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02/06/2022 | FRANCE | N°19/02561

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Chambre sociale, 02 juin 2022, 19/02561


ASB/PR































ARRET N° 379



N° RG 19/02561



N° Portalis DBV5-V-B7D-FZYU













CPAM DE LA VENDÉE



C/



S.A.S. [3]

























RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale



ARRÊT DU 02 JUIN 20

22







Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 juin 2019 rendu par le tribunal de grande instance de LA ROCHE SUR YON - Pôle social





APPELANTE :



CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE LA VENDÉE

[Adresse 1]

[Localité 2]



Représentée par Mme [X] [I], munie d'un pouvoir





INTIMÉE :



S.A.S. [3]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

...

ASB/PR

ARRET N° 379

N° RG 19/02561

N° Portalis DBV5-V-B7D-FZYU

CPAM DE LA VENDÉE

C/

S.A.S. [3]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRÊT DU 02 JUIN 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du 28 juin 2019 rendu par le tribunal de grande instance de LA ROCHE SUR YON - Pôle social

APPELANTE :

CAISSE PRIMAIRE ASSURANCE MALADIE DE LA VENDÉE

[Adresse 1]

[Localité 2]

Représentée par Mme [X] [I], munie d'un pouvoir

INTIMÉE :

S.A.S. [3]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Me Xavier BONTOUX de la SELARL FAYAN-ROUX, BONTOUX ET ASSOCIES, avocat au barreau de LYON substitué par Me Marie BRUNET, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, les parties ou leurs conseils ne s'y étant pas opposés, l'affaire a été débattue le 18 janvier 2022, en audience publique, devant :

Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller qui a présenté son rapport

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :

Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente

Madame Anne-Sophie DE BRIER, Conseiller

Monsieur Jean-Michel AUGUSTIN, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

GREFFIER, lors des débats : Madame Patricia RIVIERE

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile que l'arrêt serait rendu le 7 avril 2022. A cette date le délibéré a été prorogé au 05 mai 2022 puis à la date de ce jour.

- Signé par Madame Marie-Hélène DIXIMIER, Présidente, et par Madame Patricia RIVIERE, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

FAITS ET PROCÉDURE :

M. [S] [Y] était salarié de la société [3] depuis le 18 octobre 2011 en qualité d'agent de fabrication.

Le 23 février 2012, à l'occasion d'un entretien avec son encadrement et le responsable des ressources humaines de la société, M. [Y] s'est vu notifier une convocation en entretien préalable à un éventuel licenciement et une mise à pied conservatoire, l'employeur lui reprochant des propos et un comportement homophobes vis-à-vis d'un collègue.

Ce même jour, il a été placé en arrêt de travail, le médecin utilisant un formulaire d'arrêt de travail « simple ».

Il a été licencié le 8 mars 2012 pour faute grave.

Le 6 avril 2012, son médecin a rédigé un certificat médical initial « accident du travail / maladie professionnel » évoquant un « choc émotionnel avec syndrome anxio-dépressif réactionnel ».

M. [Y] a établi le 5 juin 2012 une déclaration d'accident du travail évoquant un accident survenu le 23 février 2012 à 15h20 à l'occasion d'un « entretien inopiné avec deux responsables techniques et le responsable du personnel pour [lui] annoncer [sa] mise à pied pour homophobie ». Il a précisé comme nature des lésions « choc émotionnel avec syndrome anxio-dépressif ».

Il a fait parvenir à la caisse primaire d'assurance maladie (CPAM) de la Vendée un autre « certificat médical initial », daté quant à lui du 23 février 2012, évoquant un « choc émotionnel sur le lieu de travail =$gt; syndrome dépressif réactionnel ».

La CPAM a procédé à une enquête, au cours de laquelle elle a entendu M. [Y] (le 5 juin 2012) et M. [G], responsable des ressources humaines de la société [3] (le 6 juin 2012).

Par lettre du 14 août 2012, la CPAM a notifié à la société [3] sa décision de reconnaître le caractère professionnel du sinistre survenu à M. [Y] le 23 février 2012.

Contestant cette décision, la société [3] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM, qui dans sa séance du 31 janvier 2013 a rejeté son recours.

Par LRAR du 30 novembre 2012, M. [Y] a saisi d'une contestation le tribunal des affaires de sécurité sociale de La Roche sur Yon.

Par jugement du 28 juin 2019, le tribunal de grande instance de La Roche sur Yon, pôle social, a :

- déclaré inopposable à la société [3] la décision de prise en charge, au titre de la législation professionnelle, de l'accident de travail déclaré par M. [Y] comme daté du 23 février 2012,

- condamné la CPAM à verser à la société la somme de 1.500 euros en application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné la CPAM aux dépens nés postérieurement au 1er janvier 2019.

La caisse a formé appel.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES :

Soutenant oralement ses écritures, la CPAM demande à la cour d'infirmer le jugement et de déclarer la décision de prise en charge opposable à la société [3].

La caisse soutient que si le comportement de M. [Y] était répréhensible, il n'en demeure pas moins que la sanction prise par la société, bien que régulière, a été à l'origine d'un choc émotionnel aux temps et lieu du travail, à l'origine d'une lésion constatée le soir-même de l'accident. Elle considère que la présomption s'applique y compris si le salarié est à l'origine de sa propre lésion. Elle fait valoir que l'employeur n'apporte pas la preuve d'une cause étrangère au travail. Elle précise à cet égard que l'absence de lien fait le 23 février 2012 par le médecin traitant de M. [Y] entre son état de santé et le travail est sans incidence ; que seul importe le fait que la lésion a été médicalement constatée.

Soutenant oralement ses écritures, la société [3] demande à la cour de confirmer le jugement et de condamner la caisse à lui payer la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

La société [3] conteste qu'un accident du travail soit survenu le 23 février 2012, en relevant que le seul élément notable de la journée de M. [Y] a été une convocation en entretien préalable à un éventuel licenciement et une mise à pied conservatoire. A cet égard, elle considère que M. [Y] ne peut prétendre en avoir été surpris ou choqué, au regard de son comportement et de ses propos homophobes, qu'il savait non tolérés au sein de la société. Elle précise que personne n'a pu voir qu'il aurait été victime d'un accident du travail et que M. [Y] a quitté l'entreprise sans la moindre difficulté. Elle ajoute que le déroulement de l'entretien ne laisse supposer l'existence d'aucun élément pouvant constituer un accident. Elle souligne que les arrêts de travail prescrits initialement sont des arrêts pour maladie simple, et que ce n'est qu'à partir du 6 avril 2012, plusieurs semaines après son licenciement, qu'il a été question d'un accident du travail. Elle considère que la chronologie des faits entre en contradiction avec le certificat médical initial établi le 6 avril 2012, puisque M. [Y] ne faisait alors plus partie des effectifs de la société.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises à l'audience.

MOTIFS DE L'ARRÊT :

L'article L. 411-1 du code de la sécurité sociale pose en principe que tout accident survenu par le fait ou à l'occasion du travail, quelle qu'en soit la cause, est considéré comme accident du travail.

Sur ce fondement, constitue un accident du travail tout fait précis survenu soudainement au cours ou à l'occasion du travail et qui est à l'origine d'une lésion corporelle.

La société [3] conteste la matérialité même de l'accident, de sorte qu'il appartient à la caisse, subrogée dans les droits de l'assuré qu'elle a indemnisé, de rapporter la preuve d'un accident survenu aux temps et lieu du travail. Il lui est ainsi demandé d'établir les circonstances exactes de l'accident, la réalité de la lésion, ainsi que sa survenance au temps et au lieu du travail.

Elle peut apporter cette preuve par tous moyens. Il est précisé à cet égard que les seules affirmations du salarié ne sont pas suffisantes si elles ne sont pas corroborées par des éléments objectifs.

En l'espèce, les parties s'accordent sur le fait que M. [Y] a eu le 23 février 2012 un entretien avec des supérieurs hiérarchiques, au cours duquel il a été informé de sa convocation en entretien préalable et de sa mise à pied conservatoire, au motif qu'il avait eu un comportement et des propos homophobes vis-à-vis de l'un de ses collègues.

Il résulte des débats et pièces produites que :

- le 23 février 2012, M. [Y] a quitté le bureau dans lequel s'était tenu l'entretien « surpris et dans un état d'incompréhension totale » (selon les propos tenus par M. [G] lors de son audition par l'agent enquêteur de la caisse) ;

- le même jour, il a été placé en arrêt de travail, et cet arrêt a été prolongé (le dernier produit étant celui du 13 septembre 2012, produisant effet jusqu'au 5 octobre 2012) ;

- lors de l'audition de M. [Y] le 5 juin 2012, l'agent enquêteur de la caisse a fait le constat que « l'entretien [était] difficile pour M. [Y], visiblement très affecté par cette affaire. Il interrompt souvent son récit, se mettant à pleurer » ;

- M. [Y] a été hospitalisé dans un établissement public de santé mentale du 13 au 21 septembre 2012.

L'employeur ne conteste pas que M. [Y] a participé à l'entretien litigieux sans avoir été informé à l'avance de sa tenue et sans en connaître la teneur. Certes, celui-ci avait adopté peu de temps avant un comportement tout à fait répréhensible en tenant des propos et adoptant un comportement homophobe vis-à-vis d'un collègue, ainsi qu'il résulte d'un jugement désormais définitif du conseil de prud'hommes de la Roche sur Yon du 27 avril 2015, validant son licenciement pour faute grave (M. [Y] s'est désisté de son appel). Mais ce seul fait ne saurait établir que M. [Y] s'attendait à se voir reprocher un tel comportement lors de l'entretien incriminé. A supposer que M. [Y] aurait dû s'attendre à une réaction de son employeur, il n'en demeure pas moins établi que la tenue d'un entretien le 23 février 2012 était imprévue.

En tout état de cause, cet entretien au cours duquel lui ont été remises convocation en entretien préalable et mise à pied, et à l'issue duquel un médecin a estimé nécessaire de le placer en arrêt de travail, a constitué un évènement précis et soudain caractéristique d'un accident.

Le fait que M. [Y] ait adopté un comportement inacceptable à l'origine du grave malaise d'un collègue ne permet pas d'exclure qu'il ait été lui-même affecté par la procédure mise en 'uvre à son encontre, aussi légitime soit-elle.

Il en est de même de la tenue parfaitement correcte de l'entretien.

Enfin, la chronologie des évènements (arrêt de travail initial pour maladie « simple », établissement le 6 avril 2012 seulement d'un premier « certificat médical initial » faisant référence à un accident du travail, production ultérieure d'un autre « certificat médical initial » quant à lui daté du 23 février 2012), ne permet pas de discréditer l'allégation d'un accident du travail. Seul importe en effet, au-delà de l'utilisation de tel ou tel formulaire d'arrêt de travail, le constat médical d'une lésion corporelle se manifestant immédiatement ou dans un temps voisin de l'évènement générateur.

Or les certificat médicaux produits mettent en évidence une dégradation soudaine de l'état de santé de M. [Y] à compter du 23 février 2012.

La cour relève en outre que le Dr [M], médecin de M. [Y] et auteur des arrêts pour maladie « simple » a clairement établi le lien entre l'état psychologique de M. [Y] et un évènement générateur du 23 février 2012 dès le 6 avril 2012, le certificat établi à cette date faisant référence au 23/02/2012 comme « date de l'accident ou de la 1ere constatation médicale de la maladie professionnelle » et constatant un « choc émotionnel avec syndrome anxio dépressif réactionnel nécessitant un arrêt de travail depuis le 23/02/2012 et une prise en charge psychologique + traitement suite évènement sur le lieu de travail ». Il n'est en outre aucunement établi que l'autre certificat médical initial, quant à lui daté du 23 février 2012, serait la manifestation d'une « complicité » du médecin envers son patient cherchant à transformer, de manière injustifiée, des arrêts de travail simples en arrêts relatifs à un accident du travail.

Il résulte de ces éléments la preuve de ce que l'entretien professionnel du 23 février 2012 a généré chez M. [Y] un choc soudain à l'origine d'une lésion corporelle, en l'occurrence psychologique, constatée médicalement dans un temps très proche de l'évènement générateur.

Ces éléments précis et concordants établissent la matérialité d'un accident survenu aux temps et lieu du travail. Par suite, il y a présomption d'imputabilité au travail.

L'employeur, qui n'apporte aucun élément de nature à prouver que la lésion a en réalité une cause totalement étrangère au travail, ne renverse pas la présomption.

Il convient donc de déclarer la décision de prise en charge opposable à l'employeur, et en cela d'infirmer le jugement attaqué.

La société [3], partie perdante, est condamnée aux dépens de première instance et d'appel.

Par suite, il y a lieu d'infirmer le jugement en ce qu'il a condamné la caisse au paiement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, et de débouter la société de sa demande d'indemnité procédurale.

PAR CES MOTIFS,

Infirme le jugement rendu le 28 juin 2019 par le tribunal de grande instance de La Roche sur Yon, pôle social,

Statuant à nouveau et y ajoutant,

Déclare opposable à la société [3] la décision de la CPAM de la Vendée de prendre en charge au titre de la législation professionnelle l'accident survenu à M. [S] [Y] le 23 février 2012,

Déboute la société [3] de sa demande formée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la société [3] aux dépens de première instance et d'appel.

LE GREFFIER, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 19/02561
Date de la décision : 02/06/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-06-02;19.02561 ?
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