IG/SD
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRET DU 12 JUIN 2007
ARRET N 393
AFFAIRE N : 05/03110
AFFAIRE : Marius X... C/ SAS DELSOL
APPELANT :
Monsieur Marius X...
...
01100 OYONNAX
Représenté par Maître Fabrice NICOLETTI (avocat au barreau de BOURG EN BRESSE)
Suivant déclaration d'appel du 13 octobre 2005 d'un jugement au fond du 03 octobre 2005 rendu par le Conseil de Prud'hommes de POITIERS.
INTIMÉE :
SAS DELSOL
...
86360 CHASSENEUIL DU POITOU
Représentée par Maître Jean Jacques PAGOT (avocat au barreau de POITIERS)
COMPOSITION DE LA COUR lors des débats et du délibéré :
Président : Yves DUBOIS, Président
Conseiller : Isabelle GRANDBARBE, Conseiller
Conseiller : Jean Yves FROUIN, Conseiller
Greffier : Eric PRÉVOST, Greffier, uniquement présent aux débats,
DÉBATS :
A l'audience publique du 09 mai 2007,
Les conseils des parties ont été entendus en leurs explications, conclusions et plaidoiries.
L'affaire a été mise en délibéré et les parties avisées de la mise à disposition de l'arrêt au Greffe le 12 juin 2007.
Ce jour a été rendu contradictoirement et en dernier ressort, l'arrêt suivant :
ARRÊT :
La société DELSOL SAS, dont le siège est situé à Chasseneuil du Poitou (86), a pour activité la fabrication des montures métalliques pour barrettes à cheveux et la commercialisation d'accessoires de coiffures et de mode ; elle a pour filiale la société Henri GUICHON SA, dont le siège est situé à Oyonnax (01) et qui a pour activité la fabrication de montures de barrettes à cheveux.
M X... a été engagé le 20 mars 1989 en qualité de directeur par la société GUICHON ; suivant un contrat du 21 janvier 2001, il a été mis à la disposition à temps partiel de la société DELSOL; le 1 avril 2003, il a signé avec chacune des sociétés un contrat de travail de directeur à temps partagé prévoyant une répartition du temps de travail de trois jours ouvrés par semaine au service de la société DELSOL et de deux jours au service de la société GUICHON et en qui concerne la société DELSOL, une reprise d'ancienneté au 1 juillet 1989.
En décembre 2003, le capital social des sociétés a été cédé au groupe FDG.
Le 27 août 2004, M X... a été licencié pour motif économique par la société GUICHON avec un préavis de 3 mois. Ce licenciement a été jugé comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse par arrêt de la cour d'appel de Lyon du 20 décembre 2006.
Le 9 septembre 2004, il a été convoqué à un entretien préalable par la société DELSOL en vue de son licenciement pour faute grave et mis à pied à titre conservatoire. Cette procédure a été abandonnée par l‘employeur, qui lui a notifié un blâme le 19 octobre 2004.
Le 19 novembre 2004, M X... a été convoqué à un entretien préalable et il a été licencié le 15 décembre 2004 pour faute grave.
Il a contesté la mesure devant la juridiction prud'homale et demandé le paiement de diverses sommes..
Par jugement du 3 octobre 2005, le Conseil des Prud'hommes de Poitiers, considérant que le licenciement était justifié par une faute grave, a débouté le salarié de ses demandes et l'a condamné aux dépens.
M X... a régulièrement interjeté appel de cette décision dont il sollicite l'infirmation; il prétend que son licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse et il sollicite les sommes suivantes:
- indemnité de préavis:
34 410 €
- congés payés correspondants:
3 441 €
- prorata du 13ème mois:
2 867 €
- indemnité conventionnelle de licenciement (Convention Collective Nationale des Ingénieurs et Cadres de la Métallurgie):
43 614 €
- dommages et intérêts:
111 832 €
- frais irrépétibles:
2 000 €.
La société DELSOL conclut à la confirmation du jugement entrepris et sollicite la somme de 5 000 € au titre des frais irrépétibles.
A l'audience, la Cour a invité les parties à présenter leurs observations sur l'éventuelle application d'office des dispositions de l'article L 122-14-4 du Code du Travail relatives au remboursement des indemnités de chômage; leurs conseils s'en sont rapporté à justice, n'étant pas contesté que l'entreprise employait habituellement plus de dix salariés à l'époque de la rupture;
MOTIFS DE LA DÉCISION:
Vu les conclusions des parties développées oralement à l'audience de plaidoirie et reçues au greffe le 12 mars 2007 pour l'appelant et le 30 avril 2007 pour l'intimée;
La lettre de rupture énonce que M X... n'a pas respecté sa mission de directeur d'établissement en charge des opérations industrielles malgré différentes relances et mises en demeure et lui fait les reproches suivants:
- " défaut de présence professionnelle responsable entraînant une désorganisation de l'entreprise, ceci doublé d'une attitude rétive et conflictuelle", grief illustré par deux exemples:
- le 16 novembre 2004, l'arrivée de M X... à 11H20 seulement à une réunion de coordination grandes et moyennes surfaces débutant à 9 H de sorte que des dossiers n'ont pas pu être traités en raison de son absence,
- le 28 octobre 2004, son départ à 15H20 d'une réunion sur la préparation d'un plan social dans l'entreprise,
- "opposition forte et systématique à l'avancement des dossiers", grief illustré par deux exemples:
- le ralentissement du dossier du traitement de surface de la chaîne bronze,
- le refus de signer les commandes de service nécessaires pour l'avancement du déménagement de l'atelier plastique.
Le salarié, qui précise qu'il n'a pas été à ce jour remplacé dans son poste, conteste fermement les faits qui lui sont reprochés et soutient que la nouvelle direction de la société DELSOL n'a eu de cesse de le faire partir à moindre coût, lui faisant savoir dès le 22 avril 2004 que son licenciement serait onéreux compte tenu des dispositions conventionnelles et contractuelles ainsi que du paiement de la contribution "Delalande" (qu'il chiffre à 74 556 € ), qu'elle a proposé une rupture pour faute grave avec négociation d'une indemnité transactionnelle d'un montant inférieur à ses droits, ce qu'il a refusé le 6 mai 2004 après un entretien du 28 avril précédent, qu'ensuite, la direction commune des deux sociétés DELSOL et GUICHON a tenté de le faire fléchir, qu'il a été licencié pour motif économique de la société GUICHON , laquelle ne connaissait pas de difficultés économiques, avec une proposition fallacieuse de reclassement dans un poste à plein temps de directeur de la société DELSOL, que la société DELSOL a cessé de lui régler ses frais de déplacement entre Oyonnax, siège de la société GUICHON et lieu de son domicile, et Chasseneuil du Poitou, qu'elle a mis en oeuvre une première procédure de licenciement pour faute grave avec mise à pied, qu'elle lui a retiré ses moyens de paiement, son véhicule, son ordinateur. Il prétend qu'il a fait son travail avec sérieux malgré les pressions auxquelles il était soumis, malgré des ennuis de santé survenus courant juin et juillet 2004 et malgré des demandes injustifiées de l'employeur à cette même période. En ce qui concerne les griefs, il donne les raisons de ses absences partielles aux deux réunions visées dans la lettre de rupture et soutient que les deux autres reproches ne sont pas fondés.
La société DELSOL rétorque que M X... a vu son poste de directeur sauvegardé malgré les importantes difficultés économiques rencontrées par les deux sociétés, dont l'effectif, entre 1989 et 2004, est passé de 49 à 14 pour la société GUICHON et de 264 à 105 pour la société DELSOL; qu'il a ainsi, courant 2000, été mis à disposition de la société DELSOL puis qu'il a signé avec chaque entité un contrat de travail à temps partagé de directeur avec une reprise de son ancienneté par la société DELSOL, qu'il a refusé de devenir directeur à temps plein de la société DELSOL selon l'offre qui lui a été faite le 25 juin 2004 dans le cadre de son licenciement économique par la société GUICHON, qui n'avait plus besoin d'un poste de directeur alors que la société DELSOL avait besoin d'un directeur à temps plein; qu'il a refusé également un poste de reclassement de commercial tout en conservant son emploi à la société DELSOL et qu'en demeurant directeur à temps partiel au service de la société DELSOL, il s'est employé à rendre impossible le maintien de son contrat de travail, qu'il ne souhaitait manifestement pas conserver son emploi à Chasseneuil du Poitou du fait de sa résidence à Oyonnax et du fait que, par ailleurs, par l'effet du maintien de son temps partiel, sa rupture de contrat avec la société GUICHON ne lui ouvrait pas droit aux indemnités de chômage. La société DELSOL prétend que M X... a failli dans ses missions, que dès le mois d'avril 2004, il lui a été demandé un plan de redressement de l'usine de Chasseneuil du Poitou et un engagement à temps plein dans la direction de la société DELSOL, qu'il a été absent en juin 2004 à l'inventaire avec des raisons peu convaincantes, qu'il a refusé d'être présent à une réunion d'août 2004, qu'il a fait connaître sa volonté de rompre le contrat de travail par l'intermédiaire de son avocat en septembre 2004, qu'il a provoqué par son comportement la première procédure de licenciement pour faute grave, qu'il a renouvelé son attitude justifiant son licenciement ultérieur, qu'il a fait des procès d'intention à son employeur sur le remboursement de ses frais, sur son véhicule ou son ordinateur, qu'il a bien délibérément manqué les deux réunions évoquées dans la lettre de rupture et retardé les projets invoqués dont il avait la maîtrise complète.
Pour dire le licenciement fondé sur une faute grave, le premier juge a retenu les griefs relatifs à ses absences partielles aux deux réunions des 28 octobre et 16 novembre 2004 au motif que la présence du salarié y étaient nécessaires et que ce dernier se bornait à expliquer son comportement par l'habitude contractée depuis trois ans de travailler à Chasseneuil du Poitou le mardi en arrivant d'Oyonnax par le train de 11 H et en repartant le jeudi par le train de 15H, alors que la répartition de ses jours de travail au profit de la société DELSOL pouvait, selon son contrat de travail, être modifiée à sa convenance comme à celle de la direction.
Toutefois, le premier juge, d'une part, a totalement occulté le contexte du litige et, d'autre part, n'a pas recherché si la présence de M X... était vraiment indispensable pendant toute la durée des réunions en cause et si, comme il le soutient, les horaires avaient été fixés en dernière minute et de façon maligne par l'employeur à des horaires inhabituels.
Force est de constater sur le premier point, que la version des faits de M X... est corroborée par différents éléments, notamment les suivants:
- le poste de M X... n'est pas à ce jour pourvu, il a été procédé par l'employeur à neuf licenciements économiques concomitamment à celui du salarié; la société DELSOL ne fournit pas à la Cour le registre du personnel pour le démentir; elle se contente de produire une offre d'emploi ancienne pour un poste de directeur, qu'elle a fait paraître dans un journal en mars 2005,
- pour autant, elle base toute son argumentation sur la nécessité d'employer un directeur à plein temps pour la société DELSOL, poste que M X... aurait refusé, ce qu'elle désigne comme étant à l'origine de la rupture du contrat de travail,
- des échanges de courriels datant d'avril et début mai 2004 démontrent qu'un entretien a bien eu lieu le 28 avril 2004 entre M X..., M DE Y..., PDG, et M Z..., directeur général des deux sociétés, au sujet de la rupture de ses contrats de travail, sans qu'un accord n'aboutisse,
- il résulte des multiples lettres et courriels versés aux débats que les relations entre les parties sont devenues exécrables au fil des mois, avec des conflits sur les remboursements des frais professionnels, les dates et heures de réunions y compris à un moment où le salarié a été hospitalisé, l'avancement des dossiers,
- le 27 août 2004, M X... a fait l'objet d'un licenciement économique de la part de la société GUICHON, qui a été jugé définitivement comme étant dépourvu de cause réelle et sérieuse,
- il a fait l'objet de la part de la société DELSOL d'une première tentative de licenciement pour faute grave avec mise à pied conservatoire du 9 septembre 2004 ; il lui a été décerné après l'entretien préalable, un blâme le 19 octobre 2004 pour des motifs tenant à sa disponibilité au service de la société DELSOL repris dans la lettre de rupture ultérieure,
- il a été convoqué à un entretien préalable le 19 novembre suivant et licencié pour faute grave le 15 décembre 2004.
Sur les griefs figurant dans la lettre de rupture, la cour observe:
- que la réunion du16 novembre 2004 de coordination grandes et moyennes surfaces n'était pas d'une importance telle que la présence de M X... se justifiait pendant toute sa durée puisqu'il n'a pas été destinataire des courriels relatifs à son organisation, ni ultérieurement de son compte rendu, qu'il avait indiqué son heure d'arrivée, qui était son heure habituelle, et que le caractère impératif de sa présence dès 9 H lui a été signifié par le dirigeant par un courriel du 11 novembre à 17H14, dont il indique n'avoir pu prendre connaissance que le matin même de la réunion, qu'il n'est en rien établi que des dossiers n'ont pas été traités de ce fait;
- qu'en ce qui concerne la réunion du 28 octobre 2004, les horaires proposés par M X... conformément à ses horaires habituels n'ont pas fait l'objet d'objection du dirigeant jusqu'au jour même à 9H24; qu'il est vrai que M X... n'a pas retardé son départ pour pouvoir y assister mais qu'il avait rédigé une note sur le plan social en question, que le contexte du litige et les précédents incidents relatifs à des réunions permettent de s'interroger sur le caractère impératif de l'heure imposée par le dirigeant et d'enlever au comportement du salarié, compte tenu de surcroît de son ancienneté, son caractère fautif;
- que les manquements du salarié dans l'avancement du dossier de la chaîne bronze ne sont pas établis, celui-ci prouvant au contraire par des nombreux courriels, en particulier un courriel du 25 juin 2006, qu'il était en attente de décisions du dirigeant sur une demande de subvention;
- qu'il en est de même refus de signer les commandes de service nécessaires pour l'avancement du déménagement de l'atelier plastique, sur lequel le salarié fournit les explications et les justificatifs contraires, sa responsabilité n'étant pas en cause et les commandes ayant pu être passées.
Au vu de ces éléments d'appréciation, il y a lieu d'infirmer le jugement entrepris et de dire que le licenciement est dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Compte tenu de l'ancienneté et de l'âge de M X..., il y a lieu de lui allouer la somme de 86 000 € à titre de dommages et intérêts.
S'agissant d'une créance indemnitaire, dont le montant est laissé à l'appréciation de la juridiction, elle porte intérêt au taux légal à compter du prononcé de la décision de justice en application de l'article 1153-1 du Code civil.
Il ya lieu de faire droit à ses autres demandes, qui sont fondées au vu de la convention collective nationale applicable et de son contrat de travail.
S'agissant de créances, dont le montant n'est pas laissé à l'appréciation du juge mais résulte de l'application d'un texte légal ou conventionnel, elles portent intérêt au taux légal, en application de l'article 1153 du Code civil, de droit à compter de la demande en justice, qui résulte en l'espèce de la convocation devant le bureau de conciliation (13 janvier 2005).
La partie, qui succombe, supporte les dépens et le paiement à la partie adverse d'une indemnité au titre des frais du procès non compris dans les dépens, tels les frais d'avocat, qui sera déterminée dans le dispositif ci-après.
PAR CES MOTIFS :
LA COUR
Infirme le jugement entrepris et statuant à nouveau:
Dit que le licenciement de M X... par la société DELSOL est dépourvu de cause réelle et sérieuse;
En conséquence, condamne la société DELSOL à payer à M X... les sommes suivantes:
- indemnité de préavis:
34 410 €
- congés payés correspondants:
3 441 €
- prorata du 13ème mois:
2 867 €
- indemnité conventionnelle de licenciement:
43 614 €
lesdites sommes avec intérêts au taux légal à compter du 13 janvier 2005
- dommages et intérêts:
86 000 €
avec intérêt au taux légal à compter du prononcé de la présente décision;
Ordonne le remboursement par la société DELSOL à l'organisme concerné des indemnités de chômage versées à M X... à la suite de la rupture et dans la limite de six mois;
Condamne la société DELSOL aux dépens et au paiement à M X... de la somme de 2 000 € en application de l'article 700 du Nouveau code de procédure civile.
Ainsi prononcé et signé par Monsieur Yves DUBOIS, Président de Chambre, assisté de Mme Sylvie A..., faisant fonction de Greffier.
Le Greffier, Le Président.