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06/06/2024 | FRANCE | N°23/01434

France | France, Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 06 juin 2024, 23/01434


PhD/ND



Numéro 24/1896





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 06/06/2024







Dossier : N° RG 23/01434 - N° Portalis DBVV-V-B7H-IQ6R





Nature affaire :



Autres actions en responsabilité exercées contre un établissement de crédit















Affaire :



[F] [W]

S.A.S. FRASO





C/



S.A. BNP PARIBAS








>



















Grosse délivrée le :

à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions pr...

PhD/ND

Numéro 24/1896

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1

ARRET DU 06/06/2024

Dossier : N° RG 23/01434 - N° Portalis DBVV-V-B7H-IQ6R

Nature affaire :

Autres actions en responsabilité exercées contre un établissement de crédit

Affaire :

[F] [W]

S.A.S. FRASO

C/

S.A. BNP PARIBAS

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 juin 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 08 Avril 2024, devant :

Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,

assisté de Madame Nathalène DENIS, Greffière présente à l'appel des causes,

Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Joëlle GUIROY et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Madame Joëlle GUIROY, Conseillère

Madame Laurence BAYLAUCQ, Conseillère

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTS :

Monsieur [F] [W]

né le [Date naissance 1] 1943 à [Localité 9] (Maroc)

de nationalité française

[Adresse 4]

[Localité 5]

S.A.S. FRASO

immatriculée au RCS de Bayonne sous le n° 329 642 706

représentée par so nreprésentant légal en exercice

[Adresse 2]

[Localité 7]

Représentés par Me Christophe DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de Pau

Assistés de Me Judith HAROCHE, avocat au barreau de Paris

INTIMEE :

S.A. BNP PARIBAS

[Adresse 3]

[Localité 6]

Représentée par Me Vincent DELPECH de la SCP DELMA AVOCATS, avocat au barreau de Bayonne

Assistée de Me Julien MARTINET (SWIFT LITIGATION), avocat au barreau de Paris

sur appel de la décision

en date du 24 AVRIL 2023

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE

RG : 2022002271

FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

La société Fraso (sas), dirigée par M. [F] [W], a pour activité l'administration, l'exploitation par bail ou location de biens immobiliers acquis ou édifiés par la société.

La société Fraso est cliente de l'agence BNP paribas, [Adresse 8] à [Localité 7], depuis 2008.

Courant 2020, M. [W] étant alors âgé de 78 ans, la société Fraso a vendu les murs d'un supermarché lui appartenant.

Le 25 septembre 2020, le prix de vente d'un montant de 3.484.518,32 euros a été versé sur le compte bancaire de la société Fraso ouvert à la BNP paribas.

Entre le 9 octobre et le 31 décembre 2020, la société Fraso a réalisé 9 virements bancaires d'un montant total de 1.601.600 euros au profit de titulaires de comptes bancaires ouverts en Pologne, Pays-Bas et Portugal.

Les 27 janvier 2021 et 23 février 2021, la société Fraso, mais également M. [W], qui a réalisé des virements personnels par l'intermédiaire d'autres banques, ont déposé plainte pour escroqueries.

L'enquête pénale a été classée sans suite le 24 janvier 2023 pour défaut d'identification des auteurs.

Il ressort de l'enquête pénale et des faits de la présente procédure que, en vue de réaliser des placements financiers dans la perspective de sa retraite, M. [W] est entré en relation, via internet, avec des personnes se présentant comme des conseillers financiers de la société française Cabi et de la société luxembourgeoise Alpha Patrimoine qui lui ont proposé d'investir sur des produits financiers et des chambres d'ehpad.

Le 6 octobre 2020, la société Fraso a signé un formulaire Alpha Patrimoine en vue de placer la somme de 500.000 euros sur un « livret diversifié », support Moderna, moyennant un rendement au taux annuel de 10,56 % et le versement « d'intérêts mensuels » de 4.400 euros.

Dans le cadre de cette souscription, la société Fraso a réalisé trois virements d'un montant de 165.670 euros (le 9 octobre 2020), 167.980 euros (le 10 octobre 2020) et 166.350 euros (le 13 octobre 2020) sur un compte ouvert au nom de JR Corporate dans les livres de MBANK en Pologne

Le 31 décembre 2020, se voyant conseiller le support Tesla avec un rendement annuel de 18% , la société Fraso a réalisé un virement de 250.000 euros, à valoir sur un investissement d'un million d'euros, sur un compte ouvert au nom de la société Omecad INV dans les livres de la Caixa geral des despositos au Portugal.

Parallèlement, le 30 novembre 2020, la société Fraso a également signé un formulaire Cabi en vue d'acquérir des parts d'une société d'investissement « Knight Frank » développant des résidences médicalisées type Ehpad, pour un montant de 801.700 euros (en réalité 701.700 euros) assorti d'un rendement garanti au taux net annuel de 15 %, soit des « loyers » annuels de 120.255 euros, payables mensuellement.

Dans le cadre de cette souscription, la société Fraso a réalisé :

- quatre virements sur un compte ouvert au nom de la société Fraso dans les livres de Alio Bank en Pologne, de 50.000 euros (le 19 novembre 2020), 400.000 euros (le 26 novembre 2020), et deux fois 100.400 euros (le 3 décembre 2020).

En outre, se voyant conseiller d'acquérir du matériel médical destiné aux ehpad, la société Fraso a réalisé un virement de 200.800 euros (le 9 novembre 2020) sur un compte ouvert au nom de Gentle & Beyond dans les livres de ING Bank au Pays-Bas.

Cependant, à la suite de ce virement du 9 novembre 2020, la banque néerlandaise, qui disposait d'informations sur les opérateurs, a procédé à des vérifications auprès de la BNP paribas de [Localité 7] qui a interrogé M. [W] sur l'opération bancaire en cause.

M. [W] n'a plus trouvé aucun interlocuteur ni pu accéder à ses comptes Cabi et Alpha Patrimoine, comprenant qu'il avait été abusé par des personnes ayant usurpé l'identité et les références commerciales de ces deux sociétés qui ont des activités légales.

La banque néerlandaise a restitué à M. [W] la somme de 160.080 euros.

Courant 2021, la société OCP a lancé une alerte concernant l'utilisation frauduleuse du nom et des informations légales concernant la société Cabi, sa filiale, dans le cadre d'escroqueries aux chambres d'ehpad, et le 25 juin 2021, la commission de surveillance du secteur financier (CSSF) a émis une alerte analogue concernant l'utilisation frauduleuse de la société luxembourgeoise Alpha Patrimoine.

Par lettre recommandée avec accusé de réception du 25 février 2022, le conseil de la société Fraso a mis en cause la responsabilité de la société BNP paribas pour manquement à son devoir de vigilance et de mise en garde, la mettant en demeure de lui payer la somme de 1.441.520 euros détournée au moyen des virements bancaires exécutés par la banque.

La société BNP paribas a contesté toute responsabilité dans l'exécution des virements conformément aux instructions de la société Fraso.

Suivant exploit du 17 juin 2022, la société Fraso et M. [W] ont fait assigner la société BNP paribas par devant le tribunal de commerce de Bayonne en responsabilité et indemnisation de leurs préjudices pour manquement du banquier teneur d'un compte bancaire à son devoir d'assistance, de mise en garde et de vigilance à l'occasion de l'exécution d'un service de paiement.

Par jugement contradictoire du 24 avril 2023, le tribunal a :

- jugé recevable mais non fondée l'action de la société Fraso et de M. [W] à l'encontre de la société BNP paribas

- débouté la société Fraso et M. [W] de leurs demandes

- condamné solidairement la société Fraso et M. [W] à payer à la défenderesse la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les dépens.

Par déclaration faite au greffe de la cour le 23 mai 2023, la société Fraso et M. [W] ont relevé appel de ce jugement.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 13 mars 2024.

***

Vu les dernières conclusions notifiées le 12 mars 2024 par les appelants qui ont demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a déclaré recevable leur action mais de l'infirmer pour le surplus, et statuant à nouveau, de :

- débouter la société BNP paribas de ses demandes

- juger que la société BNP paribas a manqué à ses obligations d'assistance, de mise en garde et de vigilance envers sa cliente, la société Fraso, dans ses opérations de virements bancaires

- juger que la défaillance de la société BNP paribas a conduit la société Fraso à la perte de la somme de 1.441.520 euros

- condamner, en conséquence, la société BNP paribas à payer à la société Fraso la somme de 1.473.356 euros (1.441.520 + 32.016 euros correspondant à 2 % d'intérêts) à parfaire au jour de l'arrêt en application de l'article 1231-1 du code civil et subsidiairement en application de l'article 1242 du code civil

- ordonner la capitalisation des intérêts échus, dus au moins pour une année entière en application de l'article 1343-2 du code civil

- condamner la société BNP paribas à payer à M. [W] la somme de 15.000 euros à titre de préjudice moral

- condamner la société BNP paribas à payer à chacun des appelants la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

*

Vu les dernières conclusions notifiées le 7 mars 2024 par l'intimée qui a demandé à la cour de confirmer le jugement entrepris, de débouter les appelants de leurs demandes et les condamner solidairement à lui payer une indemnité de 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile en appel.

MOTIFS

La disposition du jugement ayant déclaré recevable les actions indemnitaires des requérants justifiant avoir été victimes d'une escroquerie, n'a pas fait l'objet d'un appel incident, de sorte qu'elle est passée en force de chose jugée.

sur le devoir de mise en garde et de vigilance du banquier à l'égard de la société Fraso

Les appelants font grief au jugement d'avoir rejeté leurs prétentions en raison de l'absence d'anomalies matérielles ou intellectuelles des virements exécutés alors que, en l'espèce, les mouvements financiers opérés sur une brève période, au profit de comptes situés en Pologne, au Pays-Bas et au Portugal, sans proportion avec les mouvements antérieurs, ni avec une activité donnant cohérence ou vraisemblance à de telles opérations, révélaient des anomalies intellectuelles et un caractère inhabituel qui devaient appeler de la part de la banque, teneur d'un compte bancaire et prestataire d'un service de paiement, un surcroît de vigilance au regard de ses obligations contractuelles, générales et spéciales nées de la convention de compte de dépôt, à l'égard de la société Fraso dont la méconnaissance engage sa responsabilité sur le fondement de l'article 1231-1 du code civil.

L'intimée objecte, d'abord, que la convention de compte de dépôt liant les parties se borne à rappeler les obligations légales de vigilance et d'information du banquier dans le cadre de la lutte contre le blanchiment et la lutte contre le terrorisme dont ne peut se prévaloir le titulaire du compte, et, ensuite, que l'obligation contractuelle générale de vigilance du banquier cesse en présence d'ordres de virements authentiques, le banquier ne devant pas se substituer à son client dans la conduite de ses affaires ni à intervenir pour empêcher son client d'effectuer un acte irrégulier, inopportun ou dangereux, et alors, au surplus, que, en l'espèce, si les virements pratiqués étaient inhabituels quant à leurs montants et destinataires, ils étaient authentiques, ne présentaient aucune anomalie manifeste et étaient en lien avec la vente des murs d'un supermarché, de sorte que, ignorant tout des investissements poursuivis par sa cliente, elle n'avait pas à interroger celle-ci, propriétaire de plusieurs actifs immobiliers en France et à l'étranger, sur les raisons pour lesquelles elle souhaitait effectuer les virements litigieux, certains à son profit, vers des banques agréées implantées dans des pays membres du Gafi ou de Moneyval qui ne sont pas à risque, tandis que les alertes des autorités financières sur les escroqueries aux placements financiers et chambres d'ehpad n'ont été diffusées que postérieurement aux virements litigieux réalisés par la société Fraso.

L'intimée en déduit que le préjudice financier dont la réparation est sollicitée est exclusivement imputable à l'imprudence de la société Fraso dans la préparation et le contrôle des opérations qu'elle a envisagé seule, avec l'espoir de réaliser des gains spéculatifs conséquents sans estimer le besoin de recourir aux services et conseils de la banque.

Cela posé, la responsabilité contractuelle de la société BNP paribas est fondée sur un double manquement à son devoir de vigilance et de mise en garde découlant tant de ses obligations de teneur de compte bancaire et de prestataire de services de paiement que de la convention de compte de dépôt liant les parties.

Concernant le second moyen tiré de la convention de compte de dépôt liant les parties, celle-ci comporte un chapitre intitulé « obligation de vigilance et d'information » énonçant que « il est fait obligation légale à la banque de s'informer auprès de ses clients pour les opérations qui lui apparaîtront comme inhabituelles en raison notamment de leurs modalités, de leur montant ou de leur caractère exceptionnel au regard de celles traitées jusqu'alors par ces derniers. Le client s'engage également à informer la banque de toute opération présentant les mêmes caractéristiques que celles énoncées ci-dessus et à fournir toutes informations ou documents requis ».

Cependant, l'intimé fait valoir, à bon droit, que cette clause se borne à rappeler les obligations légales pesant sur le banquier dans le cadre de la lutte contre le blanchiment de capitaux et le financement du terrorisme, en application des articles L. 563-1et suivants du code monétaire et financier participant d'un objectif d'intérêt général, dont la méconnaissance n'est pas une source de responsabilité du banquier à l'égard de son client.

Concernant le premier moyen tiré des obligations du banquier teneur de compte bancaire et prestataire de services de paiement, il est de jurisprudence établie que le banquier, tenu d'un devoir de surveillance et de vigilance, doit, à réception d'un ordre de virement, s'assurer que celui-ci émane bien du titulaire du compte à débiter ou de son représentant et ne présente aucune anomalie apparente, formelle ou intellectuelle, et vérifier que l'opération n'est pas manifestement irrégulière ou inhabituelle dans la pratique commerciale de son client. (voir en ce sens Com 14 février 2024 n°22-11.654).

Ainsi, contrairement à ce que soutient l'intimée, le principe de non-immixtion du banquier dans les affaires de son client ne cède pas qu'en présence d'anomalies manifestes laissant supposer que le titulaire du compte n'est pas à l'origine de l'ordre mais également en présence d'un ordre de virement authentique et régulier lorsqu'il existe des circonstances objectives révélant des anomalies intellectuelles ou le caractère inhabituel de l'ordre qu'il doit exécuter.

En l'espèce, il est constant que les neuf virements bancaires réalisés entre octobre et décembre 2020 par M. [W], par téléphone ou en présence à l'agence, sont authentiques et non affectés d'anomalies formelles ou matérielles, que la banque n'a jamais été informée des projets de placements financiers réalisés par sa cliente, que les ordres de virements ne comportent aucune indication de leur objet, à l'exception du dernier en date du 31 décembre 2020 mentionnant « investissement immobilier », ce qui rentre dans l'objet social de la société Fraso.

En outre, et ce point n'est pas contesté, la banque prestataire d'un service de paiement n'est pas légalement tenue de vérifier les coordonnées bancaires des destinataires des fonds.

Et, il n'est pas contesté que les banques polonaises, néerlandaise et portugaise destinataires des fonds litigieux sont agréées, reconnues et implantées dans des Etats de l'Union européenne.

Il faut enfin retenir que la société Fraso ne conteste pas posséder plusieurs importants actifs immobiliers de rapport situés en France ainsi qu'un restaurant au Sénégal, contestant seulement, comme le soutient l'intimée sans preuve, être propriétaire d'un appartement en Espagne.

Cependant, il est constant que les trois premiers ordres de virement des 9, 10 et 13 octobre 2020 étaient destinés à un compte bancaire ouvert en Pologne, dans une banque polonaise, au profit d'un bénéficiaire, désigné JR Corporate, pour un montant total de 500.000 euros, suivis d'un ordre du 9 novembre destiné à un compte ouvert dans une banque néerlandaise au profit d'un bénéficiaire désigné, Gentle & Beyond, (200.800 euros), suivis de quatre ordres des 19, 26 et 3 décembre 2020 (x2), d'un montant total de 650.000 euros destinés à un compte ouvert en Pologne, dans une autre banque polonaises, au profit d'un bénéficiaire désigné, la société Fraso, avant le dernier virement du 31 décembre destiné à un compte ouvert au Portugal dans une banque portugaise pour un montant de 250.000 euros.

Ces neuf ordres de virement, et singulièrement les 7 virements destinés aux banque polonaises, réalisés dans un laps de temps très bref, présentaient un caractère inhabituellement exceptionnel au regard des pratiques commerciales et bancaires de la société Fraso que ne pouvait expliquer l'encaissement exceptionnel du 25 septembre 2020 de la somme 3.484.518,32 euros provenant de la vente d'un actif immobilier alors que le fonctionnement historique récurent du compte était limité à des opérations de trésorerie courante ponctuées de virements n'excédant la somme de 12.000 euros.

En effet, si l'encaissement de la vente immobilière pouvait laisser augurer de mouvements financiers externes librement réalisés par le dirigeant social qui n'avait sollicité aucun conseil auprès de la banque, le transfert rapide et massif de fonds d'un montant total de 1.150.000 euros, vers des comptes bancaires ouverts en Pologne au nom d'un tiers et plus singulièrement au nom de la société Fraso, alors que celle-ci n'avait aucune activité commerciale ou intérêt connu dans ce pays ni à l'international, à l'exception du restaurant sénégalais, conférait aux ordres de virement un caractère manifestement inhabituel et doublé d'une anomalie intellectuelle de la part, au surplus, d'un dirigeant âgé de 78 ans, entrant dans le champ du devoir de vigilance de la société BNP paribas au regard des pratiques commerciales et bancaires antérieures de sa cliente depuis l'année 2008.

Dans ce contexte, la société BNP paribas ne pouvait, sans méconnaître ses obligations, exécuter les ordres de virement sans interroger sa cliente sur la cohérence et la sûreté de ses ordres de virement formellement réguliers mais inhabituels et dissonants susceptibles de l'exposer à un grave dommage en cas de fraude.

Cependant, ne disposant d'aucune information sur les opérations réalisées par sa cliente, il ne peut être fait grief à la société BNP paribas de ne pas avoir alerté spontanément sa cliente sur le caractère douteux des placements financiers souscrits, tandis qu'il ne peut être considéré comme certain que, interrogée par sa banque, la société Fraso, qui, selon les termes de la plainte de M. [W], avait procédé à diverses vérifications sur internet, aurait collaboré efficacement avec sa banque et été en mesure de détecter la fraude mise en place à son détriment.

Dès lors, le préjudice en lien avec la faute de la banque doit être regardé comme une perte de chance de détecter la fraude et non comme le montant de la fraude elle-même, contrairement à ce que demande l'appelante.

Cette perte de chance doit être évaluée à 50 % de la perte du capital détourné d'un montant de 1.473.356 euros, soit la somme de 736.678 euros.

En outre, il est patent que la société Fraso, malgré l'expérience de son dirigeant, a contribué à son propre préjudice en négociant imprudemment des placements financiers considérables avec des personnes contactées par internet, sans entretien physique, ni conseil extérieur, subornant sa gestion prudente aux promesses de rendements garantis à des taux annuels exorbitants de 10,56 % et 18 % (valeurs) et de 15 % (chambres ehpad), étrangers à tous les standards économiques des marchés concerné dont pouvait se convaincre un professionnel de la gestion immobilière.

Il suit des considérations qui précèdent que la société Fraso doit conserver à sa charge 50 % de son propre préjudice, de sorte que son préjudice indemnisable doit être évalué à la somme arrondie de 368.339 euros.

Infirmant le jugement entrepris, la société BNP paribas sera condamnée à payer cette somme à la société Fraso.

La société Fraso sera déboutée de la demande d'indemnisation d'une perte de chance de percevoir des intérêts si cette somme avait été investie dans un placement sécurisé de 2 %, ce préjudice allégué n'ayant qu'un lien indirect avec la faute de la banque.

La société Fraso sera déboutée de sa demande de capitalisation des intérêts dus pour une année entière compte tenu de sa faute ayant contribué à son préjudice.

sur la demande d'indemnisation de M. [W]

M. [W] est recevable à demander, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle de l'article 1240 du code civil, l'indemnisation d'un préjudice résultant d'un manquement de la banque à son obligation contractuelle de vigilance à l'égard de la société Fraso.

Cependant, ayant largement contribué à son propre préjudice, M. [W] sera débouté de sa demande indemnitaire, le jugement étant confirmé ici par substitution de motifs.

Infirmant le jugement entrepris, la société BNP paribas sera condamnée aux dépens de première instance, outre ceux d'appel, et à payer à la société Fraso une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

La société BNP paribas et M. [W] seront déboutés de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [W] de ses demandes,

INFIRME le jugement entrepris pour le surplus,

et statuant à nouveau,

DIT que la société BNP paribas a manqué à son devoir de mise en garde et de vigilance à l'égard de la société Fraso,

CONDAMNE la société BNP paribas à payer à la société Fraso la somme de 368.339 euros à titre de dommages et intérêts en réparation de son préjudice indemnisable,

DEBOUTE la société Fraso du surplus de ses demandes,

CONDAMNE la société BNP paribas aux dépens de première instance et d'appel,

CONDAMNE la société BNP paribas à payer à la société Fraso une indemnité de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,

DEBOUTE la société BNP paribas personal finance et M. [W] de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile.

Le présent arrêt a été signé par Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller faisant fonction de Président et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

La Greffière, Le Président,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 2ème ch - section 1
Numéro d'arrêt : 23/01434
Date de la décision : 06/06/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 13/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-06-06;23.01434 ?
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