COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRÊT DU 02 MARS 2016
ARRET No 205
R. G : 15/ 03249
X...
C/
SARL CPM FRANCE
Numéro d'inscription au répertoire général : 15/ 03249
Décision déférée à la Cour : Jugement au fond du 02 juillet 2015 rendu par le Conseil de Prud'hommes de LA ROCHELLE.
APPELANTE :
Madame Monique X... née le 29 Août 1951 à CHATELAILLON (17340) de nationalité Française Profession : Retraitée
17340 CHATELAILLON PLAGE
Représentée par Me Jean-Michel BALLOTEAU, avocat au barreau de LA ROCHELLE
INTIMEE :
SARL CPM FRANCE No SIRET : 315 666 958 14 boulevard des Frères Voisin 92130 ISSY LES MOULINEAUX
Représentée par Me Florence ACHACHE, substituée par Me Pascale LOUVIGNE, avocates au barreau de PARIS
COMPOSITION DE LA COUR :
En application des dispositions de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile, l'affaire a été débattue le 18 Janvier 2016, en audience publique, devant
Madame Catherine KAMIANECKI, Conseiller.
Ce magistrat a rendu compte des plaidoiries dans le délibéré de la Cour composée de :
Monsieur Eric VEYSSIERE, Président Madame Catherine KAMIANECKI, Conseiller Monsieur Jean-Paul FUNCK-BRENTANO, Conseiller
GREFFIER, lors des débats : Madame Christine PERNEY
ARRÊT :
- CONTRADICTOIRE
-Prononcé publiquement par mise à disposition au greffe de la Cour, les parties ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile,
- Signé par Monsieur Eric VEYSSIERE, Président, et par Madame Christine PERNEY, Greffier auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
EXPOSE DU LITIGE
Mme X... a été engagée par la société Az promotion, aux droits de laquelle vient la société Cpm France en qualité d'animateur/ promoteur aux termes d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel du 11 mai 1995. La société Az pomotion, comme la société Cpm France est un prestataire de services assurant la promotion de produits de grande consommation auprès du public pour le compte de ses clients, fabricants ou producteurs. Le contrat de travail relevait de la convention collective de la publicité, puis, à compter du 1er mai 2003, de la convention collective des prestataires de services. Mme X... née en 1951 a fait valoir ses droits à la retraite en janvier 2012.
Mme X... n'a plus exécuté de missions pour la société Cpm France depuis mars 2002, a sollicité des missions en décembre 2011 et a refusé celles proposées à partir de janvier 2012.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 avril 2012 Mme X... a pris acte de la rupture du contrat de travail et a annoncé saisir le conseil de prud'hommes pour faire reconnaître ses droits.
Le 24 octobre 2014 Mme X... a saisi le conseil de prud'hommes de La Rochelle pour faire produire à la prise d'acte les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse avec toutes conséquences de droit sur son indemnisation et le paiement d'un rappel de salaire.
Par jugement du 2 juillet 2015, le conseil de prud'hommes de La Rochelle, après avoir retenu dans les motifs que l'action de Mme X... relative à la prise d'acte était prescrite, a notamment débouté Mme X... de l'ensemble de ses prétentions, a débouté la société Cpm France de sa demande au titre des frais irrépétibles et a condamné Mme X... aux dépens.
Vu l'appel régulièrement interjeté par Mme X....
Vu les conclusions déposées le 26 octobre 2015 et développées oralement à l'audience de plaidoiries par lesquelles l'appelante demande notamment à la cour d'infirmer la décision déférée et de : * dire que la rupture du contrat de travail s'analyse comme un licenciement sans cause réelle et sérieuse, * condamner la société Cpm France à lui payer les sommes de :-34 027 euros au titre du rappel de salaire (brut), outre les congés payés y afférents 3 402, 70 euros (brut),-1 134 euros au titre de l'indemnité de préavis (brut) outre les congés payés y afférents 113, 40 euros (brut),-6 804 euros au titre de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,-2 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, * ordonner à la société Cpm France de lui remettre ses bulletins de salaire, son certificat de travail et l'attestation Pôle emploi rectifiés et sous astreinte.
Vu les conclusions déposées le 16 décembre 2015 et développées oralement à l'audience de plaidoiries par lesquelles la société Cpm France sollicite notamment la confirmation de la décision déférée, la cour devant dire la demande de rappel de salaire prescrite, ou subsidiairement infondée, dire que la prise d'acte s'analyse comme une démission et ainsi débouter Mme X... de l'ensemble de ses demandes, ou subsidiairement en limiter le quantum et en tout état de cause condamner Mme X... à lui payer une somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, de moyens et de l'argumentation des parties, il est expressément renvoyé au jugement déféré et aux conclusions déposées et oralement reprises.
SUR CE
Sur la prescription
Mme X... a saisi le conseil de prud'hommes de La Rochelle le 24 octobre 2014, soit postérieurement à l'entrée en vigueur de la loi du 14 juin 2013, aux termes de laquelle, d'une part, en application de l'article L 1471-1 du contrat de travail, l'action portant sur l'exécution ou la rupture du contrat de travail, en l'espèce l'action concernant les effets de la prise d'acte, se prescrit par deux ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant d'exercer son droit, et, d'autre part, en application de l'article L 3245-1 du code du travail, l'action en paiement ou répétition de salaire se prescrit par trois ans à compter du jour où celui qui l'exerce a connu ou aurait dû connaître les faits lui permettant de l'exercer.
Ainsi ces nouveaux délais de prescription sont applicables au litige, l'action ayant été introduite postérieurement au 16 juin 2013.
Mme X... souligne exactement, sans être contredite par la société Cpm France, que les dispositions transitoires énoncent que les nouveaux délais de prescription s'appliquent aux prescriptions en cours à compter du 16 juin 2013, date de promulgation de la loi du 14 juin 2013, sans que la durée totale de la prescription puisse excéder la durée prévue par la loi ancienne.
Mme X... a pris acte de la rupture du contrat de travail le 25 avril 2012, point de départ de la prescription relevant de l'article L 1471-1 du code du travail, la prescription de son action était en cours le 16 juin 2013, et compte tenu des dispositions transitoires, elle pouvait agir jusqu'au 16 juin 2015, ce qui rend son action recevable.
Mme X... revendique le paiement des salaires dans la limite de la prescription qu'elle fixe à tort à 5 ans au lieu de 3 ans, ce compte tenu des motifs précédents, qui permettent toutefois également de dire son action recevable, mais pour la période écoulée entre le 25 avril 2009 et le 25 avril 2012 seulement.
En conséquence la cour réformera la décision déférée en ce sens.
Sur la prise d'acte
La prise d'acte ne permet au salarié de rompre le contrat de travail aux torts de l'employeur qu'en cas de manquement suffisamment graves de l'employeur empêchant la poursuite du contrat de travail. Les griefs énoncés dans la lettre de prise d'acte ne sont pas limitatifs, le salarié pouvant se prévaloir d'autres manquements en cours de procédure et les soumettre à l'appréciation du juge.
Si les griefs invoqués contre l'employeur sont fondés la prise d'acte produit les effets d'un licenciement abusif, en cas contraire elle produit les effets d'une démission du salarié.
En l'espèce, Mme X... a pris acte de la rupture du contrat de travail par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 avril 2012 rédigée par son conseil, en reprochant à la société Cpm France de ne pas lui avoir proposé de mission " depuis de très nombreux mois ", ce qui caractérisait selon elle une rupture des engagements de l'employeur.
Elle reprend cette argumentation devant la cour en y ajoutant que le contrat de travail ne peut s'analyser comme un contrat de travail intermittent, qu'il doit ainsi être qualifié de contrat à durée indéterminée à temps partiel de droit commun, qu'il ne pouvait donc être suspendu par la société Cpm France, que celle ci s'est de surcroît dispensée de respecter les règles applicables, d'une part, au contrat de travail à temps partiel et ne lui a pas fourni un planning, un travail et une rémunération réguliers et, d'autre part au contrat à durée indéterminée et a brutalement rompu sans formalité les relations de travail en mars 2002.
La cour observe tout d'abord que, s'agissant d'un contrat à durée indéterminée, c'est la prise d'acte de Mme X... qui a rompu le contrat de travail le 25 avril 2012, la période écoulée entre mars 2002 et cette date permettant seulement d'apprécier les manquements allégués de l'employeur.
La société Cpm France résiste aux critiques de Mme X... en rappelant les évolutions législatives du contrat de travail intermittent, qu'elle considère avoir respectées, et en soulignant que Mme X..., dont le contrat de travail intermittent était suspendu depuis mars 2002, a refusé toutes les missions proposées en 2012.
Il est constant que les parties ont signé le 11 mai 1995 un contrat de travail qualifié de " contrat à durée indéterminée à temps partiel " pour les fonctions d'animateur/ promoteur, et énonçant expressément que " la salariée était libre d'accepter ou de refuser les affectations successives proposées par l'employeur, le contrat de travail étant suspendu pendant toute la période non travaillée ". Il a également été convenu qu'au titre de la première période d'emploi la salariée effectuerait 15, 6 heures par mois, à raison de 15, 6 heures par semaine, cette répartition horaire pouvant être modifiée.
Il est également admis que la relation de travail s'est déroulée sans difficulté jusqu'en mars 2002, date à laquelle Mme X... n'a plus accompli de mission, et que le 6 avril 2000 la société Cpm France a conclu un accord d'entreprise pour se conformer à la loi Aubry 2 du 19 janvier 2000, et notamment aux dispositions de l'article L 212-4-12 du code du travail.
En revanche, si la société Cpm France souligne tout d'abord que l'ordonnance du 11 août 1986 a inséré dans le code du travail une rubrique " travail à temps intermittent ", avant d'être abrogée par la loi quinquennale pour l'emploi en date du 20 décembre 1993 prévoyant la mise en place de contrats de travail à temps partiel annualisés et si elle en déduit ensuite que le contrat de travail de Mme X... est intervenu " dans un contexte législatif mouvant ", elle omet qu'en 1995 elle devait se soumettre au régime applicable au contrat de travail intermittent et ne s'explique pas sur le temps de travail mensuel ou hebdomadaire énoncé dans le contrat de travail sans aucune référence à un temps partiel annualisé.
De même l'article L 212-4-13 du code du travail dans sa rédaction issue de la loi du 19 janvier 2000 énonce que le contrat de travail intermittent doit notamment mentionner la durée annuelle minimale de travail du salarié, obligation reprise dans l'article L 3123-35 du code du travail désormais applicable.
Or la société Cpm France ne justifie par avoir régularisé en ce sens le contrat de travail de Mme X..., seule une durée de travail hebdomadaire y étant et restant prévue, ce qui ne permet pas de qualifier le contrat de travail de contrat de travail intermittent, contrat à durée indéterminée à temps partiel dérogatoire au droit commun et autorisant ainsi une suspension du contrat de travail durant les périodes non travaillées.
Toutefois s'il en résulte que la société Cpm France ne peut juridiquement arguer de la suspension du contrat de travail depuis mars 2002, il est également établi que Mme X... n'a accompli aucune animation depuis cette date, qu'aucune sanction n'a été prononcée par l'employeur pour absence injustifiée, que Mme X... n'a pas cherché à reprendre son emploi et n'a jamais exprimé de réclamation entre mars 2002 et le 5 décembre 2011, date à laquelle elle a demandé expressément à travailler 15, 60 heures par mois à raison de 15, 60 heures par semaine, demande réitérée le 23 décembre 2011.
Il se déduit de cette chronologie qu'entre mars 2002 et décembre 2011 les parties ont, de fait, renoncé l'une et l'autre à l'exécution du contrat de travail, manifestement en raison de la suspension du contrat de travail expressément et contractuellement prévue le 11 mai 1995, la régularité du contrat de travail n'étant alors pas remise en cause, ce qui exclut toute mauvaise foi de l'employeur dans son exécution.
La société Cpm France justifie avoir adressé à Mme X... plusieurs propositions de missions, le 18 janvier 2012, lettre recommandée avec accusé de réception non réclamée, le 12 mars 2012, lettre recommandée avec accusé de réception délivrée le 14 mars 2012 mais laissée sans réponse, la lettre recommandée avec accusé de réception du 23 mars 2012 y faisant suite étant refusée par son destinataire, le 5 avril 2012, mission refusée et le 26 avril 2012, mission refusée.
Ainsi Mme X... ne pouvait prendre acte de la rupture du contrat de travail le 25 avril 2012 en reprochant à la société Cpm France de ne pas lui avoir proposé de missions " depuis de très nombreux mois ", cette expression étant sans rapport avec le délai écoulé depuis mars 2002, les motifs précédents ayant déjà exclu la mauvaise foi de l'employeur et les propositions de missions formulées depuis janvier 2012 excluant la réalité du manquement allégué.
Au contraire la société Cpm France a, dès les demandes des Mme X... de décembre 2011, réagi en proposant des missions conformes aux fonctions de la salariée.
Il se déduit également du propre comportement de Mme X... qu'elle s'est affranchie des obligations d'un salarié soumis à un contrat à durée indéterminée à temps partiel de droit commun, tel qu'elle le revendique, puisqu'elle n'a pas cherché à reprendre son emploi entre mars 2002 et décembre 2011 et a ensuite estimé pouvoir refuser des missions demandées par son employeur.
En conséquence de ces comportements de l'employeur et de la salariée, la prise d'acte de Mme X... est mal fondée et produit les effets d'une démission.
En conséquence Mme X... sera déboutée de ses demandes au titre de l'indemnité compensatrice de préavis outre les congés payés y afférents et de à titre de dommages et intérêts pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Sur le rappel de salaire
Mme X... sollicite un rappel de salaire sur 5 ans, que les motifs développés au titre de la prescription ont limité à 3 ans, sur la base d'un contrat à durée indéterminée à temps partiel de 15, 6 heures par mois rémunérées 9 euros de l'heure.
Elle forme cette demande au titre des conséquences de la prise d'acte, analyse de la rupture du contrat de travail dont elle a été déboutée en l'absence de manquement imputable à la société Cpm France.
En tout état de cause, les motifs précédents ont déjà discuté de la commune appréciation des parties sur la suspension du contrat de travail entre mars 2002 et décembre 2011 et il est constant que Mme X... n'a accompli aucune mission depuis mars 2002 avant de refuser toutes les missions proposées depuis janvier 2012.
En conséquence Mme X... ne peut revendiquer le paiement de la contrepartie du travail qu'elle a, en toute connaissance de cause et volontairement, refusé de fournir.
En conséquence la cour confirmera la décision déférée de ce chef, par substitution de motifs.
Sur les dépens et les frais irrépétibles
Mme X... qui succombe sera condamnée aux entiers dépens.
Nonobstant l'issue de l'appel, l'équité et les circonstances économiques commandent de ne pas faire droit à l'indemnité prévue par l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
LA COUR
Réforme la décision déférée en ce qu'elle a dit prescrite l'action de Mme X... relative à la prise d'acte et statuant à nouveau de ce chef :
Dit l'action de Mme X... relative à la prescription non prescrite et recevable ;
Confirme pour le surplus la décision déférée ;
Y ajoutant :
Déboute les parties du surplus de leurs prétentions ;
Condamne Mme X... aux dépens d'appel.