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29/04/2008 | FRANCE | N°238

France | France, Cour d'appel de Poitiers, Ct0268, 29 avril 2008, 238


JYF / CP

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRET DU 29 AVRIL 2008

ARRET N 238

AFFAIRE N : 06 / 01379

AFFAIRE : Madeleine NESSIM C / S. A. S. ARTUS INTERIM

APPELANTE :

Madame Madeleine Y...
...
...
37205 TOURS CEDEX 03

Représentée par Me Philippe GAND (avocat au barreau de POITIERS)

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2006 / 004395 du 21 / 11 / 2006 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de POITIERS)

Suivant déclaration d'appel du 22 mai 2006 d'un jugement

au fond du 21 avril 2006 rendu par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE POITIERS.

INTIMÉE :

S. A. S. ARTUS INTERIM
56 avenue Marcel...

JYF / CP

COUR D'APPEL DE POITIERS

Chambre Sociale

ARRET DU 29 AVRIL 2008

ARRET N 238

AFFAIRE N : 06 / 01379

AFFAIRE : Madeleine NESSIM C / S. A. S. ARTUS INTERIM

APPELANTE :

Madame Madeleine Y...
...
...
37205 TOURS CEDEX 03

Représentée par Me Philippe GAND (avocat au barreau de POITIERS)

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2006 / 004395 du 21 / 11 / 2006 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de POITIERS)

Suivant déclaration d'appel du 22 mai 2006 d'un jugement au fond du 21 avril 2006 rendu par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE POITIERS.

INTIMÉE :

S. A. S. ARTUS INTERIM
56 avenue Marcel Dassault
Business pôle 2 " 2 lions " BP 500
37205 TOURS CEDEX 03

Représenté par Me Vincent COTTEREAU (avocat au barreau de TOURS)

COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :

Président : Yves DUBOIS, Président
Conseiller : Isabelle GRANDBARBE, Conseiller
Conseiller : Jean Yves FROUIN, Conseiller
Greffier : Annie FOUR, Greffier, uniquement présent aux débats,

DÉBATS :

A l'audience publique du 19 mars 2008,

Les conseils des parties ont été entendus en leurs explications, conclusions et plaidoiries.

L'affaire a été mise en délibéré et les parties avisées de la mise à disposition de l'arrêt au Greffe le 29 avril 2008.

Ce jour a été rendu contradictoirement et en dernier ressort, l'arrêt suivant :

ARRÊT :
EXPOSÉ DU LITIGE

Mme Y..., engagée le 2 mai 2002 en qualité de secrétaire d'agence par la société Artus Interim Poitiers, a été licenciée pour motif économique, le 28 juillet 2005.

Par jugement en date du 21 avril 2006, le conseil de prud'hommes de Poitiers a dit que le licenciement reposait sur une cause économique réelle et sérieuse et a rejeté l'ensemble des demandes de la salariée.

Mme Y... a régulièrement interjeté appel du jugement dont elle sollicite l'infirmation. Elles soutient qu'elle a subi des agissements de harcèlement moral dont l'employeur avait connaissance, que son licenciement était dépourvu de cause réelle et sérieuse et elle conclut à la condamnation de la société Artus Interim à lui payer les sommes de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral, 15 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

La société Artus Interim conclut à la confirmation du jugement attaqué et à la condamnation de Mme Y... à lui payer les sommes de 2 000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.

MOTIFS DE L'ARRÊT

Sur le harcèlement moral

En vertu de l'article L. 122-49 du code du travail, aucun salarié ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel.

Par ailleurs, aux termes de l'article L. 122-52 du même code, en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 122-49, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement.

Il résulte de ces dernières dispositions qui dérogent aux règles ordinaires relatives à la charge de la preuve résultant de l'article 1315 du code civil, que ce qui est demandé au salarié en premier, ce n'est pas d'établir la preuve d'un harcèlement moral, sans quoi la dérogation légale serait dépourvue de sens, mais d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un tel harcèlement, c'est- à- dire qui rendent probable l'existence d'un tel harcèlement.

En l'espèce, Mme Y... produit à l'appui de sa demande :
- plusieurs courriers qu'elle a adressés à la direction de la société Artus Interim pour se plaindre des reproches incessants sur son travail agrémentés d'insultes de sa supérieure hiérarchique et responsable de l'agence de Poitiers, celle- ci la traitant notamment de " menteuse " (lettre du 27 octobre 2002), de " garce, mythomane, nulle et incompétente,... " (courrier du 15 avril 2004), ou lui faisant des griefs de toute nature sur sa vie professionnelle et sa vie privée (courrier du 13 février 2005),
- de courriers d'une entreprise cliente de l'agence (8 octobre 2004) et d'un travailleur intérimaire (28 juillet 2004) au directeur de la société Artus France pour stigmatiser le comportement de la responsable de l'agence d'Artus Interim Poitiers, le premier courrier faisant état de sa part d'une attitude inqualifiable, d'un comportement déplacé et vexatoire et d'insultes, critiquant ouvertement son assistante (Mme Y...) en la traitant de " bonne à rien, d'incapable ", le second courrier dénonçant le harcèlement téléphonique de la responsable d'agence à l'égard de l'intéressé, ses propos déplacés (" si tu ne viens pas au travail, je vais venir te chercher... ") et les menaces (" partout où tu iras, je te grillerai et tu ne trouveras plus d'emploi sur Poitiers "...),
- un compte rendu de visite de la direction de la société Artus Interim à l'agence de Poitiers destiné à faire précisément le point sur les agissements imputés par Mme Y... à sa responsable d'agence et qui énonce à mots couverts mais sans ambiguïté que " le poids du passé est quasi- omniprésent dans le discours de Mme C...(la responsable d'agence) ; les habitudes de travail, le jeu hiérarchique, les processus d'organisation restent inflexibles " avant de poursuivre : " pour réussir une fonction de responsable d'agence, il faut écouter et influencer, créer les bonnes conditions d'une relation hiérarchique ", le directeur ajoutant encore : " je rappelle que manager c'est agir et communiquer "...
- un certificat médical mentionnant que l'état de santé de Mme Nessim s'est dégradée depuis le courant de l'année 2004, le médecin précisant : " Mme Nessim me signale que ses problèmes de santé sont survenus en même temps que ses difficultés professionnelles ".

Il suit de la combinaison de ces éléments, que Mme Y... établit des faits permettant de présumer l'existence d'un harcèlement, au sens de l'article L. 122-52 du code du travail, les courriers de tiers et le compte rendu de visite venant corroborer les courriers de Mme Y....

De son côté, la société Artus Interim ne produit aucun élément, ni aucune pièce, se bornant à dénier le caractère probant des pièces produites par Mme Y..., alors même que le compte rendu de la visite que la direction de la société a effectué sur place établit qu'elle avait conscience et connaissance de la réalité des agissements imputés par Mme Y... à sa responsable d'agence.

Il est ainsi justifié au dossier que Mme Y... a subi des agissements de harcèlement moral dont la société Artus qui en avait connaissance et à qui il incombait de prendre les dispositions nécessaires pour y remédier et les prévenir pour l'avenir porte la responsabilité.

Il convient donc d'infirmer le jugement attaqué et de condamner la société à payer à Mme Nessim la somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts.

Sur le licenciement

La lettre de licenciement, qui fixe les termes et les limites du litige, énonce que le licenciement économique de Mme Y... a été prononcé en raison des difficultés économiques rencontrées par la société et ayant entraîné la fermeture de l'agence de Poitiers et partant la suppression de son poste de travail.

Il suit de ces motifs que la raison économique du licenciement invoquée par l'employeur n'est pas la cessation d'activité mais les difficultés économiques rencontrées par la société.

Cela étant, il est de règle que les difficultés économiques s'apprécient au niveau du groupe quand l'entreprise appartient à un groupe ou, à tout le moins, au niveau du secteur d'activité concerné si le groupe auquel appartient l'entreprise comporte plusieurs secteurs d'activité.

En l'espèce, il n'est pas discuté que la société Artus Interim Poitiers fait partie de la société Artus France dont l'activité est le travail intérimaire. Or, la société ne produit aux débats aucun élément ni document comptable concernant la société Artus France pour justifier de difficultés économiques rencontrées au niveau du groupe dont fait partie la société Artus Interim Poitiers en sorte que le motif économique allégué à l'appui du licenciement n'est pas caractérisé.

Surabondamment, en vertu de l'article L. 321-1 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel appartient l'entreprise, ne peut être réalisé.

Il résulte par ailleurs de la combinaison de ce texte avec l'article L. 120-4 du code du travail que l'obligation de reclassement qui découle de ce texte doit être exécutée de bonne foi par l'employeur.

Or, il ressort des pièces produites aux débats que, par lettre du 5 août 2005, soit huit jours seulement après la notification du licenciement, la société Artus Interim a proposé à Mme Y... un poste d'assistante à l'agence d'Orléans.

La société fait valoir qu'elle ne pouvait proposer plus tôt ce poste à Mme Nessim car elle n'était pas certaine de l'ouverture de l'agence d'Orléans.

Toutefois, il n'est pas sérieux de la part de la société Artus de prétendre qu'elle n'était pas sure, au jour du licenciement (le 28 juillet 2005) de l'ouverture d'une de ses agences à Orléans à compter du... 1er septembre 2005 et d'un poste à pourvoir au sein de cette agence à cette date.

Il apparaît en conséquence que la société Artus a manqué à son obligation de reclassement envers Mme Y... ou, ce qui revient au même, ne l'a pas exécutée de bonne foi.

Ainsi, à raison tant de l'absence de motif économique que du manquement de la société à son obligation de reclassement, le licenciement économique de Mme Y... n'est pas fondé.

Il importe donc d'infirmer le jugement attaqué et, au vu des pièces produites pour justifier du préjudice ayant résulté pour la salariée de la perte de son emploi de condamner la société Artus Interim à lui payer la somme de 12 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Sur la demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile

En application de ce texte, il convient de condamner la société Artus Interim, partie perdante et tenue aux dépens, à payer à Mme Y..., au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, tels les honoraires d'avocat, une somme qui sera déterminée dans le dispositif ci- après.

PAR CES MOTIFS,

LA COUR

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Poitiers en date du 21 avril 2006 et, statuant à nouveau,

Condamne la société Artus à payer à Mme Nessim la somme de 7 500 euros à titre de dommages et intérêts pour harcèlement moral,

Dit que le licenciement de Mme Y... est dépourvu de cause économique réelle et sérieuse,

Condamne la société Artus à payer à Mme Nessim la somme de 12 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société Artus à payer à Mme Nessim la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile,

Condamne la société Artus Interim aux dépens de première instance et d'appel.

Ainsi prononcé et signé par Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre, assisté de Madame Annie FOUR, Greffier.

Le Greffier, Le Président.


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Poitiers
Formation : Ct0268
Numéro d'arrêt : 238
Date de la décision : 29/04/2008

Analyses

CONTRAT DE TRAVAIL, EXECUTION - Harcèlement - Harcèlement moral - Preuve - Charge - / JDF

Aux termes de l'article L. 122-52 du code du travail, en cas de litige relatif à l'application de l'article L. 122-49 du même code, dès lors que le salarié concerné établit des faits qui permettent de présumer l'existence d'un harcèlement, il incombe à la partie défenderesse, au vu de ces éléments, de prouver que ces agissements ne sont pas constitutifs d'un tel harcèlement et que sa décision est justifiée par des éléments objectifs étrangers à tout harcèlement. Il résulte de ces dispositions qui dérogent aux règles ordinaires relatives à la charge de la preuve résultant de l'article 1315 du code civil, que ce qui est demandé au salarié en premier, ce n'est pas d'établir la preuve d'un harcèlement moral, sans quoi la dérogation légale serait dépourvue de sens, mais d'établir des faits permettant de présumer l'existence d'un tel harcèlement, c'est-à-dire qui rendent probable l'existence d'un tel harcèlement


Références :

Articles L. 122-52 et L. 122-49 du code du travail Article 1315 du code civil

Décision attaquée : Conseil de prud'hommes de Poitiers, 21 avril 2006


Origine de la décision
Date de l'import : 28/11/2023
Fonds documentaire ?: Legifrance
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel.poitiers;arret;2008-04-29;238 ?
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