JYF / SD
COUR D'APPEL DE POITIERS
Chambre Sociale
ARRET DU 13 FEVRIER 2007
ARRET N 115
AFFAIRES N : 06 / 02311,06 / 2373,06 / 2374
AFFAIRE : Laurence X..., Virginie Y..., Myriam Z...C / Me Laëtitia A...-Représentant des créanciers de CRIJ POITOU-CHARENTES, CRIJ POITOU-CHARENTES, CGEA DE BORDEAUX
APPELANTES :
Mademoiselle Laurence X...
H...
86370 VIVONNE
Représentée par Me Philippe GAND (avocat au barreau de POITIERS)
Madame Virginie Y...
23 PLACE HENRI BARBUSSE
86000 POITIERS
Représentée par Me Sylvie RIGAULT (avocat au barreau de POITIERS)
(Aide juridictionnelle en cours)
Madame Myriam Z...
...
86580 VOUNEUIL SOUS BIARD
Représentée parMe Philippe GAND (avocat au barreau de POITIERS)
Suivant déclaration d'appel du 04 Août 2006 d'un jugement AU FOND du 06 JUILLET 2006 rendu par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES DE POITIERS.
INTIMEES :
Appelant Incident
Me Laëtitia A...-Représentant des créanciers de CRIJ POITOU-CHARENTES
...
Bp 1164
86280 SAINT BENOIT
Représentée par Me François-Xavier CHEDANEAU (avocat au barreau de POITIERS)
Appelant Incident
CRIJ POITOU-CHARENTES
64 rue Gambetta
86000 POITIERS
Représenté par Me François-Xavier CHEDANEAU (avocat au barreau de POITIERS)
CGEA DE BORDEAUX
Avenue J.G. Domergue
Les Bureaux du Parc
33000 BORDEAUX LAC
Représentant : Me Patrick ARZEL (avocat au barreau de POITIERS)
Substitué par Me BOUYSSI (avocat au barreau de POITIERS)
COMPOSITION DE LA COUR :
lors des débats,
en application de l'article 945-1 du Nouveau Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition des avocats des parties ou des parties :
Monsieur Jean-Yves FROUIN, faisant fonction de Conseiller Rapporteur,
après avoir entendu les plaidoiries et explications des parties,
assisté de Sylvie DESPOUY, F.F. de GREFFIER, uniquement présent (e) aux débats,
en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur Yves DUBOIS Président,
Madame Isabelle GRANDBARBE Conseiller
Monsieur Jean-Yves FROUIN Conseiller
DEBATS :
A l'audience publique du 15 Janvier 2007,
Les conseils des parties ont été entendus en leurs explications, conclusions et plaidoiries.
L'affaire a été mise en délibéré et les parties avisées de la mise à disposition de l'arrêt au greffe le 13 Février 2007
Ce jour a été rendu contradictoirement et en dernier ressort l'arrêt suivant :
ARRET :
EXPOSÉ DU LITIGE
Mmes Y..., X... et Z..., engagées le 1er décembre 1986, le 10 septembre 1988 et le 1er février 1978 en qualité d'aide documentaliste, de chargée de secteur mobilité et de secrétaire de direction par le Centre régional information Jeunesse Poitou Charentes (CRIJ), ont été licenciées pour motif économique, le 28 juin 2005 après qu'une procédure de redressement judiciaire a été ouverte, le 26 janvier 2005, concernant le CRIJ et que le juge-commissaire a autorisé par ordonnance du 3 juin 2005 le licenciement de huit salariés.
Par jugements en date du 12 juin 2006, le conseil de prud'hommes de Poitiers sous la présidence du juge départiteur, a dit que le licenciement économique des salariées était fondé mais que le CRIJ avait méconnu les règles de l'ordre des licenciements et condamné celui-ci à payer à Mmes Y... et X... une somme de 10 000 euros à titre de dommages et intérêts et à Mme Z... une somme de 20 000 euros.
Les salariées ont régulièrement interjeté appel des jugements. Elles soutiennent que leur licenciement économique n'était pas fondé, subsidiairement, que l'employeur a violé les règles de l'ordre des licenciements et concluent à la condamnation du CRIJ à payer à Mme Y... la somme de 80 280 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à titre de dommages et intérêts, à Mme X... la somme de 70 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à titre de dommages et intérêts, à Mme Z... la somme de 90 000 euros à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ou à titre de dommages et intérêts. Mme Y... demande en outre la condamnation du CRIJ à lui payer la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile, et Mmes X... et Z... la somme de 3 000 euros sur le même fondement.
Le CRIJ et Me A..., ès qualités de représentant des créanciers, concluent à la confirmation du jugement sur le bien-fondé du licenciement mais forment appel incident pour le surplus, font valoir que le CRIJ a respecté les règles de l'ordre des licenciements, et concluent au rejet des demandes des salariées.
Le CGEA conclut au rejet des demandes et, subsidiairement, à ce que la décision à intervenir ne lui soit déclarée opposable que dans les limites de la garantie légale.
MOTIFS DE L'ARRÊT
Sur la jonction d'instances
Il est de l'intérêt d'une bonne administration de la justice de juger ensemble les instances inscrites sous les numéros de répertoire général 06 / 2311,06 / 2373 et 06 / 2374. Il convient donc d'en ordonner la jonction.
Sur le licenciement
Il est de règle qu'en l'état d'une ordonnance du juge-commissaire autorisant des licenciements et devenue définitive, le motif économique de licenciement au sens de l'article L. 321-1, alinéa 1er, du code du travail ne peut plus être discuté à moins que l'ordonnance ait été obtenue par fraude.
En conséquence, en l'espèce, le motif économique de licenciement ne peut être remis en cause devant le juge prud'homal.
Cela étant, nonobstant l'ordonnance du juge-commissaire, les dispositions des articles L. 321-1, alinéa 3 du code du travail régissant l'obligation de reclassement de l'employeur en matière de licenciement pour motif économique et celles de l'article L. 321-1-1 du même code régissant l'obligation pour l'employeur d'établir et d'appliquer les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements demeurent applicables.
-En ce qui concerne le reclassement
Aux termes de l'article L. 321-1, alinéa 3 du code du travail, le licenciement pour motif économique d'un salarié ne peut intervenir que lorsque tous les efforts de formation et d'adaptation ont été réalisés et que le reclassement de l'intéressé sur un emploi relevant de la même catégorie que celui qu'il occupe ou sur un emploi équivalent ou, à défaut, et sous réserve de l'accord exprès du salarié, sur un emploi de catégorie inférieure ne peut être réalisé dans le cadre de l'entreprise ou, le cas échéant, dans les entreprises du groupe auquel l'entreprise appartient.
Il n'est pas contesté par les salariées que leur reclassement au sein du CRIJ était impossible, mais chacune d'elles fait valoir que les différents centres régionaux d'information jeunesse répartis sur l'ensemble du territoire forment un groupe au sens du texte qui précède et au sein duquel les possibilités de les reclasser devaient être recherchées.
Par groupe au sens dudit texte, il faut comprendre les entreprises (ou associations) dont les activités, l'organisation ou le lieu d'exploitation leur permettent d'effectuer la permutation de tout ou partie du personnel.
Certes, l'indépendance des structures (entreprises ou associations) n'est pas exclusive de la permutabilité de personnels entre ces structures, de la même manière que cette permutabilité n'implique pas nécessairement l'existence d'une autorité hiérarchique propre à l'imposer. Mais, réciproquement, le seul fait de l'identité d'activités ou d'échanges d'information d'une entreprise ou association à une autre ne suffisent pas à constituer un groupe au sein duquel s'effectue la permutation de tout ou partie du personnel.
Sous le bénéfice de ces observations, il ressort de l'ensemble des pièces du dossier que si les CRIJ ont une activité analogue et s'efforcent à l'initiative du Centre national d'information jeunesse de conduire une politique et une démarche d'information comparable à destination de leur public de jeunes de telle manière que de l'un à l'autre ceux-ci puissent trouver à peu près les mêmes services, il s'agit de structures associatives indépendantes les unes des autres, non soumises à une politique hiérarchique commune, qui exercent leur activité sans égard pour celle des autres et entre lesquelles il n'existe aucune permutation de personnel, la seule circonstance qu'un salarié d'un CRIJ déterminé ait pu se porter candidat avec succès auprès d'un autre CRIJ n'impliquant nullement une telle permutabilité mais signifiant seulement que son expérience a pu être prise en compte.
Pour ces motifs, et ceux retenus par les premiers juges et que la cour adopte, il y a lieu de considérer que les CRIJ ne forment pas entre eux un groupe au sens de l'article L. 321-1, alinéa 3 du code du travail et qu'en conséquence il n'a pas été manqué par le CRIJ Poitou Charentes à son obligation de reclassement dès l'instant qu'aucune possibilité de reclassement des salariées n'existait au sein de ce CRIJ.
Le jugement attaqué sera donc confirmé en ce qu'il a décidé que le licenciement économique des salariées était fondé.
-En ce qui concerne les règles de l'ordre des licenciements
En vertu de l'article L. 321-1-1 du code du travail, l'employeur définit les critères retenus pour fixer l'ordre des licenciements qui prennent en compte, notamment, les charges de famille et en particulier celles de parents isolés, l'ancienneté de service, la situation des salariés qui présentent des caractéristiques sociales rendant leur réinsertion professionnelle particulièrement difficile, notamment des personnes handicapées, les qualités professionnelles appréciées par catégorie.
Si la notion de catégorie qui sert de base à l'établissement de l'ordre des licenciements concerne l'ensemble des salariés qui exercent dans l'entreprise des fonctions de même nature supposant une formation commune, elle ne se réduit à un poste de travail ou à une tâche déterminés sans quoi il n'y aurait jamais lieu à application des règles de l'ordre des licenciements mais couvre des fonctions de même niveau hiérarchique et de même nature en ce sens, que même distinctes, elles pourraient être exercées par une autre salariée de même niveau hiérarchique avec une adaptation.
En conséquence, et contrairement à ce qui est soutenu par le CRIJ, il y avait bien lieu d'appliquer les règles de l'ordre des licenciements à Mme Z..., peu important qu'elle soit assistante de direction et seule à occuper ce poste.
Par ailleurs, il est de règle que l'employeur doit prendre en considération l'ensemble des critères qui déterminent l'ordre des licenciements, avant le cas échéant de privilégier l'un d'eux, et qu'il doit communiquer au juge, en cas de contestation, les éléments objectifs sur lesquels il s'est appuyé.
En l'espèce, il résulte des pièces produites aux débats que la pondération accordée par le CRIJ à chacun des critères définis et pris en compte (ancienneté, charges de famille, et qualités professionnelles) conduisait l'employeur à faire du critère des qualités professionnelles le critère à lui seul déterminant (ex. 3 points maximum pour l'ancienneté,20 pour les qualités professionnelles), ce qui était de nature à le dispenser de facto de prendre en considération l'ensemble des critères.
En outre, comme l'a à juste titre relevé le premier juge, le CRIJ ne communique aucun élément objectif pour justifier ou à tout le moins étayer l'application faite du critère tiré des qualités professionnelles.
Il suit de là que le CRIJ Poitou Charentes a méconnu à l'endroit des trois salariées les règles de l'ordre des licenciements, ce qui constitue une illégalité ouvrant droit à leur profit à réparation du préjudice qui en est résulté pour elles selon son étendue.
A cet égard, il convient de confirmer le jugement attaqué qui a fait une juste appréciation, en l'état des pièces produites aux débats, du préjudice subi par chacune des salariées en allouant à Mmes Y... et X... une somme de 10 000 euros chacune et à Mme Z... une somme de 20 000 euros à titre de dommages et intérêts, étant observé qu'il n'est pas établi au dossier que si les règles de l'ordre des licenciements avaient été respectées les salariées concernées n'auraient pas été malgré tout licenciées.
Sur la demande au titre de l'article 700 du nouveau code de procédure civile
En application de ce texte, il convient de condamner le CRIJ et Me A..., ès qualités, partie perdante et tenue aux dépens, à payer à Mmes Y..., X... et Z..., au titre des frais exposés et non compris dans les dépens, tels les honoraires d'avocat, une somme qui sera déterminée dans le dispositif ci-après.
PAR CES MOTIFS,
LA COUR
-Ordonne la jonction d'instances inscrites sous les numéros de répertoire général 06 / 2311,06 / 2373 et 06 / 2374,
-Confirme les jugements du conseil de prud'hommes de Poitiers en date du 12 juin 2006 en toutes ses dispositions,
-Y ajoutant,
-Déclare l'arrêt opposable à l'AGS dans les limites de la garantie légale,
-Condamne le CRIJ Poitou-Charentes et Me A..., ès qualités, à payer à Mmes Y..., X... et Z... la somme de
800 euros à chacune, sur le fondement de l'article 700 du nouveau code de procédure civile.
-Condamne le CRIJ Poitou-Charentes et Me A..., ès qualités,
aux dépens d'appel.
Ainsi prononcé et signé par Monsieur Yves DUBOIS, Président assisté de Madame Joëlle BONMARTIN, Greffier.
Le Greffier, Le Président,