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20/06/2024 | FRANCE | N°22/02282

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 20 juin 2024, 22/02282


TP/SB



Numéro 24/2090





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 20/06/2024









Dossier : N° RG 22/02282 - N° Portalis DBVV-V-B7G-IJKF





Nature affaire :



Contestation du motif économique de la rupture du contrat de travail















Affaire :



[B] [U]



C/



S.A.R.L. LABORATOIRE ECCI















Grosse délivrée le

à :













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 20 Juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'...

TP/SB

Numéro 24/2090

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 20/06/2024

Dossier : N° RG 22/02282 - N° Portalis DBVV-V-B7G-IJKF

Nature affaire :

Contestation du motif économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

[B] [U]

C/

S.A.R.L. LABORATOIRE ECCI

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 20 Juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 13 Mars 2024, devant :

Madame CAUTRES-LACHAUD, Président

Madame SORONDO, Conseiller

Madame PACTEAU, Conseiller

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [B] [U]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représenté par Maître SANTI de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocat au barreau de PAU

INTIMEE :

S.A.R.L. LABORATOIRE ECCI Prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité audit siège.

[Adresse 5]

[Localité 3]

Comparante en la personne de son réprésentant légal assisté de Maître MAIRE, avocat au barreau de BORDEAUX

sur appel de la décision

en date du 27 JUIN 2022

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : 21/00149

EXPOSÉ du LITIGE

M. [B] [U] a été embauché, à compter du 5 août 2004, par la SARL Laboratoire ECCI, en qualité de technicien d'expertise, coefficient 400 position 3-1, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective des bureaux d'études techniques ' cabinets d'ingénieurs conseils.

Par avenant du 1er janvier 2005, il a été promu à la position de cadre position 100.

Sa rémunération brute annuelle a été portée à 30 000 euros à compter du 1er août 2008 avec, en parallèle, la mise en place d'une évolution de carrière pour lui permettre d'avoir la responsabilité du services expertises.

Le 17 novembre 2020, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable fixé le 27 novembre 2020 à 14h30 en vue d'un licenciement collectif pour motif économique.

Par courrier du 18 décembre 2020, la société Laboratoire ECCI lui a notifié la rupture de son contrat de travail à la suite de l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle le 27 novembre précédent. La rupture est intervenue au motif d'une réorganisation de l'entreprise pour augmenter sa performance.

Le 7 mai 2021, M. [B] [U] a saisi la juridiction prud'homale au fond en contestation de son licenciement.

Par jugement du 27 juin 2022, le conseil de prud'hommes de Pau a :

- Dit que la société Laboratoire ECCI n'a commis aucune faute au cours de la procédure de licenciement pour motif économique de M. [B] [U],

- Dit que le licenciement pour motif économique de M. [B] [U] est fondé sur des causes réelles et sérieuses, et que les critères d'ordre ont été respectés,

- Débouté M. [B] [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Débouté la société Laboratoire ECCI de ses demandes reconventionnelles,

- Condamné M. [B] [U] à verser à la société Laboratoire ECCI la somme de 1000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

- Dit que chaque partie supportera ses propres dépens.

Le 2 août 2022, M. [B] [U] a interjeté appel du jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses conclusions n°3 adressées au greffe par voie électronique le 23 janvier 2023 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [B] [U] demande à la cour de :

- Infirmer le jugement en ce qu'il a débouté le salarié de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Le confirmer en ce qu'il a débouté la société Laboratoire ECCI de ses demandes reconventionnelles,

Statuer à nouveau,

- Débouter l'intimée de son appel incident, de toutes ses demandes, fins et conclusions, incluant la demande irrecevable et mal fondée tirée de l'article 32-1 du code de procédure civile.

$gt; A titre principal, prononcer l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement l'appelant ayant adhéré au contrat de sécurisation professionnelle avant la notification, par huissier, de la lettre énonçant le motif économique, l'intimée n'établissant pas la fraude alléguée, ni l'abus de droit ' qui ne se présument pas et qui sont contestés ' le salarié ' partie faible dans la relation de travail ' étant fondé à refuser, par prudence, une remise en main-propre et immédiate de documents par l'employeur, la société ECCI ne pouvant sérieusement reprocher au salarié d'être conseillé alors que la gérante était assisté de l'avocat de l'entreprise ' comme le prouve la pièce 7 adverse,

$gt; A titre Subsidiaire, constater l'absence de preuve des difficultés économiques ainsi que des recherches sérieuses et loyales de reclassement et l'absence de proposition de formation, le rendant également dépourvu de cause réelle et sérieuse,

$gt; A titre des plus subsidiaire, constater la violation des critères d'ordre des licenciements en l'absence d'éléments objectifs,

- Condamner en conséquence l'intimée à payer :

' A titre principal : 90.000 euros de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse en écartant le barème Macron, contraire aux articles 30 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 24 de la Charte sociale européenne et 10 de la convention n°158 de l'OIT, ou à titre subsidiaire 61805,16 euros sur le fondement de l'article L.1235-3 du Code du travail,

' A titre des plus subsidiaire : 90.000 euros de dommages-intérêts pour la violation par l'employeur de l'ordre des licenciements, sur le fondement de l'article L.1233-5 du Code du travail,

' 13.734,45 euros d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1.373,44 euros de congés payés afférents,

' 5.000 euros de dommages-intérêts au titre du préjudice moral pour violation du droit à l'image sur le fondement de l'article 9 du code civil,

' 3.500 euros de dommages-intérêts pour l'indemnisation de l'occupation, à titre professionnel, du domicile,

' 7.500 euros de dommages-intérêts pour violation de l'obligation de formation continue tout au long de la vie professionnelle sur le fondement de l'article L.6321-1 du Code du travail.

' 5.000 euros au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du Code de procédure civile,

- Frapper les condamnations des intérêts au taux légal depuis la saisine du Conseil de prud'hommes et faire application des dispositions de l'article 1343-2 du Code civil autorisant la capitalisation des intérêts.

- Condamner l'intimée aux entiers dépens.

Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 8 novembre 2022 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la Sarl Laboratoire ECCI demande à la cour de :

- Déclarer et juger recevable mais mal fondé l'appel interjeté par M. [U], l'en débouter,

En conséquence,

- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que la société Laboratoire ECCI n'a commis aucune faute au cours de la procédure de licenciement pour motif économique de M. [U],

- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a dit que le licenciement de M. [U] est fondé sur des causes réelles et sérieuses, et que les critères d'ordre ont été respectés,

- Confirmer la décision entreprise en ce qu'elle a débouté M. [U] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Confirmer la décision de première instance en son principe en ce qu'elle a condamné M. [U] au versement d'une indemnité au titre de l'article 700 du code de procédure civile, mais la réformer en son quantum,

Statuant de nouveau,

Accueillant l'appel incident de la société Laboratoire ECCI,

- Réformer la décision en ce qu'elle a débouté la concluante de sa demande au titre de l'amende civile,

- Condamner M. [U] à 10 000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du Code de procédure civile,

- Réformer la décision de première instance sur le quantum de l'article 700 du code de procédure civile et le porter à la somme de 1 500 euros pour la première instance,

- Condamner M. [U] au versement de la somme de 1 500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,

- Le condamner aux dépens d'appel dont distraction au profit de Maître Hervé Maire, Avocat au Barreau de Bordeaux, y demeurant [Adresse 1].

L'ordonnance de clôture est intervenue le 13 février 2024.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

En application de l'article L.1233-3 du code du travail, constitue un licenciement économique le licenciement effectué par un employeur pour un ou plusieurs motifs non inhérents à la personne du salarié résultant d'une suppression ou transformation d'emploi ou d'une modification refusée par le salarié, d'un élément essentiel du contrat de travail consécutives notamment à une réorganisation de l'entreprise nécessaire à la sauvegarde de sa compétitivité.

L'article L.1233-42 du même code prévoit que la lettre de licenciement comporte l'énoncé des motifs économiques invoqués par l'employeur.

Il résulte de l'article L.1233-66 du code du travail que, dans les entreprises non soumises à l'article L.1233-71, comme l'est la société Laboratoire ECCI, l'employeur est tenu de proposer, lors de l'entretien préalable ou à l'issue de la dernière réunion des représentants du personnel, le bénéfice du contrat de sécurisation professionnelle à chaque salarié dont il envisage de prononcer le licenciement pour motif économique.

L'article L.1233-67 poursuit que l'adhésion du salarié au contrat de sécurisation professionnelle emporte rupture du contrat de travail.

Il est constant que, lorsque la rupture du contrat de travail résulte de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle, l'employeur doit en énoncer le motif économique soit dans le document écrit d'information sur ce dispositif remis obligatoirement au salarié concerné par le projet de licenciement, soit dans la lettre qu'il est tenu d'adresser au salarié lorsque le délai de réponse expire après le délai d'envoi de la lettre de licenciement imposé par les articles L. 1233-15 et L. 1233-39 du Code du travail, soit encore, lorsqu'il n'est pas possible à l'employeur d'envoyer cette lettre avant l'acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, dans tout autre document écrit, porté à sa connaissance au plus tard au moment de son acceptation.

La rupture du contrat de travail résultant de l'acceptation par le salarié d'un contrat de sécurisation professionnelle doit avoir une cause économique réelle et sérieuse. L'employeur est en conséquence tenu d'énoncer la cause économique de la rupture du contrat dans un écrit remis ou adressé au salarié au cours de la procédure de licenciement et au plus tard au moment de l'acceptation du contrat de sécurisation professionnelle par le salarié, afin qu'il soit informé des raisons de la rupture lors de son acceptation.

L'adhésion au contrat de sécurisation professionnelle intervient au moment où le salarié signe le bulletin d'acceptation.

Il convient donc de rechercher si, dans la présente espèce, le salarié avait eu connaissance d'un écrit énonçant la cause économique de la rupture de son contrat de travail au cours de la procédure de licenciement, au plus tard avant qu'il adhère au contrat de sécurisation professionnelle.

Les éléments du dossier permettent d'établir la chronologie suivante :

Le 27 octobre 2020, la société Laboratoire ECCI a convoqué un comité social et économique afin de l'informer et de le consulter sur un projet de licenciement pour motif économique de moins de 10 salariés sur 30 jours, ainsi que sur les critères à retenir pour l'ordre des licenciements.

Le comité social et économique s'est réuni le 4 novembre 2020. Un procès-verbal a été rédigé le 9 novembre 2020.

Le 12 novembre 2020, le CSE a émis son avis favorable au projet de licenciement collectif pour motif économique de moins de 10 salariés sur 30 jours qui lui a été présenté.

Par mails du 13 novembre 2020, la représentante du personnel a adressé à tous les salariés « les comptes-rendus CSE après approbation » des 14 août, 4 novembre et 13 novembre 2020.

[B] [U] n'a pas réceptionné ces courriels.

Par courrier du 17 novembre 2020, M. [U] a été convoqué à un entretien préalable en vue d'un licenciement collectif pour motif économique. Il lui était indiqué qu'une recherche de reclassement était en cours et que, lors de l'entretien, lui seraient exposées les conditions de mise en 'uvre du contrat de sécurisation professionnelle, avec remise d'un document d'information. Il était enfin précisé qu'il disposerait alors d'un délai de réflexion de 21 jours pour faire connaître sa réponse.

L'entretien préalable s'est déroulé le 27 novembre 2020 à 14h30. Les documents relatifs au contrat de sécurisation professionnelle ont été remis au salarié puisque le même jour, à 16h01, il a posté une lettre recommandée avec accusé de réception comportant le bulletin d'acceptation de ce contrat signé de ses mains. Il a adressé ce document et la photocopie de sa pièce d'identité également par mail, le même jour à 16h14.

La gérante de la société Laboratoire ECCI, Mme [T], lui a répondu ce 27 novembre 2020 à 17h57, indiquant : « à lire votre mail de l'instant, je comprends mieux pourquoi vous n'avez pas voulu recevoir la lettre d'information du motif économique à l'appui de la documentation CSP, contre décharge ».

Il s'évince de ce courriel que M. [U] n'a pas eu en ses mains, avant son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle, la lettre énonçant les motifs économiques de la rupture de son contrat de travail.

La société Laboratoire ECCI soutient que c'est à dessein que M. [U] a refusé de prendre le document exposant ces motifs le jour de l'entretien préalable et qu'elle le lui a fait signifier par voie d'huissier le même jour. Elle verse aux débats un mail du 27 novembre 2020 à 16h18 par lequel elle mandate l'huissier aux fins de signification urgente notamment de ce document.

L' acte de signification porte la date du 27 novembre à 18h43 et mentionne que l'acte a fait l'objet d'une remise à l'étude puisque M. [U] a refusé de prendre l'acte.

La chronologie permet de déduire que M. [U] n'a pas eu connaissance des motifs économiques de la rupture de son contrat de travail entre l'engagement de la procédure de licenciement par l'envoi de la lettre de convocation à l'entretien préalable et son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle. La lecture du contenu du document comportant les motifs économiques lors de l'entretien préalable ne vaut pas information du salarié à ce sujet. L'envoi des procès-verbaux des réunions du comité social et économique avant l'engagement de la procédure de licenciement est tout aussi inopérant, d'autant que le salarié n'a pris connaissance des pièces jointes qu'après son adhésion au contrat de sécurisation professionnelle.

Le seul refus du salarié auquel il est proposé d'accepter un contrat de sécurisation professionnelle de se faire remettre en mains propres le document de notification du motif économique de la rupture du contrat de travail ne permet pas de considérer que l'employeur a satisfait à son obligation de notifier ces motifs avant toute acceptation par le salarié du contrat de sécurisation professionnelle, sauf fraude qui n'est pas démontrée en l'espèce, la société laboratoire ECCI ne produisant d'ailleurs aucun document au sujet du refus du salarié de prendre possession de tel ou tel document lors de l'entretien préalable ou de la « décharge » qu'elle invoque dans son mail du 27 novembre 2020 à 17h57.

En conséquence de tous ces éléments, le licenciement économique de M. [U] doit être considéré comme sans cause réelle et sérieuse.

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, le juge peut proposer la réintégration du salarié dans l'entreprise, avec maintien de ses avantages acquis. Si l'une ou l'autre des parties refuse cette réintégration, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur, dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux en fonction de l'ancienneté du salarié dans l'entreprise.

Pour un salarié ayant 16 années complètes d'ancienneté dans une entreprise employant habituellement plus de 11 salariés, cette indemnité est comprise entre un montant minimal de 3 mois de salaire brut et un montant maximal de 13,5 mois de salaire brut.

Les dispositions ci-dessus sont compatibles avec l'article 10 de la Convention n° 158 de l'Organisation internationale du travail et elles ne peuvent faire l'objet d'un contrôle de conformité à l'article 24 de la Charte sociale européenne, qui n'est pas d'effet direct (Cour de cassation chambre plénière 11 mai 2022 21-14490 et 21-15247).

Elles ne sont par ailleurs pas contraires à l'article 30 de la charte des droits fondamentaux de l'union européenne selon lequel tout travailleur a droit à une protection contre tout licenciement injustifié, conformément au droit de l'Union et aux législations et pratiques nationales.

Compte tenu de la rémunération mensuelle brute perçue par M. [U], de son ancienneté au sein de l'entreprise, des circonstances de la rupture de la relation de travail, de son âge ainsi que de sa situation personnelle et sociale justifiée au dossier, il y a lieu de lui allouer la somme de 13 800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.

Par ailleurs, la rupture du contrat de travail après adhésion du salarié à un contrat de sécurisation professionnelle ne comporte, en application de l'article L.1233-67 du code du travail, ni préavis ni indemnité compensatrice de préavis.

La rupture du contrat de travail de M. [U] s'analysant en un licenciement sans cause réelle et sérieuse, il est bien-fondé à obtenir le paiement d'une indemnité compensatrice de préavis d'un montant égal aux salaires et avantages que le salarié aurait perçus s'il avait accompli son travail jusqu'à l'expiration du préavis, indemnité de congés payés comprise, ainsi que le prévoit l'article L.1234-5 du code du travail. En application de l'article 15 de la convention collective des bureaux d'études techniques dans sa rédaction applicable au présent litige, le délai de préavis était de 3 mois.

Il sera donc alloué à M. [U] la somme de 13 734,48 euros à ce titre, outre celle de 1373,44 euros pour les congés payés y afférents.

Le jugement déféré sera infirmé sur ces points.

Sur le droit à l'image et à la vie privée

[B] [U] sollicite la somme de 5000 euros à titre de dommages et intérêts pour atteinte à son droit à l'image et à sa vie privée par le fait qu'il apparaissait toujours sur le site internet de l'employeur, avec mention de ses nom et prénom sous sa photographie, alors que le contrat de travail était rompu.

Il résulte des pièces versées aux débats que, le 3 mai 2021, la photographie de M. [U], nommément désigné, figurait toujours sur le site de la société Laboratoire ECCI.

Dès le 11 mai 2021, à la suite du dépôt de la requête de M. [U] devant le conseil de prud'hommes comportant notamment cette prétention, ces éléments ont été retirés. Par ailleurs, la fréquentation du site a été faible au cours de la période.

[B] [U] ne démontre pas en quoi cette diffusion qui a persisté au-delà de la rupture de son contrat de travail constitue une atteinte à sa vie privée.

Concernant son droit à l'image, aucun préjudice n'est établi en conséquence de la persistance de cet affichage.

En conséquence, la demande indemnitaire à ce titre sera rejetée.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur le travail à domicile

[B] [U] demande le versement de la somme de 3500 euros à titre de dommages et intérêts pour l'occupation à titre professionnel de son domicile dans le cadre de la pandémie.

Si, antérieurement à la pandémie liée à la Covid 19, l'occupation à la demande de l'employeur du domicile du salarié à des fins professionnelles constituait une immixtion dans la vie privée de ce dernier et qu'elle n'entrait pas dans l'économie générale du contrat de travail, de sorte que lorsque le salarié acceptait de délocaliser son activité, il devait être indemnisé pour l'occupation professionnelle de son domicile et les frais engendrés par celle-ci, ces règles ont été bouleversées avec la généralisation du travail à domicile du fait de la pandémie.

[B] [U] ne conteste pas avoir été en télétravail du 17 mars 2020 au 20 juillet 2020, puis en activité partielle jusqu'à la rupture de son contrat de travail.

Or, cette décision a été imposée par les dispositifs mis en place par le gouvernement dans le cadre de la gestion de la pandémie mondiale qui a donné lieu à un confinement et à une limitation des déplacements pour les Français, autorisés à sortir dans des cas très limités et notamment pour aller travailler lorsque le télétravail n'était pas possible.

Ainsi, le télétravail mis en place peut être mis en corrélation avec ce que prévoit l'article L.1222-11 du code du travail : en cas de circonstances exceptionnelles, notamment de menace d'épidémie, ou en cas de force majeure, la mise en 'uvre du télétravail peut être considérée comme un aménagement du poste de travail rendu nécessaire pour permettre la continuité de l'activité de l'entreprise et garantir la protection des salariés.

En temps normal, le télétravail régulièrement mis en place donne droit pour le salarié à la prise en charge des frais professionnels de télétravail soit par le versement d'une allocation forfaitaire couvrant l'intégralité des frais de télétravail, soit par le remboursement sur facture.

Une indemnité d'occupation est également destinée à compenser l'utilisation du domicile privé à des fins professionnelles. 

Néanmoins, pendant la période de télétravail « obligatoire » mis en place en 2020, l'indemnité d'occupation n'est pas due si, « en temps normal », l'employeur met à disposition du salarié un local professionnel, ce qui est le cas pour M. [U].

Ce dernier ne justifie pas plus des sommes réellement engagées par lui pour l'exercice de son activité professionnelle à son domicile, d'autant que ses bulletins de paie révèlent qu'il a été en congés également certains jours au cours de la période.

En conséquence de tous ces éléments, la cour rejette cette demande indemnitaire.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Sur la violation de l'obligation de formation professionnelle continue

[B] [U] sollicite la somme de 7500 euros à titre de dommages et intérêts estimant que la société Laboratoire ECCI a manqué à son obligation de formation à son égard.

L'article L.6321-1 du code du travail dispose que l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations.

L'employeur est seul à devoir veiller au maintien dans l'emploi. Le salarié n'a pas à formuler de demande de formation ni à mettre le chef d'entreprise en demeure d'exécuter son obligation.

En l'espèce, la société Laboratoire ECCI verse aux débats des attestations de formation de M. [K] qui révèlenet qu'il a réalisé :

Une formation de 231h en 2016 pour améliorer ses écrits professionnels,

Une formation de 90 heures en 2018 en anglais intermédiaire pour atteindre le niveau B1,

Deux formations en 2019 intitulées « devenir pilote de processus » et « sensibilisation qualité ».

Ces formations ne concernent pas uniquement l'adaptation de son poste mais constituent un apport pour ses compétences.

Aucun manquement ne peut donc être reproché à la société Laboratoire ECCI à ce titre, étant de surcroît observé que M. [U] n'apporte aucun élément sur la réalité du préjudice qu'il invoque.

Cette demande sera en conséquence rejetée.

Le jugement querellé sera confirmé de ce chef.

Sur les autres demandes

La société Laboratoire ECCI sollicite la somme de 10000 euros sur le fondement de l'article 32-1 du code de procédure civile, sans qualifier la somme sollicitée.

La cour ne peut que considérer qu'il s'agit d'une demande de dommages et intérêts pour procédure abusive.

Cette demande a été formulée devant le conseil de prud'hommes qui l'a rejetée. Aucune pièce des dossiers versés en appel ne permet d'établir qu'elle était alors une demande nouvelle. Sa recevabilité ne peut donc être remise en cause.

Il importe de rappeler que l'exercice d'une action en justice constitue en principe un droit et ne dégénère en abus pouvant donner naissance à une dette de dommages et intérêts que dans le cas de malice, de mauvaise foi ou d'erreur grossière équipollente au dol.

En l'espèce, aucune de ces man'uvres n'est démontrée par la société Laboratoire ECCI à l'encontre de M. [U] dont la présente décision admet de surcroît le bien fondé de sa principale demande.

Il convient donc de débouter la société Laboratoire ECCI de sa demande et de confirmer le jugement déféré de ce chef.

Les sommes allouées porteront intérêts au taux légal comme suit :

pour les créances de nature salariale, à compter du 17 mai 2021, date de réception de la lettre de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation à laquelle était jointe la requête du salarié devant le conseil de prud'hommes, qui vaut mise en demeure au sens de l'article 1231-6 du code civil,

pour les créances de nature indemnitaire, à compter de la décision qui en fixe le quantum en application de l'article 1231-7 du code civil.

Il sera par ailleurs ordonné la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil.

Le jugement déféré doit être infirmé en ses dispositions relatives aux dépens et à l'article 700 du code de procédure civile.

La société Laboratoire ECCI qui succombe principalement à l'instance devra en supporter les entiers dépens, y compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes.

Elle sera en outre condamnée à payer à M. [U] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, pour les frais irrépétibles exposés en première instance et en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 27 juin 2022 sauf en ce qu'il a :

-débouté M. [B] [U] de ses demandes indemnitaires fondées sur la violation du droit à l'image et à la vie privée, l'occupation à titre professionnel de son domicile dans le cadre de la pandémie et la violation de l'obligation de formation professionnelle,

-débouté la société Laboratoire ECCI de sa demande fondée sur l'article 32-1 du code de procédure civile ;

Statuant à nouveau des chefs infirmés et y ajoutant :

DIT que le licenciement pour motif économique de M. [B] [U] est dépourvu de cause réelle et sérieuse ;

CONDAMNE la société Laboratoire ECCI à payer à M. [B] [U] les sommes de :

-13 734,48 euros à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 1373,44 euros pour les congés payés y afférents,

-13 800 euros à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse ;

DIT que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal comme suit :

- à compter du 17 mai 2021 pour les créances de nature salariale,

-à compter de la décision qui en fixe le quantum pour les créances de nature indemnitaire ;

ORDONNE la capitalisation des intérêts échus dus au moins pour une année entière dans les conditions prévues par l'article 1343-2 du code civil ;

CONDAMNE la société Laboratoire ECCI aux entiers dépens, y compris ceux exposés devant le conseil de prud'hommes ;

CONDAMNE la société Laboratoire ECCI à payer à M. [B] [U] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/02282
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 01/07/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.02282 ?
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