La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

28/06/2022 | FRANCE | N°20/01878

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 28 juin 2022, 20/01878


ARRET N°401



N° RG 20/01878 - N° Portalis DBV5-V-B7E-GCER













S.A.S. [Z]



C/



S.N.C. LACTALIS INGREDIENTS



















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS



1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 28 JUIN 2022





Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01878 - N° Portalis DBV5-V-B7E-GCER



Décision déf

érée à la Cour : jugement du 01 septembre 2020 rendu par le Tribunal de Commerce de NIORT.







APPELANTE :



S.A.S. [Z]

La Creuse

[Localité 2] / FRANCE



ayant pour avocat postulant Me Anis RAHI, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Alexandre VA...

ARRET N°401

N° RG 20/01878 - N° Portalis DBV5-V-B7E-GCER

S.A.S. [Z]

C/

S.N.C. LACTALIS INGREDIENTS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 28 JUIN 2022

Numéro d'inscription au répertoire général : N° RG 20/01878 - N° Portalis DBV5-V-B7E-GCER

Décision déférée à la Cour : jugement du 01 septembre 2020 rendu par le Tribunal de Commerce de NIORT.

APPELANTE :

S.A.S. [Z]

La Creuse

[Localité 2] / FRANCE

ayant pour avocat postulant Me Anis RAHI, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Alexandre VARAUT, avocat au barreau de PARIS

INTIMEE :

S.N.C. LACTALIS INGREDIENTS

Les Placis

[Localité 1]

ayant pour avocat postulant Me Jérôme CLERC de la SELARL LEXAVOUE POITIERS - ORLEANS, avocat au barreau de POITIERS et pour avocat plaidant Me Arnault BUISSON-FIZELLIER, avocat au barreau de PARIS

COMPOSITION DE LA COUR :

L'affaire a été débattue le 12 Mai 2022, en audience publique, devant la Cour composée de :

M. Thierry MONGE, Président de Chambre

Madame Anne VERRIER, Conseiller

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

qui en ont délibéré

GREFFIER, lors des débats : Mme Elodie TISSERAUD,

ARRÊT :

- Contradictoire

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par M. Thierry MONGE, Président de Chambre et par Mme Elodie TISSERAUD, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

Exposé des faits, de la procédure, des prétentions

La société Lactalis Ingredients (Lactalis) a pour objet social l'achat et la vente de produits laitiers.

La société [Z] conçoit, produit, commercialise des produits destinés à l'alimentation animale du bétail.

La société Lactalis est un des fournisseurs de la société [Z] depuis au moins 2010.

Courant 2016, la société [Z] a conclu trois contrats portant sur de la poudre de lactosérum doux d'un tonnage global de 2720 tonnes.

A compter d'octobre 2016, les techniciens d'élevage ont constaté des retards de croissance, des refus d'alimentation dans les élevages, soupçonné un défaut de l'aliment d'allaitement.

La société [Z] a mené une enquête épidémiologique, fait réaliser des analyses qui ont établi des teneurs en urée très élevées.

Par acte du 20 mars 2017, la société [Z] a assigné la société Lactalis devant le juge des référés aux fins d'expertise judiciaire.

Par ordonnance du 20 avril 2017, M. [W] était désigné comme expert.

Le 28 juin 2017, les parties concluaient un 'protocole d'accord transactionnel', protocole rédigé alors que l'expertise était en cours.

Cet accord prévoyait notamment :

-la reprise par la société Lactalis de 840 tonnes déjà livrées (88 tonnes étant conservées pour les besoins de l'expertise),

-la livraison de 288 tonnes de poudre de lactosérum doux au prix de 256.608 euros TTC,

-le paiement après compensation d'une somme de 125.647,50 euros par la société Lactalis.

La société Lactalis a retiré les 840 tonnes dès la signature du protocole.

Le 28 juillet 2017, la société [Z] refusait de prendre livraison des 288 tonnes de lactosérum doux.

Par courrier du 2 novembre 2017, la société [Z] indiquait résilier le contrat, se prévalant de la présence dans le produit vendu de perméat à hauteur de 30%.

Le 20 février 2018, le conseil de la société Lactalis reprochait à la société [Z] d'avoir violé le protocole d'accord en ne commandant pas les 288 tonnes convenues.

Il annonçait le règlement de la somme de 125.647,50 euros qui avait été convenu.

Le juge chargé du contrôle des expertises a rendu plusieurs ordonnances les 12 avril 2017, 8 novembre 2018, 11 février 2019 aux fins de consignation supplémentaire, prorogation du dépôt du rapport d'expertise.

Il a fait injonction à la société [Z] de produire les pièces demandées par l'expert.

L'expert [W] a déposé son rapport en l'état le 12 avril 2019.

Il a indiqué n'avoir pu vérifier la réalité des faits, quantifier les retards de croissance, analyser si le lactosérum incluant 30 % de perméat était ou non susceptible d'entraîner une baisse sensible d'apports de protéines.

Par acte du 5 février 2019, la société [Z] a assigné la société Lactalis devant le tribunal de commerce de Niort aux fins de condamnation à lui payer les sommes de :

.256 808 euros au titre des quantités non livrées déjà payées par compensation

.50 000 euros au titre du préjudice matériel

.20 000 euros au titre du préjudice moral.

La société Lactalis a conclu au débouté.

Par jugement du 1er septembre 2020 , le tribunal de commerce de Niort a débouté la société [Z] de ses demandes, l'a condamnée aux dépens et au paiement d'une indemnité de procédure de 8000 euros.

Le premier juge a notamment retenu que :

Le litige porte sur l'exécution de la transaction, les caractéristiques de la chose livrée dans le cadre du protocole.

La société [Z] n'a pas déclenché la livraison à la date prévue.

La fiche technique RC20 annexée au protocole précise que le lactosérum doux est issu de fromages élaborés avec un mélange de lait de différentes espèces.

Ce point était donc clair lors de la signature du protocole et ne saurait justifier en lui-même le refus de livraison par la société [Z].

La fiche technique prévoit un taux de protéines de 11% .

N'est pas contractuellement spécifiée l'utilisation d'une méthode de dosage de la teneur en protéines. L'expert judiciaire confirme que la méthode de [C] est celle classiquement référencée.

Le taux de protéine dans le lactosérum est bien de 11 %.

S'agissant de la conformité du produit aux prescriptions du codex alimentarius, le tribunal relève que l'expert indique que le codex exclut l'ajout de perméat, mais que la fiche RC20 ne fait référence au codex alimentarius que pour les contaminants.

Ce code prescrit des normes destinées à l'alimentation humaine. Il n'est pas entré dans le champ contractuel s'agissant de la composition.

Il n'est pas établi que le produit livré ne correspondait pas aux caractéristiques spécifiées dans le protocole d'accord.

La société [Z] sera en conséquence déboutée de l'intégralité de ses demandes .

LA COUR

Vu l'appel en date du 14 septembre 2020 interjeté par la société [Z]

Vu l'article 954 du code de procédure civile

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 9 mars 2022, la société [Z] a présenté les demandes suivantes :

' Réformer le jugement entrepris.

STATUANT À NOUVEAU

Vu le protocole d'accord du 28 juin 2017,

A titre principal,

' Débouter la société LACTALIS INGREDIENTS de l'ensemble des demandes exposées dans ses conclusions.

' Condamner la société LACTALIS INGREDIENTS SNC à payer à la SAS [Z] la somme de 256 608 € TTC au titre des quantités non livrées mais déjà payées par compensation.

' Condamner la société LACTALIS INGREDIENTS SNC à payer à la SAS [Z] la somme de 50 000 € au titre du préjudice matériel.

' Condamner la société LACTALIS INGREDIENTS SNC à payer à la SAS [Z] la somme de 20 000 € au titre du préjudice moral.

' Condamner la société LACTALIS INGREDIENTS SNC à payer à la SAS [Z] la somme de 20 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

' Condamner la société LACTALIS INGREDIENTS SNC aux entiers dépens.

Subsidiairement,

-désigner tel expert rigoureusement indépendant de LACTALIS en lui demandant de dire :

1. Si en présence de 30 % de perméat ajouté, on doit parler de lactosérum ou de préparation à base de lactosérum.

2. Si la présence de 30 % de perméat pouvait être connue à la lecture de la fiche RC20.

3. Si cette présence de 30 % de perméat a une influence sur le taux de protéine du prétendu lactosérum.

-Très subsidiairement, surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte pénale déposée par [Z] contre LACTALIS et instruite à Rennes.

A l'appui de ses prétentions, la société [Z] soutient notamment que :

-Elle a établi un cahier des charges signé de Lactalis qui définit le produit commandé.

-Le taux de protéine est contractuel. Le seuil contractuel de protéines n'est pas atteint.

-La société Lactalis a vendu ou voulu vendre un produit non conforme.

-Elle a le culte de la dissimulation, a déjà été condamnée pénalement pour fraude.

-Les troubles ont disparu en janvier 2017 dès qu'elle a cessé d'utiliser ses produits.

-En cours d'expertise, elle a compris qu'une fraude était probable, appris le coupage du lactosérum avec du perméat.

-Le perméat n'est pas mentionné dans la fiche technique. Sa présence n'a jamais été révélée.

-Cette matière première représente en moyenne un tiers de la composition du produit.

-C'est un sous-produit laitier d'une valeur économique et nutritive nulle qui permet des économies.

-Le perméat a un taux d'azote comparable à celui des protéines.

-La méthode de mesure des protéines de [C] ne permet pas de découvrir la fraude.

Elle mesure l'azote protéique du lactosérum mais aussi l'azote non protéique du perméat.

-La fraude est inventive, repose sur la méthode de vérification elle-même.

-L'expertise amiable produite en appel confirme l'expertise judiciaire.

-Le produit livré n'est conforme ni au bon de commande, ni au cahier des charges.

-Selon l'expert [N], l'étiquetage, les documents commerciaux d'accompagnement devraient indiquer la composition du lactosérum, l'assemblage des 3 origines et l'ajout du perméat.

-L'utilisation du perméat pour normaliser le taux de protéines n'est pas autorisée pour le lactosérum.

-Ce n'est pas de la poudre de lactosérum doux mais une préparation à base de lactosérum doux et d'un autre ingrédient au moins ( le perméat).

Les experts retiennent une préparation à base de lactosérum.

-Le perméat ne fait pas partie des additifs autorisés, est une matière première.

-L'expert [W] confirme que la dilution du mélange avec du perméat dans des proportions importantes de l'ordre de 30% fausse la teneur en protéines de manière assez sensible.

-Les protéines déterminent la croissance des animaux.

-La société Lactalis a déjà été condamnée pour la même fraude par ajout de perméat le 17 avril 2007 par la cour d'appel d'Angers.

-Elle a choisi d'interrompre l' expertise qui était lente et onéreuse et n'avait plus d'intérêt.

-Elle a déposé plainte pour escroquerie, tromperie, falsification de denrées alimentaires. Le juge d'instruction de Rennes est saisi.

-Le tribunal s'est trompé. Elle n'a pas refusé la livraison du fait du mélange de lactosérums mais parce qu'elle soupçonnait une fraude. Elle était fondée à refuser la livraison.

Aux termes du dispositif de ses dernières conclusions en date du 21 mars 2022, la société Lactalis Ingrédients a présenté les demandes suivantes :

Vu l'article 16 du code de procédure civile ;

Vu le protocole d'accord signé entre les parties le 28 juin 2017 qui fait la loi des parties ;

Vu les articles 1103 et 1104 du code civil, ensemble l'article 1604 du même code,

-Déclarer [Z] mal fondée en son appel ; l'en débouter,

Juger que [Z] ne rapporte pas la preuve de la non-conformité de la fourniture objet du contrat de protocole du 26 juin 2017 ;

-Confirmer en toutes ses dispositions le jugement rendu par le Tribunal de commerce de Niort le 1 er septembre 2020 ;

-Débouter [Z] de toutes ses demandes, fins et prétentions ;

Sur les demandes subsidiaires et « à titre très subsidiaires » de [Z],

-Débouter [Z] de sa demande de nouvelle expertise judiciaire,

Vu l'article 74 du code de procédure civile,

-Juger irrecevable la demande de sursis à statuer,

En tout état de cause, vu l'article 4 al 3 du code de procédure pénale,

-Débouter [Z] de sa demande de sursis à statuer.

-Condamner [Z] à payer à LACTALIS INGREDIENTS la somme de 15.000€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

-Condamner la même aux entiers dépens de l'instance.

A l'appui de ses prétentions, la société Lactalis soutient notamment que :

-La société [Z] a commis des fautes qu'elle tente de faire supporter à son fournisseur.

-L'expert judiciaire n'a pas pu établir de lien entre défaut d'appétence des veaux qui avaient consommé l'alimentation fournie par la société [Z] et le prétendu vice du lactosérum.

-Lorsque la société [Z] a réalisé que sa négligence était en cause, elle a refusé de coopérer à l'expertise qu'elle avait sollicitée.

-La faute de la société [Z] consiste à avoir modifié brutalement sans contrôle préalable la composition des intrants dans ses recettes de fabrication.

-Elle a refusé de communiquer les pièces demandées. L'expert a dû déposer son rapport en l'état.

-La société [Z] se fonde sur des citations partielles du rapport d'expertise.

-Elle est responsable du dommage survenu qui est lié aux incorporations qu'elle a effectuées.

-Elle n'a pas produit les analyses et tests de validation réalisés sur les matières premières incorporées par ses soins. Elle a manqué à ses obligations de contrôle.

-Les recettes d'aliments pour veaux incluent plusieurs dizaines d'ingrédients.

-La société [Z] a préféré acheter ailleurs. Le marché est très volatile.

-Elle a respecté ses obligations, estime que le codex alimentarius ne s'applique pas aux aliments pour animaux.

-La fiche RC 20 fait application de la méthode de Kjedahl . Elle exprime une valeur en protéine brute et non en protéine nette.

-Le perméat apporte du lactose. Il est inexact de dire qu'il est sans aucun intérêt nutritif.

-Le perméat n'est pas une matière première ajoutée.

-Le lactosérum est conforme à la commande, conforme à sa destination.

Il doit être incorporé et mélangé avec d'autres fournitures composant les recettes de ses aliments pour animaux et cela sous la responsabilité exclusive de la société [Z].

-Le dépôt de plainte est contemporain du refus de communiquer des pièces à l'expert.

-L'expertise réalisée par M. [N] est unilatérale.

Il convient de se référer aux écritures des parties pour un plus ample exposé de leurs prétentions et de leurs moyens.

Vu l'ordonnance de clôture en date du 24 mars 2022.

SUR CE

-sur la demande de sursis à statuer

A titre subsidiaire, la société [Z] demande à la cour de surseoir à statuer dans l'attente de l'issue de la plainte pénale déposée contre la société Lactalis.

La société Lactalis conclut à l'irrecevabilité de la demande faute d'avoir été soulevée avant toute défense au fond.

L'article 73 du code de procédure civile prévoit que constitue une exception de procédure tout moyen qui tend soit à faire déclarer la procédure irrégulière ou éteinte, soit à en suspendre le cours.

L'article 74 du code de procédure civile dispose que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevées simultanément et avant toute défense au fond ou fin de non-recevoir.

L'exception soulevée par la société [Z] devait l'être avant toute défense au fond et non à titre très subsidiaire ainsi qu'elle l'a fait. Elle est donc irrecevable.

-sur l'inexécution du contrat

L'article 1103 du code civil dispose: les contrats légalement formés tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faits.

Selon l'article 1104 du code civil, les contrats doivent être négociés, formés et exécutés de bonne foi. Cette disposition est d'ordre public.

L'article 1582 du code civil prévoit que la vente est une convention par laquelle l'un s'oblige à livrer une chose, et l'autre à la payer.

Selon l'article 1604 du code civil, la délivrance est le transport de la chose vendue en la puissance et possession de l'acheteur.

Il est de droit constant que l'acquéreur ne peut être tenu d'accepter une chose différente de celle qu'il a commandée.

La non-conformité se définit par la différence avec les caractéristiques convenues.

Est non-conforme un produit qui ne correspond pas à la fiche technique acceptée.

La commande portait en l'espèce sur 'la livraison de 288 tonnes de poudre de lactosérum doux consommation animale en big bag de 1000kg en provenance de Forsala conformes à la fiche technique RC 20 de Lactalis Ingrédients, ci après annexée et faisant partie intégrante du présent protocole'.

La fiche technique RC 20 relative à la Poudre de Lactosérum Doux inclut une 'description', plusieurs tableaux, notamment un tableau intitulé : 'composition'.

Il est indiqué que le produit est issu de fromages élaborés avec un mélange de lait de différentes espèces ( brebis, chèvre, vache).

Sous l'intitulé du produit, il est mentionné en caractères très apparents: protéines supérieur ou égal 11 %.

-sur la notification du refus d'exécution

L'article 3 du protocole d'accord signé le 28 juin 2017 prévoyait que la société [Z] s'engageait à déclencher les livraisons dans les 30 jours suivant sa signature.

Le 26 juillet 2017, le conseil de la société [Z] rédigeait un dire qu'il adressait à l'expert.

Une copie du dire était envoyée au conseil de la société Lactalis.

Le dire (pièce 13 de la société [Z] ) indique notamment :

-La société [Z] n'a jamais accepté une fiche technique contraire à ses bons de commande.

-Elle ne pouvait imaginer qu'il lui était livré un lactosérum de mélange et non de vaches puisque le taux de protéines ne pouvait pas correspondre à un lactosérum de mélange.

-Il n'est pas contesté désormais que le lactosérum livré était un mélange vache, lait, brebis.

-Le taux de protéines est pourtant incompatible avec un tel mélange, ce qui rend certaine une manipulation.

-La question de la fraude pourrait être posée.

Le 26 octobre 2017, la société [Z] indiquait à l'expert : 'Il est évident qu'elle n'avait aucune raison de commander 288 tonnes du lactosérum Forlasa litigieux si elle avait de gros doutes sur la qualité de ce lactosérum'.

Par courrier du 2 novembre 2017 adressé à la société Lactalis, la société [Z] écrivait :

'Nous avons pu constater lors de notre déplacement à l'usine de Villarobledo que le produit que vous souhaitiez mettre à la disposition de la société [Z] dans le cadre du protocole d'accord ne correspondait en aucun cas au produit que vous avez contractualisé.

En effet, votre client a reconnu y incorporer systématiquement du perméat d'ultrafiltration dans des proportions moyennes de l'ordre de 30%.

Dès lors et en vertu notamment des conditions générales, nous considérons le solde de ce contrat comme résilié purement et simplement aux torts et griefs de la société Lactalis.

Par courriel du 16 février 2018, le conseil de la société [Z] écrivait au conseil de la société Lactalis, indiquait avoir découvert courant juillet 'qu'il y avait très probablement une falsification des produits', l'avoir écrit dans un dire du 26 juillet.

Il poursuivait : 'Dans ces conditions nous ne pouvions que suspendre cette commande puisque le protocole d'accord et la fiche technique que vous y aviez joint ne révélaient manifestement pas toute la vérité '.

Le courrier officiel du 2 novembre 2017 motive la 'résiliation'du contrat par l'incorporation du perméat à hauteur de 30%, élément 'constaté ' lors du déplacement à l'usine de Villarobledo.

Il résulte des éléments précités que la société [Z] a attendu le 2 novembre 2017 pour notifier en termes clairs à son cocontractant son refus d'exécuter le protocole d'accord, soit plus de trois mois après la date convenue.

Elle s'est prévalue du dire transmis à l'expert le 26 juillet 2017 bien qu'elle ne puisse ignorer qu'un dire, fût-il envoyé en copie au conseil de la société Lactalis, ne constitue pas un mode habituel de communication entre deux sociétés en relation depuis 2010.

La cour relève que le dire maintes fois évoqué ne fait aucune référence à la commande litigieuse.

Il porte manifestement sur les commandes antérieures objet de l'expertise judiciaire.

La société [Z] l'a néanmoins 'utilisé' pour justifier, légitimer l'annulation de la commande de 288 tonnes.

Or, la commande convenue le 28 juin 2017 visait la fiche technique signée de la société [Z] , fiche dont elle indique dans son dire qu'elle ne la connaît pas et n'a pu l'accepter.

Elle portait explicitement sur des mélanges de lait, mélanges que la société [Z] soutient avoir découverts dans le cadre des opérations d'expertise.

-sur la non-conformité du produit

Il est de droit constant que la preuve de la non-conformité incombe à l'acquéreur.

Il appartient donc à la société [Z] de démontrer l'existence d'une non-conformité de nature à justifier l'annulation d'une commande (déjà payée) pour un prix de 256 608 euros TTC, commande qui s'inscrivait dans le cadre d'un protocole d'accord dont l'article 5 précisait que ses dispositions formaient un tout indissociable.

a) sur la dissimulation du perméat

La société [Z] soutient que l'addition de perméat était cachée, a été découverte durant les opérations d'expertise, qu'elle fausse l'appréciation du taux de protéines, taux sur lequel la société Lactalis s'est engagée.

La société Lactalis estime que la dilution était connue de l'acheteur.

Elle indique que la méthode de [C] est entrée dans le champ contractuel.

Elle rappelle que la société [Z] est une société professionnelle, applique cette méthode qu'elle cite et définit dans ses documents contractuels.

Elle assure qu'elle ne pouvait ignorer que le taux de protéines provenant du mélange de lait de différentes espèces était supérieur à 11 % .

L'expert judiciaire, M [W], indique:

Le dosage des protéines dans les matières premières et aliments est fait en utilisant la méthode de Kjeldahl, méthode classique de référence.

La teneur en protéines est ensuite calculée en multipliant le taux d'azote mesuré par un coefficient de conversion de l'azote en protéines fixé à 6,38.

Cette méthode ne permet pas de distinguer entre les différentes sources d'azote, dose sans distinction les protéines et l'azote non protéique.

Les experts [W] et [N] s'accordent sur le fait que le mélange de lactosérums provenant de 3 espèces entraîne une teneur en protéines supérieure à 11 %.

Le mélange subit une dilution par addition d'environ 30 % de perméat. C'est cette dilution qui permet de ramener le taux de protéines à 11 % , et donc d' obtenir un taux constant.

M. [N], expert chimiste rappelle que la société [Z] est un fabricant présent en France, au Canada, aux Etats-Unis, qu'il est un acteur de référence du marché des aliments composés pour animaux.

Comme le relève la société Lactalis, les documents contractuels établis par la société [Z] distinguent protéines brutes et nettes, font application de la formule de Kjelhdal.

Celle-ci est reprise dans son cahier des charges, cahier qui prévoit une norme minimale de 11,0 % de matière azotée totale.

Le tableau composition qui figure sur la fiche technique RC 20 établie par La société Lactalis mentionne le pourcentage respectif des ingrédients :

-humidité (%) max 4,5

-protéines (N x 6.38) (%) min 11,0

-matières grasse (%) max 1,0

-lactose (%) min 72,0

-matières minérales (%) max 8,5

La formule (N x 6.38) est expressément reprise dans le tableau.

La société [Z] savait donc que le taux contractuel indiqué sur la fiche technique était le taux de matière azotée totale ( incluant l' azote non protéique) et non le taux de protéines.

Il était loisible à la société [Z] ainsi que le fait remarquer la société Lactalis de commander une poudre de lactosérum incluant une part non protéique garantie ( NPN inférieur à %) pour un prix supérieur, ce qu'elle n'a pas fait.

b) sur le mélange de laits

La société [Z] a soutenu à plusieurs reprises qu'elle n' avait commandé que du lactosérum provenant de lait de vache et non un mélange de 3 laits.

Le dire du 26 juillet 2017 fait reproche à la société Lactalis d'avoir livré un lactosérum de mélange et non de vache.

La société [Z] écrivait alors que la 'mystérieuse' fiche technique RC 20 n'a jamais été soumise à la société [Z] et ' moins encore approuvée par elle'.

Lors de l'accédit du 26 octobre 2017, elle soutenait encore que le contrat signé avec Lactalis ne prévoyait que l'achat de lactosérum de lait de vache et non l'achat d'un mélange de plusieurs origines (déclarations de M. [H], page 16).

Ces déclarations sont en contradiction évidente avec les productions.

Le protocole d'accord du 28 juin 2017 cite la fiche technique RC 20 "ci-après annexée et faisant partie intégrante du présent protocole ', fiche qui porte sur un mélange de lait de différentes espèces (brebis, chèvre, vache).

La cour relève que le protocole est signé et paraphé sur chaque page des parties, que la fiche technique est également signée de la société [Z] (M. [H]).

Il est possible que les commandes antérieures (dont la cour n'est pas saisie) aient porté sur du lait de vache.

En revanche, il n'y a aucun doute possible sur la composition du produit qui a été commandé le 28 juin 2017.

c) sur la qualité du produit

La société [Z] soutient que les qualités nutritionnelles du produit vendu ne sont pas celles attendues.

L'expert [W] indique que la dilution du mélange de lactosérum avec du perméat dans des proportions de l'ordre de 30% fausse la teneur en protéines de manière assez sensible.

L'addition de perméat dans des proportions importantes provoque un apport d'azote non protéique supplémentaire sous forme d'urée ce qui fausse la teneur en protéines du mélange. Il ajoute que la part de protéines vraies dans le lactosérum contenant 30 % de perméat est de 10,75 %, que la baisse de protéines vraies par rapport à un lactosérum sans perméat est de 0,88 % , ce qui représente en pourcentage une baisse de 7,8 %.

Selon les échantillons qu'il a analysés, le taux de protéines varie entre 10,75 et 9,86 %.

Le différentiel entre un lactosérum avec ou sans perméat est donc de 0,8g de protéines par 100 g de lactosérum.

Si ces analyses démontrent que l'addition du perméat a un effet sur le taux de protéines vraies, l'expert n'a pas vérifié si la différence entre un lactosérum avec perméat et sans perméat était susceptible d'entraîner une baisse sensible d'apports de protéines dans la ration des veaux au point de provoquer des retards de croissance.

L'expert [N] indique que le perméat a une valeur nutritive nulle.

Il n'a pas effectué (cela ne lui a pas été demandé) d'analyses comparatives susceptibles de démontrer l'impact de l'addition du perméat sur les qualités nutritives du produit.

La société Lactalis fait valoir que les troubles de croissance des veaux n'ont jamais été démontrés. Elle affirme que les difficultés rencontrées ne lui sont pas imputables, sont le fait de la société [Z] qui aurait modifié brutalement ses formules alimentaires, aurait employé exclusivement du lactosérum de Forlasa en rupture avec sa pratique antérieure qui était de mélanger des lactosérums de plusieurs provenances.

La société [Z] a admis (page 17 de ses conclusions) avoir 'considérablement' augmenté la part de lactosérum de Forlasa dans ses rations.

Alors que l'expert judiciaire avait indiqué à l'issue du premier accédit que la double relation chronologique décrite par la société [Z] entre la survenance des troubles et la distribution de l'alimentation intégrant le lactosérum de Forlana, la disparition des troubles et l'arrêt de l'alimentation était une présomption sérieuse, il n'a jamais pu la vérifier.

Il lui a été impossible de s'assurer de la réalité des troubles de croissance des veaux, les quantifier, puis, dans un second temps de vérifier le lien causal entre les retards de croissance et l'alimentation reçue.

Cette impossibilité n'est pas le fait de l'insuffisance de l'expert, ni d'un défaut d 'impartialité mais le résultat d'un choix délibéré de la société [Z] demanderesse à l'expertise judiciaire de ne pas remettre à l'expert les pièces susceptibles d'établir ou non le sinistre, son imputabilité ,les incidences précises de sa non-conformité.

L'expert judiciaire avait notamment relevé que les 3 compte-rendus émanant des vétérinaires n'étaient pas signés, étaient dépourvus d'en-tête.

Il avait demandé des compte-rendus détaillés, les fiches d'élevage des lots des veaux sinistrés, les registres sanitaires, les courriers de réclamation, les analyses réalisées avant expertise judiciaire. Il a précisé que seuls 4 lots avaient été documentés.

La société [Z] n'a jamais contesté le bien-fondé des demandes de l'expert, émis des réserves sur les seules recettes de fabrication.

Elle s'était engagée à produire les pièces réclamées avant novembre 2017, ne les a jamais produites en dépit des demandes renouvelées de l'expert, des prorogations de délai accordées.

Le jugement sera donc confirmé faute pour la société [Z] de démontrer que l'utilisation du perméat par la société Lactalis altère la qualité du produit qu'elle a acheté.

-sur les autres demandes

La cour ne s'est pas prononcée sur les questions relatives à la conformité ou non du produit élaboré au codex alimentarius, aux règlements européens, à la dénomination du produit dans la mesure où la société [Z] n'en tire aucune conséquence juridique précise et alors qu'elle n'a jamais fondé son refus d'exécution sur le non-respect de la réglementation, non-respect qui est contesté.

Il résulte de l'article 696 du code de procédure civile que ' La partie perdante est condamnée aux dépens, à moins que le juge, par décision motivée, n'en mette la totalité ou une fraction à la charge d'une autre partie. (...).'

Compte tenu de la solution apportée au présent litige, les dépens d'appel seront fixés à la charge de la société [Z].

Il est équitable de la condamner à payer à l'intimée la somme fixée au dispositif du présent arrêt sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

PAR CES MOTIFS

statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort

-dit irrecevable la demande de sursis à statuer formée par la société [Z] dans l'attente de l'issue de l'instruction en cours

-confirme le jugement entrepris

Y ajoutant :

-déboute les parties de leurs autres demandes

-condamne la société [Z] aux dépens d'appel

-condamne la société [Z] à payer à la société Lactalis Ingrédients la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile .

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/01878
Date de la décision : 28/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-28;20.01878 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award