- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Monsieur Lionel DUCASSE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSÉ DU LITIGE :
M. [C] [E], né le 8 août 1948, a déposé une demande d'allocation de solidarité aux personnes âgées (ASPA) auprès de la Caisse d'assurance retraite et de santé au travail (CARSAT) du Centre Ouest le 30 novembre 2015.
Le 21 décembre 2015, la CARSAT a notifié à M. [E] sa décision de lui attribuer l'ASPA à compter du 1er décembre 2015, premier jour du mois suivant le dépôt de sa demande.
Par courrier recommandé du 11 décembre 2017, M. [E] a saisi la commission de recours amiable de la CARSAT afin d'obtenir le paiement rétroactif de l'ASPA depuis août 2013, voire depuis la loi du 20 janvier 2014.
Le 18 décembre 2017, la CARSAT a confirmé à M. [E] les termes de la décision du 21 décembre 2015.
Par courrier du 25 décembre 2017, M. [E] a réitéré sa demande de voir son dossier examiné par la commission de recours amiable.
Le 20 février 2018, la commission de recours amiable a rejeté la contestation de M. [E] comme étant tardive.
Par requête du 29 mars 2018, M. [E] a saisi le tribunal des affaires de sécurité sociale des Deux-Sèvres d'un recours contre la décision de rejet de la commission de recours amiable.
Par jugement du 13 mai 2019, le Pôle social du tribunal de grande instance de Niort a déclaré irrecevable le recours formé par M. [E] pour cause de forclusion.
Le 11 juin 2019, M. [E] a interjeté appel du jugement.
Les parties ont été convoquées à l'audience du 20 octobre 2021 lors de laquelle elles ont repris oralement leurs conclusions transmises le 18 octobre 2021 par courrier pour M. [E] et le 22 juillet 2021 par courrier pour la CARSAT Centre Ouest, auxquelles il convient de se reporter pour un plus ample exposé des faits et des moyens.
M. [E], représenté par son avocat, demande à la cour de :
- réformer le jugement et statuant à nouveau,
- déclarer recevable son recours,
- condamner la CARSAT à lui payer la somme de 10.637,73 euros à titre de dommages et intérêts,
- condamner la CARSAT à lui payer la somme de 1.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Il explique qu'il ne conteste pas la décision d'allocation de l'ASPA mais qu'il reproche à la CARSAT un manquement à son obligation d'information au titre duquel il sollicite des dommages et intérêts. Il en conclut que son action est recevable comme n'était pas soumise au délai de forclusion prévu par l'article R.142-1 du code de la sécurité sociale.
Sur le fond, il soutient que, sur le fondement des articles L.161-17 et L.161-17-1-1 du code de la sécurité sociale, la CARSAT était tenue d'une obligation à son égard et qu'en ne l'informant pas qu'il pouvait bénéficier de l'ASPA dès l'âge de 65 ans, elle a manqué à son obligation. Il explique que son préjudice consiste en une perte de chance d'avoir pu formaliser sa demande plus tôt et d'avoir ainsi pu bénéficier de l'ASPA plus tôt.
La CARSAT demande à la cour de débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes et de confirmer le jugement déféré en tous points.
Elle se fonde sur l'article R.142-1 du code de la sécurité sociale pour soutenir que le recours de M. [E] est forclos comme ayant saisi la commission de recours amiable au-delà du délai de deux mois suivants la notification de la décision du 21 décembre 2015.
Subsidiairement, sur le fond, elle prétend que l'article L.161-17 du code de la sécurité sociale ne prévoit pas qu'une information concernant les avantages non contributifs tels que l'ASPA soit délivrée aux intéressés. Elle ajoute que l'article L.161-17-1-1 du même code ne prévoit pas d'obligation pour les caisses de retraite de délivrer une information aux assurés potentiellement éligibles au bénéfice de l'ASPA, ces dispositions s'inscrivant dans le cadre de la dématérialisation des échanges d'information entre les différents régimes de retraite. Elle en conclut qu'aucune obligation d'information ne pèse sur elle en matière d'ASPA de sorte qu'aucun manquement ne peut lui être reproché.
Par arrêt du 13 janvier 2022, la cour a :
- infirmé le jugement rendu le 13 mai 2019 par le Pôle social du tribunal de grande instance de Niort,
- Statuant à nouveau,
- déclaré recevable l'action de M. [C] [E],
- sur le fond, ordonné, avant-dire-droit, la réouverture des débats afin de permettre :
- aux parties de présenter leurs observations sur les fondements juridiques relevés d'office par la cour, à savoir les articles L.815-6 et L.815-7 du code de la sécurité sociale,
- à M. [C] [E] de justifier des ressources qui auraient été prises en compte pour le calcul de l'ASPA dans les conditions prévues par les articles R.815-22 à R.815-29 du code de la sécurité sociale, s'il avait une demande lorsqu'il avait 65 ans mais également s'il avait fait une demande postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 20 janvier 2014, soit le 22 janvier 2014,
- renvoyé l'affaire et les parties à l'audience du mardi 15 mars 2022 à 14 heures,
- dit que la notification de la présente décision aux parties vaudra convocation à l'audience,
- sursit à statuer sur les demandes des parties.
Lors de l'audience de renvoi, M. [E], s'en remettant à ses conclusions n°2 reçues le 7 mars 2022, maintient ses demandes initiales, rappelant qu'il n'a jamais été destinataire de la moindre information avant ou après le 20 janvier 2014. Il soutient que les textes sur lesquels il se fonde sont publiés, codifiés et par conséquent impératifs sans qu'aucun décret d'application ne soit nécessaire.
La CARSAT Centre Ouest, s'en rapportant à ses conclusions reçues le 14 février 2022, maintient ses prétentions et fait valoir qu'aucun décret d'application n'a été pris de sorte qu'il ne peut pas lui être reproché de ne pas avoir respecté les dispositions de l'article L.815-6 du code de la sécurité sociale.
A l'issue des débats, l'affaire a été mise en délibéré par mise à disposition au greffe à la date du 9 juin 2022 prorogé au 30 juin 2022.
MOTIFS DE LA DECISION
Aux termes de l'article L.815-6 du code de la sécurité sociale dans sa rédaction issue de l'ordonnance n° 2004-605 du 24 juin 2004 simplifiant le minimum vieillesse que 'Les caisses de retraite adressent à leurs adhérents, dans des conditions fixées par décret, au moment de la liquidation de l'avantage vieillesse, toutes les informations relatives aux conditions d'attribution de l'allocation de solidarité aux personnes âgées et aux procédures de récupération auxquelles cette allocation donne lieu.'
Selon l'article de l'ordonnance n°2004-605 du 24 juin 2004 : 'La présente ordonnance entre en vigueur à une date prévue par décret et au plus tard le 1er janvier 2006.'
Il est constant qu'aucun décret n'est intervenu pour fixer les conditions dans lesquelles la CARSAT doit adresser à ses adhérents, au moment de la liquidation de l'avantage vieillesse, les informations relatives à l'ASPA.
Il doit être rappelé que l'article 1er du code civil prévoit que 'Les lois et, lorsqu'ils sont publiés au Journal officiel de la République française, les actes administratifs entrent en vigueur à la date qu'ils fixent ou, à défaut, le lendemain de leur publication. Toutefois, l'entrée en vigueur de celles de leurs dispositions dont l'exécution nécessite des mesures d'application est reportée à la date d'entrée en vigueur de ces mesures'. Il en résulte que l'entrée en vigueur d'une loi peut être différée soit par la volonté du législateur, libre de fixer à la date de son choix la mise en application d'une disposition législative nouvelle, soit, pour les dispositions qui en dépendent, dans l'attente de l'entrée en vigueur des mesures d'application nécessaires.
Même lorsqu'elle prévoit des mesures réglementaires d'application, l'application d'une loi n'est cependant différée que pour autant que la mise en oeuvre immédiate de ses principes dépend de son décret d'application. Autrement dit, l'absence d'un décret auquel elle renvoie n'empêche pas l'application immédiate de la loi nouvelle, dès lors que ses dispositions se suffisent à elles-mêmes.
En l'espèce, il a clairement été prévu une entrée en vigueur de l'ordonnance du 24 juin 2004 au plus tard le 1er janvier 2006 et ce même en l'absence de décret. Par ailleurs, les dispositions de l'article L.815-6 du code de la sécurité sociale issu de l'ordonnance précitée sont très claires en ce qu'il est imposé à la CARSAT de délivrer une information à ses adhérents sur les conditions d'attribution de l'ASPA au moment de la liquidation de leur retraite. L'absence de décret auquel ce texte renvoie ne fait donc pas obstacle à l'application de ce texte dont les dispositions se suffisent à elles-mêmes.
Or, la CARSAT ne produit aucun élément de nature à démontrer qu'elle a satisfait à son obligation d'information de M. [E] lequel bénéficie d'une pension de retraite depuis le 1er septembre 2008 et qui a atteint son 65ème anniversaire le 8 août 2013. M. [E] justifie par ailleurs qu'il satisfaisait aux conditions de ressources en 2013 pour pouvoir bénéficier de l'ASPA, ce qui n'est pas contesté par la CARSAT.
Il s'ensuit que si M. [E] avait été informé lors de la liquidation de sa pension de retraite des conditions d'octroi de l'allocation de solidarité aux personnes âgées, il aurait pu solliciter le bénéfice de cette allocation lorsqu'il a atteint l'âge de 65 ans. En conséquence, le manquement de la caisse à son obligation d'information envers M. [E] lui a fait perdre une chance d'obtenir la liquidation de ses droits à ce titre à une date antérieure à celle finalement retenue par la CARSAT.
L'indemnisation au titre du préjudice subi par M. [E] ne peut être égale à la totalité de l'avantage qu'aurait procuré la chance si elle s'était réalisée. Cependant, compte tenu des faibles revenus de M. [E] et du fait qu'il a rapidement présenté une demande auprès de la CARSAT dès qu'il a été informé de l'existence de l'ASPA, il y a lieu d'évaluer à 95 % la perte de chance de bénéficier de cette allocation dès septembre 2013 si la CARSAT avait satisfait à son obligation d'information à son égard.
Par conséquent, la CARSAT doit être condamnée à payer à M. [E] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts.
La CARSAT qui succombe doit supporter les dépens de première instance nés postérieurement au 1er janvier 2019 ainsi que les dépens d'appel.
Enfin, il serait inéquitable de laisser supporter à M. [E] l'intégralité des frais exposés pour les besoins de la procédure. La CARSAT est condamnée à lui payer la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
Vu l'arrêt rendu le 13 janvier 2022 par la Chambre sociale de la cour d'appel de Poitiers,
Condamne la CARSAT Centre Ouest à payer à M. [C] [E] la somme de 10.000 euros à titre de dommages et intérêts,
Condamne la CARSAT Centre Ouest à payer à M. [C] [E] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la CARSAT Centre Ouest aux dépens de première instance nés postérieurement au 1er janvier 2019 et aux dépens d'appel.
LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,