N°24/02397
REPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PAU
L743-21, L743-23, R743-10, R743-11 et R743-18 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile,
ORDONNANCE du vingt deux Juillet deux mille vingt quatre
N° RG 24/02121 - N° Portalis DBVV-V-B7I-I5GT
Décision déférée ordonnance rendue le 17 JUILLET 2024 par le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bayonne,
Nous, Christine DARRIGOL, Conseiller, désignée par Ordonnance de Monsieur le Premier Président de la Cour d'appel de Pau en date du 5 juillet 2024, assistée de Elisabeth LAUBIE, Greffier,
APPELANT
M. [N] [G]
né le 05 Janvier 1984 à [Localité 2]
de nationalité tunisienne
Retenu au centre de rétention d'[Localité 1]
Comparant et assisté de Maître Eva LAFORGUE
INTIMES :
Le PREFET de la CORREZE, avisé, absent, mémoire transmis
MINISTERE PUBLIC, avisé de la date et heure de l'audience,
ORDONNANCE :
- réputée contradictoire, après débats en audience publique,
*********
Vu l'arrêté portant refus de séjour et obligation pour M. [N] [G] de quitter le territoire français sans délai avec interdiction de retour pour une durée de cinq ans pris par le Préfet de la Corrèze le 25 juin 2024 notifié à l'intéressé le 26 juin 2024 ;
Vu l'arrêté portant assignation à résidence pris par le Préfet de la Corrèze le 25 juin 2024 et notifié le 26 juin 2024 ;
Vu l'arrêté de placement en rétention administrative pour 48 h pris par le Préfet de la Corrèze le 13 juillet 2024 et notifié le 15 juillet 2024 à 9h18 ;
Vu l'arrêté modificatif de l'arrêté de placement en rétention portant la durée initiale de placement à 4 jours pris par le Préfet de la Corrèze le 16 juillet 2024 et notifié le 16 juillet 2024 à 9h45 ;
Vu la requête de M. [N] [G] en date du 16 juillet 2024 reçue le 16 juillet 2024 à 12h22 et enregistrée le 17 juillet 2024 à 9h en contestation de son placement en rétention administrative
Vu la requête du Préfet de la Corrèze en date du 17 juillet 2024 reçue au greffe du tribunal judiciaire de Bayonne le 17 juillet 2024 à 8h35 et enregistrée le même jour à 9h15 aux fins de première prolongation de la mesure de rétention pour une durée de 26 jours ;
Vu l'ordonnance du 17 juillet 2024 notifiée le 17 juillet 2024 à 20h34 aux termes de laquelle le juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bayonne a :
- ordonné la jonction des dossiers RG 24/00997 et RG 24/00996,
- déclaré recevable la requête de M. [N] [G],
- rejetée la requête de M. [N] [G],
- déclaré recevable la requête du préfet de la Corrèze,
- déclaré régulière la procédure diligentée à l'encontre de M. [N] [G],
- dit n'y avoir lieu à assignation à résidence,
- ordonné la prolongation de la rétention de M. [N] [G] pour une durée de 28 jours à l'issue du délai de rétention.
Vu l'acte d'appel reçu au greffe de la cour le 18 juillet 2024 à 18h40 aux termes duquel M. [N] [G] sollicite l'infirmation de l'ordonnance déférée, l'annulation de l'arrêté de placement en rétention administrative du 13 juillet 2024 et sa remise en liberté immédiate;
Vu le mémoire de la préfecture reçu au greffe de la cour le 21 juillet 2024 à 18h20 tendant au rejet des demandes de M. [N] [G] et à la confirmation de l'ordonnance déférée ;
Vu les conclusions complémentaires de M. [N] [G] reçues au greffe de la cour le 22 juillet 2024 à 8h11 tendant aux mêmes fins que l'acte d'appel ;
Attendu qu'à l'audience, M. [N] [G] a repris les moyens exposés dans l'acte d'appel ;
MOTIFS DE LA DECISION
Sur la recevabilité de l'appel :
L'appel formé par M. [N] [G] a été interjeté dans les délais requis et sera déclaré recevable.
Sur le fond :
Sur le moyen tiré de l'irrecevabilité de la requête en prolongation de la préfecture :
Dans ses conclusions complémentaires, M. [N] [G] fait valoir que la prolongation du maintien en rétention ne peut être demandée qu'au cours de l'exécution de la mesure de rétention, qu'en en l'espèce, le juge des libertés et de la détention a examiné la requête en prolongation de la rétention sur la base de l'arrêté de placement en rétention du 13 juillet 2024 notifiée le 15 juillet 2024 à 9h18 sans tenir compte de l'arrêté modificatif de placement en rétention notifié le 16 juillet 2024 portant à 4 jours la durée initiale de la rétention, qu'en application de de l'arrêté de placement en rétention notifié le 15 juillet, la mesure de rétention aurait dû prendre fin le 17 juillet 2024 à 9h18, que M. le Préfet de la Corrèze a transmis sa requête en prolongation de la rétention au greffe du juge des libertés et de la détention le 17 juillet 2024 à 11h08, soit après l'expiration du délai de 48 h, que le juge aurait dû relever d'office l'irrecevabilité de la requête en prolongation de la rétention, que l'inobservation du délai de saisine par la préfecture constitue une nullité d'ordre public que le juge doit relever d'office.
Le moyen soulevé tend à faire déclarer la procédure irrégulière et constitue donc une exception de procédure au sens de l'article 73 du code de procédure civile. L'article 74 du même code dispose que les exceptions doivent, à peine d'irrecevabilité, être soulevée simultanément et avant toute défense au fond et précise qu'il en est ainsi alors même que les règles invoquées au soutien de l'exception seraient d'ordre public. En l'espèce, il ne résulte pas des pièces de la procédure et notamment de l'ordonnance déférée du juge des libertés et de la détention que ce moyen ait été soulevée devant le premier juge. Le moyen présenté pour la première fois devant la cour est donc irrecevable en application des dispositions précitées.
En tout état de cause, il résulte des énonciations de l'ordonnance du juge des libertés et des pièces de la procédure que le juge des libertés et de la détention a été saisi de la demande de prolongation de la rétention le 17 juillet 2024 à 8h35 et que celle-ci a été enregistrée le 17 juillet 2024 à 9h15, soit avant l'expiration du délai de 48 h, peu importe que la demande ait été complétée ultérieurement.
Sur le moyen tiré de la violation de l'article L 742-3 du code de l'entrée et du séjour des étrangers :
M. [N] [G] fait valoir que le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la rétention pour une durée de 28 jours à l'issue du délai de la rétention alors que l'article L 742-3 du Ceseda dans sa version applicable à compter du 15 juillet 2024 prévoit que si le juge ordonne la prolongation de la rétention, celle-ci court pour une période de 26 jours à compter de l'expiration du délai de 4 jours mentionné à l'article L 741-1. Il en déduit que si l'ordonnance déférée devait être exécutée, il serait illégalement détenu du 14 au 16 août 2024.
L'article 86 de la loi n°2024-42 du 26 janvier 2024 prévoit que les dispositions des articles L 741-1 et L 742-3 entrent en vigueur à une date fixée par décret en Conseil d'État et qu'elles s'appliquent à la contestation des décisions prises à compter du leur entrée en vigueur. L'article 9 du décret n°2024-799 du 2 juillet 2024 précise que ces dispositions entrent en vigueur le 15 juillet 2024. Il résulte de ces textes que les dispositions de l'article L 741-1 portant à 4 jours le délai de rétention initiale et celles de l'article L 742-3 fixant à 26 jours la durée de la première prolongation s'appliquent à la contestation des décisions prises à compter du 15 juillet 2024. L'arrêté contesté de placement en rétention étant antérieur à cette date, les nouvelles dispositions précitées ne s'appliquent pas au litige.
Dès lors, c'est à bon droit que le juge des libertés et de la détention a ordonné la prolongation de la rétention de M. [N] [G] pour une durée de 28 jours à l'issue du délai de rétention. Le délai de rétention initiale étant de 48 h, le moyen soulevé n'est pas fondé.
Sur le moyen tiré du défaut de motivation suffisante de l'arrêté de placement en rétention administrative :
M. [N] [G] soutient que l'arrêté de placement en rétention serait insuffisamment motivé en ce que la vie privée et familiale de M. [N] [G] ainsi que l'ancienneté de ses liens avec la France n'y sont pas évoquées alors qu'il vit en France depuis l'âge de 4 ans et y a effectué sa scolarité, qu'il est marié et père de trois enfants, que toute sa famille vit en France et qu'il n'a pas de liens familiaux ou amicaux en Tunisie, que faute de prendre en compte ces éléments, le Préfet n'a pu édicter une mesure proportionnée et nécessaire.
Aux termes de l'article L 741-1, l'autorité administrative peut placer en rétention pour une durée de quatre jours l'étranger qui se trouve dans l'un des cas prévus à l'article L 731-1 lorsqu'il ne présente pas de garanties de représentation effective propres à prévenir un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement et qu'aucune autre mesure n'apparaît suffisante à garantir efficacement l'exécution effective de cette décision ; le risque mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L 612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger représente.
Selon l'article L 741-4, la décision de placement en rétention prend en compte l'état de vulnérabilité et tout handicap de l'étranger. Le handicap moteur, cognitif ou psychique et les besoins d'accompagnement de l'étranger sont pris en compte pour déterminer les conditions de son placement en rétention.
En l'espèce, l'arrêté portant placement en rétention énonce que M. [N] [G] fait l'objet d'une obligation de quitter le territoire français sans délai, situation qui entre bien dans les prévisions de l'article L 731-1, que sa présence constitue une menace pour l'ordre public pour différents motifs qu'il énumère, qu'il n'a pas respecté les obligations auxquelles il était astreint dans le cadre de sa précédente assignation à résidence, (cet élément constituant l'un des critères d'appréciation du risque de soustraction à la décision d'éloignement prévu à l'article L 612-3 ). L'arrêté précise en outre « après étude de sa situation et de ses déclarations, il ne ressort d'aucun élément que l'intéressé présenterait un état de vulnérabilité particulier que ce soit à titre personnel ou relativement à son état de santé qui s'opposerait à son placement en rétention ».
Il résulte de ces éléments que la décision de placement en rétention est motivée en droit et en fait et satisfait aux exigences de motivation prévues par les articles précitées, étant relevé que la vulnérabilité évoquée de la famille de M. [N] [G], qui serai impactée sur le plan économique, social et affectif par le placement en rétention de l'intéressé, n'est pas un critère d'appréciation de la vulnérabilité personnelle de l'étranger.
Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen tiré du défaut de risque avéré de soustraction à la mesure d'éloignement :
M. [N] [G] soutient que le risque de soustraction à la mesure d'éloignement n'est pas établi.
En l'espèce, l'article L 741-1 du code de l'entrée et du séjour des étrangers dispose que le risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement mentionné au premier alinéa est apprécié selon les mêmes critères que ceux prévus à l'article L 612-3 ou au regard de la menace pour l'ordre public que l'étranger présente.
L'article L 612-3 prévoit que le risque mentionné au 3° de l'article L 612-2 peut être regardé comme établi, sauf circonstance particulière, dans les cas suivants :
8°) L'étranger ne présente pas de garanties de représentation suffisantes notamment parce qu'il s'est précédemment soustrait aux obligations prévues aux articles ' L 731-3, L. 733-1 à L 733-4' ».
L'article L 731-3 dispose que l'autorité administrative peut autoriser l'étranger à se maintenir provisoirement sur le territoire en l'assignant à résidence jusqu'à ce qu'il existe une perspective raisonnable d'exécution de son obligation.
En l'espèce, il est acquis que par arrêté du 25 juin 2024 notifié le 26 juin 2024, le préfet de Corrèze a prononcé à l'égard de M. [N] [G] une mesure d'assignation à résidence pour une durée de 45 jours lui faisant obligation de se présenter tous les jours de la semaine à 9 h au commissariat de police d'[Localité 3] et interdiction de sortir du département de la Corrèze sans autorisation.
En l'espèce, il est établi et non contesté que M. [N] [G] s'est abstenu de pointer au commissariat de police le 5 juillet 2024, en invoquant un oubli sur ce point ce qui ne constitue pas un motif légitime, et s'est rendu sur le département de la Creuse le 10 juillet 2024 sans autorisation.
Ces manquements répétés aux obligations de la mesure d'assignation à résidence caractérisent l'absence de garanties de représentation suffisantes et objectivent en conséquence un risque de soustraction à l'exécution de la décision d'éloignement.
Le moyen n'est donc pas fondé.
Sur le moyen tiré du défaut de motivation suffisante de la requête en prolongation de la rétention :
La requête en prolongation de la rétention, qui fait état de l'arrêté portant obligation de quitter le territoire français, du non-respect d'une précédente mesure d'assignation à résidence, du fait que la présence de l'intéressé constitue une menace pour l'ordre public, de l'absence de vulnérabilité, est suffisamment motivée.
Sur le moyen tiré de l'absence avéré de risque de soustraction à la décision d'éloignement :
Pour les mêmes motifs précités, le risque de soustraction à la décision d'éloignement est caractérisé.
Considérant que M. [N] [G] ne fait valoir aucun élément de vulnérabilité personnelle, qu'il a enfreint à plusieurs reprises une précédente mesure d'assignation à résidence caractérisant un risque avéré de soustraction à la mesure d'éloignement, que l'autorité administrative justifie avoir saisi les autorités consulaires tunisiennes d'une demande de laisser-passer le 12 juillet 2024, la cour confirmera l'ordonnance déférée sauf à préciser que la rétention est prolongée de 28 jours à l'expiration du délai de 48 h.
PAR CES MOTIFS,
Statuant publiquement,
Déclarons l'appel recevable en la forme ;
Confirmons l'ordonnance du juge des libertés et de la détention du tribunal judiciaire de Bayonne du 17 juillet 2024 en toutes ses dispositions, sauf à préciser que la rétention est prolongée pour une durée de 28 jours à l'issue du délai de rétention de 48 h ;
Disons que la présente ordonnance sera notifiée à l'étranger, à son conseil, à la préfecture de
la CORREZE.
Rappelons que la présente ordonnance peut être frappée d'un pourvoi en cassation dans le délai de deux mois à compter de sa notification, par déclaration déposée au greffe de la Cour de Cassation par l'intermédiaire d'un Avocat au Conseil d'Etat et à la Cour de Cassation.
Fait au Palais de Justice de PAU, le vingt deux Juillet deux mille vingt quatre à 15h35
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Elisabeth LAUBIE Christine DARRIGOL
Reçu notification de la présente par remise d'une copie
ce jour 22 Juillet 2024
Monsieur [N] [G], par mail au centre de rétention d'[Localité 1]
Pris connaissance le : À
Signature
Maître Eva LAFORGUE, par mail,
Monsieur le Préfet de la CORREZE, par mail