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20/06/2024 | FRANCE | N°22/01376

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 20 juin 2024, 22/01376


PS/DD



Numéro 24/2053





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 20/06/2024









Dossier : N° RG 22/01376 - N°Portalis DBVV-V-B7G-IGUR





Nature affaire :



Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail















Affaire :



[M] [Y] [X]



C/



Société [D] [O]















G

rosse délivrée le

à :













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 20 Juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'art...

PS/DD

Numéro 24/2053

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 20/06/2024

Dossier : N° RG 22/01376 - N°Portalis DBVV-V-B7G-IGUR

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

[M] [Y] [X]

C/

Société [D] [O]

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 20 Juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 15 Novembre 2023, devant :

Madame CAUTRES, Présidente

Madame SORONDO, Conseiller

Madame PACTEAU, Conseiller

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [M] [Y] [X]

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Présent et assisté de Maître GARRETA de la SCP GARRETA ET ASSOCIES, avocat au barreau de PAU

INTIMÉE :

Société [D] [O]

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Maître CHONNIER de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de BAYONNE

sur appel de la décision

en date du 21 AVRIL 2022

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION DE DEPARTAGE DE TARBES

RG numéro : F 20/00012

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [M] [Y] [X] a été embauché à compter du 1er mai 2010, selon contrat à durée indéterminée, par la société coopérative agricole [D] [O], en qualité de commercial bovin, avec reprise d'ancienneté au 1er novembre 1999, coefficient 400 de la convention collective des coopératives 5 branches.

A partir de 2016 et chaque année, le salarié a sollicité une rupture conventionnelle.

Le 14 janvier 2019, M. [X] a été mis à pied oralement avec effet immédiat.

Par courrier en date du 14 janvier 2019, il a été convoqué à un entretien préalable à une éventuelle sanction disciplinaire fixé le 23 janvier 2019 et il lui a été confirmé qu'il était mis à pied à titre conservatoire.

Le 1er février 2019, il a été licencié pour faute grave.

Le 29 janvier 2020, M. [M] [X] a saisi la juridiction prud'homale au fond notamment en contestation du licenciement.

Par jugement du 21 avril 2022, le conseil de prud'hommes de Tarbes a :

- débouté M. [M] [X] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de la société coopérative agricole [D] [O] relatives au licenciement et à l'exécution déloyale du contrat de travail,

- débouté M. [M] [X] de ses demandes relatives au défaut de formation et au défaut d'information du salarié à exercer ses droits au titre de la formation,

- débouté M. [M] [X] de sa demande sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamné M. [M] [X] aux dépens.

Le 17 mai 2022, M. [M] [X] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses conclusions n°2 adressées au greffe par voie électronique le 26 juin 2023, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [M] [X] demande à la cour de :

- Réformer le jugement dont appel,

- Voir pour les causes ci-dessus énoncées,

- Juger que le licenciement dont a fait l'objet le concluant pour faute grave n'est pas justifié et est donc abusif,

- Constater que la société coopérative [D] [O] ne rapporte pas la preuve des griefs articulés à l'encontre du salarié,

- Juger en conséquence que le licenciement pour faute grave de M. [X] s'analyse en un licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- Voir Condamner en conséquence la société coopérative [D] [O] à payer au concluant :

. la somme de 1.757,18 euros au titre du rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire,

. la somme de 10.638 euros au titre du préavis,

. la somme de 1063,80 euros au titre des congés payés sur préavis,

. la somme de 20.094 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. la somme de 7.092 euros au titre de l'indemnité compensatrice de départ à la retraite,

. la somme de 53.190 euros pour licenciement abusif à titre de dommages-intérêts au visa de L. 1235-3 du code du travail,

- Subsidiairement, pour le cas improbable, où il serait retenu que le licenciement reposerait néanmoins sur une cause réelle et sérieuse, la Cour condamnera pour le moins, la société coopérative [D] [O] au paiement des sommes suivantes à savoir au paiement de :

. la somme de 1.757,18 euros au titre du rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire,

. la somme de 10.638 euros au titre du préavis,

. la somme de 1.063,80 euros au titre des congés payés sur préavis,

. la somme de 20.094 euros au titre de l'indemnité légale de licenciement,

. la somme de 7.092 euros au titre de l'indemnité compensatrice de départ à la retraite,

- En toute hypothèse, la société coopérative [D] [O] sera condamnée à payer au concluant :

. la somme de 30.000 euros à titre de dommages-intérêts pour licenciement vexatoire,

. la somme de 10.000 euros à titre de dommages-intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- Et voir condamner la société coopérative [D] [O] à payer en toute hypothèse au concluant :

. la somme de 7.000 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du défaut de formation,

. la somme de 2.500 euros à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice résultant du défaut d'information du salarié concluant pour exercer ses droits au titre de la formation,

- Ordonner à la société coopérative [D] [O] de remettre à la remise de bulletins de paie, d'un certificat de travail et d'une attestation Pôle emploi conformes à la décision qui sera rendue,

- Rappeler que les créances salariales portent intérêts au taux légal à compter de la réception par l'employeur de sa convocation devant la Cour tandis que les créances indemnitaires portent intérêts au taux légal à compter de la décision en fixant tout à la fois le principe et le montant,

- Condamner la société coopérative [D] [O] à payer à M. [X] une somme d'un montant de 4000 euros au titre de l'article 700 du CPC et aux entiers dépens d'exécution de la décision à intervenir y compris, au paiement des honoraires de recouvrement résultant de l'article 10 du tarif des huissiers de justice.

Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 4 novembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la Coopérative agricole [D] [O] demande à la cour de :

- Confirmer dans toutes ses dispositions le jugement déféré,

- Dire que le licenciement de M. [M] [X] repose sur une faute grave,

- Débouter M. [X] de l'intégralité de ses demandes,

- Le condamner à payer à la Coopérative [D] [O] la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du CPC,

- Le condamner aux entiers dépens,

L'ordonnance de clôture est intervenue le 16 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

I Sur les demandes liées au licenciement

A) Sur le motif du licenciement

En application de l'article L.1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse. La cause réelle est celle qui présente un caractère d'objectivité et d'exactitude. La cause sérieuse suppose une gravité suffisante.

Aux termes de l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, le cas échéant complétée dans les conditions fixées par l'article R.1232-13 du même code, comporte l'énoncé du ou des motifs invoqués par l'employeur.

Suivant l'article L.1235-1 du code du travail, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

La faute grave est celle qui résulte d'un fait ou d'un ensemble de faits imputables au salarié qui constituent une violation des obligations découlant des relations de travail d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise. Il appartient à l'employeur d'établir que la faute commise par le salarié dans l'exécution de son contrat de travail est d'une gravité telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le préavis.

En l'espèce, la lettre de licenciement énonce comme suit les motifs de celui-ci :

« 1) Le non-respect de consigne formelle d'achat :

Vous avez procédé à l'achat d'un troupeau entier en deux fois le 28 novembre 2018 et le 12 décembre 2018 auprès du client [I], sans aucune consultation de votre responsable de centre ni de votre hiérarchie. Or il est d'usage avant tout achat de troupeau de consulter préalablement le responsable du centre afin de déterminer si le volume correspondant est commercialisable.

Le 19 décembre 2018, vous annoncez la rentrée de ce troupeau sur le centre. Le responsable du centre vous indique qu'il ne peut les rentrer car il n'existe aucun débouché de vente à cette période.

Votre responsable vous a formellement interdit de sortir pour le compte de [D] [O] ce troupeau le 20 décembre 2018 et vous a signifié que la date sur les cartes vertes devrait obligatoirement être celle de la date de sortie réelle des animaux de l'exploitation comme l'oblige la réglementation, soit sur janvier 2019.

Ceci est particulièrement préjudiciable pour l'entreprise : comme vous le savez, le centre est agréé export et les animaux ne peuvent pas rester plus de 6 jours au centre sous peine de perdre définitivement l'agrément export du site.

Nous avons déjà eu une alerte il y a quelques mois à ce sujet pour les mêmes raisons, car ce n'est pas la première fois que nous avons à déplorer cette attitude. Vous ne pouviez donc pas ignorer les risques que vous faisiez courir à l'activité.

Depuis notre entretien, nous constatons une situation similaire avec un troupeau acheté auprès de l'éleveur [J], sans aucune consultation.

2) Falsification de documents d'identification d'animaux :

Outre le non-respect des procédures internes d'achat, vous avez délibérément enfreint la réglementation en vigueur concernant la traçabilité d'animaux lors d'acquisition.

En effet, les animaux doivent être clairement identifiés et identifiables par leurs cartes. Or, vous avez en votre possession les cartes des animaux de [I] avec les dates d'achat modifiées au blanco.

Cet agissement est une non-conformité majeure sur la réglementation en vigueur qui vient fausser la traçabilité des lots et menace directement la pérennité de l'activité du centre d'[Localité 3], par le biais de son agrément d'activité.

Nous ne pouvons tolérer la falsification de documents originaux et certifiés par l'administration, et l'absence totale de contrôle de votre part.

Ce comportement outre qu'il viole la législation, porte gravement atteinte à la réputation et l'image de notre groupe.

3) Dégradation grave de marges :

Au non-respect de consignes spécifiques s'ajoute le non-respect quasi systématique de consignes commerciales :

a) Non-respect de consignes de prix d'achat campagne conseillés

b) Non-respect de consigne de volume d'achat campagne

c) Achat d'animaux hors gamme (achat de broutard

d) Sur-classements quasi systématiques des animaux achetés impactant significativement la marge commerciale

Ces agissements viennent à l'encontre des procédures internes maintes fois évoqués lors des réunions de service (21 octobre 2016, 27 septembre 2017, 15 juin 2018) et impactent gravement les résultats de l'activité.

Alors que vos responsables vous alertent depuis plusieurs exercices sur la dégradation régulière des résultats économiques de votre activité, générant des pertes financières sur votre portefeuille, conséquence de ces pratiques commerciales, vous persistez dans cette voie.

Lors de notre entretien, vos documents à l'appui, vous nous avez présenté une nouvelle fois vos bilans, donc vos pertes, qui s'élèvent à plus de 200 k€ sur les 3 derniers exercices.

À fin octobre 2018, sur les 4 premiers mois de l'exercice 18/19, la perte s'élève déjà à 30.000 € ; autant d'éléments qui laissent à penser que la situation va encore se dégrader et que vous n'êtes plus en mesure de mener à bien votre mission.

Malgré nos nombreuses relances, vous n'avez mis aucun moyen ni action en place pour redresser la situation, notamment en termes de suivi commercial.

Ce laxisme engendre une dégradation des résultats comptables de votre secteur, sans entrevoir un quelconque redressement.

4) Non-respect des procédures administratives :

Lors de la réunion de service du 15 juin 2018, de nouvelles procédures ont été formalisées, applicables à compter du 1er juillet 2018, consistant à renseigner, pour chaque lot acheté, le nombre d'animaux, le poids, le classement et le prix de chaque animal et à renseigner ces informations sur le système informatique. Or depuis cette date, vous n'avez renseigné que 34 % de poids et 34 % des classements des animaux que vous avez achetés et ce malgré plusieurs relances orales.

Ces éléments indispensables à la nouvelle organisation sont des informations nécessaires au bon fonctionnement d'une activité telle que la nôtre et leur absence est de nature à perturber la cohérence de la nouvelle organisation.

5) Freins à la mise en place de nouveaux secteurs géographiques :

Pour renforcer l'activité du centre, nous avons procédé à une nouvelle embauche sur la zone. Cette dernière nécessitait une nouvelle répartition des secteurs de l'équipe commerciale, qui vous a été communiquée en septembre et octobre 2018 par votre responsable et que vous avez dûment approuvée. Dans la pratique, vous n'avez pas respecté les nouveaux secteurs ainsi définis, perturbant la perception des agriculteurs et le positionnement commercial du nouveau venu.

Cette attitude désinvolte traduit vos manquements chroniques à assumer les responsabilités de votre poste.

L'ensemble des faits évoqués a des répercussions importantes pour notre structure, et engendre des défiances tant au sein de l'équipe que de notre clientèle. La succession de ces faits irresponsables perturbe le bon fonctionnement de l'entreprise mais aussi menace sa pérennité.

L'ensemble des faits évoqués ci-dessus auquel aucune correction n'a été apportée justifie la rupture immédiate de votre contrat de travail. »

S'agissant du non-respect d'une consigne d'achat lors de l'achat du cheptel de M. [I] qui cessait son activité le 31 décembre 2018, soit 30 vaches et veaux, l'employeur ne produit aucun élément relatif à l'existence d'une consigne ou d'un usage en matière d'achat de troupeau et l'existence en est contestée par le salarié. L'employeur allègue en outre dans ses conclusions que M. [B], supérieur hiérarchique de M [X], a formellement interdit à ce dernier de réaliser cet achat sans produire non plus aucun élément et, au vu des explications du salarié, il est seulement déterminé que M. [B] a été informé de l'achat du troupeau et a donné pour consigne que 6 bêtes soient achetées en décembre 2018 et les 24 autres en janvier 2019. Ce grief n'est pas établi.

L'employeur ne produit aucun élément relativement à la transaction portant sur les bêtes de M. [I] et au grief de falsification des cartes d'identification de ces bêtes. Il est constant que 6 bêtes ont été enlevées en décembre 2018 et que les 24 autres l'ont été le 7 janvier 2019. Concernant ces dernières bêtes, M. [X] produit un écrit remis à M. [I], et signé par ce dernier, en date du 20 décembre 2018, par lequel il lui a demandé de faire régulièrement modifier leurs cartes d'identification de sorte qu'elles portent une date de sortie de l'exploitation correspondant à celle effective en janvier 2019. Il indique que lors de l'enlèvement des bêtes le 7 janvier 2019, les cartes des vaches étaient datées comme initialement du 19 décembre et celles des veaux avaient été modifiées manuellement par l'éleveur au 31 décembre 2018 et conteste en avoir été alors informé, et sa présence lors de l'enlèvement n'est pas caractérisée. En outre, M. [I] a le 23 janvier 2019 attesté que c'est lui qui a modifié les cartes d'identification. Ce grief n'est pas établi.

L'employeur n'étaye par aucun élément ses allégations suivant lesquelles M. [X] ne renseignait qu'à hauteur de 34 % les rubriques poids et classement des animaux du logiciel de l'entreprise et ne respectait pas le secteur géographique qui lui était assigné. Ces deux manquements ne sont pas avérés.

S'agissant enfin du non-respect des consignes commerciales (consignes de prix d'achat, de volume d'achat, achat d'animaux hors gamme, sur-classements des animaux achetés) qui aurait conduit à une dégradation des résultats commerciaux de M. [X], l'employeur intègre dans ses conclusions des consignes du 3 juin 2015 relatives à l'achat des broutards, ainsi que des consignes du 15 juin 2018, étant observé que ces dernières sont extrêmement générales, et des tableaux des marges négatives de [D] [O] et de M. [X] sur les périodes 2016-2017, 2017-2018 et 2018-2019 et un tableau retraçant l'évolution de la marge brute et de la marge contributive de M. [X] de 2012-2013 à 2018-2019. Cependant, le respect ou non des consignes commerciales par le salarié ne peut être déduit de ses résultats commerciaux, et il est à constater qu'il n'a fait l'objet d'aucun avertissement, y compris relativement à l'achat de broutards, seul domaine dans lequel les consignes d'achat seraient précises. Il produit en outre une attestation de M. [H] [B], salarié chargé de la vente des bêtes à l'exportation, suivant laquelle M. [X] « sur-payait » et « ne portait pas d'attention à l'âge et au sanitaire des bovins » ; il remet « fortement en question les connaissances d'appréciation et d'estimation du bétail de M. [X] » et fait état de « son non-professionnalisme d'un point de vue logistique ». Pour sa part, M. [X] conteste ce manquement et verse aux débats notamment plusieurs attestations d'anciens salariés qui le décrivent comme un salarié sérieux et compétent ; deux d'entre eux, M. [L] [A], salarié du 1er août 2015 au 26 janvier 2017 et M. [G] [W], font état d'une mauvaise valorisation des animaux à l'exportation par M. [B], et le premier, de difficultés relationnelles avec ce dernier qui en outre, « vendait plus ou moins bien suivant les commerciaux qui avaient acheté ». Au vu de ces éléments, un doute extrêmement sérieux existe s'agissant de la matérialité de ce grief qui ne peut donc être retenu.

Il résulte de ces éléments qu'aucun manquement à ses obligations n'est avéré de la part du salarié. Le licenciement est dès lors sans cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé sur ce point.

B) Sur les conséquences du licenciement

M. [X] a droit au paiement :

- du salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, soit, au vu des bulletins de paie de janvier et février 2019, 1.903,72 € (1.757,28 € + 146,44 €) ; dans la limite de sa demande, la société [D] [O] sera condamnée à lui payer la somme de 1.757,18 € ;

- d'une indemnité compensatrice d'un préavis d'une durée de trois mois en application de l'article 34 de la convention collective des coopératives agricoles de céréales, de meunerie, d'approvisionnement, d'alimentation du bétail et d'oléagineux dite 5 branches ; son salaire mensuel étant de 3.275,43 €, l'indemnité est de 9.826,29 € et ouvre droit à une indemnité compensatrice de congés payés de 982,63 € ; la société [D] [O] sera condamnée à lui payer ces sommes ;

- d'une indemnité légale de licenciement (plus favorable à l'indemnité prévue à l'article 37 de la convention collective des coopératives agricoles de céréales, de meunerie, d'approvisionnement, d'alimentation du bétail et d'oléagineux), qui, en application des articles L.1234-9 et R.1234-1 et suivants du code du travail, compte tenu, au vu des bulletins de paie des douze derniers mois et de l'attestation Pôle Emploi, d'un salaire de référence de 3.273,33 €, et d'une ancienneté de 19 ans et 5 mois, s'établit à 18.457,94 € soit (3.273,33 / 4 X 10) + (3.273,33 / 3 X 9) + (3.273,33 / 3 / 12 X 5) ; la société [D] [O] sera condamnée à lui payer cette somme ;

S'agissant de l'indemnisation du licenciement sans cause réelle et sérieuse, en application de l'article L.1235-3 du code du travail, lorsque la réintégration est refusée par l'une ou l'autre des parties, le juge octroie au salarié une indemnité à la charge de l'employeur dans les limites de montants minimaux et maximaux, et, pour un salarié d'une ancienneté de 19 ans dans une entreprise employant habituellement plus de dix salariés, d'un montant compris entre 3 et 15 mois de salaire brut. M.[X] était âgé de 62 ans lors du licenciement, justifie qu'il a ensuite été au chômage au moins jusqu'en novembre 2019, indique qu'il entendait prendre sa retraite à 63 ans, soit à compter de février 2020 et établit qu'en l'absence de licenciement, il aurait perçu une indemnité de départ à la retraite égale à deux mois de salaire en application de l'article 38 de la convention collective des coopératives agricoles de céréales, de meunerie, d'approvisionnement, d'alimentation du bétail et d'oléagineux. Au vu de ces éléments, il lui sera alloué une indemnité représentative de dix mois de salaire, soit 32.754,30 €.

M. [X] demande le paiement d'une indemnité compensatrice de départ à la retraite au motif qu'il a été privé par le licenciement de l'indemnité de départ à la retraite. Il ne s'agit pas là d'un préjudice distinct de celui résultant du licenciement, ci-dessus indemnisé. Cette demande doit donc être rejetée.

Le bien-fondé d'une demande de dommages-intérêts à raison des conditions vexatoires du licenciement est indépendant du bien-fondé de celui-ci. Il suppose de caractériser une faute de l'employeur dans la mise en 'uvre du licenciement et un préjudice en résultant pour le salarié. En l'espèce, M. [X] invoque le fait que sa probité a été mise en cause au motif que lui a été imputée une falsification de documents. Il ne s'agit pas là des circonstances du licenciement, mais de son bien-fondé. La demande d'indemnisation doit donc être rejetée.

Les obligations pour l'employeur d'informer le salarié, dans la lettre de notification du licenciement, de ses droits en matière de droit individuel à la formation, et de mentionner, sur le certificat de travail, les droits acquis par le salarié au titre du droit individuel à la formation ont été supprimées depuis le 1er janvier 2015, date d'entrée en vigueur de la loi 2014-288 du 5 mars 2014 qui a modifié les articles L.6323-19 et L.6323-21 et a institué le compte personnel de formation. La demande d'indemnisation de ce chef doit donc être rejetée.

En application de l'article L. 1235-4 du code du travail, il doit être ordonné le remboursement par l'employeur aux organismes intéressés des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités.

II Sur les demandes liées à l'exécution du contrat de travail

A) Sur la demande de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail

M. [X] soutient, sans en justifier, que l'employeur l'a volontairement privé de son droit d'accès à l'ordinateur de l'entreprise. La demande indemnitaire doit être rejetée.

B) Sur la violation de l'obligation de formation

En application de l'article L.6321-1 du code du travail, l'employeur assure l'adaptation des salariés à leur poste de travail. Il veille au maintien de leur capacité à occuper un emploi, au regard notamment de l'évolution des emplois, des technologies et des organisations. Il peut proposer des formations qui participent au développement des compétences, y compris numériques, ainsi qu'à la lutte contre l'illettrisme, notamment des actions d'évaluation et de formation permettant l'accès au socle de connaissances et de compétences défini par décret

Au vu de la pièce 5 de l'employeur, en quasiment neuf ans de présence dans l'entreprise, le salarié n'a bénéficié que d'une seule formation, de 7 heures, le 31 mai 2018 (« Preventis phase 1 »). Il a dès lors manqué à son obligation de maintien de la capacité du salarié à occuper un emploi. Il sera alloué de ce chef à M. [X], qui n'a connu aucune évolution professionnelle et a été au chômage suite à son licenciement, une somme de 1.500 € à titre de dommages et intérêts.

III Sur les autres demandes

Il sera ordonné à la société [D] [O] de remettre à M [X] des bulletins de salaire rectifiés s'agissant de ceux affectés par la mise à pied conservatoire et des documents de fin de contrat rectifiés.

Les sommes allouées porteront intérêts au taux légal :

- en application de l'article 1231-6 du code civil, à compter du 10 juillet 2020, date de l'audience de conciliation, étant observé qu'aucun élément ne permet de déterminer la date à laquelle l'employeur a réceptionné sa lettre de convocation devant le bureau de conciliation, s'agissant du rappel de salaire pendant la période de mise à pied conservatoire, de l'indemnité compensatrice de préavis et des congés payés afférents, et de l'indemnité légale de licenciement,

- en application de l'article 1231-7 du code civil, à compter du présent arrêt en fixant le montant s'agissant des créances indemnitaires.

Le jugement sera infirmé relativement aux dépens de première instance, qui, ainsi que les dépens d'appel, seront supportés par la société [D] [O] qui sera également condamnée à payer à M. [X] la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et déboutée de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes du 21 avril 2022, hormis sur les demandes d'une indemnité compensatrice de départ à la retraite, de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, pour exécution déloyale du contrat de travail et pour défaut d'information du salarié pour exercer ses droits au titre de la formation,

Statuant de nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,

Dit le licenciement de M. [M] [Y] [X] sans cause réelle et sérieuse,

Condamne la société coopérative agricole [D] [O] à payer à M. [M] [Y] [X] les sommes de :

- 1.757,18 € à titre de rappel de salaire,

- 9.826,29 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 982,63 € à titre d'indemnité compensatrice de congés payés afférente,

- 18.457,94 € à titre d'indemnité légale de licenciement,

- 32.754,30 € à titre de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

- 1.500 € à titre de dommages et intérêts pour manquement à l'obligation de formation,

Ordonne à la société coopérative agricole [D] [O] de remettre à M. [M] [Y] [X] des bulletins de salaire rectifiés s'agissant de ceux affectés par la mise à pied conservatoire et des documents de fin de contrat rectifiés,

Ordonne le remboursement par la société coopérative agricole [D] [O] à France Travail des indemnités de chômage versées à M. [M] [Y] [X], du jour de son licenciement au jour du présent arrêt, dans la limite de six mois d'indemnités,

Dit que les sommes allouées porteront intérêts au taux légal :

- à compter du 10 juillet 2020, s'agissant du rappel de salaire, de l'indemnité compensatrice de préavis et de l'indemnité compensatrice de congés payés afférente, et de l'indemnité légale de licenciement,

- à compter du présent arrêt en fixant le montant s'agissant des créances indemnitaires,

Condamne la société coopérative agricole [D] [O] à payer à M. [M] [Y] [X] la somme de 4.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande de ce chef,

Condamne la société coopérative agricole [D] [O] aux dépens exposés en première instance et en appel.

Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01376
Date de la décision : 20/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 30/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-20;22.01376 ?
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