La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

17/05/2022 | FRANCE | N°20/02319

France | France, Cour d'appel de Poitiers, 1ère chambre, 17 mai 2022, 20/02319


ARRÊT N°276



N° RG 20/02319





N° Portalis DBV5-V-B7E-GDEW















[K]



C/



[C]

MAX SUTTER

SWISSLIFE FRANCE

S.A. AREAS





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS



COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile



ARRÊT DU 17 MAI 2022





Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 octobre 2020 rendu

par le Tribunal Judiciaire de POITIERS





APPELANT :



Monsieur [F] [K]

17, rue Henri Dunant

86100 Châtellerault



ayant pour avocat postulant et plaidant Me Yasmina DJOUDI, avocat au barreau de POITIERS









INTIMÉS :



Monsieur [R] [C]

intervenant volontaire en son nom personnel

et ...

ARRÊT N°276

N° RG 20/02319

N° Portalis DBV5-V-B7E-GDEW

[K]

C/

[C]

MAX SUTTER

SWISSLIFE FRANCE

S.A. AREAS

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

COUR D'APPEL DE POITIERS

1ère Chambre Civile

ARRÊT DU 17 MAI 2022

Décision déférée à la Cour : Jugement du 05 octobre 2020 rendu par le Tribunal Judiciaire de POITIERS

APPELANT :

Monsieur [F] [K]

17, rue Henri Dunant

86100 Châtellerault

ayant pour avocat postulant et plaidant Me Yasmina DJOUDI, avocat au barreau de POITIERS

INTIMÉS :

Monsieur [R] [C]

intervenant volontaire en son nom personnel

et aussi gérant de la SARL ADI en liquidation

élection de domicile au cabinet RODIER MBDT Associés Avocats

2 Av Robert Schuman - Résidence le mail - Appt n°5

86000 POITIERS

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2022/001737 du 12 avril 2022 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de POITIERS)

ayant pour avocat postulant et plaidant Me Sylvie RODIER de l'ASSOCIATION RODIER MBDT ASSOCIÉS, avocat au barreau de POITIERS

EURL SUTTER

149 rue d'Antran

86100 CHATELLERAULT

&

SA SWISSLIFE ASSURANCES DE BIENS

7 rue Belgrand

92300 LEVALLOIS PERRET

ayant toutes deux pour avocat postulant Me Thomas DROUINEAU de la SCP DROUINEAU-VEYRIER- LE LAIN-BARROUX-VERGER, avocat au barreau de POITIERS

ayant toutes deux pour avocat plaidant Me Christine COMBEAU, avocat au barreau de BORDEAUX

S.A. AREAS DOMMAGES

47/49 rue Miromesnil

75008 PARIS

ayant pour avocat postulant et plaidant Me Caroline MAISSIN de la SCP DICE AVOCATS, avocat au barreau de POITIERS

COMPOSITION DE LA COUR :

En application des articles 907 et 786 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 14 Mars 2022, en audience publique, les avocats ne s'y étant pas opposés, devant :

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour, composée de :

Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre

Monsieur Dominique ORSINI, Conseiller

Madame Anne VERRIER, Conseiller

GREFFIER, lors des débats : Monsieur Lilian ROBELOT,

ARRÊT :

- CONTRADICTOIRE

- Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,

- Signé par Monsieur Thierry MONGE, Président de Chambre, et par Monsieur Lilian ROBELOT, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

*****

PROCÉDURE, PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES

[F] [K] est propriétaire de deux immeubles attenants situés 34 et 36 Grand'Rue de Châteauneuf à Châtellerault (Vienne).

Il y exerçait au rez-de-chaussée depuis 1997 une activité de préparation et de vente de pizzas à emporter sous l'enseigne 'Au Fournil'. L'étage de l'immeuble situé au n° 36 servait de réserve à la pizzeria. [Y] [K], fils de [F] [K], logeait dans les étages de l'immeuble situé au n° 34, mis gratuitement à disposition.

Courant 2013 ont été entrepris des travaux sur l'alimentation électrique des immeubles afin de séparer l'activité commerciale du rez-de-chaussée des logements. Les travaux de raccordement au réseau public de distribution d'électricité ont été réalisés par la société Ineo Réseaux Centre Ouest.

La société Max Sutter est intervenue pour procéder à des travaux de connexion des installations électriques des immeubles entre eux afin de réduire le temps d'interruption de l'activité commerciale. Le 22 mars 2013, elle a raccordé entre elles les installations électriques au moyen d'une rallonge électrique qu'elle a fournie. Son employé a quitté les lieux vers midi.

[Y] [K] a peu après constaté qu'un incendie s'était déclaré. Malgré l'intervention rapide des services d'incendie et de secours, les deux bâtiments ont été détruits par les flammes.

Par ordonnance du 4 avril 2013, le juge des référés du tribunal de grande instance de Poitiers a sur la demande de [F] [K] commis [X] [A] en qualité d'expert. Le rapport d'expertise est en date du 2 octobre 2014.

Par acte du 17 novembre 2016, [F] [K] a fait citer devant le tribunal de grande instance de Poitiers la société Max Sutter et la société Swiss Life assurances de biens son assureur. Il a à titre principal demandé paiement à titre de dommages et intérêts des sommes de :

- 102.516,16 € correspondant au préjudice non encore indemnisé ;

- 40.000 € en réparation de son préjudice de jouissance ;

- 189 000 € en réparation de son préjudice d'exploitation ;

- 60 564 € correspondant à la perte de matériel et des biens privés ;

- 30 000 € en réparation de son préjudice moral.

Il a soutenu qu'il résultait du rapport d'expertise que l'incendie avait eu pour cause l'utilisation d'une rallonge détériorée par la société Max Sutter. Il a chiffré son préjudice économique en se fondant sur une expertise réalisée sur sa demande par un expert judiciaire qu'il avait saisi amiablement.

La société Areas Dommages est intervenue volontairement à l'instance. Subrogée aux droits de son assuré qu'elle a indemnisé, elle a demandé paiement par la société Max Sutter et son assureur de la somme totale de 581.510 €

(380 619 € correspondant à l'indemnisation vétusté déduite des bâtiments vétusté déduite, 35.790 € correspondant à l'indemnisation du contenu, 11.945 € correspondant aux honoraires d'expert, 153.156 € correspondant à l'indemnité différée).

Les sociétés Max Sutter et Swiss Life ont à titre principal conclu au rejet de ces demandes, la preuve de la faute de cette première et du lien de causalité n'étant pas rapportée, subsidiairement à la réduction des prétentions formées.

Par jugement du 5 octobre 2020, le tribunal judiciaire de Poitiers a statué en ces termes :

'Rejette les demandes de Monsieur [F] [K] et de la société d'assurance mutuelle à cotisations fixes Aréas Dommages.

Rejette les autres demandes.

Condamne Monsieur [F] [K] et la société d'assurance mutuelle à cotisations fixes Aréas Dommages aux dépens comprenant les frais de référé et d'expertise'.

Il a considéré que n'était pas établi avec la certitude nécessaire le lien de causalité entre l'état de la rallonge dont l'utilisation malgré un morceau dégradé aurait pu constituer une faute et l'incendie.

Par déclaration reçue au greffe le 19 octobre 2020, [F] [K] a interjeté appel de ce jugement.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 18 janvier 2021, il a demandé de :

'Vu les articles 1147, 1384 ancien (1242 nouveau) et suivants du Code Civil,

Vu les rapports d'expertise,

INFIRMER le Jugement rendu le 5 octobre 2020 par le Tribunal Judiciaire de Poitiers, première chambre civile.

Statuant à nouveau,

CONSTATER que l'incendie a été provoqué par la rallonge électrique utilisée par l'EURL MAX SUTTER qui était préalablement endommagées, ce qui a conduit nécessairement à l'échauffement et au départ de feu, sans qu'il s'agisse de suppositions, de déductions ou d'allégations.

CONSTATER que l'Expert a écarté toute cause volontaire qui serait à l'origine du départ de feu.

CONSTATER que l'EURL MAX SUTTER avait l'usage la direction et le contrôle de la rallonge électrique, instrument du dommage, et ce en application des dispositions de l'article 1384 alinéa 1 du Code civil.

DIRE ET JUGER les demandes de Monsieur [K] recevables et bien fondées.

En conséquence,

DIRE ET JUGER l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE responsables des dommages causés à Monsieur [K].

CONDAMNER in solidum l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE à verser à Monsieur [K] la somme de 102.516 € au titre du préjudice lié à la destruction de son immeuble, avec intérêt de droit à compter de la décision à intervenir.

CONDAMNER in solidum l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE à verser à Monsieur [K] la somme de 40.000 € au titre du préjudice de jouissance, à parfaire jusqu'à l'arrêt, avec intérêt de droit à compter de la décision à intervenir.

CONDAMNER in solidum l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE à verser à Monsieur [K] la somme de 189.000 € au titre du préjudice d'exploitation, avec intérêt de droit à compter de la décision à intervenir.

CONDAMNER in solidum l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE à verser à Monsieur [K] la somme de 60.564 € au titre de la perte de son matériel et de ses biens privés, avec intérêt de droit à compter de la décision à intervenir.

CONDAMNER in solidum l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE à verser à Monsieur [K] la somme de la somme de 30.000 € à titre de dommages et intérêts pour le préjudice moral qu'il a subi.

CONDAMNER in solidum l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE à verser à Monsieur [K] la somme de la somme de 10.000 € au titre de l'article 700 du CPC.

CONDAMNER solidum l'EURL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE ASSURANCE aux entiers dépens, y compris les frais d'expertise.

ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir'.

Il a soutenu que le rapport d'expertise judiciaire établissait que la rallonge utilisée par la société Max Sutter, détériorée, avait été à l'origine de l'incendie qui avait atteint le local de stockage des cartons à pizzas. Il a rappelé que l'acte volontaire avait été écarté par l'expert.

Il a rappelé avoir été indemnisé après déduction de la vétusté du bien.

Il a demandé paiement de la somme de 102.516 € (102.434,40 € dans le corps des conclusions) correspondant au coût de reconstruction de l'appartement détruit, 1.000 € par mois correspondant à la perte locative, 188.960 € en réparation de la perte d'exploitation subie.

Sur ce dernier poste de préjudice, il a exposé :

- avoir dû acquérir un véhicule pour pouvoir poursuivre son activité ;

- que les experts qu'il avait missionnés (cabinet d'expertise [T] [D], [N] [Z]) avaient chiffré cette perte après examen des bilans des années 2010 à 2015 pour le premier, 2010 à 2018 pour le second ;

- que ce dernier expert avait chiffré à 73.000 € la perte d'exploitation de mars 2014 à octobre 2016, à 21.000 € celle d'octobre 2016 au 31 décembre 2018, à 95.000 € la perte de chance de développer le chiffre d'affaires.

Il a en outre sollicité l'indemnisation du matériel détruit par l'incendie pour un montant de 60.564 € et celle de son préjudice moral pour un montant de 30.000 €;

Par conclusions notifiées par voie électronique le 27 juillet 2021, la société Aréas Dommages a demandé de :

'Vu le Jugement du Tribunal judiciaire de POITIERS en date du 5 Octobre 2020,

Vu les dispositions des articles 1384 anciens du Code Civil,

Vu les dispositions de l'article 1250 ancien devenu 1346-1 du Code Civil,

Vu l'ensemble des pièces versées aux débats,

Voir réformer le jugement entrepris,

Statuant à nouveau :

Voir dire et juger que l'EURL SUTTER a commis une faute à l'origine de l'incendie ayant détruit l'immeuble appartenant à Mr [F] [K],

En conséquence :

Voir condamner solidairement la SARL MAX SUTTER et son assureur SWISSLIFE à verser à AREAS DOMMAGES au titre de la subrogation, une somme totale de 650.659,00 € détaillée comme suit :

*au titre des dommages matériels

- Au titre des dommages aux bâtiments, vétusté déduite : 380.619,00 €

- Au titre du contenu 35.790,00 €

- Au titre des honoraires d'experts d'assurés 11.945,00 €

- Au titre de l'indemnité différée : 153.156,00 €

(dont 12.000 euros au titre des déblais et démolition) 153.156,00 €

total 581.510,00 €

*au titre des pertes d'exploitation : 61.492,00 €

Voir condamner solidairement l'EURL SUTTER et son assureur SWISSLIFE à verser à AREAS DOMMAGES la somme de 5.000 euros au titre de l'article

700 du Code de Procédure Civile ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel, en ce compris les dépens de référé expertise et les frais d'expertise judiciaire'.

Soutenant qu'il résultait du rapport d'expertise que la rallonge électrique dont la société Max Sutter avait la garde avait été l'instrument du dommage, elle a demandé paiement des sommes versées à son assuré aux droits duquel elle est subrogée, pour un montant total de 650.659 € incluant l'indemnisation de la perte d'exploitation. Elle a contesté la nouveauté de cette dernière demande devant la cour puisqu'ayant déjà été formulée en première instance. Concernant les frais d'expertise et l'indemnité différée, elle a exposé que la société Swiss Life ne justifiait pas de la convention d'abandon de recours entre sociétés d'assurance dont elle invoquait le bénéfice.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 26 mai 2021, les sociétés Sutter et Swiss Life Assurances de biens ont demandé de :

'Confirmer le jugement rendu par le Tribunal Judiciaire de Poitiers le 5 octobre 2020.

En conséquence,

Vu l'article 1242 alinéa 2 du Code Civil,

Débouter Monsieur [K] et la société AREAS de leurs demandes, fins et conclusions.

Les condamner solidairement au paiement d'une indemnité de 3 000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

Les condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel'.

Elles ont contesté que la responsabilité de l'électricien fût engagée sur le fondement de l'article 1242 nouveau du code civil en l'absence d'une part de faute démontrée, le mauvais état de rallonge n'étant pas établi, d'autre part de preuve de son implication dans la survenance de l'incendie.

Subsidiairement sur la demande en paiement de [F] [K], elles ont relevé une contradiction entre le dispositif et les motifs des conclusions de celui-ci, sollicitant l'indemnisation de la vétusté non prise en charge par son assureur. Elles ont soutenu que les expertises diligentées par ces derniers leur étaient inopposables et que le préjudice de jouissance allégué n'était pas justifié. Elles ont conclu au rejet de la demande d'indemnisation d'un préjudice d'exploitation, d'une part le véhicule acquis par [F] [K] demeurant à l'actif de l'entreprise, d'autre part les rapports d'expertise établis à l'initiative de l'assureur étant sans valeur probante, enfin l'activité ayant été rapidement poursuivie avec des charges moindres du fait de l'utilisation du véhicule. Selon elles, la perte d'exploitation, à justifier, ne pouvait concerner que la période courant de mars 2013 à octobre 2016, date de la reprise de l'activité dans les locaux. Elles ont contesté devoir supporter l'indemnisation sans vétusté du matériel détruit dans l'incendie au motif que cela constituerait un enrichissement sans cause de [F] [K]. Selon elles, le préjudice moral allégué n'était pas justifié.

Elles ont soutenu :

- irrecevable la demande de la société Areas en paiement de la somme de 61.492 € correspondant à l'indemnisation des pertes d'exploitation, selon elles nouvelles en cause d'appel ;

- que la société Areas ne pouvait solliciter paiement que des sommes effectivement versées à son assuré.

La société Swiss Life a précisé que sa garantie était limitée à 800.000 €, avec une franchise de 10 % d'un minimum de 300 € et d'un maximum de 750 €.

L'ordonnance de clôture est du 14 février 2022.

Par conclusions notifiées par voie électronique le 10 mars 2022, [R] [C], agissant tant en son nom personnel qu'en sa qualité de gérant de la société Adi en liquidation judiciaire a demandé de :

'RECEVOIR l'intervention volontaire de Monsieur [C] [R] et rabattre l'ordonnance de clôture du 14/02/2022 afin de permettre un débat contradictoire avec Monsieur [C].

Vu le bail souscrit,

Vu les règles de la responsabilité délictuelle (article 1240 du Code Civil) et le contrat de la compagnie d'assurance AREAS DOMMAGES réglant et mandatant la Sté STPG pour le compte de son assuré M. [K], celle-ci étant subrogée dans les droits et obligations de son assurée;

Vu l'article 1384 du Code Civil devenu 1242 du Code Civil (et subsidiairement 1383 devenu 1241 du Code Civil) ;

CONDAMNER in solidum la société SUTTER et la compagnie SWISS LIFE, la Sté AREAS DOMMAGES assureur de M. [K], à payer à Monsieur [C] au titre de ses préjudices personnels financiers et moraux 100 000€ pour les pertes de rémunération et 60 000€ pour la perte d'actif.

CONDAMNER in solidum la société SUTTER et la compagnie SWISSLIFE et la Sté d'assurances AREAS DOMMAGES à verser à Monsieur [C] la somme de 6 000 € au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile faisant application de l'article 37 de loi sur l'aide juridictionnelle.

LES CONDAMNER aux entiers dépens de l'instance dont distraction sera ordonnée au profit de Sylvie RODIER Avocat au Barreau de POITIERS membre de l'association d'avocats RODIER MBDT Associés, en application des dispositions de l'article 699 du Code de Procédure Civile'.

Il a exposé :

- qu'était exploitée par la société Adi une activité de bar- petite restauration sous l'enseigne 'Le Patio' dans des locaux jouxtant ceux de [F] [K] ;

- qu'il avait assigné par acte du 25 avril 2015 ce dernier et son assureur devant le tribunal de grande instance de Poitiers qui avait par jugement du 5 octobre 2015 condamné la société Aréas à partiellement l'indemniser du préjudice subi du fait de l'incendie ;

- que par ordonnance du 13 juillet 2016, le juge des référés du tribunal de grande instance de Poitiers saisi d'une demande de provision avait renvoyé la société Adi à agir au fond ;

- que par acte du 26 septembre 2016, la société Adi avait fait assigner l'eurl Max Sutter et la société Swiss Life pour être indemnisée de son préjudice ;

- que cette procédure à laquelle la selarl Actis, liquidateur judiciaire et lui-même étaient intervenus volontairement avait été jointe à celle engagée par la société Le Finistère Assurance, assureur de la sci Le Central propriétaire d'un immeuble voisin de celui incendié ;

- par jugement du 7 mars 2022, le tribunal judiciaire de Poitiers avait sursis à statuer sur l'ensemble des demandes formées jusqu'au prononcé de l'arrêt à intervenir dans la présente instance.

Il a soutenu qu'il avait intérêt et qualité à intervenir devant la cour, que le préjudice subi était imputable à la société Max Sutter et que celle-ci et son assureur devaient l'en indemniser.

Par messages électroniques des 11 et 14 mars 2022, les conseils des intimés ont conclu au rejet de cette intervention volontaire et des écritures et pièces de l'intervenant.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A - SUR L'INTERVENTION VOLONTAIRE

L'article 327 du même code dispose que : 'L'intervention en première instance ou en cause d'appel est volontaire ou forcée'.

L'article 802 auquel renvoie l'article 907 du même code dispose que : 'Après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office'. L'article 803 du même code précise que 'l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue', que 'la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation' et que 'l'ordonnance de clôture peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal'.

L'ordonnance de clôture est du 14 février 2012. Les conclusions d'intervention volontaire ont été notifiées le 10 mars, l'audience de plaidoirie étant le 14 mars suivant.

1 - sur l'intervention de la société Adi

L'article L 641-9 du code de commerce dispose notamment que :

'Le jugement qui ouvre ou prononce la liquidation judiciaire emporte de plein droit, à partir de sa date, dessaisissement pour le débiteur de l'administration et de la disposition de ses biens même de ceux qu'il a acquis à quelque titre que ce soit tant que la liquidation judiciaire n'est pas clôturée. Les droits et actions du débiteur concernant son patrimoine sont exercés pendant toute la durée de la liquidation judiciaire par le liquidateur.

Toutefois, le débiteur peut se constituer partie civile dans le but d'établir la culpabilité de l'auteur d'un crime ou d'un délit dont il serait victime.

Le débiteur accomplit également les actes et exerce les droits et actions qui ne sont pas compris dans la mission du liquidateur ou de l'administrateur lorsqu'il en a été désigné'.

[R] [C] a indiqué intervenir à l'instance en sa qualité de gérant de la société Adi à l'égard de laquelle le tribunal de commerce de Poitiers a ouvert par jugement du 22 octobre 2019 une procédure de liquidation judiciaire. Son intervention en cette qualité est par application des dispositions précitées irrecevable pour défaut de qualité à agir.

2 - sur l'intervention d'[R] [C] en son nom personnel

La société Adi a assigné la société Max Sutter et son assureur devant le tribunal de grande instance de Poitiers par acte du 26 septembre 2016. [R] [C] est intervenu volontairement à l'instance par conclusions en date du 7 octobre 2020. Les dernières écritures de la société Swiss Life et de la société Max Sutter devant le tribunal judiciaire ont été signifiées le 27 septembre 2021. Elles ont demandé de surseoir à statuer jusqu'à décision de la cour dans la présente instance. Il s'en déduit qu'[R] [C] avait au moins depuis le 21 septembre 2021 connaissance de la présente procédure. Il a ainsi bénéficié du temps nécessaire pour intervenir devant la cour, du 21 septembre 2021 au 14 février 2022. Il n'existe dès lors aucun motif grave au sens des dispositions précitées de révocation de l'ordonnance de clôture.

Cette intervention constitue au surplus un détournement de procédure, ayant vocation à s'affranchir de la décision de sursis à statuer du tribunal judiciaire de Poitiers ayant fait suite à une procédure initiée par la société Adi et à laquelle s'était joint [R] [C].

Les conclusions d'intervention volontaire et par voie de conséquence l'intervention volontaire sont dès lors irrecevables.

B - SUR L'INCENDIE

1 - circonstances de l'incendie

L'expert judiciaire a indiqué en pages 8 et de son rapport que :

'Afin de rationaliser cette alimentation et, en particulier, de séparer l'alimentation de la partie activité commerciale du rez-de-chaussée, de la partie logement en étage, monsieur [F] [K] avait passé commande à la S.A. ERDF de travaux de modification du raccordement au réseau en ce sens.

[...]

L'intervention de la Ste INEO Réseaux Centre Ouest s'est effectivement déroulée le vendredi 22 mars 2013.

[...]

Dans un souci de réduction du temps d'interruption de son activité commerciale, monsieur [F] [K] avait choisi de faire réaliser le travail de connexion à la distribution privative dans le même temps. Pour ce travail, il s'était adressé à la Sté Max SUTTER de Châtellerault.

Cette Société est donc intervenue au cours de la matinée du 22 mars 2013 et a commencé son travail de préparation parallèlement à l'intervention de la Sté INEO Réseaux Centre Ouest.

[...]

Au cours de la réunion, monsieur SUTTER, Gérant de la Société, a décrit cette intervention.

Le travail avait porté pour l'essentiel :

- sur la pose d'un tableau de répartition divisionnaire neuf en aval du tableau de comptage conservé à l'étage du n°34,

- sur la préparation des connexions au niveau du tableau de comptage qui venait d'être posé au rez-de-chaussée,

[...]

Mais, la prestation n'étant pas achevée à l'approche de la pose du milieu de journée, monsieur [F] [K] a fait remarquer qu'il serait souhaitable que le courant électrique soit rétabli pendant cette pause afin de ne pas trop prolonger la rupture d'alimentation de ses appareils de réfrigération...

L'Intervenant de la Sté Max SUTTER a alors décidé de connecter provisoirement le tableau de répartition divisionnaire de la réserve (dans l'immeuble n°36), sur lequel étaient branchés ces appareils, à une prise de courant murale située dans la partie préparation-vente (dans l'immeuble n°34) et alimentée à partir du tableau de comptage conservé dans cet immeuble, par l'intermédiaire du tableau de répartition principal qui venait d'être posé. Et cette liaison provisoire a été réalisée à l'aide d'une rallonge de 25 m de long, sur dévidoir type Touret, couramment utilisée sur les chantiers.

[...]

La mise en place de la rallonge avec, en particulier, un raccordement au câble existant alimentant le tableau de répartition divisionnaire de la réserve, par l'intermédiaire de dominos, a été effectuée vers midi ou peu avant midi, et immédiatement suivie du rétablissement du courant électrique par branchement de la rallonge à la prise murale au rez-de-chaussée du n° 34".

Il est indiqué en page 10 du rapport que les services d'incendie et de secours ont été alertés par un passant à 12 h 25 min 49 s et en page 24 que ceux-ci étaient sur pace à 12 h 32 min 22 s.

En page 31 de son rapport, l'expert judiciaire a exclu l'hypothèse d'un feu d'origine volontaire.

En page 35, il a indiqué que : 'La localisation plus précise de la zone de départ de feu, qui a pu être argumentée, désigne le stockage des cartons à pizza prêts à l'emploi comme foyer primaire de l'incendie'.

En page 37, il a précisé que : 'Ce développement numérique avait pour seule ambition de montrer que, même en utilisant une valeur de coefficient de croissance de feu ' caractérisant les feux les plus lents rencontrés, on arrive à un délai s'inscrivant dans l'intervalle : heure de départ du personnel de la Sté Max SUTTER et de monsieur [F] [K], soit 12h, et la découverte du feu par monsieur [Y] [K], soit 12h15-12h20".

2 - causes de l'incendie

En page 38 de son rapport, l'expert judiciaire a indiqué que :

'A proximité de l'empilement de cartons à pizza prêts à l'emploi identifié comme foyer primaire, il n'y avait qu'une seule source d'énergie: la rallonge mise en place par la Sté Max SUTTER, dans sa portion déroulée sur le sol.

Lorsque le courant électrique a été rétabli, les appareils réfrigérants qui s'étaient trouvés à l'arrêt depuis le début de la matinée, se sont tous les trois remis en marche en même temps'.

Il a précisé que les réfrigérateurs et congélateur avaient une puissance de 1600 W.

A la question : 'Mais quel était le positionnement de la rallonge par rapport à l'emplacement des cartons '', il a répondu que : 'Il n'a pas été possible de la repérer avec précision'. Il a précisé en page 39 que : 'On peut en conclure que cette portion dégradée (de la rallonge) pouvait bien se trouver en contact de la base de l'empilement de cartons, du côté ouverture dans la cloison'.

Sur la cause de départ du feu, il a indiqué que : 'Compte tenu de l'état de dégradation de la portion endommagée, on ne peut envisager que deux possibilités :

- du fait de ruptures de brins en nombre, une diminution de section de conducteur ayant pu conduire à un fort échauffement local entraînant la dégradation puis la mise à feu du gainage,

- une déviation de courant apparue entre deux brins à potentiel différent'.

La partie de rallonge a proximité du départ de feu a été soumise pour étude au département physique des matériaux de l'Institut P' de l'Ensma. Cet institut a conclu en page 11 de son rapport annexé à celui de l'expert que :

'Il apparaît que les câbles de cette rallonge présentaient, au moins à un endroit, une réduction de section efficace générée par la rupture de plusieurs brins des câbles électriques torsadés. La comparaison entre les faciès de rupture des 6 brins observés et de ceux de 2 brins rompus en traction montrent que les phénomènes de rupture sont très différents. L'observation de la surface des brins à proximité des zones de rupture ne révèle pas de blessures ou d'entailles supplémentaires'.

L'expert judiciaire a conclu en ces termes son rapport en pages 51 et 52:

'Concernant la zone origine de l'éclosion du feu, celle-ci a pu être déterminée avec certitude par convergence

o De l'analyse des traces laissées par le feu,

o De développements s'appuyant sur les aspects fondamentaux de la physique du feu (positionnement et évaluation des charges calorifiques, dynamique de la propagation des fumées),

o Des témoignages recueillis (Sachants, Opérationnel).

Le foyer primaire a alors été identifié comme étant un stockage de cartons à pizza prêts à l'emploi, disposé dans un coin de la partie avant de la pièce réserve de l'immeuble n°36.

La mise à feu du stockage, donc la cause du sinistre, a été recherchée à partir d'un éventuel acte volontaire et à partir des sources d'énergie présentes à proximité.

o Des prélèvements d'échantillons ont été effectués aux fins d'analyse. Les résultats, négatifs, ont permis d'écarter cette piste de l'incendie volontaire

o A proximité des empilements de cartons à pizzas venait d'être déroulée une rallonge électrique permettant d'alimenter à nouveau en courant des appareils de réfrigération de la pizzeria, alimentation interrompue pour la nécessité de travaux. Cette rallonge, constituée de conducteurs en cuivre multibrins, ayant pu être dégagée des gravats, a révélé des traces de détérioration dont l'examen a conduit à mettre en évidence des blessures d'origine mécanique (donc présence de brins rompus avec perte de protection).

Ce constat nous a alors conduit à suspecter la possible survenance d'une déviation de courant entre brins à potentiels différents, se traduisant classiquement par un grésillement, non détectable par les sécurités de l'installation, mais conduisant à un échauffement local induisant une combustion lente puis une combustion vive au sein des charges combustibles présentes et au contact.

Afin de conforter cette hypothèse, des analyses techniques ont été effectuées par deux Laboratoires spécialisés:

- Tests de traction sur brins qui ont confirmé l'existence de lésions mécaniques type coupure,

- Des examens en microscopie électronique. Ces derniers n'ont pas révélé de traces de défauts électriques (causés par le grésillement) en surface des portions de brins examinées.

- Toutefois, compte tenu du fait, souligné par le Laboratoire:

- que ces traces d'impact sont souvent difficiles à déceler, même à l'aide de la technique microscopie électronique utilisée ici, et qu'elles peuvent même être non décelables,

- que les zones de dégradation n'ont pu, matériellement, être explorées dans leur totalité,

Compte tenu, par ailleurs, du fait que la zone de départ de feu a pu être identifiée de manière certaine (voir plus haut) et, qu'à proximité de celle-ci, il n'y avait que cette rallonge comme source d'énergie,

Compte tenu, enfin, du fait que tous les indices objectifs recensés sont concordants, l'explication déviation du courant est retenue comme tout à fait plausible comme cause de départ de feu, même si le court-circuit auquel cette déviation a, par la suite, nécessairement conduit, n'a pu être mis en évidence à partir de traces décelées'.

Il résulte de ces développement que :

- le point de départ de l'incendie était le lieu de stockage des cartons à pizzas ;

- le feu n'est pas d'origine volontaire ;

- l'incendie est concomitant à la remise en service de l'alimentation électrique ;

- la seule source d'énergie à proximité de ces cartons était la rallonge électrique utilisée par la société Max Sutter ;

- les brins de cette rallonge étaient à hauteur de la réserve de cartons détériorés.

L'expertise très complète réalisée ne permet toutefois pas de déterminer si cette détérioration qui pourrait être à l'origine de l'incendie était antérieure à celui-ci ou lui a été postérieure.

La déviation de courant apparue entre deux brins à potentiel différent qui pourrait également être à l'origine de l'incendie n'est pas établie.

Il en résulte une incertitude sur le rôle causal de la rallonge ne permettant pas de retenir la responsabilité de la société Max Sutter dans la survenance du sinistre.

Le jugement sera pour ces motifs confirmé en ce qu'il a rejeté les demandes de [F] [K] et de la société Aréas Dommages.

C - SUR LES DEMANDES PRÉSENTÉES SUR LE FONDEMENT DE L'ARTICLE 700 DU CODE DE PROCÉDURE CIVILE

Le premier juge a équitablement apprécié n'y avoir lieu de faire application de ces dispositions.

Les circonstances de l'espèce ne justifient pas de faire droit aux demandes présentées sur ce fondement en cause d'appel.

D - SUR LES DÉPENS

La charge des dépens d'appel incombe à [F] [K] et la société Aréas Dommages.

PAR CES MOTIFS,

statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,

REJETTE la demande d'[R] [C] de révocation de l'ordonnance de clôture ;

DECLARE irrecevables sauf en ce qu'elles sollicitent la révocation de l'ordonnance de clôture les conclusions d'[R] [C] notifiées par voie électronique le 10 mars 2022 et les pièces produites à l'appui de ces écritures ;

DECLARE irrecevable en son intervention volontaire [R] [C] pris en sa qualité de gérant de la société Adi en liquidation judiciaire ;

DECLARE [R] [C] agissant en son nom personnel irrecevable en son intervention volontaire ;

CONFIRME le jugement du 5 octobre 2020 du tribunal judiciaire de Poitiers;

REJETTE les demandes présentées en cause d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ;

CONDAMNE [F] [K] et la société Aréas Dommages aux dépens d'appel.

LE GREFFIER, LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : 1ère chambre
Numéro d'arrêt : 20/02319
Date de la décision : 17/05/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-05-17;20.02319 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award