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01/08/2024 | FRANCE | N°22/01307

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 01 août 2024, 22/01307


AC/DD



Numéro 24/2499





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 01/08/2024







Dossier : N° RG 22/01307 - N°Portalis DBVV-V-B7G-IGOC





Nature affaire :



Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail















Affaire :



S.A.S. DRILLSTAR INDUSTRIES





C/



[K] [H]

















Grosse délivrée le

à :































RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 01 août 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues ...

AC/DD

Numéro 24/2499

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 01/08/2024

Dossier : N° RG 22/01307 - N°Portalis DBVV-V-B7G-IGOC

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

S.A.S. DRILLSTAR INDUSTRIES

C/

[K] [H]

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 01 août 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 22 Novembre 2023, devant :

Madame CAUTRES, magistrat chargé du rapport,

assistée de Madame LAUBIE, Greffière.

Madame CAUTRES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Madame PACTEAU et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame CAUTRES, Présidente

Madame SORONDO, Conseiller

Madame PACTEAU, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.S. DRILLSTAR INDUSTRIES

Agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux en exercice, domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 5]

[Adresse 4]

[Adresse 4]

[Localité 2]

Représentée par Maître LIGNEY de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU, et Maître MONEGER loco Me DUBERNET DE BOSCQ, avocat au barreau de BAYONNE

INTIMÉE :

Madame [K] [H]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Comparante et assistée de Maître ANDRE, avocat au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 25 AVRIL 2022

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : F 20/00315

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [K] [H] a été embauchée par la Sas Drillstar Industries, à compter du 2 novembre 1988, selon contrat à durée indéterminée, régi par la convention collective de la Métallurgie.

En dernier lieu, elle a occupé un poste de responsable finances RH.

L'employeur indique employer 38 salariés.

Le 13 novembre 2020, elle a été convoquée à un entretien préalable à licenciement pour faute grave, avec mise à pied conservatoire rémunérée.

Le 1er décembre 2020, elle a été licenciée pour faute grave, en ces termes :

« Nous avons le regret de vous faire part de notre décision de mettre un terme pour faute grave au contrat de travail nous liant.

En conséquence, ce dernier prendra définitivement fin à la date d'envoi du présent courrier.

Les motifs de notre décision, que nous vous avons précisés lors de notre entretien, sont, nous vous le rappelons, les suivants :

' Les agissements inacceptables qui ont été les vôtres à l'égard de Madame [P], collaboratrice de notre entreprise placée sous votre responsabilité directe.

Il apparait, en effet, que votre management s'est traduit en ce qui la concerne par des agissements répétés constitués de pratiques aux conséquences vexatoires, voire dégradantes, fondées sur le reproche permanent.

C'est ainsi qu'entre autre et de manière non exhaustive les éléments que nous avons pu réunir dans le cadre de l'enquête diligentée par nos soins fait ressortir de votre part :

- la formulation d'exigences incessantes,

- de multiples réflexions dévalorisantes et blessantes quant à l'exécution de son travail conduisant à la faire douter de ses capacités professionnelles,

- des directives contradictoires,

- l'absence de toute attitude bienveillante et encourageante,

- une surveillance de son travail s'apparentant à de l'acharnement,

- une exposition à une surcharge de travail démesurée rendant irréalisable le traitement à temps des missions que vous lui confiiez dans le cadre de sa durée contractuelle de travail,

- une mise à l'écart professionnelle du fait d'un manque de communication et de partage de l'information.

- etc'

Ainsi de par les comportements qui ont été les vôtres, Madame [P], déstabilisée et fragilisée professionnellement et moralement, a perdu peu à peu ses repères, la dégradation progressive et inexorable de votre fait de ses conditions de travail a eu pour conséquences d'altérer très profondément sa santé physique et morale. Le traitement qu'a eu à subir de votre part Madame [P] est totalement inacceptable. Il l'est d'autant plus au regard des fonctions managériales qui étaient les vôtres et de la nature même de votre emploi.

' Le fait de ne pas avoir décelé, en votre qualité de Responsable des ressources humaines, la souffrance au travail de Madame [P]

Là-encore, la gravité de vos comportements est accentuée par les fonctions que vous occupiez au sein de notre entreprise.

Du fait de ces dernières, il vous appartenait d'agir efficacement pour la santé et la qualité de vie professionnelle de tous nos travailleurs, dans ce cadre vous auriez dû identifier les signes d'une dégradation du bien-être au travail de Madame [P] et prendre les mesures destinées à y mettre fin, ce d'autant plus que vous collaboriez quotidiennement et directement avec elle.

' Les agissements précités caractérisent à l'évidence des manquements graves de votre part à l'obligation première de sécurité que vous vous deviez impérativement de respecter à l'égard de votre subordonnée.

En ce qui concerne plus particulièrement l'intensité de la masse de travail dont la réalisation lui était confiée par vos soins, cette dernière a abouti de votre fait à des situations incompatibles avec la réglementation du travail dont il vous appartenait pourtant de veiller scrupuleusement à l'application.

o-o-o-o-o

La situation que vous avez ainsi créée par vos comportements déstabilisateurs et votre acharnement à l'encontre de cette salariée placée sous votre subordination directe a eu pour conséquence de mettre en péril sa santé physique et morale.

Dès lors, vos comportements, de par leur gravité, ne permettent plus votre maintien dans l'entreprise »

Le 31 décembre 2020, Mme [K] [H] a saisi la juridiction prud'homale au fond.

Par jugement du 25 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Pau a :

- Condamné la société Drillstar Industries à verser à Mme [K] [H] les sommes suivantes :

o 25.456,44 euros bruts à titre d'indemnités compensatrices de préavis,

o 2.545,64 euros bruts à titre d'indemnités de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis,

o 76.369,32 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement plafonnée conventionnellement,

o 42.427,40 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, conformément à l'article L 1235-3 du Code du travail, dit barème Macron, compte tenu de l'ancienneté et de l'âge de l'intéressée,

- Dit que ces sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter de la citation en justice, date de réception par la défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 5 juillet 2021,

- Ordonné à la société Drillstar Industries de remettre à Mme [K] [H] les documents sociaux modifiés et conformes au présent jugement,

- Ordonné le remboursement par la société Drillstar Industries aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Mme [H] licenciée, à concurrence d'un mois,

- Débouté Mme [K] [H] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- Rappelé que l'exécution provisoire en matière prud'homale est de droit pour les remises de documents que l'employeur est tenu de de délivrer ainsi que pour les créances salariales ou assimilées dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire (article R.1454-28 du code du travail),

- Condamné la société Drillstar Industries à verser à Mme [K] [H] la somme de 1.500 euros au titre de l'article 700 du CPC,

- Condamné la société Drillstar Industries aux dépens.

Le 9 mai 2022, la Sas Drillstar Industries a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses conclusions responsives et récapitulatives n°3 adressées au greffe par voie électronique le 29 septembre 2023, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Drillstar Industries demande à la cour de :

$gt; A titre principal :

- Juger que le conseil de prud'hommes de Pau n'a pas motivé sa décision, et ce, en violation des prescriptions de l'article 455 du code de procédure civile,

- Annuler, par voie de conséquence, le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Pau le 25 avril 2022,

Partant,

- Juger que le licenciement de Mme [H] repose à l'évidence sur une faute grave,

- La Débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- La Débouter de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- Condamner Mme [H] à payer à la Société Drillstar Industries la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner Mme [H] aux entiers dépens de l'instance,

$gt; A titre subsidiaire, dans l'hypothèse extraordinaire où la Cour d'Appel ne devait pas prononcer l'annulation du jugement déféré,

- Infirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

Condamné la Société Drillstar Industries à verser à Mme [K] [H] les sommes suivantes :

' 25.456,44 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

' 2.545,64 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés sur l'indemnité compensatrice

de préavis,

' 76.369,32 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement, plafonnée conventionnellement,

' 42.427,40 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, conformément à l'article L 1235-3 du code du travail, dit Barème Macron, compte tenu de l'ancienneté et de l'âge de l'intéressée,

Dit que ces sommes allouées porteront intérêt au taux légal à compter de la citation en justice, date de réception par la défenderesse de la convocation devant le bureau de conciliation, soit le 05 Juillet 2021,

Ordonné à la Société Drillstar Industries de remettre à Mme [K] [H] les documents sociaux modifiés et conformes au présent jugement, ordonné le remboursement par la Société Drillstar Industries aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées à Mme [H] licenciée, à concurrence d'un mois,

Rappelé que l'exécution provisoire en matière prud'homale est de droit pour les remises de documents que l'employeur est tenu de délivrer ainsi que pour les créances salariales ou assimilées dans la limite maximum de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire (article R. 1454-28 du code du travail),

Condamné la Société Drillstar Industries à verser à Mme [K] [H] la somme de 1500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamné la Société Drillstar Industries aux dépens,

- Confirmer le jugement entrepris par le conseil de prud'hommes de Pau en ce qu'il a débouté Mme [H] de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral.

Par conséquent et statuant à nouveau :

- Juger que le licenciement de Mme [H] repose à l'évidence sur une faute grave,

- La débouter en conséquence de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- La débouter de sa demande de dommages et intérêts pour préjudice moral,

- Condamner Mme [H] à payer à la Société Drillstar Industries la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,

- Condamner Mme [H] aux entiers dépens de l'instance.

Dans ses conclusions récapitulatives et responsives n°3 adressées au greffe par voie électronique le 7 octobre 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [K] [H], formant appel incident, demande à la cour de :

- Confirmer le jugement déféré en ce qu'il a :

o Jugé le licenciement de Mme [H] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

o Condamné la Société Drillstar Industries à lui verser les sommes suivantes :

* 25.456,44euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis : 4.242,74*6 mois,

* 2.545,64euros bruts à titre d'indemnité de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis,

* 76.369,32euros nets à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement : 4.242,74euros*7/5 + 4.242,74euros*3/5*25 = 90.455,29euros nets, plafonnée conventionnellement à 76.369,32euros nets (18 mois de salaires),

* 1.500 euros nets à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Réformer le jugement déféré en ce qu'il a :

o Débouté Mme [H] de sa demande rendant à voir Condamner la Société Drillstar Industries à lui verser la somme de 20.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

o Limité le montant de l'indemnité allouée au titre de son licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse à 42.427,40euros nets,

' En conséquence, Condamner la Société Drillstar Industries à verser à Mme [H] les sommes suivantes :

* 25.456,44 euros bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis,

* 2.545,64 euros bruts à titre d'indemnité de congés payés sur indemnité compensatrice de préavis,

* 76.369,32 euros nets (18 mois de salaires) à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement plafonnée conventionnellement (4.242,74euros*7/5 + 4.242,74 euros*3/5*25 = 90.455,29 euros nets, plafonnée conventionnellement à 76.368,32 euros nets),

* 84.854,80 euros nets à titre d'indemnité pour licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,

* 20.000 euros nets à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral,

* 1.500 euros nets à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais de première instance,

* 5.000 euros nets à titre d'indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur la demande d'annulation du jugement du conseil de prud'hommes

Attendu que les articles 455 et 458 du code de procédure civile prévoient que le jugement doit exposer succinctement les prétentions respectives des parties et leurs moyens. Il doit être motivé. Ces exigences sont prescrites à peine de nullité ;

Attendu qu'il ressort des termes du jugement que le conseil de prud'hommes a repris l'ensemble des prétentions et moyens de chacune des parties et a développé sa motivation en faisant apparaître de façon distincte les deux chefs de demandes soulevés par Mme [H] concernant l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement ;

Que s'agissant plus particulièrement de l'examen de la cause réelle et sérieuse du licenciement, le conseil de prud'hommes a rappelé les définitions juridiques de la faute grave et a analysé les pièces des parties ;

Attendu que les premiers juges justifient donc avoir analysé, certes succinctement, les éléments de preuve sur lesquels ils se sont fondés et ont expliqué les raisons les conduisant à se déterminer en faveur de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement ;

Que l'appelante sera donc débouté de sa demande d'annulation du jugement déféré ;

Sur le licenciement

Attendu que par courrier du premier décembre 2020, qui fixe les limites du litige, Madame [H] a été licenciée pour faute grave ;

Attendu que tout licenciement doit être fondé sur une cause à la fois réelle, donc établie, objective, exacte et sérieuse, le juge formant sa conviction au vu des éléments soumis par les parties, étant ajouté que le doute profite au salarié ;

Attendu que par ailleurs, Madame [H] ayant été licenciée pour faute grave, il appartient à l'employeur d'établir que la faute commise par le salarié dans l'exécution de son contrat de travail, est d'une gravité telle qu'elle rend impossible le maintien du contrat de travail pendant le préavis ;

Attendu qu'à l'appui de ses griefs l'employeur produit notamment les pièces suivantes :

Un courriel de M. [F] [C] en date du 12 octobre 2020 à 7 heures 18 adressé à M. [R] qui alerte de la situation de son épouse, décrite en état de grande fragilité depuis le confinement et plus particulièrement depuis une semaine. Il fait état qu'elle ne parvient pas à faire face aux réflexions régulières de sa responsable, semblant viser son épouse dans sa personne ;

Un second courriel de M. [F] [C] du même jour à 18 heures 03  libellé comme suit « je vous transfère le mail que je vous avais envoyé ce jour apparemment à une mauvaise adresse. Pour faire suite à ce message, je vous informe que ce matin [O] a absorbé des médicaments durant mon absence. Elle est hospitalisée pour une période indéterminée » ;

Un certain nombre d'arrêt(s) de travail de Mme [C] en octobre et novembre 2020 ;

Un courrier de M. [R] à Mme [C] en date du 16 octobre 2020 libellé comme suit « Vous portez à ma connaissance, pour la première fois, un certain nombre de faits qui seraient à l'origine de la dégradation de votre état de santé et nommez directement Mme [H], votre responsable, d'en être l'auteur. Soyez certaine que je traite la problématique que vous soulevez avec la plus grande diligence, j'enclenche à ce titre des investigations approfondies. Dans le cadre de cette enquête je souhaiterais obtenir, dès que vous vous en sentirez capable, un écrit de votre part me rapportant plus précisément les faits de nature à étayer vos propos » ;

Un courriel de Mme [C] en date du 26 octobre 2020 qui transmet un écrit à son employeur sur son ressenti sur les relations professionnelles entretenues avec Mme [H] ;

Un certain nombre d'auditions dans le cadre de l'enquête diligentée par l'employeur le 2 novembre 2020. Mme [A], du service achats et logistique indique « j'ai plusieurs fois entendu, lors des passages devant le bureau de Mme [H] dans lequel se trouvait [O] [C], des remarques prononcées sur un ton méprisant et infantilisant à l'égard de [O], qui à chaque fois avait une posture qui rappelait celle d'un enfant dans le bureau du directeur qui lui faisait des remontrances. Cela m'a frappée plusieurs fois ». M. [B], directeur produit fait état des éléments suivants « de l'extérieur, les conditions semblaient très rigides et le climat peu propice à la discussion'Témoin auditif d'une forte confrontation entre [K] et [O] un soir il y a quelques semaines. Vu [O] en larmes dans son véhicule à l'issue ». Ce salarié a également constaté que Mme [C] pouvait rester seule à terminer des tâches le soir. Mme [D], chef de projet, qui indique « j'ai constaté que [O] avait en sa possession un PC portable. Je l'ai vu l'emporter le soir ou le week-end à plusieurs reprises depuis des années. J'ai vu [O] partir tard de l'entreprise à plusieurs reprises depuis des années ». M. [J], responsable BE déclare « de façon « témoin direct », j'ai pu effectivement constater que depuis plusieurs années l'état de santé (tant sur le plan physique que moral de [O] [C]) s'est dégradé progressivement. [O] a discuté avec moi que la provenance de ces maux était due à son milieu professionnel mais sans jamais vouloir aller plus en détail ».M. [G], responsable commercial, qui décrit Mme [H] comme une personne plutôt inflexible dans son management et la relation avec le personnel. Il spécifie avoir entendu une altercation entre Mme [H] et Mme [C] le 7 octobre 2020 (selon ce qu'il a entendu objet jeté par terre et éclats de voix). M. [U] indique « [K] est très autoritaire et exigeante envers [O] qui est effacée, intimidée face à sa responsable. Depuis le premier confinement [O] a évoqué avec moi, deux ou trois fois, lors de son départ vers 18 heures que [K] lui faisait régulièrement des réflexions sur la qualité et la lenteur de son travail. Lors de la mise en place des droits d'accès sur les répertoires informatiques, j'ai en effet constaté que beaucoup d'accès étaient verrouillés pour [O] alors qu'elle les avait auparavant » ;

L'audition de Mme [H] le 6 novembre 2020 à l'occasion de l'enquête interne qui indique « quand je fais des réflexions c'est que quelque chose ne va pas. Pour moi je ne la dévalorise pas, mon objectif était qu'elle puisse prendre ma place ». Elle reconnaît une charge de travail importante de la salariée et indique « oui tout le monde le sait. J'ai remonté à plusieurs reprises à [T], en copil, que [O] faisait trop d'heures et qu'il fallait lui enlever de la charge ». Elle spécifie « mon management direct ne génère pas de souffrance au travail. On sait de tout temps que [O] n'a pas confiance en elle, c'est un trait de caractère et de personnalité. Les formations suivies par [O] (exemple affirmation de soi) n'ont sans doute pas apporté cette confiance. Je ne vois pas d'emprise psychologique et quels propos et actions seraient de l'emprise psychologique. [O] s'est normalement confiée de ses problèmes de la vie, de ses week-ends et nous échangions librement dans une relation normale » ;

Un courriel de Mme [H] en date du 9 novembre 2020 à M. [R] lui indiquant les motifs de son arrêt de travail, se sentant injustement accusée d'une situation qu'elle n'a pas occasionnée. Elle impute la situation à une surcharge de travail excessive et non à son mode de management. Elle spécifie notamment « alors que j'avais déjà signalé la charge trop importante du service et demandé à ce que [O] soit dégagée de certaines tâches, notamment lors du recrutement d'une assistante commerciale début 2019 et encore cette année lors de l'arrivée de la dernière assistante commerciale, je n'ai pas été entendue et aujourd'hui je dois porter seule la responsabilité de ce qui arrive » ;

Un courriel de Mme [H] en date du 17 novembre 2020 adressé à M. [R] aux termes duquel la salariée livre un certain nombre d'éléments sur les faits objets de l'enquête et sollicite de connaître les griefs qui lui seront reprochés à titre personnel ;

Un procès-verbal de constat d'huissier du 15 mars 2021 ;

Une attestation de M. [N], ancien délégué du personnel au sein de l'entreprise de 2005 à 2017 qui retranscrit les confidences que lui faisait Mme [C] depuis un certain nombre d'années concernant ses relations avec Mme [H] et sa charge de travail ;

L'état d'émargement de Mme [C] à compter de janvier 2020 ;

différents arrêts de travail de Mme [H] à compter du 6 novembre 2020 ;

un courrier de l'employeur à Mme [C] en date du 5 février 2021, soit postérieurement au licenciement de Mme [H], libellé comme suit « vous avez dû prendre connaissance de votre bulletin de paie du mois de janvier 2021. Comme vous avez pu le constater, ce dernier fait apparaître la rémunération d'heures supplémentaires (80,75 heures à 125 %, 11,75 heures à 150 %) dont la responsable des ressources humaines de notre société ne nous avait pas informé que vous les aviez accomplies, ce que nous ne pouvons que déplorer ». Le bulletin de paie de Madame [C] du mois de janvier 2021 est ainsi produit et démontre le paiement de ces heures supplémentaires ;

une attestation de suivi du médecin du travail en date du 25 janvier 2021 concernant Madame [C] ;

un courriel de Monsieur [R] à Madame [C] en date du 23 décembre 2020 faisant part à la salariée que la responsable comptable/ressources humaines ne fait plus partie de l'effectif de l'entreprise ;

un rapport médical de Madame [C] en date du 16 avril 2021 élaboré par le Docteur [L], psychiatre. Il spécifie que « le volet cognitif de la patiente représente une production d'idées explicites, à contenu négatif c'est-à-dire sans espoir d'amélioration comme si le sujet se trouvait emprisonné dans une situation sans aucune possibilité d'évoluer positivement de se sortir de cette situation où l'anxiété domine, comme si aucun repos n'était possible. Également la double peine représente une seconde source de cognitions négatives représentées par les jugements de valeur sans cesse produit par le supérieur hiérarchique de la patiente dans les conditions du travail générant à force de répétition une acceptation de la part de la patiente qui finit par faire sienne les jugements de valeurs qui sont portées à son égard ». La conclusion est libellée comme suit « un état de stress post-traumatique exclusivement lié aux conditions de travail puisque cette patiente a subi de par les mécanismes d'injonction paradoxale et de double contrainte un stress permanent et constant. Cette corrélation est directe et certaine dans la mesure où aucun antécédent particulier ne pouvait mettre en évidence une quelconque vulnérabilité » ;

une attestation de Monsieur [W] qui indique que les connexions de Madame [C] en dehors de ses heures de travail ont existé de mars à octobre 2020. La liste de ces connexions est jointe à l'attestation. On peut relever des connexions après 21 heures et avant sept heures du matin ;

une attestation de Madame [S], nouvelle responsable comptabilité/finances/ressources humaines qui indique qu' à son retour de travail Madame [C] est une bonne technicienne comptable et que ces peurs de l'échec/de la faute se sont atténuées en six mois ce qui lui permet de gérer les dossiers dans la globalité. Il est spécifié que cette salariée gagne en autonomie ;

Attendu que de son côté Mme [H] produit au dossier notamment les éléments suivants :

un courrier de contestation de son licenciement en date du 17 décembre 2020 ;

différents bulletins de salaire démontrant qu'elle bénéficie d'un forfait annuel en jours ;

une attestation de Monsieur [Y] décrivant des relations cordiales entre Madame [H] et Mme [C] en dehors du travail. Il évoque également que Madame [C] s'était épanchée sur des événements relatifs à sa vie privée et notamment ses difficultés au sein de son couple. Il relate ensuite les seuls propos de Madame [H], celle-ci s'étant confiée auprès de lui de la charge de travail accrue d'elle-même et de Madame [C] ;

une attestation de Monsieur [Z], ancien salarié de la société. Il spécifie qu'il n'était pas en contact quotidien avec le service dans lequel travaillait l'intimée. Cependant il indique que cette collaboration s'est très bien passée et qu'il a toujours été bien reçu et bien renseigné tant par Madame [H] que Mme [C]. Il fait état que « elle [Madame [H]] a toujours appliqué les règles, les lois, les textes à la lettre et tant pis pour celui qui ne les a pas respectés' cette fermeté lui a certainement valu du ressentiment de la part de certains collègues mais elle faisait son travail. Mais je n'ai jamais entendu une réaction verbale violente et déplacée à l'encontre d'un collègue » ;

une attestation de Madame [I], responsable des ressources humaines dans une autre entreprise, qui indique qu'elle n'a jamais entendu l'intimée avoir des propos déplacés et tendancieux, dans l'irrespect de ses collaborateurs ;

un certain nombre de messages écrits sur téléphone émanant de Monsieur [R] concernant certains soucis de ressources humaines qui ne sont jamais en lien avec les faits qui sont reprochés à la salariée  ;

un certain nombre de messages écrits entre Mme [C] et Mme [H] tant sur des déjeuners communs que sur d'autres questions liées aux arrêts de travail, retards possibles que sur des points professionnels ;

un certain nombre de conversations sur téléphone entre Madame [C] et Mme [H] démontrant qu'elles pouvaient  sortir après le travail ensemble ;

un courriel de Monsieur [M] à Madame [C] en date du 12 mai 2014 évoquant des difficultés relationnelles entre elles et un autre salarié ;

un entretien d'évaluation des performances de Madame [H] pour la période allant d'octobre 2016 à septembre 2017. Madame [H] n'évoque pas de charge de travail excessive mais indique simplement que lors des pics le service apprécierait avoir de l'aide d'autres collègues. Elle fait état également que les relations avec le service commercial sont aujourd'hui plus sereines. Concernant sa charge de travail la salariée estime que le forfait est adapté à l'organisation du travail avec une vigilance quant aux phénomènes goulot vécus ponctuellement en comptabilité en phase finale. Enfin dans les objectifs pour l'année à venir il est spécifié « gagner en disponibilité de [O] pour un appui en commerce et ou en logistique suivant les besoins » ;

un entretien professionnel de Mme [C] pour 2016 réalisé par Mme [H]. Il est spécifiquement indiqué « pas de problème dans cette articulation (concernant vie professionnelle et vie familiale) malgré la surcharge de travail sur le poste ». Il est noté par Mme [H] que les relations dans le service sont bonnes et que la communication se fait dans les deux sens ;

un entretien professionnel de Madame [C] réalisé par Madame [H] en mars 2020. Il est mentionné que Mme [C] doit confirmer sa capacité à prendre du recul et à s'affirmer ;

Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que la réalité d'un management dur a été mis en place de longue date par Mme [H] est démontrée ;

Que l'enquête diligentée postérieurement à l'arrêt de travail de Mme [C], dont les témoignages sont circonstanciés, démontre que Mme [H] faisait preuve de comportement d'une grande dureté, alors même qu'en sa qualité de supérieure hiérarchique de Mme [C], elle avait conscience de que cette salariée avait peu de confiance en elle (elle l'a relevé elle-même dans son évaluation professionnelle produite au dossier) ;

Que de la même façon il est démontré que Mme [C] avait une charge de travail importante, provoquant la réalisation d'heures supplémentaires, sans que jamais Mme [H] ne sollicite de l'employeur de mesures destinées à réduire la charge de travail de sa subordonnée (et ce contrairement aux allégations de Mme [H] qui ne produit pas au dossier de document d'alerte à M. [R] concernant cette situation) ;

Attendu que son management inadapté à l'égard de Mme [C] est donc caractérisé et constitue un manquement suffisamment sérieux pour servir de base au licenciement de Mme [H] ;

Attendu cependant que les différents témoignages de l'enquête démontrent que ce management était connu de tous et donc de l'employeur, sans que celui-ci ne lui adresse aucune remontrance ni sanction sur la très longue période de relation contractuelle (plus de 30 ans) ;

Que si les conséquences de ce management à l'égard de Mme [C] ont été dramatiques, il n'en demeure pas moins que l'employeur ne démontre pas que la gravité de ce manquement, qu'il a opportunément accepté durant de nombreuses années, rendait impossible la poursuite du contrat de travail pendant le préavis ;

Attendu que le licenciement de Mme [H] repose donc sur une cause réelle et sérieuse, le jugement déféré devant être infirmé sur ce point ;

Sur les conséquences du licenciement reposant sur une cause réelle et sérieuse

Attendu qu'en l'espèce, les parties reprennent devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance concernant l'indemnité compensatrice de préavis et l'indemnité de licenciement ;

Qu'en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle adopte, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties au regard de ces demandes  

Attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a condamné la SAS Drillstar Industries à payer à Mme [H] les sommes suivantes :

o 25.456,44 euros bruts à titre d'indemnités compensatrices de préavis,

o 2.545,64 euros bruts à titre d'indemnités de congés payés sur l'indemnité compensatrice de préavis,

o 76.369,32 euros à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement plafonnée conventionnellement ;

Sur la demande de dommages et intérêts de Mme [H] pour préjudice moral

Attendu que Mme [H], dont le licenciement repose sur une cause réelle et sérieuse, ne rapporte pas la preuve d'un manquement de l'employeur lui ayant causé un préjudice moral ;

Qu'elle sera donc déboutée de sa demande de ce chef, le jugement déféré devant être confirmé sur ce point ;

Sur les demandes accessoires

Attendu que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel ;

Attendu qu'il apparaît équitable en l'espèce de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles non compris dans les dépens de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

Déboute la SAS Drillstar Industries de sa demande d'annulation du jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 25 avril 2022 ;

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 25 avril 2022 sauf en ce qui concerne l'indemnité compensatrice de préavis, les congés payés sur préavis, l'indemnité de licenciement et les dommages et intérêts pour préjudice moral distinct et les intérêts ;

Et statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Dit que le licenciement de Mme [K] [H] repose sur une cause réelle et sérieuse,

Déboute Mme [K] [H] de sa demande de dommages et intérêts sur le fondement de l'article L.1235-3 du code du travail ;

Dit que l'employeur devra remettre à la salariée les documents de fin de contrat rectifiés conformes à la présente décision ;

Dit que chacune des parties supportera la charge de ses propres dépens de première instance et d'appel et dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame PACTEAU, Conseillère, par suite de l'empêchement de Madame CAUTRES, Présidente, conformément aux dispositions de l'article 456 du code de la procédure civile, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, POUR LA PRÉSIDENTE EMPECHEE


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01307
Date de la décision : 01/08/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 10/08/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-08-01;22.01307 ?
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