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28/06/2022 | FRANCE | N°20/02528

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 28 juin 2022, 20/02528


ARRÊT N° 414



N° RG 20/02528





N° Portalis DBV5-V-B7E-GDSX













S.C.P. [G]



C/



[D]

[X]

















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 28 JUIN 2022





Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 octobre 2020 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE




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S.C.P. [V] [G]

N° SIRET 330 994 716

[Adresse 4]

[Localité 7]



ayant pour avocat postulant et plaidant Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat au barreau de POITIERS









INTIMÉS :



Madame [Z] [D] épouse [X]

née le [Date naissance 2]...

ARRÊT N° 414

N° RG 20/02528

N° Portalis DBV5-V-B7E-GDSX

S.C.P. [G]

C/

[D]

[X]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du 20 octobre 2020 rendu par le Tribunal Judiciaire de LA ROCHELLE

APPELANTE :

S.C.P. [V] [G]

N° SIRET 330 994 716

[Adresse 4]

[Localité 7]

ayant pour avocat postulant et plaidant Me Frédéric MADY de la SELARL MADY-GILLET-BRIAND-PETILLION, avocat au barreau de POITIERS

INTIMÉS :

Madame [Z] [D] épouse [X]

née le [Date naissance 2] 1965 à [Localité 5] (85)

[Adresse 1]

[Localité 7]

Monsieur [M] [X]

né le [Date naissance 3] 1962 à [Localité 6] (17)

[Adresse 1]

[Localité 7]

ayant tous deux pour avocat postulant et plaidant Me Fabien-Jean GARRIGUES de la SCP GARRIGUES ASSOCIES, avocat au barreau de LA ROCHELLE-ROCHEFORT

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 05 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

Monsieur Thierry MONGE,

Président de Chambre qui a présenté son rapport

Madame Anne VERRIER, Conseiller

Monsieur Philippe MAURY, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

EXPOSÉ :

Dans le but de transmettre leur patrimoine dans des conditions fiscalement avantageuses, les époux [X] ont consenti au profit de chacun de leurs trois enfants [O], [S] et [K] la donation partage de la nue-propriété d'un des trois immeubles dont ils étaient propriétaires à [Localité 7] et à [Localité 6].

L'acte a été dressé le 24 décembre 2015 par Me [G].

L'administration des impôts a notifié en 2017 aux époux [X] qu'elle remettait en cause leur bénéfice du dispositif fiscal dit 'De Robien' sur l'un de ces biens, sis [Adresse 8], attribué à leur fils [S], et elle a réintégré dans le revenu net foncier de l'année 2015 le montant des amortissements qu'ils avaient déduits depuis la mise en location de ce bien, en 2008, au motif qu'ils avaient créé un démembrement de la propriété de l'immeuble rompant leur engagement de le louer.

Reprochant à Me [G] de n'avoir pas attiré leur attention sur cette règle, et de ne pas leur avoir conseillé de différer la donation partage de cet immeuble jusqu'à la fin de la période d'engagement locatif soit 2017, les époux [X] l'ont fait assigner devant le tribunal de grande instance de La Rochelle en réparation de leur préjudice.

La SCP [G] a décliné toute responsabilité en faisant valoir, en substance, que l'opération à laquelle elle avait donné la forme authentique était déjà définitivement arrêtée avant son intervention et que les époux [X] avaient bénéficié des conseils d'une amie gestionnaire de patrimoine. Elle a subsidiairement contesté le préjudice allégué.

Par jugement du 20 octobre 2020, prononcé sous exécution provisoire, le tribunal judiciaire de La Rochelle, retenant la responsabilité du notaire, a condamné la SCP [V] [G] à verser aux époux [X] la somme de 39.740 euros, toutes causes confondues, en réparation du préjudice causé par son manquement à son obligation de conseil, en déboutant les parties de leurs demandes autres ou contraires et en condamnant la défenderesse aux dépens avec indemnité de procédure.

Pour juger engagée la responsabilité de la SCP [G], le tribunal a retenu que le notaire instrumentaire était tenu d'un devoir de conseil en toute hypothèse, y compris lorsqu'un autre professionnel est intervenu pour assister une partie ; que le devoir qui était le sien de veiller à l'efficacité de l'acte lui faisait obligation de se renseigner sur le régime juridique de l'immeuble objet de la donation projetée ; qu'il n'établissait pas avoir interrogé les époux [X] sur la situation fiscale de leur bien ; et qu'il n'était nullement démontré que ceux-ci lui auraient caché une information qu'ils auraient détenue.

Pour évaluer le préjudice indemnisable, il a retenu que l'administration fiscale s'était uniquement fondée sur l'acte notarié pour en déduire la perte de l'avantage fiscal, de sorte que le lien de causalité était avéré ; que la faute du notaire avait fait perdre aux époux [X] une chance de 99% de ne pas débourser le montant du redressement, en différant la donation ou en en excluant cet immeuble.

La SCP [G] a relevé appel le 10 novembre 2020.

Saisi par la SCP [G] d'un incident tendant à voir ordonner aux époux [X] de produire aux débats sous quinzaine à peine d'astreinte la lettre responsive adressée par eux le 27 septembre 2017 à l'administration fiscale et leurs déclarations fiscales, notamment 2044 spéciales, le conseiller de la mise en état a, par ordonnance du 5 octobre 2021, ordonné par application des articles 11, 138 et 788 du code de procédure civile et L.143 du Livre des Procédures fiscales à l'administration des impôts, Centre des Finances Publiques SIP de La Rochelle, de communiquer en vue de leur versement aux débats, au greffe de la première chambre civile de la cour d'appel de Poitiers

* la réponse que les époux [M] [X] et [Z] [D] auraient faite le 27 septembre 2017 en réponse à sa proposition de rectification n°2017/723 du 12/09/2017 telle qu'évoquée dans sa réponse aux observations du contribuable datée du 19/10/2017

* les déclarations 2044 S de revenus fonciers établies par lesdits époux [B] pour 2008, 2009, 2010, 2011 et 2012.

L'administration des impôts a transmis au greffe, qui l'a reçue le 20 octobre 2021 et en a avisé le lendemain les conseils des parties, les déclarations 2044 S de revenus fonciers établies par les époux [X] pour les années 2008 à 2012, et a indiqué que 'concernant la réponse de M. et Mme [X] du 27/09/2017 : aucune réponse écrite n'a été formulée. Toutefois, M. et Mme [X] ont laissé à l'accueil du centre des finances publiques diverses pièces le 20/09/2017, puis ont été reçus le 27/09/2017 et ont produit, à cette occasion, de nouvelles pièces justificatives ainsi que des observations par oral. Ce sont ces différents éléments qui ont donné lieu à la réponse aux observations du contribuables du 19/10/2017.'.

Les dernières écritures prises en compte par la cour au titre de l'article 954 du code de procédure civile ont été transmises par la voie électronique

* le 7 mars 2022 par la SCP [G]

* le 10 mars 2022 par les époux [X].

La SCP [V] [G] demande à la cour d'infirmer le jugement entrepris, de dire que les époux [X] ne justifient d'aucune faute de sa part et d'aucun préjudice en lien avec une faute qu'elle aurait commis ; de dire qu'elle n'a pas engagé sa responsabilité ; de débouter les époux [X] de tous leurs chefs de prétentions ; et de les condamner à lui verser 4.000 euros d'indemnité de procédure.

Elle redit avoir été contactée par les époux [X] pour donner la forme authentique à une opération qui avait définitivement été arrêtée en dehors d'elle, leur décision étant déjà prise au vu des conseils que leur avait dispensés leur amie Mme [U], conseiller en gestion de patrimoine, laquelle avait procédé à une analyse complète de leur situation personnelle et fiscale et leur avait conseillé cette donation-partage entre leurs trois enfants. Elle soutient qu'il est de jurisprudence qu'en pareil cas, il n'y a plus de place pour le devoir de conseil du notaire instrumentaire.

Elle fustige la mauvaise foi des époux [X] en soutenant qu'ils soutiennent tour à tour l'avoir et ne l'avoir pas informée de l'avantage fiscal dont ils bénéficiaient.

Elle fait valoir que l'étude du conseil en gestion de patrimoine ne faisait nulle mention d'un avantage fiscal dont l'immeuble aurait bénéficié.

Elle affirme au vu d'une note de rendez-vous prise le 24 juin 2015 avoir bien interrogé les donateurs sur le régime fiscal de leur bien, à quoi ils lui avaient répondu qu'il ne bénéficiait d'aucun avantage fiscal. Elle tient cette note manuscrite pour probante, quand bien même elle n'est pas signée des clients. Elle précise que Mme [U] était présente, et soutient que celle-ci n'aurait pas manqué de l'alerter sur l'existence d'un avantage fiscal si elle en avait effectivement eu connaissance. Elle estime que tous ces éléments concordent à démontrer qu'elle a rempli son devoir de conseil.

S'agissant de l'absence de préjudice en lien de causalité avec le prétendu manquement au devoir de conseil, l'appelante soutient que la rectification fiscale reposait bien sur deux motifs, dont le premier tiré de la date d'acquisition du terrain, n'a jamais été abandonné, et fondait à lui seul le retrait de l'avantage dit 'De Robien classique' choisi par les époux [X] puisqu'ils avaient acquis le terrain en 2007 et n'auraient donc tout simplement jamais dû en bénéficier car cet avantage est réservé aux biens acquis entre le 1er janvier 2003 et le 31 août 2006. Elle soutient que le fait que la réponse des services fiscaux du 19 octobre 2017 ne reprenne pas ce motif ne démontre aucunement qu'elle l'aurait abandonné, car la contestation des époux ne portait pas sur ce point, auquel l'administration n'avait donc pas à répondre. Elle ajoute qu'il n'était plus possible aux époux [X] de changer pour un avantage 'De Robien recentré' ou 'Borloo populaire', de sorte qu'ils ne subissent pas de préjudice de ce fait également. Elle soutient que l'unique objectif des époux [X] était de transmettre leur bien à leurs enfants, ce que révèle l'étude de leur conseil en gestion de patrimoine, de sorte que la perte de chance est nulle. Soutenant que les intéressés n'ont fait que payer l'impôt dont ils étaient légalement redevables, elle conteste l'existence d'un préjudice indemnisable, tant matériel que moral. Elle ajoute que la communication obtenue par le conseiller de la mise en état démontre que les époux [X] ont perçu au titre de l'avantage dont ils n'auraient pas dû bénéficier un avantage qui s'élève pour la période où la prescription empêche le fisc de revenir à une somme de 35.721 euros, supérieure au préjudice qu'ils invoquent, et qui est donc nul.

M. et Mme [X] sollicitent la confirmation pure et simple du jugement déféré et 5.000 euros d'indemnité de procédure.

Ils rappellent qu'il est de jurisprudence assurée que le notaire, tenu d'éclairer son client, ne peut décliner le principe de sa responsabilité en alléguant n'avoir fait qu'authentifier l'acte établi par les parties, ni arguer de la présence d'un autre professionnel du droit aux côtés du client.

Ils affirment que le projet n'était nullement arrêté lorsqu'ils contactèrent l'office notarial, seule une simple 'note présentant le projet' existant alors. Ils assurent que le notaire salarié qui fut leur interlocuteur se contenta de cette note, sans leur demander de pièces relatives à leurs revenus fonciers, ni les interroger. Ils dénient toute portée à la note manuscrite invoquée par l'appelante, en objectant qu'elle ne mentionne pas leur situation fiscale, et qu'elle fut vraisemblablement établie non pas lors d'un rendez-vous à l'étude mais au reçu de la note.

Ils réfutent toute contradiction dans leurs déclarations, et a fortiori toute mauvaise foi.

Ils tiennent la faute pour avérée.

Ils indiquent que leur préjudice en lien de causalité avec cette faute est certain, en indiquant qu'ils bénéficiaient de l'avantage 'De Robien recentré' et non 'classique' coché par erreur sur le formulaire, et qu'ils y avaient bien droit ; que l'administration l'a admis lorsqu'ils le lui ont expliqué lors du rendez-vous du 27 septembre 2017 ; que le redressement a donc bien été uniquement fondé sur le démembrement de la propriété, ainsi qu'il ressort de son courrier du 19 octobre 2017 ; qu'éclairés sur le régime fiscal, ils auraient

aisément différé l'opération jusqu'au terme de la période de neuf années,

expirant au 1er septembre 2017, durant laquelle il ne fallait pas céder ou démembrer la propriété de l'immeuble ; que la chance perdue est donc maximale.

La clôture est en date du 10 mars 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION :

En application de l'article 1382, devenu 1240, du code civil, le notaire est tenu d'éclairer les parties et d'appeler leur attention sur la portée, les effets, notamment quant à ses incidences fiscales, ainsi que sur les risques de l'acte auquel il prête son concours, et le cas échéant de le leur déconseiller, sans que leurs compétences personnelles, ni la présence d'un conseiller à leur côté, ne le dispensent de son devoir de conseil.

En tant que rédacteur de l'acte, il est tenu de procéder préalablement à la vérification des faits et conditions nécessaires pour en assurer l'utilité et l'efficacité.

L'acte litigieux que la SCP [G] a dressé le 24 décembre 2015 est un acte de donation-partage par lequel les époux [X] faisaient donation, entre vifs, à titre de partage anticipé, de la nue propriété de leurs trois biens immobiliers, chacune à l'un de leurs trois enfants.

Ainsi que l'appelante l'écrit elle-même dans ses conclusions, il s'agissait d'une opération patrimoniale, visant à transmettre leur patrimoine à leurs enfants, et pour laquelle ils étaient assistés d'un conseil en gestion de patrimoine.

Le mobile fiscal était déterminant sinon exclusif pour cette opération par laquelle des parents alors respectivement âgés de 53 et 50 ans se dépossédaient de la nue-propriété de leurs biens immobiliers au profit de leurs descendants, afin de leur éviter d'avoir à acquitter les droits de succession exigibles à leur décès s'ils en étaient restés propriétaires.

Il s'est avéré s'agissant du bien sis [Adresse 8], attribué à leur fils [S], que les époux [X] l'avaient acquis dans le cadre d'un investissement placé sous le dispositif dit 'De Robien' en pratiquant la déduction d'un amortissement du prix de revient en contrepartie de l'engagement de donner le bien à bail pendant neuf ans, et que l'administration fiscale a remis en cause l'avantage fiscal quand elle a eu connaissance de la donation-partage.

Les époux [X] recherchent la responsabilité du notaire en soutenant qu'il a manqué à son devoir de conseil et à ses obligations en n'attirant pas leur attention sur le risque, advenu, de remise en cause de leur avantage fiscal du fait de la donation à leur fils [S] de la nue-propriété de ce bien, assimilée par les services fiscaux à une rupture de l'engagement de louer puisque les donateurs se réservaient la jouissance du bien en en conservant l'usufruit. Ils font valoir qu'avisés de ce risque, ils auraient assurément repoussé de quelque temps cette donation-partage, qui ne pressait pas et qui aurait pu intervenir dix-huit mois plus tard puisque c'est là le délai qui restait à courir pour leur engagement souscrit sur neuf ans en 2008.

Ainsi que l'a dit le premier juge, la présence d'un conseiller en gestion de patrimoine aux côtés des époux [X], y compris lors de leur rendez-vous du 24 juin 2015 avec un notaire salarié de l'étude, était sans incidence sur le principe, la nature et l'étendue du devoir de conseil du notaire, qui fait plaider contre la jurisprudence la plus assurée n'avoir pas eu de conseil

à dispenser parce qu'il se bornait à donner la forme authentique à une opération

conçue en dehors de lui et déjà irrévocablement décidée, étant observé que rien

n'établit au demeurant ce caractère prétendument déjà arrêté, d'autant qu'il de sa propre pièce n°1 que ce n'est qu'une 'note présentant le projet' qui lui avait été remise par le conseiller en gestion de patrimoine.

La SCP [G] soutient que le redressement décidé par l'administration reposait sur deux motifs dont l'un, totalement étranger à la donation-partage, était suffisant, de sorte qu'il n'y a pas de lien de causalité entre la faute alléguée, tirée d'un défaut de conseil, et le préjudice invoqué tenant à la perte de l'avantage fiscal.

Cette affirmation, contestée par les époux [X], n'est pas vérifiée.

Elle repose exclusivement sur deux paragraphes de la proposition de rectification adressée en date du 12 septembre 2017 aux époux [X] par le centre des finances publiques de [Localité 6] (pièce n°4 de l'appelante), figurant en haut de la page 3 de ce document et énonçant à la suite du rappel en page 2 du régime d'investissement locatif 'De Robien' :

'Au cas particulier, vous avez acquis le 17 janvier 2007, un terrain situé à [Adresse 8], afin de construire une maison. L'examen des pièces fournies suite à ma demande du 7 août 2017, fait apparaître une déclaration d'achèvement de travaux au 1er septembre 2008.

Suivant vos déclarations de revenus fonciers (2044 spéciale) vous avez opté pour un investissement placé sous le dispositif Robien en pratiquant la déduction d'un assortiment du prix de revient, soit 120.000 euros. L'acquisition du terrain étant postérieure au 1er septembre 2006, vous n'étiez pas fondé à demander le calcul de l'amortissement sous régime Robien classique, mais Robien recentré ou Borloo populaire.'.

Ces paragraphes sont immédiatement suivis de ceux-ci :

'D'autre part, par acte notarié du 24 décembre 2015, vous avez fait une donation partage à vos trois enfants de la nue propriété de trois biens dont la maison située à [Adresse 8], formant le lot 2 attribué à votre fils [S].

Or, suivant le Bulletin Officiel RFPI-SPEC-20-20-40-200120912 n°170, la remise en cause des déductions fiscales est opérée

Lorsque le propriétaire du logement, personne physique ou société non passible de l'impôt sur les sociétés, autre qu'une SCPI, cède le logement pendant la période couverte par l'engagement de location. En effet, la cession du logement entraîne, soit la résiliation du bail, soit sa transmission à l'acquéreur ; dans les deux cas, le cédant ne respecte pas son engagement de location. Cette cession peut prendre la forme d'une vente, d'un démembrement de la propriété, de la cession d'un droit indivis, d'une donation (donation simple, donation-partage, avec ou sans réserve d'usufruit) d'un échange ou d'un apport en société.

En conséquence à compter de cette date, 24 décembre 2015, vous n'avez plus respecté votre engagement et l'avantage fiscal obtenu est remis en cause. Le paragraphe 190 précise

La rupture par le propriétaire ou l'associé de son engagement de location ou de conservation des parts entraîne la réintégration dans le revenu net foncier de l'année au cours de laquelle elle intervient, des amortissements déduits au cours de la période couverte par cet engagement.

Le montant des amortissements déjà déduits depuis l'année 2008, soit 57600 euros, doit être réintégré dans le revenu net foncier de l'année de rupture de l'engagement, soit 2015.

Afin d'atténuer les effets de la progressivité de l'impôt, cette imposition sera calculée selon le système du quotient.'.

M. et Mme [X] affirment qu'ils bénéficiaient de l'avantage De Robien recentré et non classique coché par erreur sur le formulaire ; qu'ils y avaient droit ; que l'administration l'a admis lorsqu'ils le lui ont expliqué lors

du rendez-vous du 27 septembre 2017 ; et que le redressement a donc bien été uniquement fondé sur le démembrement de la propriété.

Il n'est pas produit d'éléments permettant d'apprécier la pertinence de cette affirmation, que la réponse des services fiscaux à l'injonction émise par le conseiller de la mise en état ne confirme ni n'infirme, sauf quant à la réalité, avérée, d'un rendez-vous des contribuables avec un agent de l'administration, à l'occasion duquel ils est dit qu' 'ils ont produit de nouvelles pièces justificatives ainsi que des observations par oral' et que 'ce sont ces différents éléments qui ont donné lieu à la réponse aux observations du contribuable du 19/10/2017'.

Il reste que dans les deux premiers paragraphes invoqués par l'appelante de sa proposition de rectification, l'administration ne disait pas que les époux [X] n'avaient droit à aucune avantage fiscal mais que leur bien relevait du dispositif 'De Robien recentré' ou du dispositif 'Borloo populaire' et non du dispositif 'De Robien classique' dont ils avaient demandé le bénéfice.

Surtout, la suite de ces paragraphes analyse la donation partage du 24 décembre 2015 comme une rupture de l'engagement de louer neuf ans ouvrant droit à l'avantage fiscal, et il est expressément écrit que c'est à compter de cette date qu'ils n'ont plus respecté leur engagement, dont le retrait du bénéfice est annoncé dans la même phrase s'ouvrant par la formule 'en conséquence' qui le rattache exclusivement à cet acte, sans mention de l'incidence du type de dispositif choisi.

Enfin, la 'réponse aux observations du contribuable' adressée en date du 19 octobre 2017 aux époux [X] par l'administration est libellée en tout et pour sur ce chef de redressement ;

'ANNÉE 2015

1) Investissement locatif Loi Robien

Votre engagement de louer ayant été rompu avant le délai de 9 ans, le rehaussement est maintenu

...'

Le maintien de la rectification envisagée y est donc motivé par seule référence à la rupture de l'engagement de louer induite de la donation de la nue propriété du bien.

De ces formulations initiale et réitérée quant au motif du redressement, et de ce que l'administration a situé au jour de l'acte du 24 décembre 2015 la rupture de l'engagement, il ressort, en cohérence avec les autres éléments recensés, que c'est la donation-partage qui était le motif du retrait de l'avantage fiscal.

Les époux [X] sont fondés à soutenir que la SCP [G] a engagé sa responsabilité en n'attirant pas leur attention sur ce risque, inhérent à l'acte qu'elle dressait.

L'appelante ne rapporte pas la preuve, qui lui incombe, qu'elle a dispensé un conseil à cet égard, alors que l'efficacité de l'acte, à visée exclusivement fiscale, en dépendait.

Elle n'établit pas avoir interrogé M. et Mme [X], qui le contestent, sur le régime fiscal de ce bien, la note de travail manuscrite qu'elle a produite étant un document unilatéral, non signé par les clients, dont rien

n'établit avec certitude qu'il consignait la teneur des échanges lors du rendez-

vous plutôt que des notes au reçu du projet préalablement transmis par le conseiller en gestion patrimoniale et dont l'origine de la mention sur l'absence d'avantages fiscaux est incertaine, et ne la rattache pas nécessairement à une réponse des intéressés.

À considérer même, pour les besoins du raisonnement, qu'il l'ait fait et qu'ils lui aient affirmé que les immeubles ne bénéficiaient d'aucun avantage fiscal, le notaire n'en devait pas moins s'assurer alors de la pertinence de l'information ainsi reçue, une erreur ou une mauvaise compréhension étant toujours concevables, particulièrement avec des profanes, et cette vérification sur le régime des biens considérés était des plus simples à opérer, puisqu'il lui suffisait de demander à ses clients une copie de leur déclaration spéciale de revenus fonciers, sur laquelle apparaît l'avantage fiscal 'De Robien' (cf pièce n°11 des intimés).

Il est inopérant, pour l'appelante, d'invoquer la jurisprudence relative à l'absence de devoir de conseil du notaire quant à l'opportunité économique d'une opération, inapplicable à la présente espèce, relative à une opération de transmission patrimoniale au sein d'une famille dont elle discute sans pertinence l'objectif assurément fiscal.

Il est gratuit, de sa part, de faire écrire que les époux [X] auraient détenu une information déterminante sur la situation fiscale de leur bien qu'ils lui auraient sciemment cachée, alors que c'était à elle de se renseigner sur le régime juridique des biens considérés afin de pouvoir dispenser son conseil et s'assurer de l'efficacité de son acte au regard du but recherché, ce que son argumentation revient à nier avoir dû faire.

Le manquement commis est ainsi avéré.

Son lien de causalité avec le préjudice allégué est certain, puisqu'il a été dit que le retrait du bénéfice de l'avantage fiscal de l'investissement n'était motivé que sur la donation-partage actée par la SCP [G], et qu'il ne s'agit nullement là d'un impôt dû dont la charge n'est pas constitutive d'un préjudice mais de la perte d'un avantage fiscal acquis.

Le tribunal a pertinemment retenu que le préjudice avait, pour les époux [X], la nature d'une perte de chance d'éviter d'avoir à débourser le montant du redressement et la perte de l'avantage fiscal retiré pour les dix-huit mois restant à courir.

Il a jugé à bon droit que la chance perdue était maximale, égale à 99% de ce montant, en estimant qu'éclairés sur l'incidence de l'opération sur ce régime fiscal, M. et Mme [X] l'auraient très certainement différée jusqu'au terme de la période de neuf années, qui était fort proche puisqu'expirant au 1er septembre 2017, alors que les intéressés expliquent sans être démentis qu'ils préparaient la transmission de leur patrimoine sans circonstance d'urgence aucune, ce qui est cohérent avec leur âge, la stabilité avérée de leur situation personnelle, professionnelle et familiale, ainsi qu'avec le long délai séparant la note de leur conseiller et l'établissement de l'acte.

C'est aussi à raison que le tribunal a alloué aux demandeurs des dommages et intérêts en réparation du préjudice moral que leur cause la contrariété du tour pris par l'opération et le déni de responsabilité du notaire, qui a réfuté l'évidence de son devoir et leur a imputé une attitude de mauvaise foi.

Le jugement sera ainsi confirmé en toutes ses dispositions y compris celle, adaptée, afférente à l'indemnité de procédure allouée.

La SCP [G], qui succombe devant la cour, supportera les dépens d'appel.

PAR CES MOTIFS :

la cour, statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort :

CONFIRME le jugement entrepris

ajoutant :

DÉBOUTE les parties de leurs demandes autres ou contraires

CONDAMNE la SCP [G] aux dépens d'appel

CONDAMNE la SCP [G] à payer 4.000 euros aux époux [X], ensemble, en application de l'article 700 du code de procédure civile.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/02528
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;20.02528 ?
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