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11/06/2024 | FRANCE | N°23/00622

France | France, Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 11 juin 2024, 23/00622


JP/ND



Numéro 24/1932





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 11/06/2024







Dossier : N° RG 23/00622 - N° Portalis DBVV-V-B7H-IOWO





Nature affaire :



Demande en réparation des dommages causés par l'activité d'un expert en diagnostic, un commissaire aux comptes, un commissaire aux apports, un commissaire à la fusion ou un expert-comptable















Affaire :



S.A.S. ADEVA







C/



[P] [V]

S.A.S. KLIPAIR

S.E.L.A.R.L. SQUADRA AVOCATS

S.A.R.L. AUDIT AQUITAINE EXPERTISES



















Grosse délivrée le :

à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E ...

JP/ND

Numéro 24/1932

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1

ARRET DU 11/06/2024

Dossier : N° RG 23/00622 - N° Portalis DBVV-V-B7H-IOWO

Nature affaire :

Demande en réparation des dommages causés par l'activité d'un expert en diagnostic, un commissaire aux comptes, un commissaire aux apports, un commissaire à la fusion ou un expert-comptable

Affaire :

S.A.S. ADEVA

C/

[P] [V]

S.A.S. KLIPAIR

S.E.L.A.R.L. SQUADRA AVOCATS

S.A.R.L. AUDIT AQUITAINE EXPERTISES

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 09 Avril 2024, devant :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, magistrat chargé du rapport,

assistée de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l'appel des causes,

Jeanne PELLEFIGUES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Laurence BAYLAUCQ et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.S. ADEVA

immatriculée au RCS de Bayonne sous le n° 487 492 175, prise en la personne de son représentant légal,

[Adresse 6]

[Adresse 6]

Représentée par Me Lydia LECLAIR de la SCP MOUTET-LECLAIR, avocat au barreau de BAYONNE

INTIMES :

Monsieur [P] [V]

né le [Date naissance 1] 1958 à [Localité 5] (Algérie)

[Adresse 2]

[Adresse 2]

S.A.S. KLIPAIR

immatriculée au RCS de Pau sous le n° 507 436 525, dont le siège social est situé [Adresse 2], prise en la personne de son liquidateur judiciaire la selarl Ekip'

Représentés par Me Sophie MENJUCQ de la SELARL ALCEE AVOCATS, avocat au barreau de Pau

S.E.L.A.R.L. SQUADRA AVOCATS

immatriculée au RCS de Paris sous le n° 451 913 958, prise en la personne de ses représentants légaux en exercice domiciliés es qualité au siège

[Adresse 4]

[Adresse 4]/ FRANCE

Représentée par Me Julie JACQUOT de la SELARL SELARL AVOCADOUR, avocat au barreau de Pau

Assistée de Me Antoine BEAUQUIER (BCTG Avocats) avocat au barreau de Paris

S.A.R.L. AUDIT AQUITAINE EXPERTISES

immatriculée au RCS de Pau sous le n° 798 387 429, prise en la personne de son représentant léga domicilié en cete qualité au siège social

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Représentée par Me Edwige GARRETA de la SCP GARRETA ET ASSOCIES, avocat au barreau de Pau

Assistée de Me Damien Laforcade (cabinet CLF), avocat au barreau de Toulouse

sur appel des décisions

en date des 27 DECEMBRE 2022 et 07 MARS 2023

rendues par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PAU

RG : 23/622 et 23/945

Par jugement du 27 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Pau a :

Condamné la Société Adeva à verser à la société Klipair à titre de dommages et intérêts la somme de 2.736 euros au titre du préjudice financier résultant du paiement d'honoraires d'avocat, avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

Condamné la Société Adeva à verser à la société Kiplair à titre de dommages et intérêts la somme de 50.000 euros au titre du préjudice financier résultant du règlement de l'amende fiscale, avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

Débouté Monsieur [P] [V] de sa demande de dommages et intérêts à hauteur de 4.980 euros au titre des pénalités de retard de ladite amende ;

Débouté Monsieur [P] [V] de ses demandes formulées au titre d'un préjudice moral et de la perte d'une chance ;

Débouté Monsieur [P] [V] de ses demandes formulées à l'encontre de la société Squadra Avocats ;

 Débouté Monsieur [P] [V] de ses demandes formulées à l'encontre de la société Audit Aquitaine Expertise ;

Condamné la Société Adeva aux entiers dépens de l'instance ;

Condamné la Société Adeva à payer à Monsieur [P] [V] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

Débouté la société Audit Aquitaine Expertise et la société Squadra Avocats de leurs demandes formulées au titre de l'article 700 du Code de procédure civile ;

Dit n'y avoir lieu à exécution provisoire du présent jugement.

Par déclaration du 24 février 2023 la société Adeva a interjeté appel de cette décision.

Par jugement du 7 mars 2023, le tribunal, saisi sur requête du conseil de la société Klipair et de [P] [V] a fait droit à la demande de rectification d'une erreur matérielle et ainsi statué :

précise que dans le jugement susvisé, au lieu de :

' « Condamne la société Adeva à verser à la société Klipair à titre de dommages et intérêts la somme de 50 000 € au titre du préjudice financier résultant du règlement de l'amende fiscale avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation »

Il convient de lire,

« condamne la société Adeva à verser à Monsieur [P] [V] à titre de dommages-intérêts la somme de 50 000 € au titre du préjudice financier résultant du règlement de l'amende fiscale, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation, par ailleurs, confirme le dispositif dudit jugement,

dit que le présent jugement sera mentionné sur la minute et sur les expéditions du jugement initial, et notifiées comme ce dernier, et laisse les dépens à la charge du trésor public.

Par déclaration du 03 avril 2023, la SAS Adeva a également interjeté appel du jugement rectificatif du 07 mars 2023. L'affaire a été enrôlée sous le numéro 23/00945.

Par conclusions du 28 avril 2023,la Selarl Squadra Avocats a saisi le conseiller de la mise en état sur le fondement des articles 528 et 538 du code de procédure civile aux fins de prononcer l'irrecevabilité de la déclaration d'appel de la SAS Adeva.

Par ordonnance du 21 juin 2023, le conseiller de la mise en état a déclaré irrecevable l'appel formé par la SAS Adeva à l'encontre de la société Squadra Avocats.

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 28 août 2023 la SA Adeva a demandé à la cour de :

INFIRMER le jugement du 27 décembre 2022, rectifié par jugement du 07 mars 2023 en ce qu'il a :

« Condamné la Société Adeva à verser à la société Klipair à titre de dommages et intérêts la somme de 2.736 euros au titre du préjudice financier résultant du paiement d'honoraires d'avocat, avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation ;

Condamné la Société Adeva à verser à la société Monsieur [P] [V] à titre de dommages et intérêts la somme de 50.000 euros au titre du préjudice financier résultant du règlement de l'amende fiscale, avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation

Condamné la Société Adeva aux entiers dépens de l'instance ;

Condamné la Société Adeva à payer à Monsieur [P] [V] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du Code de procédure civile

En conséquence,

DEBOUTER Monsieur [V] et la société Klipair de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions dirigées à l'encontre de la société Adeva.

Condamner la partie succombant à verser à la société Adeva la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de première instance et d'appel.

*

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 07 aout 2023 la Monsieur [P] [V] a demandé à la cour de :

Vu les articles 1240 et 1241 du Code civil,

Vu la lettre de mission de Adeva,

Vu le Règlement Intérieur National des Avocats,

Vu la jurisprudence précitée,

Vu les pièces versées au débat,

Plaise à la Cour d'Appel,

- CONFIRMER le jugement rendue par le Tribunal judiciaire de PAU en ce qu'il a considéré que la responsabilité de la société Adeva était engagée à l'égard de Monsieur [P] [V] et de la société Klipair et l'a condamnée en conséquence :

' à verser à la société Klipair à titre de dommages et intérêts la somme de 2.736 euros au titre du préjudice financier résultant du paiement d'honoraires d'avocat avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation

' à verser à Monsieur [P] [V] à titre de dommages et intérêts la somme de 50.000 euros au titre du préjudice financier résultant du règlement de l'amende fiscale avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation

' à payer à Monsieur [P] [V] la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC

- Infirmer le jugement rendue par le Tribunal judiciaire de PAU en ce qu'il a débouté la société Klipair et Monsieur [P] [V] de leurs demandes de condamnation à l'encontre des société Adeva, Squadra Avocats et Audit Aquitaine Expertise

Par suite,

Dire et Juger que la responsabilité professionnelle de la Société Adeva, Audit Aquitaine Expertises et Squadra Avocats est engagée

En conséquence :

' Condamner in solidum la Société Adeva, Audit Aquitaine Expertises et Squadra Avocats à verser Monsieur [P] [V] à titre de dommages et intérêts :

. la somme de 50.000 euros au titre du préjudice financier, avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation et jusqu'à parfait paiement

. la somme de 20.000 euros au titre du préjudice moral, avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation

. la somme de 30.000 au titre du préjudice résidant dans la perte de chance de vendre son bien immobilier

' Condamner in solidum la Société Adeva, Audit Aquitaine Expertises et Squadra Avocats à verser à la société Klipair à titre de dommages et intérêts :

. la somme de 2.736 euros au titre du préjudice financier, avec intérêt au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation et jusqu'à parfait paiement

' ORDONNER la capitalisation des intérêts annuels conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil.

' CONDAMNER in solidum la Société Adeva, Audit Aquitaine Expertises et Squadra Avocats à verser aux requérants la somme de 4.000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du Code de Procédure Civile,

' CONDAMNER in solidum la Société Adeva, Audit Aquitaine Expertises et Squadra Avocats aux dépens,

' ORDONNER l'exécution provisoire de la décision à intervenir

*

Dans ses dernières conclusions notifiées par voie électronique le 13 octobre 2023 la SARL Audit Aquitaine Expertises a demandé à la cour de :

Rejetant toutes conclusions contraires comme injustes et mal fondées,

Vu le jugement en date du 27 décembre 2022, et jugement rectificatif du 7 mars 2023, la déclaration d'appel de la société SAS Adeva et les conclusions d'appelant,

Vu l'absence de demande à l'encontre de la Sarl Audit Aquitaine Expertise de la SAS Adeva

Vu les conclusions d'appel incident de Monsieur [V]

Confirmer la décision dont appel en ce qui concerne le rejet de toute demande contre la SARL Audit Aquitaine Expertise,

- Juger que les éléments constitutifs de la responsabilité de la société Audit Aquitaine Experitses ne sont pas réunis,

- Juger que la société Audit Aquitaine Expertises n'a commis aucune faute telle que reprochée par la société Klipair et Monsieur [V],

En conséquence,

- Débouter Monsieur [V] et la société Klipair de l'ensemble des demandes présentées à l'encontre de la société Audit Aquitaine Expertises,

- Condamner in solidum Monsieur [P] [V] et la société Klipair à payer à la société Audit Aquitaine Expertises la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.

Condamner la SAS Adeva à payer à la société Audit Aquitaine Expertise la somme de 5.000 € sur le fondement de l'article 700 du Code de Procédure Civile.

SUR CE

sur la jonction des procédures :

Il y a lieu d'ordonnner la jonction des procédures N° 23/00946 et 23/00622 sous le numéro 23/0622 dans le souci d'une bonne administration de la justice en raison de l'identité du litige et des parties.

Au fond :

[P] [V] a créé en 2008 la société Klipair sous la forme d'une société à responsabilité limitée dont il détenait 70 % des titres et dont il était le gérant, cette personne morale intervenant sur le marché des micro-technologies appliquées aux techniques fluidiques.

Une lettre de mission d'ingénierie juridico-financière a été signée entre la société Klipair et le cabinet Adeva le 27 novembre 2014 dans le cadre d'une opération de levée de fonds associée à une valorisation de deux brevets jusqu'alors détenus à titre personnel par [P] [V]. Ces deux brevets valorisés à la somme d'un million d'euros ont été apportés en nature à la société Klipair aux termes d'un contrat d'apport conclu entre cette société et Monsieur [P] [V] le 22 avril 2016.

L'assemblée générale mixte du 22 avril 2016 de la société Klipair a décidé de la transformation de la société en SAS, a approuvé l'évaluation des brevets, a décidé l'augmentation de capital par apport en nature et l'augmentation de capital par apport en numéraire, avec l'entrée dans le capital de nouveaux investisseurs. Les formalités modificatives de la société Klipair au registre du commerce et des sociétés de Pau ont été réalisées par le Cabinet Adeva.

Maitre Lan, avocat et conseil de la société Klipair, est notamment intervenu dans le cadre de son mandat pour assurer une vérification des documents juridiques intéressant cette opération.

A l'issue des opérations de levée de fonds et d'augmentation de capital, [P] [V] est devenu détenteur de 73,8 % des parts constituant le capital social de la Société Klipair.

Ensuite, Monsieur [P] [V] et la société Klipair ont fait l'objet d'un contrôle fiscal diligenté par la Direction Départementale des Finances publiques des Pyrénées-Atlantiques.

Par courrier en date du 14 juin 2018, [P] [V] a reçu de l'Administration fiscale une proposition de rectification en matière d'impôt sur le revenu portant notamment sur l'omission de la déclaration de la plus-value réalisée à l'occasion de l'apport en nature des brevets au profit de la société Klipair pour un montant de 1.000.000 euros.

Le contrat d'apport n'avait pas fait l'objet d'un enregistrement auprès du Trésor public et aucune déclaration fiscale n'avait été mentionnée dans ce contrat au titre d'une option expresse pour l'application des dispositions de l'article 93 quater l du code général des impôts qui aurait pu rendre possible un report d'imposition de la plus-value d'apport.

Cette option expresse n'ayant pas été prévue au contrat d'apports, l'Administration fiscale a réclamé à [P] [V] le montant de l'imposition de la plus-value de ses apports dans les conditions de droit commun, au titre de l'impôt sur le revenu de l'apporteur, soit au taux de 16 %.

Après une démarche amiable auprès de l'Administration fiscale, [P] [V] a pu obtenir un acte complémentaire et rectificatif du contrat d'apport du 22 avril 2016 portant option au régime du report d'imposition de la plus-value de l'article 93 quater I du Code général des impôts. Ce contrat rectifié a été enregistré au service de la publicité foncière de Pau le 9 août 2018.

Si l'Administration fiscale a abandonné la rectification sur la plus-value d'apport sur la base de 1.000.000 d'euros, l'amende fiscale de 5% du montant de la plus-value prévue à l'article 1763-I du CGI pour non dépôt de l'état de suivi des plus-values en report d'imposition a été maintenue et Monsieur [P] [V] s'est vu réclamer à ce titre la somme de 50.000 euros.

Par courrier recommandé du 19 septembre 2018, [P] [V] a mis en demeure le cabinet Adeva de lui régler la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice financier qu'il disait avoir subi du fait de manquements reprochés à ce cabinet au titre d'un devoir de conseil.

Le cabinet Audit Aquitaine Expertises et le cabinet Squadra Avocats ont également été mis en demeure de régler la même somme à [P] [V] en réparation d'un préjudice financier qu'il disait avoir subi par le fait de leurs manquements.

N'obtenant pas satisfaction, [P] [V], par acte d'huissier du 06 février 2019, a assigné la société Adeva, la société Audit Aquitaine Expertises et la société Squadra Avocats devant le tribunal judiciaire de Pau afin de les voir notamment condamner solidairement à lui payer la somme de 50.000 euros en réparation du préjudice financier allégué.

Par ordonnance du 13 septembre 2023 rendue par le conseiller de la mise en état, l'appel formé par la SAS Adeva à l'encontre de la société Squadra Avocats a été déclaré irrecevable.

Cette ordonnance n'a pas fait l'objet d'un déféré et il en résulte que les demandes de la société Adeva formées à l'encontre de la société Squadra Avocats sont irrecevables en cause d'appel.

Sur les fautes de la société Adeva et du cabinet Audit Aquitaine Expertises

Sur la faute de la société Adeva

[P] [V] soutient que la société Adeva en sa qualité de rédactrice du contrat d'apport et au regard du devoir de conseil global qui lui incombe engage sa responsabilité pour ne pas lui avoir fait connaître le régime fiscal de faveur en matière d'apport de brevet (93 quater I CGI) et de ne pas lui avoir indiqué ses obligations fiscales déclaratives.

D'une part, il considère que la société Adeva est la rédactrice du contrat d'apport et aussi d'autres documents juridiques indispensables à l'opération, ce qu'il déduit notamment des courriels des 30 mars, 22 avril et 25 mai 2016 envoyés par cette société aux intéressés dont le deuxième comportait le « contrat d'apport de brevet KLIPAIR ».

D'autre part, selon lui, la société Adeva ne peut se dérober à ses obligations en arguant qu'il avait lui-même connaissance de ses obligations fiscales en ses qualités de Président de la société et d'inventeur de brevets alors qu'il les ignorait parfaitement raison pour laquelle il a sollicité le concours de professionnels.

Par ailleurs, [P] [V] expose que la mission « juridico-financière » de la société Adeva incluait forcément une dimension fiscale, qu'elle ne peut aujourd'hui contester alors qu'elle s'auto-détermine comme experte dans des opérations complexes visant à attirer des investisseurs et qu'elle précise que sa prestation relève de l'ingénierie financière.

Enfin, il réfute l'argument de la société Adeva selon lequel elle ne serait liée contractuellement qu'avec la société Klipair étant constaté que la lettre de mission précise que l'accompagnement du dirigeant est effectif à tous les stades de la mission. En tout état de cause, il agit sous le régime de la responsabilité délictuelle.

La société Adeva soutient qu'aucun manquement ne peut lui être imputé en ce que la mission confiée par la société Klipair n'était que ponctuelle et que l'opération d'apport est intervenue sous le contrôle du cabinet d'expertise comptable Audit Aquitaine Expertises et du cabinet d'avocats Squadra.

L'appelante dit n'être ni l'auteur ni la rédactrice du contrat d'apport et que c'est à tort que le premier juge l'a considérée comme telle au seul motif qu'elle a envoyé ce contrat par courriel aux intéressés alors que le cabinet Squadra Avocats n'en a pas été rendu destinataire, et que cette circonstance peut aussi le présumer rédacteur.

Elle avance par ailleurs que la source du préjudice n'est pas l'absence d'une clause prévoyant la possibilité pour l'intimé d'opter pour un report d'imposition de la plus-value puisque l'administration fiscale a accepté un acte rectificatif du contrat mais l'absence de déclaration.

L'appelante affirme que la mission qui lui a été confiée n'incluait pas l'incidence fiscale de l'opération étant précisé qu'elle n'est pas un conseiller juridique ou fiscal au contraire du cabinet d'expertise comptable Audit Aquitaine Expertises et du cabinet d'avocats Squadra qui accompagnaient [P] [V].

Le cabinet Audit Aquitaine Expertises est l'instigateur de l'opération et a enregistré l'apport en comptabilité. Il était d'ailleurs tenu de la réalisation des déclarations de revenus personnels de [P] [V]. Le cabinet Squadra Avocats quant à lui, compétent en droit fiscal et douanier était censé viser tous les documents d'ordre juridique et s'est chargé de préparer l'assemblée du 22 avril 2016. Partant, ils engagent leur responsabilité.

Il résulte de l'article 1240 du code civil que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'article 1241 du même code précise que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.

S'agissant de la faute, en l'absence de définition légale, elle est comprise par la jurisprudence comme tout fait d'action ou d'abstention qui viole une prescription légale ou qui ne correspond pas au comportement de référence qu'aurait adopté une personne raisonnable placée dans la même situation.

Suivant jurisprudence de la Cour de Cassation, le rédacteur professionnel d'un acte juridique doit informer et éclairer les parties sur les effets et la portée de l'opération.

Il découle des termes de « la mission d'ingénierie juridico financière » conclue entre les parties par acte sous seing privé du 24 octobre 2014 qu'Adeva « s'est engagée à accompagner le dirigeant et son équipe à tous les stades de la mission consistant à réaliser l'apport des brevets de [P] [V] à la société Klipair.

Par courriel du 22 avril 2016 la société Adeva adressait à [P] [V] en pièces jointes le « Contrat d'apport de Brevets Klipair » ainsi que d'autres documents juridiques intéressant l'opération, laissant présumer sa qualité de rédactrice dudit acte. S'il est certes constaté que le cabinet Squadra Avocats n'en a pas été rendu destinataire, il n'est pas pour autant démontré par l'appelante qu'il en était le rédacteur ou à tout le moins que ce document émanait de lui ou d'un tiers. En conséquence, le premier juge a exactement retenu sa qualité de rédactrice de l'acte.

La qualité de rédactrice faisait peser sur elle une obligation d'information et de conseil envers les parties à l'acte, notamment sur l'incidence fiscale, ce qui aurait permis à Monsieur [P] [V] de déclarer la plus-value réalisée par son apport de brevet évitant subséquemment de se voir infliger un redressement et in fine une amende de 50.000 euros par l'administration fiscale.

Il est ainsi mentionné que : « la mission sera toujours menée en totale transparence avec les partenaires de la société : juriste, commissaire aux comptes, expert-comptable, notamment. » Ces précisions induisent , en l'absence de prévision expresse, l'incidence fiscale de l'opération, déterminante en matière de montage de sociétés et d'apport de brevets, et ce en raison de la complexité et de l'ampleur de l'opération envisagée portant sur un apport de brevets d'une valeur d'un million d'euros avec toutes ses implications.

Il incombait donc à la société Adeva de faire figurer au sein du contrat d'apport la possibilité pour Monsieur [P] [V] d'opter pour le report d'imposition de la plus-value résultant de l'apport du brevet conformément aux prévisions de l'article 93 quater-I ter du code général des impôts et de l'informer sur ses obligations fiscales déclaratives concernant la plus-value réalisée, en faire mention fiscale et procéder à l'enregistrement de l'acte.

Le premier juge a exactement jugé qu'il ne peut être opéré en l'espèce une distinction des qualités rattachées à la personne de Monsieur [P] [V], les deux signatures portées par ses soins sur le contrat, en qualité d'apporteur et en qualité de président de la société, participant d'une opération indissociable.

Il est par ailleurs souligné que la société Adeva emploie une juriste spécialisée en droit des affaires qui est intervenue tout au long du projet et ne peut en conséquence se prétendre profane.

Dûment informé de ses obligations déclaratives et des conséquences de son inaction [P] [V] aurait certainement réalisé les démarches nécessaires auprès de l'administration fiscale.

Au vu de ce qui précède, la société Adeva a commis un manquement à ses obligations découlant de sa qualité de rédactrice du contrat d'apport et de ses engagements pris dans le cadre de la lettre de mission.

En conclusion, sa faute sera retenue.

Sur la faute du cabinet Audit Aquitaine Expertises

Monsieur [P] [V] fait valoir que la société Audit Aquitaine Expertises a commis une faute en ne l'avisant pas de son obligation d'effectuer la déclaration de la plus-value réalisée au titre de l'apport ni même la déclaration de suivi des plus-values alors que cela relevait de son champs compétence, ès qualité d'expert-comptable.

L'appelant avance que la société Audit Aquitaine Expertises était à l'origine du projet de levée de fonds prévoyant l'apport des deux brevets et que ce cabinet a eu connaissance de l'opération par réception de l'intégralité des documents juridiques en juillet 2016. Elle ne peut démentir cette affirmation alors qu'elle a elle-même comptabilisé l'apport dans les comptes annuels de la société Klipair.

De surcroit, le cabinet réalisait ses déclarations de revenus personnelles.

La société Audit Aquitaine Expertises expose ne pas être intervenue dans le cadre de l'opération litigieuse et de ne pas en avoir eu connaissance puisqu'elle n'a jamais été mise en copie des courriels échangés.

En toutes hypothèses, Monsieur [P] [V] l'a déchargée de l'établissement de la déclaration de ses revenus pour 2016 par courriel du 11 mai 2017 dans lequel il écrit : « Pour ma déclaration d'impôt vous pouvez me transmettre les éléments, je vais m'en occuper ». Au surplus, aucune lettre de mission n'a été établie entre les parties.

Il résulte de l'article 1240 du code civil que tout fait quelconque de l'homme qui cause à autrui un dommage oblige celui par la faute duquel il est arrivé à le réparer.

L'article 1241 du même code précise que chacun est responsable du dommage qu'il a causé non seulement par son fait, mais encore par sa négligence ou son imprudence.

S'agissant de la faute, en l'absence de définition légale, elle est comprise par la jurisprudence comme tout fait d'action ou d'abstention qui viole une prescription légale ou qui ne correspond pas au comportement de référence qu'aurait adopté une personne raisonnable placée dans la même situation.

En l'espèce, il ressort des pièces versées aux débats que la société Audit Aquitaine Expertises réalisait régulièrement les déclarations de revenus personnelles de Monsieur [P] [V]. Dernièrement, elle a établi le calcul prévisionnel IRPP 2015 pour celui-ci.

[P] [V] a informé le cabinet d'expertise comptable qui s'occupait personnellement de sa déclaration de revenus pour 2016 en sollicitant tout de même les éléments à déclarer. Si la société Audit Aquitaine Expertises n'était tenue d'aucune obligation à son égard, elle lui aurait indiqué que cette diligence ne relevait pas de ses compétences. Or, par courriel du 15 mai 2017, elle a listé à son client ses obligations déclaratives omettant d'évoquer la plus-value procédant de l'apport des deux brevets.

Elle conteste avoir eu connaissance de l'opération litigieuse alors qu'elle l'a comptabilisée dans les comptes annuels de la société Klipair sous l'intitulé « apport en nature BREVETS contrat KB ».

Dès lors qu'elle s'est engagée à accompagner [P] [V] sur ses déclarations personnelles, elle devait s'enquérir de toutes données lui permettant de délivrer un conseil précis et complet.

Dûment informé de ses obligations déclaratives et des conséquences de son inaction Monsieur [P] [V] aurait certainement réalisé les démarches nécessaires auprès de l'administration fiscale.

Au vu de ce qui précède, la société Audit Aquitaine Expertises a commis une faute de nature à engager sa responsabilité.

En conclusion, la société Adeva et le cabinet Audit Aquitaine Expertises seront condamnés in solidum à indemniser [P] [V].

II ) Sur le préjudice

Sur le préjudice financier résultant des honoraires d'avocats

En droit, selon le principe de réparation intégrale, le préjudice doit être réparé dans son intégralité, sans perte ni profit pour aucune des parties.

En l'espèce, il est acquis aux débats que la société Klipair a payé la somme de 2.736 euros au titre des frais d'avocat pour régulariser sa situation auprès de l'Administration fiscale concernant l'omission de la déclaration de la plus-value réalisée au titre de l'apport en nature.

La société Klipair a dû en effet supporter les frais d'avocat nécessités par la rédaction de l'acte rectificatif est complémentaire au contrat d'apport portant option express et rétroactive au régime de faveur de report d'imposition.

En conséquence, la société Adeva et le cabinet Audit Aquitaine Expertises seront condamnés in solidum à payer à la Selarl Ekip', ès qualité de liquidateur judiciaire de la société Klipair, la somme de 2.736 euros au titre desdits frais.

Sur l'amende fiscale et les pénalités de retards

Il est constant que même si l'administration fiscale a abandonné la rectification sur la plus-value d'apport sur la base d'1.000.000 d'euros, elle a maintenu l'amende fiscale de 5 % du montant de la plus-value prévue à l'article 1763-1 du CGI non dépôt de l'état de suivi des plus-values en report d'imposition. Ainsi [P] [V] a été sanctionné d'une amende fiscale de 50.000 euros.

Contrairement à l'argumentation de la société Audit Aquitaine Expertises le préjudice est établi et certain et en lien de causalité directe avec les fautes commises.

Par ailleurs, le juge a exactement apprécié que les pénalités de retard de cette amende ne sont pas sujettes à indemnisation en ce qu'elles relèvent de la seule négligence de [P] [V].

En conséquence, la société Adeva et le cabinet Audit Aquitaine Expertises seront condamnés in solidum à payer à [P] [V], la somme de 50.000 euros correspondant au montant de l'amende fiscale.

Sur le préjudice moral et la perte de chance

[P] [V] invoque avoir été victime d'un préjudice moral s'étant trouvé dans une situation de stress dans l'idée de s'acquitter d'une somme importante sachant qu'il a dû envisager dans un premier temps la vente de sa maison ou la clôture de ses assurances-vie en règlement de la dette fiscale.

Cependant, le premier juge a exactement décidé qu'il n'est pas démontré par Monsieur [P] [V] un préjudice moral qui dépasserait les tracas judiciaires inhérents à toute instance en justice.

En conséquence, Monsieur [P] [V] sera débouté de sa demande.

En outre, Monsieur [P] [V] allègue avoir perdu une chance de vendre la maison dans laquelle il résidait en raison de l'hypothèque légale prise sur le bien immobilier au profit du Trésor public pour assurer le paiement de l'amende fiscale sans suffisamment étayer ce projet de vente notamment par les démarches entreprises dans ce dessein étant précisé que depuis la maison a été vendue et l'amende réglée.

En conséquence, Monsieur [P] [V] sera débouté de sa demande de ce chef.

La capitalisation des intérêts annuels de droit, sera ordonnée conformément aux dispositions de l'article 1343-2 du Code civil.

La somme de 3000 € sera allouée sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

PAR CES MOTIFS

LA COUR

Statuant publiquement par mise à dispositin au greffe, par arrêt contradictoire en dernier ressort

Ordonne la jonction des procédures 23/00622 et 23/00945 sous le numéro 23/00622,

Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté [P] [V] de sa demande de dommages intérêts à hauteur de 4980 € au titre des pénalités de retard de l'amende, en ce qu'il a débouté [P] [V] de ses demandes au titre d'un préjudice moral et de la perte de chance et de ses demandes formulées à l'encontre de la société Squadra Avocats,

L'infirmant sur le surplus :

Condamne la société Adeva in solidum avec la société Audit Aquitaine Expertises à verser à la société Klipair représentée par son liquidateur judiciaire, la SELARL Ekip', la somme de 2736 € au titre du préjudice financier résultant du paiement d'honoraires d'avocats, avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.

Condamne la société Adeva in solidum avec la société Audit Aquitaine Expertises à verser à [P] [V] la somme de 50 000 € au titre du préjudice financier résultant du règlement de l'amende fiscale avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation.

Condamne la société Adeva in solidum avec la société Audit Aquitaine Expertises à payer à [P] [V] la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles engagés en cause d'appel.

Dit la société Adeva in solidum avec la société Audit Aquitaine Expertises tenues aux dépens.

Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

La Greffière La Présidente


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 2ème ch - section 1
Numéro d'arrêt : 23/00622
Date de la décision : 11/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 17/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-11;23.00622 ?
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