TP/EL
Numéro 24/2507
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 01/08/2024
Dossier : N° RG 22/02968 - N° Portalis DBVV-V-B7G-ILPP
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[I] [J]
C/
S.A.S. [V] [F] MEDICAMENT PRODUCTION
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 01 Août 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 06 Mai 2024, devant :
Mme PACTEAU, magistrat chargée du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
Mme PACTEAU, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [I] [J]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée par Me BEDOURET, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
S.A.S. [V] [F] MEDICAMENT PRODUCTION agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée par Me CREPIN de la SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de PAU et Me CAPISANO de la SELEURL JEAN-SEBASTIEN CAPISANO, avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 10 OCTOBRE 2022
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU
RG numéro : 21/00052
EXPOSÉ du LITIGE
M. [I] [J] a été embauché à compter du 4 septembre 2017, par la société par actions simplifiée [V] [F] Médicament Production, en qualité de responsable logistique, selon contrat à durée indéterminée régi par la convention collective de l'industrie pharmaceutique.
Le 2 juillet 2020, une réunion s'est tenue en présence du salarié, du directeur du site et du responsable des ressources humaines.
Par courrier daté du 3 juillet 2020, M. [J] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'une sanction disciplinaire pouvant aller jusqu'au licenciement pour faute grave fixé le 23 juillet 2020.
Ce même courrier comportait la notification d'une mise à pied à titre conservatoire.
Suivant courrier du 28 juillet 2020, M. [J] a été licencié pour faute simple et dispensé d'effectuer son préavis de 4 mois.
Le 16 février 2021, M. [I] [J] a saisi la juridiction prud'homale au fond d'une contestation de son licenciement.
Par jugement du 10 octobre 2022, le conseil de prud'hommes de Pau a :
- Dit que les faits apportés par la Société [V] [F] médicament production étant suffisamment qualifiés pour que le licenciement pour faute simple de M. [I] [J] reposât sur une cause réelle et sérieuse est par conséquent justifié
- Débouté M. [I] [J] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
- Dit, par ailleurs, que dans la mesure où aucune pièce justificative n'est apportée par la Société [V] [F] médicament production qu'un réel suivi de formation ait été proposé à M. [J],
- Condamné la Société [V] [F] médicament production à verser à M. [I] [J] la somme de 5000 euros à ce titre et la déboute de toutes ses autres prétentions.
- Dit prendre acte que la Société [V] [F] médicament production a versé à M. [J] le reliquat d'indemnité de préavis qui lui est dû,
- Débouté M. [J] de sa demande du règlement de ce reliquat de préavis et de toutes ses autres prétentions.
- Dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de ce jugement.
- Condamné chacune des parties aux dépens de l'instance.
Le 3 novembre 2022, M. [I] [J] a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses conclusions n°2 adressées au greffe par voie électronique 26 juillet 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [I] [J] demande à la cour de :
- Infirmer le jugement dont appel, rendu par le Conseil de Prud'hommes de Pau le 6 octobre 2021, en ce qu'il a :
« Dit que les faits apportés par la Société [V] [F] médicament production étant suffisamment qualifiés pour que le licenciement pour faute simple de M. [I] [J] reposât sur une cause réelle et sérieuse est par conséquent justifié
Déboute M. [I] [J] de sa demande d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Dit, par ailleurs, que dans la mesure où aucune pièce justificative n'est apportée par la Société [V] [F] médicament production qu'un réel suivi de formation ait été proposé à M. [J],
Condamne la Société [V] [F] médicament production à verser à M. [I] [J] la somme de 5000 euros à ce titre et la déboute de toutes ses autres prétentions.
Dit prendre acte que la Société [V] [F] médicament production a versé à M. [J] le reliquat d'indemnité de préavis qui lui est dû,
Déboute M. [J] de sa demande du règlement de ce reliquat de préavis et de toutes ses autres prétentions.
Dit qu'il n'y a pas lieu d'ordonner l'exécution provisoire de ce jugement
Condamne chacune des parties aux dépens de l'instance ».
Statuant à nouveau :
- Juger que le licenciement dont a fait l'objet M. [I] [J] est dépourvu de cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- Condamner la SAS [V] [F] médicament production à verser à M. [I] [J] les sommes suivantes :
* Indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse (4 mois) 24 102 euros
* Dommages et intérêts du fait du non-respect de l'obligation de formation 6 025.50 euros
- Ordonner l'exécution provisoire de l'ensemble de la décision au-delà de l'exécution provisoire de droit de l'article R 516-37 du Code du Travail nonobstant toutes voies de recours et sans caution
-Rappeler que les intérêts au taux légal courent de plein droit à compter de la saisine du Conseil de Prud'hommes sur les créances de nature salariale, en vertu de l'article 1153 du Code Civil et les faire courir à compter de cette date sur les créances de nature indemnitaire par application de l'article 1153-1 du Code Civil,
- Condamner la SAS [V] [F] médicament production à verser à M. [I] [J] la somme de 2.500 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile.
- Condamner la SAS [V] [F] médicament production aux entiers dépens.
Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 5 avril 2024 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la SASU [V] [F] Médicament Production demande à la cour de :
- Confirmer le jugement du Conseil de prud'hommes de PAU en ce qu'il a jugé que le licenciement de M. [J] repose sur une cause réelle et sérieuse,
En conséquence,
- Juger que le licenciement pour faute simple de M. [J] est parfaitement fondé,
- Débouter M. [J] de l'intégralité de ses demandes à ce titre,
' A titre subsidiaire :
- Dans l'hypothèse où la Cour de céans considèrerait le licenciement de M. [J] dénué de cause réelle et sérieuse, ramener le montant des dommages et intérêts alloués à ce dernier à de plus justes proportions conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du Code du travail,
' En tout état de cause :
- Juger que les dommages et intérêts éventuellement alloués à M. [J] pour sans cause réelle et sérieuse s'entendent comme des sommes brutes avant précompte de CSG et CRDS et des éventuelles cotisations de sécurité sociale,
- Infirmer le jugement en ce qu'il a :
o Condamné la Société à verser à M. [J] la somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts du fait du non-respect de l'obligation de formation,
o Débouté la Société de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile.
Et, statuant à nouveau, sur ses points :
Débouter M. [J] de sa demande de dommages et intérêts du fait du non-respect de l'obligation de formation,
- Condamner M. [J] au paiement de la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Débouter M. [J] de sa demande au titre de l'article 700 du Code de procédure civile,
- Condamner M. [J] aux entiers dépens de l'instance.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 8 avril 2024.
[I] [J] a signifié de nouvelles conclusions le 24 avril 2024 aux termes desquelles il demande à la cour de rejeter les conclusions d'intimé communiquées le 8 avril 2024 et maintien, pour le reste, ses demandes initiales.
La société [V] [F] Médicament Production a signifié, pour sa part, de nouvelles conclusions et deux nouvelles pièces le 30 avril 2024 aux termes desquelles elle demande à la cour, à titre liminaire, de :
- Déclarer irrecevables les conclusions de M. [J] notifiées le 24 avril 2024, soit postérieurement à l'ordonnance de clôture rendue le 8 avril 2024,
- A tout le moins, rejeter la demande de M. [J] tendant au rejet de ses conclusions n°2 signifiées le 5 avril 2024 en ce qu'elle est infondée.
Le reste des demandes a été maintenu.
MOTIFS de LA DÉCISION
Sur le rejet des conclusions
Aux termes de l'article 907 du Code de procédure civile, le principe posé par l'article 802 du Code de procédure civile, à propos de la clôture de la mise en état devant le tribunal judiciaire, selon lequel, après l'ordonnance de clôture, aucune conclusion ne peut être déposée ni aucune pièce produite aux débats, à peine d'irrecevabilité prononcée d'office, est applicable en appel.
L'article 803 du code de procédure civile, dans sa rédaction applicable au présent litige, poursuit que l'ordonnance de clôture ne peut être révoquée que s'il se révèle une cause grave depuis qu'elle a été rendue ; la constitution d'avocat postérieurement à la clôture ne constitue pas, en soi, une cause de révocation.
Si une demande en intervention volontaire est formée après la clôture de l'instruction, l'ordonnance de clôture n'est révoquée que si le tribunal ne peut immédiatement statuer sur le tout.
L'ordonnance de clôture peut être révoquée, d'office ou à la demande des parties, soit par ordonnance motivée du juge de la mise en état, soit, après l'ouverture des débats, par décision du tribunal.
Les conclusions ou pièces déposées après l'ordonnance de clôture, dont la révocation n'a pas été demandée ou prononcée d'office, sont irrecevables.
En l'espèce, aucune demande de révocation de l'ordonnance de clôture n'a été présentée par les parties dans leurs conclusions respectives signifiées après le 8 avril 2024.
Dès lors, ces écritures doivent être déclarées irrecevables, de même que les pièces 25 et 26 communiquées par l'employeur le 30 avril 2024.
En revanche, les écritures signifiées jusqu'à la date de l'ordonnance de clôture dont le salarié avait la faculté de demander la révocation afin de pouvoir y répondre, ne seront pas écartées des débats.
Sur le licenciement
Il importe au préalable de rappeler que, aux termes de la lettre de licenciement, M. [J] a été licencié pour faute simple, avec dispense d'exécuter son préavis, et non pour faute grave comme il le laisse entendre dans ses écritures. Le courrier précise expressément : « pour les motifs précités, nous vous notifions par la présente votre licenciement à compter de ce jour. La date de première présentation de ce courrier fixe le début de votre préavis, qui est de 4 mois. Cependant, nous vous précisons que nous vous dispensons d'effectuer ce préavis qui vous sera néanmoins rémunéré aux échéances normales de paye ».
En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse. La cause réelle est celle qui présente un caractère d'objectivité et d'exactitude. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante.
Aux termes de l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, le cas échéant complétée dans les conditions fixées par l'article R.1232-13 du même code, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.
Suivant l'article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.
[I] [J] soutient qu'il s'est vu notifier, lors de l'entrevue du 2 juillet 2020, un licenciement verbal tandis que l'employeur affirme avoir tenté alors de lui remettre une convocation à entretien préalable et l'avoir informé de sa mise à pied à titre conservatoire.
Il appartient au salarié qui se prétend licencié verbalement d'en apporter la preuve.
Il est incontestable qu'une réunion a eu lieu le 2 juillet 2020 à 19h entre M. [T], directeur de site, M. [O], responsable des ressources humaines, et M. [J].
Selon la société [V] [F] Médicament Production, cette réunion avait pour but de remettre à M. [J] une convocation en vue d'un entretien préalable en mains propres qu'il a toutefois refusé de recevoir. Elle ajoute qu'il lui a été notifié oralement sa mise à pied à titre conservatoire avec demande de laisser ses outils de travail à l'entreprise.
[I] [J] affirme qu'à cette occasion lui a été signifié son licenciement immédiat et que Messieurs [T] et [O] l'ont raccompagné « manu militari à son bureau pour lui prendre ses outils de travail (ordinateur, téléphone') puis vers la sortie du site ».
Il produit comme seul élément de preuve des courrier et mails qu'il a lui-même rédigés les 9 et 16 juillet 2020, dans lesquels il écrit à M. [O] que ce dernier lui avait, « à [sa] grande surprise » indiqué sa décision de le licencier sans lui préciser les raisons et que, à la suite de cette annonce, l'ensemble des matériels professionnels mis à sa disposition dans le cadre de ses fonctions (ordinateur portable et téléphone professionnel) avait été récupéré avant qu'il ne soit raccompagné à la sortie du site.
[I] [J] estime que le fait que l'employeur ait obtenu des attestations postérieures au 2 juillet 2020 mais antérieures à la réception de la lettre de convocation à l'entretien préalable, démontre qu'il se préparait à devoir gérer une procédure de recours et donc que, de fait, sa décision était déjà prise et signifiée le 2 juillet 2020.
Pour autant, il n'apporte aucun élément permettant d'objectiver ses affirmations, de sorte qu'il ne démontre pas qu'il a fait l'objet d'un licenciement verbal le 2 juillet 2020.
[I] [J] allègue ensuite du défaut de qualité du signataire de sa lettre de licenciement.
Or, M. [O], responsable des ressources humaines, tout comme il avait qualité pour signer le contrat de travail de M. [J], avait également le pouvoir de procéder à son licenciement.
[I] [J] fait par ailleurs valoir que son licenciement est intervenu dans un contexte de rachat de la société [V] [F] par la société Fareva de sorte qu'un des objectifs était d'opérer des économies sur les frais de personnel.
Ces suppositions de l'appelant ne sont pas avérées formellement ne sorte qu'il ne peut en être déduit que la véritable cause du licenciement de M. [J] résidait dans un souci de réduire la masse salariale.
Il convient donc d'examiner les faits invoqués dans la lettre de licenciement, dont les termes fixent les limites du litige. Elle décrit plusieurs faits reprochés à M. [J] qui caractérisent, selon l'employeur, des manquements récurrents en termes de management et de comportement à l'égard de plusieurs interlocuteurs internes et en dernier lieu de son n-1, M. [A].
Pour justifier les griefs invoqués, la société [V] [F] Médicament Production produit les éléments suivants :
Un mail de [B] [L], précédent directeur de site, qui écrit le 4 mai 2018 à [R] [P] [U] et [I] [J] ainsi : « j'espère que vous avez pu vous revoir et avoir une vraie discussion (= vider votre sac et repartir sur des bases saines) sur les différends qui ont "agrémenté" de manière très négative le CODIT. La tension est palpable entre vous 2. Cela déteint clairement sur l'équipe car vous impliquez directement ou indirectement d'autres personnes dans ce conflit (') ».
Un mail de M. [L] adressé le 20 juin 2018 à M. [J], qui constitue un retour des échanges que le directeur du site a eus avec les équipes de ce dernier, courriel adressé également au responsable des ressources humaines pour qu'il puisse « suivre avec [M. [J] son] plan d'action et [l'aider] si nécessaire ».
[B] [L] a retiré les enseignements suivants : « peu de retour positif sur toi ou tes équipes : désolé mais c'est la dure réalité ! Les discussions se sont concentrées sur ce qui n'allait pas ou moins bien. C'est très interpellant de mon point de vue ! L'image que tu répercutes et celle de ton département sont très négatives ».
Il résume les échanges ainsi : « s'il n'y avait que 2 choses que tu dois améliorer, ce serait le travail en équipe et ta communication. De ce point de vue, c'est assez catastrophique' je ne dois pas te rappeler les événements à répétition avec [W] et [R] entre autres. La majorité des gens disent : "c'est difficile / compliqué de travailler avec [I]", "il travaille seul dans son bureau et il est injoignable". (') Au sein du CODIR tu cristallises les mécontentements ». S'ensuivent plusieurs exemples.
Le directeur conclut : « je crois qu'il est devenu critique que tu ailles à l'encontre de tes équipes et que tu les écoutes et que tu t'intéresses à ce qu'ils font ! et que tu bosses sur ta communication. Nous t'avons déjà donné plusieurs fois le feedback au cours de ces derniers mois. Ce que j'ai entendu ces dernières semaines constitue un sérieux avertissement et nécessite une réaction forte de ta part ».
Le compte-rendu de l'entretien annuel et professionnel 2018/2019 de M. [J] réalisé le 3 janvier 2019 par M. [L].
Le commentaire général du manager est le suivant : « par son style et sa communication très directs, [I] a eu quelques difficultés dans ses relations avec [R], [W] et les membres de son équipe. Plusieurs feedbacks lui ont été donnés. Il doit se mettre plus/mieux à la place des autres pour comprendre leurs contraintes et pas seulement intégrer ses propres contraintes dans les solutions. Il doit créer plus de proximité avec ses équipes (particulièrement le magasin). Il écoute et intègre les feedbacks mais de temps en temps il y a des rechutes' Il doit essayer de stabiliser ses relations. Il doit parfois imposer moins et générer l'adhésion par la co-construction. Il doit aussi partager plus ».
Dans le paragraphe relatif à la performance sur le poste, il est relevé que le contrat a été rempli pour 2018 mais que cela a été plus compliqué sur la forme : « relations difficiles et accrochages réguliers avec certains collègues malgré des efforts, quelques remontées négatives de ses équipes' son style parfois rugueux ne passe pas toujours ».
L'attestation de présence à la formation « Module pilote ' le feedback » qui s'est déroulée le 4 février 2019 et à laquelle M. [J] a participé comme le révèle sa signature du document.
Le mail adressé par Mme [C] le 29 juillet 2019 à M. [J] et à M. [O] en copie, relatif à son transfert à venir au service amélioration continue à compter du 1er août 2019. Elle entend, « par cette formalisation é rite, [l'alerter] d'une situation extrêmement difficile à vivre (') d'un point de vue professionnel (') mais également extrêmement difficile à vivre d'un point de vue personnel ». Elle a joint à ce mail un courrier dans lequel elle expose avoir été informée de son changement de service et de poste le 27 juin 2019 pour une prise d'effet le 1er août 2019 et que, sans information complémentaire, elle a décidé, le 22 juillet, de planifier une réunion pour organiser ce transfert. Elle détaille ensuite la difficile organisation de la réunion à laquelle M. [J] n'est pas venu mais également la manière totalement inadaptée avec laquelle il a reçu sa collaboratrice.
Mme [C] conclut son propos ainsi : « cette situation extrêmement pesante ne me permet pas de travailler dans la sérénité. Je ressens cela comme un désintéressement total de mon travail (effectué depuis plus de 9 ans) ; cela induit un sentiment d'être "rien" ».
L'attestation de [S] [C], chargée amélioration continue, qui décrit 7 événements dans lesquels elle met en cause l'attitude de [I] [J] entre septembre 2018 et mai 2020. Elle indique à plusieurs reprise le sentiment d'être rabaissée et méprisée, notant en particulier qu'elle est appelée par M. [J], durant une réunion le 7 février 2020, non pas par son nom ou son prénom mais par un claquement de doigts.
L'attestation de [E] [Y], magasinier cariste, par laquelle il décrit comment, un après-midi d'octobre 2019, il s'est senti agressé verbalement de manière injustifiée par M. [J], conduit à reculer face à son chef de service qui le pointait du doigt. Il indique avoir contacté ensuite son chef de secteur, M. [D], qui avait été déjà appelé par M. [J]. Il avait alerté ensuite le responsable des ressources humaines, le délégué du personnel, puis en avait parlé lors de sa visite auprès du médecin du travail et au cours de son entretien annuel.
Le compte-rendu de l'entretien annuel et professionnel 2019/2020 de M. [J] réalisé le 17 décembre 2019 par M. [W] [T].
Le commentaire général du manager est le suivant : « malgré un investissement personnel important, l'histoire semble se répéter pour [I]. L'atteinte de ses objectifs opérationnels est très bonne (90%) dans un contexte difficile mais la manière (HOW) n'y est pas ! Unique raison pour laquelle la performance annuelle est cotée "inférieure aux attentes". Malgré beaucoup de feedbacks reçus (') [I] n'arrive pas à inverser la tendance. Ses relations sont toujours très tendues avec son équipe et avec ses collègues. Il a essayé de faire des efforts mais cela n'est pas suffisant. Son style très directif ne permet pas d'obtenir l'adhésion de ses équipes ! Il est craint et inaccessible pour beaucoup de ses collègues. Il fait preuve de peu d'ouverture à la discussion et la remise en question. Dommage de gâcher cet investissement perso et des résultats opérationnels par des relations compliquées avec les gens ('). La communication et la proximité semblent défaillantes : l'info n'arrive pas sur le terrain ! Sa rigueur et sa discipline sont néanmoins appréciables sur un site qui en manque mais il doit essayer d'obtenir plus et mieux de ses équipes par un autre style de management tout en gardant la barre très haute ! Les prochains mois seront très compliqués pour le site et nous avons besoin d'un Codir uni et qui fait front face aux challenges ! Je suis convaincu que [I] peut avoir un rôle très important en apportant maturité et prise de recul. Pour cela, il doit adoucir son style et faire preuve de plus d'ouverture. (') Je crois encore que tu peux évoluer mais il est encore temps de le faire en 2020. Sinon cela va devenir très compliqué pour toi et tes équipes ».
L'attestation de [X] [N], technicien méthodes industrielles, qui parle de quelqu'un sans le nommer, notamment au cours d'une réunion du 4 juin 2020 à laquelle [K] [A] « a été mis plus bas que terre ». Ce témoignage imprécis est peu éloquent.
Un mail de M. [N] en date du 3 juin 2020, peu lisible, adressé à M. [O] et dont l'objet est « point à voir RV ». Les points listés évoquent à nouveau un homme non nommé avec lequel M. [N] semble avoir des difficultés.
Un courrier du 24 juin 2020 signé de M. [K] [A], n-1 de M. [J], qui souhaite porter à la connaissance du responsable des ressources humaines les difficultés qu'il rencontre sur son poste de travail et auquel il demande « d'intervenir afin de clarifier l'organisation et de trouver des solutions constructives pour permettre à chacun d'accomplir ses missions dans les meilleurs conditions ».
[K] [A] invoque ainsi :
Des difficultés dans la relation de travail avec son manager et évoque, à titre d'exemple, « des humiliations par le biais de prises à partie verbales en présence de membres de [son] équipe et d'autres services (réunion du 4 juin) » et « une absence de communication sur des informations essentielles à la bonne réalisation de [ses] missions ».
Une absence de considération et dévalorisation de son travail. Il fait ici référence au compte-rendu de l'entretien annuel 2020 qui n'a pas été partagé et a été archivé automatiquement sans avoir eu la possibilité de le consulter ni de formuler des commentaires sur l'appréciation négative et très défavorable (performance évaluée inférieure aux attentes malgré un taux de réalisation des objectifs à 71% sans prise en compte des éléments de contexte de l'année pourtant exprimés lors de l'échange. Il ajoute qu'il s'agit d'une « première en 20 ans de carrière chez [V] [F] dont 14 ans sur le site pour lesquels [il a) toujours été bien noté ».
Des difficultés organisationnelles et l'impact sur son équipe. Il cite plusieurs exemples :
- « Une suspicion de réorganisation future de mon service et donc de mon périmètre, sans m'en informer au préalable (convocation à 2 réunions le 18/06 : une sans mon équipe, puis une avec mon équipe et moi en facultatif ' réunions finalement annulées suite à ma demande de clarification sur l'objet de ces dernières
- Un recrutement sans concertation et découvert le jour de l'arrivée d'intérimaire (problème d'intégration et de communication)
- Des messages régulièrement formulés par les autres fonctions de l'entreprise, évoquant une organisation du service floue et notamment mon positionnement
- Un manque de clarté sur mon périmètre et décalage entre la fiche de poste et la réalité des activités qui me sont confiées, notamment par les autres services qui me considèrent suppléant alors que je n'ai ni les moyens pratiques ni la délégation pour ce faire
- Un positionnement ambigu entre N+1 et mon équipe, sur les tâches opérationnelles ; mon niveau hiérarchique n'est pas respecté par mon N+1, ce qui a pour conséquence d'apporter le doute au sein de mon équipe, de déstructurer son activité et de m'isoler ».
[K] [A] ajoute que cette situation qui dure depuis plusieurs mois n'est pas sans conséquence sur sa santé et sur sa vie personnelle : il évoque des « symptômes physiques : fatigue, sommeil perturbé, maux de tête, douleurs musculaires et symptômes psychologiques : irritabilité, frustration, perte de confiance, anxiété). Il précise que « cela génère également du mal-être chez les membres de [son] équipe et plus largement auprès de certains collaborateurs du département ».
L'attestation manuscrite de M. [A] dans laquelle il reprend les éléments décrits dans son courrier du 24 juin 2020. Il y précise notamment que, lors de la réunion du 4 juin 2020, le ton inadapté employé par M. [J] et son comportement inapproprié ont laissé l'impression de vouloir le rabaisser, de le dénigrer en public, causant un risque de remise en cause de son autorité vis-à-vis de ses subordonnés et à affecter son état psychologique.
Le procès-verbal de la réunion du comité social et économique de l'établissement de [Localité 5] qui s'est tenue le 25 juin 2020 qui mentionne que « le CSE informe la direction de la mauvaise et pesante ambiance au sein du service Supply. Certains collaborateurs se sentent délaissés par le manager du service (manque de communication, peu de partage d'info') et cela a des impacts sur la qualité de vie professionnelle et personnelle. La cellule de veille de l'après-midi évoquera ce sujet ».
Un document en pièce 6 intitulé « compte-rendu de la réunion de la cellule de veille des risques psychosociaux liés au travail du 25 juin 2020 » mais qui est un document à usage des membres de la cellule de veille, comportant des extraits de l'accord [V] [F] relatif aux risques psychosociaux liés au travail et non le compte-rendu annoncé.
L'attestation peu lisible de [G] [D], chef de secteur magasin, qui évoque de l'agressivité verbale et un manque de considération et d'information de la part de [I] [J], ainsi qu'un sentiment de manipulation. Il explicite ces éléments mais le document est peu lisible et la cour n'est pas en mesure d'en retranscrire fidèlement le contenu.
Tous ces éléments illustrent parfaitement les éléments décrits dans la lettre de licenciement de M. [J] et portés à la connaissance de l'employeur à partir du 24 juin 2020, ainsi que les antécédents du salarié en matière de management et les alertes dont il a fait précédemment l'objet.
Les attestations qu'il produit lui-même confirment la rigueur et l'exigence dont il faisait preuve tout en vantant ses qualités professionnelles, telles celles de M. [M] et de M. [Z].
Ces qualités sont d'ailleurs mises en avant dans les comptes-rendus des entretiens d'évaluation versés par l'intimée qui relèvent également et surtout les difficultés relationnelles tant avec son équipe qu'avec ses collègues de niveau hiérarchique équivalent qui, comme lui, font partie du Codir.
Pour autant, malgré des rappels, mises en gardes et demandes de s'améliorer qui lui ont été notifiés par sa hiérarchie, M. [J] n'a pas changé sa manière de faire puisque de nouvelles plaintes ont été portées à la connaissance de l'employeur en juin 2020. Il ne s'agit pas seulement d'une insuffisance managériale, comme l'évoque M. [J], mais d'un comportement volontaire car ce dernier n'a pas agi pour améliorer son attitude vis-à-vis de son équipe et de ses collègues malgré ce que certains lui ont dit directement, à l'image de Mme [C] qui a dû changer de service. La manière de faire de M. [J] a eu des répercussions négatives sur la vie personnelle et professionnelle de ses collaborateurs. Elle est, pour toutes ces raisons, constitutive d'une faute, justifiant qu'il soit mis fin à la relation de travail.
Le licenciement pour faute simple de M. [J] est donc fondé.
Le jugement déféré sera donc confirmé, y compris en ce qu'il a débouté le salarié de sa demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Sur le non-respect de l'obligation de formation
[I] [J] sollicite une somme équivalente à un mois de salaire à ce titre, soutenant que son employeur aurait dû respecter une obligation d'adaptation de salarié à son poste de travail en vue d'un reclassement, tout en excipant de ce manquement un motif privant le licenciement de motif réel et sérieux.
Il importe de rappeler que le licenciement de M. [J] est intervenu pour un motif disciplinaire, parce que son attitude était constitutive d'une faute, de sorte que le fait qu'il ait suivi ou non des formations pendant la relation de travail n'a aucune incidence sur le bien-fondé de son licenciement.
De surcroît, par rapport au grief qui a fondé légitimement la rupture de son contrat de travail, il a suivi une formation dont l'attestation de présence est citée ci-dessus dans les pièces versées par l'employeur.
Selon l'article L.1222-1 du code du travail, le contrat de travail est exécuté de bonne foi.
Outre l'obligation d'adapter les salariés à leur poste de travail, l'employeur a l'obligation de veiller au maintien de leur capacité à occuper un emploi au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations, comme le prévoit l'article L.6321-1 du code du travail.
L'employeur est seul à devoir veiller au maintien dans l'emploi. Le salarié n'a pas à formuler de demande de formation ni à mettre le chef d'entreprise en demeure d'exécuter son obligation.
Le manquement de l'employeur à l'obligation de veiller au maintien dans l'emploi est caractérisé lorsque le salarié n'a bénéficié d'aucune formation professionnelle ou lorsqu'il n'a bénéficié que d'un stage pendant toute la durée de son emploi dans l'entreprise.
L'ancienneté du salarié ainsi que le nombre de formations suivies par ce dernier sont pris en compte pour apprécier le comportement de l'employeur.
Lorsqu'est établi un manquement de ce dernier à son obligation, le salarié peut prétendre à des dommages et intérêts venant réparer un préjudice distinct de la rupture du contrat de travail, dont il doit démontrer l'existence.
En l'espèce, M. [J] a été licencié alors qu'il comptait moins de trois années d'ancienneté, à un poste nécessitant déjà une solide formation initiale. Il a bénéficié d'une formation le 4 février 2019, alors qu'il était dans l'entreprise depuis 18 mois, totalement adaptée à son poste puisqu'elle concernait le thème du management, plus précisément le feedback.
Il n'apporte aucun élément pour justifier d'un quelconque préjudice en lien avec l'insuffisance de formation au cours de la relation de travail.
Il ne peut donc utilement arguer d'un manquement de l'employeur à son obligation de formation lui ayant de surcroît causé un préjudice.
Il sera en conséquence débouté de sa demande de dommages et intérêts sur ce fondement.
Le jugement querellé sera infirmé de ce chef.
Sur les demandes accessoires
Le jugement déféré sera infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et complété en ce qui concerne les frais irrépétibles.
[I] [J], qui succombe en toutes ses demandes, devra supporter les entiers dépens de l'instance, y compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes.
Il sera en outre condamné à payer à la société [V] [F] Médicament Production la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
DECLARE irrecevables les conclusions signifiées par M. [I] [J] le 24 avril 2024 de même que les écritures signifiées par la société [V] [F] Médicament Production le 30 avril 2024, de même que les pièces 25 et 26 communiquées par celle-ci le 30 avril 2024 ;
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 10 octobre 2022, sauf en ses dispositions relatives aux dommages et intérêts pour non-respect de l'obligation de formation et les dépens ;
Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :
CONDAMNE M. [I] [J] aux entiers dépens de l'instance, y compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes ;
CONDAMNE M. [I] [J] à payer à la société [V] [F] Médicament Production la somme de 1 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame PACTEAU, Conseillère, par suite de l'empêchement de Madame CAUTRES, Présidente, conformément aux dispositions de l'article 456 du code de la procédure civile, et par Madame LAUBIE, Greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, POUR LA PRÉSIDENTE EMPECHEE