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30/05/2024 | FRANCE | N°22/01604

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 30 mai 2024, 22/01604


PS/DD



Numéro 24/1830





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 30/05/2024









Dossier : N° RG 22/01604 - N°Portalis DBVV-V-B7G-IHME





Nature affaire :



Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail















Affaire :



[T] [I]



C/



S.A.S. GIF PARTICIPATIONS ET DEVELOPPEMENT















Grosse délivrée le

à :













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 Mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au de...

PS/DD

Numéro 24/1830

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 30/05/2024

Dossier : N° RG 22/01604 - N°Portalis DBVV-V-B7G-IHME

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

[T] [I]

C/

S.A.S. GIF PARTICIPATIONS ET DEVELOPPEMENT

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 30 Mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 08 Novembre 2023, devant :

Madame CAUTRES, Présidente

Madame SORONDO, Conseiller

Madame PACTEAU, Conseiller

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [T] [I]

[Adresse 1]

[Localité 3]

Représenté par Maître CAZALET de la SCP MENDIBOURE-CAZALET-GUILLOT, avocat au barreau de BAYONNE

INTIMÉE :

S.A.S. GIF PARTICIPATIONS ET DEVELOPPEMENT

agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés en cette qualité audit siège

[Adresse 2]

[Adresse 2]

[Localité 4]

Représentée par Maître PIAULT, avocat au barreau de PAU, et Maître CAMBEILH de la SELAS FIDAL, avocat au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 07 JUIN 2022

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE DAX

RG numéro : F 21/00007

EXPOSÉ DU LITIGE

M. [T] [I] détenait 50 des 150 actions de la Sas Booster dont il était le président. La Sarl Auto Dépôt Lyonnais (ADL) était une filiale à 100 % de cette société dont M. [I] était le gérant. Par acte du 13 décembre 2018, M. [I] a cédé ses 50 actions de la Sas Booster à la Sas Française des Pièces, laquelle était détenue à 100 % par la Sas Gif Participations et Développement.

Le 1er avril 2019, M. [I] a été embauché par la Sas Gif Participations et développement, comme directeur commercial et marketing, statut cadre, coefficient 700, avec reprise d'ancienneté au 1er janvier 2016, selon contrat à durée indéterminée régi par la convention collective des sociétés financières.

Par courrier en date du 28 août 2020, M. [I] a démissionné.

Par courrier en date du 31 août 2020, il s'est rétracté et a demandé sa réintégration qui a été acceptée. Les parties divergent quant à l'effectivité de cette réintégration, M. [I] indiquant que l'employeur ne lui a pas restitué ses outils de travail.

Du 7 au 13 septembre 2020, il a été placé en arrêt de travail.

.

Par mail du 15 septembre 2020, l'employeur l'a dispensé de travailler.

Le 18 septembre 2020, il a été convoqué à un entretien préalable à un éventuel licenciement, fixé le 2 octobre 2020, auquel le salarié ne s'est pas rendu.

Le 21 octobre 2020, il a été licencié pour insuffisance professionnelle.

Le 1er février 2021, il a saisi la juridiction prud'homale au fond en contestation de son licenciement.

Par jugement du 7 juin 2022, le conseil de prud'hommes de Dax a notamment :

- dit que le licenciement de M. [I] est régulier. Il repose sur une cause réelle et sérieuse,

- débouté M. [I] de l'ensemble de ses autres demandes,

- condamné M. [I] à payer à la société GIF une indemnité de 2.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure,

- condamné M. [T] [I] aux dépens.

Le 9 juin 2022, M. [T] [I] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 31 août 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [T] [I] demande à la cour de :

- Déclarer l'appel recevable et bien fondé,

Y faisant droit,

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions et statuant à nouveau,

- Dire que le licenciement pour insuffisance professionnelle de M. [I] en date du 21 octobre est sans cause réelle et sérieuse,

- Condamner la Sas GIF Participation à régler à M. [I] la somme de 120.000 euros à titre d'indemnité adéquate et de réparation appropriée,

- Condamner la Sas GIF Participation à régler à M. [I] la somme de 4.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,

- Condamner la Sas GIF Participation aux entiers dépens de première instance et d'appel.

Dans ses conclusions adressées au greffe par voie électronique le 16 novembre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la Sas GIF Participations et développement demande à la cour de :

- confirmer le jugement déféré et, consécutivement :

. Déclarer que M. [T] [I] a fait l'objet, à bon droit, d'un licenciement pour motif personnel, pour cause réelle et sérieuse,

. En conséquence, Débouter M. [T] [I] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions,

- Sur l'article 700 du CPC et les dépens

. confirmer le jugement en ce qu'il a condamné M. [T] [I] à verser à la Sas GIF Participation la somme de 2.000 euros au titre de l'article 700 du CPC ainsi qu'aux entiers dépens,

. condamner M. [T] [I] à verser à la Sas GIF Participation la somme de 3.500 euros au titre de l'article 700 du CPC afférents à la présente procédure d'appel, ainsi qu'aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 octobre 2023.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Sur le licenciement

En application de l'article 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse. La cause réelle suppose un caractère d'objectivité et d'exactitude, et la cause sérieuse, un caractère de gravité suffisante.

Suivant l'article 1235-1 du code du travail, en cas de litige, le juge, à qui il appartient d'apprécier la régularité de la procédure suivie et le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur, forme sa conviction au vu des éléments fournis par les parties après avoir ordonné, au besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié.

En application de l'article L.1232-6 du code du travail, la lettre de licenciement, le cas échéant complétée dans les conditions fixées à l'article R.1232-13 du même code, comporte l'énoncé du ou des motifs du licenciement. Elle fixe les limites du litige.

En l'espèce, la lettre de licenciement est rédigée comme suit :

« Suite à l'acquisition de la société ADL, dont vous étiez gérant, par la société Française Des Pièces fin 2018, nous avons procédé à votre embauche le 1er avril 2019 au sein de la société Gif Participations et Développement, holding de notre groupe en qualité de Directeur Commercial et Marketing Groupe par contrat de travail à durée indéterminée à temps complet. Un écrit est venu formaliser cette relation à cette même date.

Au départ du président Directeur des Opérations de Groupe, vous avez été nommé en cette qualité au mois de janvier 2020.

Depuis le mois de juin dernier, vous cumulez cette fonction avec celle de Directeur Commercial Groupe.

En dernier lieu, vous étiez classé coefficient 700 suivant les dispositions de la convention collective des « sociétés financières » applicable à notre activité et votre rémunération mensuelle brute était d'un montant de 10.007,41 € (9.439,91 € de salaire de base et 567,50 € avantage en nature véhicule).

En tant que Directeur des Opérations et Commercial Groupe, vos principales attributions étaient les suivantes :

1. Au titre de Directeur Commercial et Marketing Groupe

. La gestion des ressources commerciales et marketing (compétences humaines, matérielles, logicielles, '), du sourcing et du stock des marchandises des entités du Groupe Euro4X4Parts/Japocat,

. Le respect des objectifs financiers (budgets, chiffre d'affaires et rentabilité) qui découlent des orientations financières fixées par le Comité de Direction,

. La responsabilité des résultats quantitatifs et qualitatifs et le respect des procédures associées,

. L'encadrement et le management de l'intégralité des opérations dont vous avez la responsabilité,

. Le maintien d'un climat social favorable à l'exploitation des services dont vous avez également la responsabilité,

(Missions attachées à votre contrat de travail initial)

2. Au titre de Directeur des Opérations Groupe

. La gestion des ressources productives (compétences humaines, matérielles, logicielles, ') et des flux de marchandises et d'informations des entités du Groupe Euro4X4Parts/Japocat,

. Le respect des objectifs financiers (budgets, chiffre d'affaires et rentabilité) qui découlent des orientations stratégiques fixées par le Comité de Direction,

. L'encadrement et le management de l'intégralité des opérations dont vous avez la responsabilité,

. La responsabilité des résultats quantitatifs et qualitatifs et du respect des procédures associées,

. Le maintien d'un climat social favorable à l'exploitation des services dont vous avez également la responsabilité,

. L'encadrement et la supervision du Système d'Information du Groupe.

Suite à un différend de nature à remettre en cause votre loyauté vis-à-vis de la Direction du Groupe, vous avez, le 28 août dernier, remis votre démission, et ce « à effet immédiat ».

Toutefois et par courrier du 31 août, reçu le 2 septembre, vous deviez vous en rétracter, ce dont j'ai pris acte, vous confirmant en outre votre réintégration.

Dans l'intervalle, vous aviez été placé en arrêt maladie du 7 au 13 septembre 2020, puis dispensé de travailler depuis le 15 septembre 2020.

C'est dans ces circonstances que, face à l'impérieuse et urgente nécessité d'assurer la continuité et le fonctionnement des entités du Groupe, j'ai été amené à prendre en charge vos fonctions sur place.

A cette occasion, j'ai pu constater que vous aviez délaissé un grand nombre de vos attributions premières en sorte que, notamment, la société ADL, dont vous aviez la gérance, s'est particulièrement retrouvée en situation délicate à plusieurs égards.

En effet, en votre qualité, il vous revenait de prendre en charge et de superviser la politique commerciale et financière de la société ADL, mais aussi d'en assurer la bonne gestion du personnel.

Or, quelle n'a pas été ma surprise de constater que les relations commerciales avec nos principaux partenaires (notamment Hutchinson, Ocap, Record) étaient de toute évidence délaissées dans le suivi attentif et rigoureux qu'il convient pourtant d'y apporter, en sorte que ces derniers m'ont fait part oralement et par écrit sinon de leur défiance à votre égard tout du moins d'une réelle perte de confiance.

Je suis, en effet, allé à trois reprises, en un mois, au siège d'ADL à Decines, afin de rencontrer et rassurer nos principaux commettants historiques (Hutchinson, Record France, Ocap) sur le point de rompre la relation du fait de vos négligences.

Au plan financier, j'ai pu observer de graves manquements et omissions vis-à-vis de notre cabinet d'expertise comptable sur la réalité de la réalisation de l'inventaire physique des stocks ; il apparaît en effet qu'aucune procédure à cet effet n'a jamais été mise en place, ni même d'inventaire intermittent ou encore d'inventaire tournant.

Selon mes constatations, il est constant que vous vous contentiez de transmettre à notre expert-comptable un prétendu fichier censé représenter « un inventaire physique de fin d'année » sans pour autant qu'il n'ait été réellement et en tous les cas sérieusement réalisé ceci des dires mêmes des salariés sur place !

Au plan de la gestion des équipes, il m'a été rapporté un sérieux sentiment de malaise, une perte de repères et une absence de cadre et de structure de travail pour les salariés sur place.

Il est vrai que votre présence sur le site n'était que très parcellaire puisque, alors que vos fonctions induisaient un partage de votre temps et donc de votre présence entre les sites de ADL à Decines et d'Euro 4X4 à [Localité 4], vous n'étiez que très peu présent au sein d'ADL, prétendant travailler à domicile'

Si en votre qualité de cadre au forfait annuel en jours il n'est pas ici question de contrôler votre temps de travail, il n'en demeure pas moins que la logique de la bonne exécution des attributions contractuelles qui sont les vôtres impose, en toute logique, une présence régulière.

D'ailleurs les deux salariés de la société ont remis leur démission dernièrement (Messieurs [R] et [C]) sans que vous n'ayez, au demeurant, jugé utile de m'en informer'

Enfin et surtout je viens d'apprendre que vous avez demandé à M. [D] [R] de continuer à travailler durant la période sanitaire de confinement liée au Covid 19, alors même que vous aviez donné comme instruction de le placer en activité partielle.

Vous lui auriez promis une compensation financière à cet égard et c'est précisément parce que vous n'auriez pas honoré cette promesse qu'il aurait remis sa démission.

Il s'agit là en tous les cas de ses propres dires.

De tels faits sont d'une extrême gravité et de nature à mettre notre société en très sérieuse difficulté vis-à-vis de l'Administration du travail ' et c'est ici un euphémisme ' du fait du caractère particulièrement illégal et frauduleux de cette pratique !

Dans la même veine, j'ai personnellement constaté sur place, avec M. [Y] [L], cadre de Française des Pièces, dépêché chez ADL début septembre pour faire un état des lieux social et organisationnel de la société, que vous avez jugé opportun et utile de charger la fille d'un de nos salariés (Mle [C]) de régulièrement convoyer jusqu'à la déchetterie les déchets d'emballage avec son propre véhicule ; cette personne n'étant ni salariée ni prestataire de la société et ce au mépris de toute considération en terme d'assurance'

Que dire des « pots », largement alcoolisés, que vous organisez « au mieux » hebdomadairement dans le bâtiment Modula, au pire quotidiennement avec le personnel du service commercial dans les locaux de l'entreprise Française des Pièces durant la période de confinement et ce faisant fi ' évidemment ' de toute règle de sécurité et, faut-il vous le rappeler, de la lettre même de notre Règlement Intérieur.

Il m'a enfin été rapporté que vous n'hésitiez pas à manquer de réserve et de loyauté en me dénigrant régulièrement, mais aussi, les cadres de notre société ainsi que nos prestataires et investisseurs, ceci auprès de salariés placés pourtant sous votre subordination juridique.

Pour toutes ces raisons, il ne m'est plus possible de poursuivre notre collaboration, sauf à mettre gravement en péril l'équilibre et donc la pérennité de notre entreprise.

En conséquence, je suis au regret de vous notifier par la présente votre licenciement pour cause d'insuffisance professionnelle. »

Il est donc reproché au salarié une insuffisance professionnelle :

- dans la gestion de la société ADL, pour avoir délaissé le suivi des relations commerciales avec les partenaires de cette dernière, ne pas avoir mis en 'uvre un inventaire, avoir été insuffisamment présent sur le site de cette société à Decines en région lyonnaise au point que ses deux salariés, délaissés, ont démissionné, avoir demandé à l'un de ces salariés de travailler durant le premier confinement décidé pour faire face à l'épidémie de Covid 19 alors qu'il avait été placé en chômage partiel, et enfin pour avoir chargé un tiers à l'entreprise, fille d'un salarié, d'emmener en déchetterie avec son véhicule personnel les déchets de cette société,

- pour avoir organisé, en violation des règles de sécurité et du règlement intérieur, des pots alcoolisés durant la période de confinement dans les locaux de l'entreprise Française des Pièces,

- pour avoir manqué à l'obligation de loyauté en dénigrant auprès de salariés placés sous sa subordination M. [P], président de la société Gif Participations et développement, ainsi que les cadres de cette société et ses prestataires et investisseurs.

L'insuffisance professionnelle suppose l'incapacité du salarié à exercer de manière satisfaisante les tâches confiées par manque de compétences. Elle n'a pas de caractère fautif.

Sur l'insuffisance professionnelle dans la gestion de la société ADL

Les parties divergent quant aux attributions résultant du contrat de travail de M. [I].

Aux termes de celui-ci, qui n'a pas été complété par une fiche de poste, M. [I] a été embauché par la Sas Gif Participations et Développement, qui est une holding, en qualité de « directeur commercial et marketing » et ses « fonctions principales » étaient définies comme suit :

« - Directement rattaché à la Direction Générale, le Directeur commercial et marketing gère les ressources commerciales et marketing (compétences humaines, matérielles, logicielles, ') de l'entreprise et assure la gestion du sourcing et du stock des marchandises de cette dernière,

- Sa mission principale est de respecter et faire respecter les objectifs financiers (budgets, chiffres d'affaires et rentabilité) qui découlent des orientations stratégiques fixées par le Comité de Direction,

- Il assure le management et l'encadrement de l'intégralité des opérations dont il a la responsabilité,

- Il est responsable des résultats quantitatifs et qualitatifs et du respect des procédures associées,

- Il gère les aspects financiers, sociaux, techniques et qualité de ses activités,

- Il doit veiller et assurer un climat social favorable à l'exploitation des services dont il a la responsabilité ».

Il n'en résulte pas d'attributions de gestion de l'une quelconque des sociétés détenues par la société Gif Participations et développement.

L'employeur invoque par ailleurs l'évolution du poste de M. [I], qui, à une date qu'il ne précise pas, a cumulé les fonctions de directeur commercial et marketing avec celles de « directeur des opérations groupe », deux organigrammes de « Euro4X4Parts », établis par M. [I] le 18 juin 2020, ainsi que le mandat social de gérant de la société ADL de M. [I]. Il est caractérisé qu'à compter d'avril 2020, le salarié a été qualifié de « directeur des opérations groupe » mais il n'a pas davantage été établi alors de fiche de poste et, s'il ressort d'organigrammes établis par le salarié (pièces 9 à 12 de l'employeur) « pour information et discussion » lors d'un comité de direction le 18 juin 2020 (pièce 12 de l'employeur) qu'à la rubrique « délégation managériale filiales », figurent six filiales (Japocat, La Réunionnaise, Esparts, La Calédonienne, Canarias et ADL) dont la société ADL et qu'est accolé à cette dernière le nom de M. [I], il n'est pas caractérisé l'existence d'une délégation consentie par l'employeur relativement à la société ADL. Enfin, il est déterminé que M. [I] est demeuré gérant de la société ADL suite à l'acte de cession du 13 décembre 2018 et à son embauche par la Sas Gif Participations et Développement, ce jusqu'au 3 décembre 2020, mais sa défaillance éventuelle dans ce mandat social ne caractérise pas une insuffisance professionnelle dans ses fonctions au sein de la Sas Gif Participations et Développement.

Sur l'insuffisance professionnelle pour manquements au règlement intérieur et à l'obligation de loyauté

Sous couvert d'insuffisance professionnelle, l'employeur invoque là des manquements délibérés du salarié à ses obligations, et donc des fautes, puisqu'il emploie l'expression « faisant fi » s'agissant du premier grief et qualifie le second de déloyauté laquelle est nécessairement volontaire. D'ailleurs, s'agissant de la déloyauté, dans ses conclusions, l'employeur observe que le salarié « n'a eu de cesse que d'ourdir un travail de sape (de sabotage ' ...) et de dénigrement systématique de ses cadres et de son dirigeant, M. [M] [P]' pour prendre le contrôle et donc le pouvoir au sein de l'entreprise au lieu et place du dirigeant, M. [M] [P] et de son encadrement ». Or, le licenciement motivé par une insuffisance professionnelle ne peut être fondé sur une faute disciplinaire.

Au demeurant, suivant l'article L.1332-4 du code du travail, aucun fait fautif ne peut donner lieu à lui seul à l'engagement de poursuites disciplinaires au-delà d'un délai de deux mois à compter du jour où l'employeur en a eu connaissance, à moins que ce fait ait donné lieu dans le même délai à l'exercice de poursuites pénales.

Dès lors que les faits sanctionnés ont été commis plus de deux mois avant l'engagement des poursuites disciplinaires, il appartient à l'employeur d'apporter la preuve qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites.

Le délai de deux mois s'apprécie du jour où l'employeur a eu connaissance exacte de la réalité, de la nature et de l'ampleur des faits fautifs reprochés au salarié, étant précisé que c'est à l'employeur qu'incombe la charge de la preuve qu'il n'a eu cette connaissance des faits fautifs que dans les deux mois ayant précédé l'engagement de la procédure disciplinaire.

Des griefs prescrits peuvent être invoqués à l'appui d'un nouveau fait fautif commis dans le délai de deux mois s'ils procèdent d'un comportement fautif identique ou de même nature.

Or, s'agissant de l'organisation de pots alcoolisés dans les locaux avec le personnel du service commercial dans les locaux de la société Française des Pièces durant le confinement, celui-ci est nécessairement celui qui a eu lieu du 17 mars au 11 mai 2020, puisque que le salarié avait déjà été licencié lors du second (30 octobre au 15 décembre 2020). Le manquement invoqué est donc antérieur de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement le 18 septembre 2020, et l'employeur ne fournit aucun élément de nature à établir qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites. En outre, l'employeur ne produit aucun règlement intérieur et ne justifie donc pas de la prohibition de la consommation d'alcool dans les locaux de l'entreprise et il ressort d'une attestation de M. [A] [Z], salarié de la société Française des Pièces du 5 novembre 2012 au 6 avril 2020, que des apéritifs étaient régulièrement organisés dans les locaux de cette dernière à l'initiative d'un chef de service ou de la direction pour célébrer un objectif atteint ou renforcer la cohésion des équipes.

Pareillement, s'agissant du manquement à l'obligation de loyauté, l'employeur produit :

- une attestation de M. [N] [X], « business development director » de Gif Participations et Développement du 8 janvier au 14 juillet 2020, qui fait état de propos dénigrants tenus par M. [I] lors de soirées privées dans la maison mise à disposition de M. [I] et de lui-même par l'employeur ;

- une attestation de Mme [U] [J], salariée, qui fait état de propos dénigrants tenus par M. [I] le 7 juillet 2020 lors d'un dîner auquel il l'avait conviée à son domicile, ainsi qu'un autre salarié, propos qu'elle a enregistrés à l'insu de M. [I].

Là encore, ces faits sont antérieurs de plus de deux mois à l'engagement de la procédure de licenciement le 18 septembre 2020 et l'employeur ne fournit aucun élément de nature à établir qu'il n'en a eu connaissance que dans les deux mois ayant précédé l'engagement des poursuites.

Au vu de ces éléments, le licenciement de M. [I] est dépourvu de cause réelle et sérieuse. Le jugement sera infirmé sur ce point.

Sur les conséquences du licenciement

En application de l'article L.1235-3 du code du travail, si le licenciement d'un salarié survient pour une cause qui n'est pas réelle et sérieuse, et en l'absence de réintégration du salarié dans l'entreprise, il lui est octroyé, à la charge de l'employeur, une indemnité dont le montant est compris entre des montants minimaux et maximaux fixés dans le cadre des tableaux mentionnés à cet article.

Ce barème d'indemnisation du salarié licencié sans cause réelle et sérieuse n'est pas contraire à l'article 10 de la convention n° 158 de l'Organisation Internationale du travail, et le juge français ne peut écarter, même au cas par cas, l'application du barème au regard de cette convention internationale. Par ailleurs, la loi française ne peut faire l'objet d'un contrôle de conformité à l'article 24 de la Charte sociale européenne qui n'a pas d'effet direct.

Ainsi, les dispositions de l'article L.1235-3 du code du travail doivent recevoir application. S'agissant d'un salarié dont l'ancienneté est de cinq ans dans une entreprise employant habituellement au moins onze salariés, l'indemnisation est comprise entre trois mois et six mois de salaire brut. M. [I] justifie qu'il n'a retrouvé un emploi que le 1er décembre 2021, ce, moyennant une rémunération nettement moindre. Eu égard à ces éléments, il lui sera alloué une indemnisation correspondant à quatre mois de salaire bruts, soit 34.590.08 €.

Sur les autres demandes

L'employeur sera condamné aux dépens exposés en première instance et en appel ainsi qu'à payer à M. [I] une somme de 3.000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile, et débouté de sa demande de ce chef.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Dax du 7 juin 2022,

Statuant de nouveau et y ajoutant,

Dit le licenciement de M. [T] [I] dépourvu de cause réelle et sérieuse,

Condamne la Sas Gif Participations et Développement à payer à M. [T] [I] la somme de 34.590.08 € en réparation du préjudice résultant du licenciement,

Condamne la Sas Gif Participations et Développement aux dépens exposés en première instance et en appel,

Condamne la Sas Gif Participations et Développement à payer à M. [T] [I] la somme de 3.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile et la déboute de sa demande de ce chef.

Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 22/01604
Date de la décision : 30/05/2024

Origine de la décision
Date de l'import : 05/06/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2024-05-30;22.01604 ?
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