BR/SH
Numéro 24/01795
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 28/05/2024
Dossier : N° RG 23/00067 - N° Portalis DBVV-V-B7H-INGM
Nature affaire :
Demande relative aux murs, haies et fossés mitoyens
Affaire :
[B] [R] veuve [D]
C/
[H] [F] veuve [V]
[I] [V]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 28 Mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 28 Mai 2024, devant :
Madame FAURE, Présidente
Madame BLANCHARD, Conseillère
Madame REHM, Magistrate honoraire, magistrate chargée du rapport conformément à l'article 785 du Code de procédure civile
assistées de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [B] [R] veuve [D]
née le 23 juin 1935 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 7]
[Localité 5]
Représentée et assistée de Maître PENEAU de la SCP PENEAU-DESCOUBES PENEAU, avocat au barreau de MONT-DE-MARSAN
INTIMÉES :
Madame [H] [F] veuve [V]
née le 3 juin 1934 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 9]
Madame [I] [V]
née le 8 août 1959 à [Localité 12]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 1]
Représentées et assistées de Maître DARZACQ de la SELARL LAURE DARZACQ, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision
en date du 14 DÉCEMBRE 2022
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 18/00014
EXPOSE DU LITIGE
La famille [V] est propriétaire d'une maison de famille sise [Adresse 3] à [Localité 10] (40).
Madame [B] [D] est propriétaire de la parcelle contiguë située au [Adresse 8] à [Localité 10] (40).
En 1932, un mur a été édifié sur la propriété de la famille [V], séparant son fonds des propriétés voisines et notamment du fonds devenu la propriété de Madame [B] [D].
En 1973, la famille [D] a utilisé ce mur comme mur d'appui d'un appentis maçonné appelé 'réduit', situé à l'angle nord-est de sa parcelle et a construit un garage en 1980.
Au cours du temps, dans la propriété de Madame [B] [D], des terres (essentiellement du sable) se sont accumulées jusqu'à atteindre le sommet du mur d'appui.
En 2014, Monsieur [X] [V], constatant l'apparition de désordres sur ce mur, a fait intervenir son assurance de protection juridique qui a mandaté le cabinet SARETEC en qualité d'expert en la personne de Monsieur [A] [Z], précision faite que Monsieur [X] [V] affirmait que cet ouvrage avait subi une déformation avec :
- l'apparition de deux fissures sur toute la hauteur dont l'une de plus de 3 cm de large en façade Nord ;
- un faux aplomb très important ;
- une disjonction des blocs.
Le rapport amiable établi par le cabinet d'expertise SARETEC a conclu à une déformation lente et ancienne du mur, engendrée par les contraintes mécaniques apportées par le sol accolé et l'usure structurelle liée à son âge.
En l'absence de solution amiable, par exploit du 12 août 2015, Monsieur [X] [V] a fait assigner Madame [B] [D] devant le juge des référés du tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan pour obtenir d'organisation d'une expertise judiciaire.
Par ordonnance en date du 17 septembre 2015, le juge des référés a ordonné une expertise et a désigné pour y procéder Monsieur [M] [W], expert près la cour d'appel de Bordeaux, avec la mission de, notamment :
- examiner le mur litigieux et les désordres apparus sur ce mur ;
- en déterminer les causes et leurs conséquences ; en cas de pluralités des causes à l'origine de la dégradation du mur, déterminer le pourcentage de chacune dans la survenance des désordres ; déterminer notamment la date de construction du garage de Madame [B] [D] et dire si cette construction a participé aux dommages et si les apports de terres ou de remblai contre le mur ont pu avoir un impact sur sa déformation ;
- chiffrer le coût des travaux qui seraient nécessaires pour mettre fin aux désordres ;
- fournir tous éléments techniques et de fait, de nature à permettre à la juridiction éventuellement saisie, de statuer sur le litige opposant les parties, de déterminer les responsabilités et d'évaluer les préjudices subis.
Monsieur [M] [W] a clôturé son rapport le 05 avril 2016.
Il a estimé le coût des travaux réparatoires à la somme de 47 706,90 euros TTC, à la charge de Monsieur [X] [V], sauf à laisser 15% de cette somme à la charge de Madame [B] [D] en raison du mauvais entretien de ses canalisations voisines d'eau de pluie et d'eaux usées.
Par exploit du 28 décembre 2017, Monsieur [X] [V] a fait assigner Madame [B] [D] devant le tribunal de grande instance de Mont-de-Marsan, devenu tribunal judiciaire depuis le 1er janvier 2020, aux fins de :
- rejeter le rapport de Monsieur [M] [W] quant à la détermination du désordre affectant le mur,
- le valider quant à la solution réparatoire, n°3,
- juger que Madame [B] [D] est responsable sur le fondement des articles 1240 et subsidiairement sur celui de l'article 1242 du code civil, de la déformation du mur de Monsieur [X] [V],
- juger qu'elle est responsable d'un trouble anormal de voisinage sur le fondement de l'article 544 du code civil,
- la condamner sur la base du devis de l'entreprise sollicité par Monsieur [M] [W] au paiement d'une somme de 47 706,90 euros TTC,
- juger que ce montant sera indexé sur l'indice BT01 sur la base du dernier indice paru à la date de l'assignation,
- juger que Madame [B] [D] devra préalablement à ces travaux, régulariser l'évacuation des eaux usées et pluviales de son fonds afin d'éviter tout rejet vers le fonds [V] et ce sous astreinte de 50,00 euros par jour de retard à compter du jugement à intervenir,
- condamner Madame [B] [D] à lui verser la somme de 10 000,00 euros de dommages et intérêts,
- la condamner à lui verser la somme de 2 000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux depens, y compris les frais d'expertise judiciaire,
- ordonner1'éxécution provisoire du jugement à intervenir.
Par jugement en date du 16 octobre 2019, le tribunal, considérant qu'il existait une divergence d'appréciation manifeste entre les conclusions de Monsieur [M] [W] et de Monsieur [A] [Z] du cabinet d'expertise SARETEC d'une part, et un rapport établi par Monsieur [O] [C], expert mandaté par Monsieur [X] [V] d'autre part, a ordonné une nouvelle expertise et désigné pour y procéder, Monsieur [L] [E] avec la mission de rechercher les causes des dégradations des propriétés des deux parties et les responsabilités engagées, d'évaluer le coût des travaux nécessaires et leur durée ainsi que les préjudices subis.
Par ordonnance du magistrat chargé du contrôle des expertise en date du 19 novembre 2019, Monsieur [G] [U] a été désigné en remplacement de Monsieur [L] [E].
Monsieur [X] [V] est décédé le 08 décembre 2020, laissant pour recueillir sa succession, sa veuve, Madame [J] [H] [F] et sa fille, Madame [I] [V] qui ont repris l'instance.
L'expert [U] a clôturé son rapport le 20 mai 2021.
Suivant jugement contradictoire en date du 14 décembre 2022, le tribunal judiciaire de Mont-de-Marsan a :
- déclaré Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] recevables à agir,
- condamné Madame [B] [D] à verser à Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] ensemble la somme de 308,00 euros pour les travaux confortatifs exécutés,
- condamné Madame [B] [D] à verser à Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] ensemble la somme de 33 565,40 euros à indexer en fonction de la variation de l'indice INSEE BT01 entre la date du rapport d'expertise, le 20 mai 2021, et la présente décision, condamnation sous condition d'exécution effective des travaux de réparation du mur mitoyen,
- dit que chaque partie conservera à sa charge ses frais irrépétibles,
- fait masse des dépens et condamné chaque partie au paiement de la moitié des dépens en ce compris les frais de référé et des deux expertises ordonnées en référé et au fond,
- rejeté les prétentions plus amples ou contraires,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit.
Les motifs du premier juge sont les suivants :
- Sur la recevabilité de la reprise d'instance par Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] : devant le tribunal Madame [B] [D] a soutenu que les consorts [V] ne produisant pas aux débats le contrat par lequel les époux avaient adopté le régime de la communauté universelle, il n'était pas possible de savoir s'il avait été inclus la totalité des biens meubles et immeubles qu'il possédait à cette date ou si certains biens avaient été maintenus en dehors de cette communauté, et donc de déterminer si le bien immobilier litigieux appartenait à Madame [J] [H] [F] veuve [V] ou à Madame [I] [V], voire aux deux, avec démembrement de propriété.
Le premier juge a déclaré recevable la reprise d'instance par Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] en retenant qu'il était établi par l'attestation de notoriété de Maître [N], notaire à [Localité 9], que Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] avaient bien la qualité d'héritiers de Monsieur [X] [V], estimant que la qualité d'héritier était la seule condition prévue par la loi pour la reprise d'une action personnelle au défunt et transmissible.
- Sur la prescription acquisitive : le tribunal a rappelé que, sur le fondement de l'article 2258 du code civil selon lequel "La prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi", la jurisprudence considère qu'un mur sur lequel un voisin appuie des constructions pendant le délai de 30 ans devient pour moitié la propriété de son possesseur en retenant que le fait d'appuyer une construction contre un mur constitue un acte de possession caractérisé, le propriétaire de ladite construction se comportant comme si le mur était sa propriété exclusive ou s'il était mitoyen.
Le tribunal a par ailleurs rappelé les dispositions de l'article 2253 du code civil selon lesquelles "Les créanciers ou toute autre personne ayant intérêt à ce que la prescription soit acquise, peuvent l'opposer ou l'invoquer lors même que le débiteur y renonce".
Ainsi, considérant que l'appentis maçonné, propriété de Madame [B] [D] datait de 1973 et qu'il s'appuyait sur le mur séparatif, le premier juge a estimé que cette dernière avait acquis la mitoyenneté de l'intégralité du mur par application de la prescription acquisitive qui lui est opposable.
Madame [B] [D] ayant invoqué le fait qu'elle avait l'intention de détruire l'appentis prenant appui sur le mur litigieux et qu'elle entendait abandonner son droit de mitoyenneté, le premier juge a rappelé que l'article 656 du code civil dispose que "tout copropriétaire d'un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne," et a considéré que ces dispositions avaient pour conséquence que l'abandon de la mitoyenneté ne pouvait être exercé par l'un des propriétaires lorsqu'il retire du mur litigieux un avantage particulier tel que le soutien des terres.
Constatant qu'il ressortait du rapport d'expertise judiciaire que le mur mitoyen recevait les terres de la propriété de Madame [B] [D] sur une hauteur moyenne de 1,60 m, servant ainsi de mur de soutènement à ces terres, le tribunal en a conclu que Madame [B] [D] ne pouvait pas abandonner son droit de mitoyenneté puisque même en cas de destruction de l'appentis, elle retirait du mur litigieux un avantage particulier.
Conformément aux dispositions de l'article 655 du code civil, le tribunal a estimé que Madame [B] [D] devait contribuer pour moitié aux frais de réparation du mur mitoyen fixés par l'expert judiciaire à 67 130,80 euros TTC(après déduction du coût de la démolition et de la reconstruction de l'appentis pour 5 000,00 euros), ce qui représente une somme de 33 565,40 euros à sa charge, outre le coût des travaux confortatifs fixés par l'expert à la somme de 616,00 euros, soit 308,00 euros à la charge de Madame [B] [D].
Par déclaration du 05 janvier 2023, Madame [B] [D] a interjeté appel de cette décision, intimant Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] et critiquant la décision en toutes ses dispositions.
Aux termes de ses dernières conclusions déposées et notifiées par le RPVA le 29 août 2023, Madame [B] [D] demande à la cour de :
A titre principal :
- déclarer Madame [B] [D] recevable et bien-fondée dans son appel,
- déclarer Madame [I] [V] irrecevable à agir à défaut de justifier de la propriété de la parcelle cadastrée section AC n° [Cadastre 6] sise sur la commune de [Localité 5],
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- déclarer le mur litigieux propriété de Madame [J] [H] [F] veuve [V],
- débouter Madame [J] [H] [F] veuve [V] de l'ensemble de ses demandes fins et conclusions telles que dirigées à l'encontre de Madame [B] [D],
- condamner solidairement Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] à payer à Madame [B] [D] la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens de référé et de fond qui comprendront le coût des deux expertises judiciaires,
A titre subsidiaire :
- déclarer Madame [B] [D] recevable et bien-fondée dans son appel,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- constater que Madame [B] [D] a fait procéder à la démolition de l'appentis et qu'il n'existe plus aucun immeuble lui appartenant ayant appui sur le mur propre de Madame [H] [F] veuve [V], et Madame [I] [V],
- constater que Madame [B] [D] a renoncé à toute mitoyenneté sur le mur litigieux,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- débouter Madame [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] de toutes leurs demandes, fins et conclusions,
- condamner solidairement Madame [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] à payer à Madame [B] [D] la somme de 5 000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens de référé et de fond qui comprendront le coût des deux expertises judiciaires,
A titre très infiniment subsidiaire :
- déclarer Madame [B] [D] recevable et bien-fondée dans son appel,
- réformer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
- dire que Madame [B] [D] ne pourra être déclarée comme propriétaire de la mitoyenneté du mur que pour 10.87 % de sa longueur,
- dire que Madame [B] [D] ne pourra être tenue du coût de réfection de ce mur que dans des proportions n'excédant pas 5,435 % de son montant,
- dire que Madame [B] [D] ne sera tenue au paiement de la réfection du mur dans ces proportions que sous conditions de la réalisation des travaux conformément au rapport d'expertise de Monsieur [G] [U],
- dire que Madame [B] [D] ne pourra être tenue aux dépens de référé et de fond qui comprendront le cout des deux expertises judiciaires pour un montant excédent 5.435 %,
- débouter Madame [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] de l'ensemble de leurs autres demandes, fins et conclusions.
Aux termes de leurs dernières conclusions déposées et notifiées le 31 août 2023 par la voie du RPVA, Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V], demandent à la cour, sur le fondement des articles 373 du code de procédure civile et des articles 656, 2253 et 2258 du code civil, de :
- débouter Madame [B] [D] de ses demandes,
- confirmer la décision attaquée en toutes ses dispositions,
Y ajoutant :
- condamner Madame [B] [D] aux dépens d'appel et au paiement de la somme de 3 000,00 euros au titre des frais irrépétibles.
L'ordonnance de clôture a été fixée au 13 décembre 2023.
MOTIFS DE LA DÉCISION
1°) Sur la qualité à agir de Madame [J] [H] [F] veuve [V] et de Madame [I] [V]
Madame [B] [D] sollicite l'infirmation du jugement attaqué en ce qu'il a déclaré Madame [I] [V] recevable à agir en reprise de l'instance engagée par Monsieur [X] [V] en faisant valoir que l'action mise en oeuvre par Monsieur [X] [V] n'était pas une action personnelle mais une action immobilière dans la mesure où il s'agissait de déterminer la propriété d'un mur ainsi que les conséquences financières attachées à la responsabilité de chacun des propriétaires limitrophes.
Elle expose que cette action n'est transmissible qu'à celui des héritiers ayant bénéficié de la transmission du patrimoine immobilier appartenant au défunt et que dans l'hypothèse où, lors de l'adoption du régime de communauté universelle, Monsieur [X] [V] aurait décidé d'y intégrer les biens propres reçus de ses parents, à son décès, ces biens seront directement transmis à son épouse, et ce sans que sa fille bien qu'héritière, n'ait aucun droit à cet égard ; elle affirme qu'il s'agit du principe même de l'adoption de la communauté universelle qui maintient dans le patrimoine du conjoint survivant la totalité des biens immobiliers qui avaient été inclus à ce régime matrimonial.
Elle constate qu'il résulte de l'attestation immobilière établie le 13 octobre 2021 par Maître [S] [N], notaire à [Localité 9], consécutive au décès de Monsieur [X] [V], que Monsieur et Madame [X] [V] ont fait le choix d'apporter à la communauté universelle l'immeuble objet du litige situé [Adresse 3] à [Localité 5] (40) et que cet immeuble qui constituait l'article 5 de cette attestation immobilière est déclaré attribué en pleine propriété à Madame [J] [H] [V], de sorte que seule cette dernière dispose de droits sur l'immeuble.
Madame [I] [V] maintient qu'elle a qualité pour agir puisqu'il est incontestable qu'elle a la qualité d'héritier de Monsieur [X] [V], ce qui est la seule condition pour la reprise d'une action personnelle au défunt sans qu'il soit nécessaire de connaître les droits de chacun dans la succession.
En l'espèce, il résulte de l'attestation immobilière établie le 13 octobre 2021 par Maître [S] [N], notaire à [Localité 9], suite au décès de Monsieur [X] [V], que l'immeuble litigieux sis [Adresse 3] à [Localité 5] (40) figure à l'article 5 des immeubles composant la communauté universelle et que par l'effet du décès et de la clause d'attribution de la communauté, le conjoint survivant se voit transmettre la moitié en pleine propriété des immeubles ci-dessus désignés dont fait partie l'immeuble litigieux, de sorte qu'il devient propriétaire de la totalité en pleine propriété de ces immeubles (article 5 page 10 de l'attestation immobilière).
Il s'ensuit que seule Madame [J] [H] [F] veuve [V] est propriétaire de cet immeuble et que, même si Madame [I] [V] est héritière de son père, elle ne dispose d'aucun droit sur cet immeuble, de sorte qu'elle sera déclarée irrecevable à agir ; le jugement entrepris sera infirmé de ce chef.
2°) Sur le fond
Sur le rapport d'expertise
Il résulte du rapport d'expertise de Monsieur [G] [U] que :
- le mur litigieux a été édifié en 1932 par le père de Monsieur [X] [V] ;
- il constitue la limite entre les deux propriétés sur toute leur longueur ;
- il est en bloc de ciment plein avec contreforts ;
- il a fait l'objet de plusieurs reprises, réparations et consolidations depuis 1932 ;
- le mur est d'une longueur d'environ 25 ml et d'une hauteur moyenne de 2,2 ml ;
- il n'existe ni barbacane, ni exutoire pour les eaux pluviales ;
- le mur reçoit les terres de la propriété de Madame [B] [D] sur une hauteur moyenne de 1,6 ml ;
- la nature et la fonction du mur bâti initialement ne sont pas précisément connues ;
- il existe un appenti maçonné depuis 1973 (appelé réduit) qui se trouve sur la propriété de Madame [B] [D] et qui s'appuie sur le mur séparatif ainsi qu'un garage construit en 1980.
L'expert [U] a constaté les désordres suivants :
- faux aplomb du mur séparatif situé sur la propriété [V], fissures, lézardes, "ventre" (y compris contreforts) ;
- dégradation majeure du bâti maçonné situé sur la propriété [D], menaçant ruine.
En cours d'expertise et suite à l'intervention des sapiteurs (BASTAN et ECR ENVIRONNEMENT), l'expert judiciaire a alerté les parties sur la dangerosité du site en l'état, dans une note en date du 02 février 2021, en indiquant que le mur menaçait ruine et que la dangerosité de la zone à proximité était avérée, conduisant l'expert à interdire l'accès en amont du mur (c'est-à-dire la circulation au-dessus) et surtout la zone en aval située en-dessous du mur dans la cour arrière accessible et à préconiser un étaiement du mur dont la réalisation par la SARL GACHET aux frais avancés de Madame [J] [H] [F] veuve [V] pour un montant de 616,00 euros TTC, a été constatée par l'expert au mois de mars 2021.
L'expert judiciaire explique que le constat des désordres et des dommages consécutifs confirme l'état fortement dégradé du mur "rideau" et des ouvrages attenants, menaçant ruine, ainsi que la dangerosité du sité renforcé par un étaiement provisoire efficace seulement à très court terme ; il indique que le phénomène de glissement déplacement en translation, puis de basculement est manifeste du fait du défaut de stabilité intrinsèque du mur rideau et précise que la présence d'eau en amont du mur, exerçant une poussée et s'infiltrant, tout comme celle située en pied de mur sur la parcelle aval, constituent des facteurs aggravants.
Pour l'expert, ce désordre et ses dommages consécutifs sont imputables au propriétaire du mur, à son concepteur initial et à son maître d'oeuvre voire à l'entreprise chargée de sa réalisation.
L'expert a préconisé la création d'un soutènement de type micro berlinoise, foré à l'aval du mur actuel, associé à un voile béton projeté (mur de soutènement actuel dégradé laissé en place).
Il a chiffré les travaux à la somme de 72 130,80 euros TTC en ce inclus la démolition et la reconstruction du réduit situé sur la propriété [D] pour un coût de 5 000,00 euros.
Madame [B] [D] ayant procédé à la démolition de l'appentis, il convient de déduire de ce chiffrage la somme de 5 000,00 euros de sorte que le coût des travaux réparatoires doit être ramené à la somme de 67 130,80 euros TTC.
L'expert a estimé la durée des travaux à 2 mois.
Sur la prise en charge des travaux réparatoires
Madame [B] [D] reproche au premier juge d'avoir considéré qu'elle était propriétaire de la totalité du mur mitoyen par application de la prescription acquisitive et ce, quelle que soit la longueur de son appentis prenant appui sur le mur, au motif que l'appentis maçonné dont elle est propriétaire s'appuyait depuis 1973, date de sa construction, sur le mur séparatif.
Elle fait valoir que Monsieur [X] [V] avait toujours revendiqué la propriété du mur en soutenant que ce mur avait été bâti en 1932 par son père pour le séparer des propriétés voisines, ce qui leur a permis de décaisser ensuite la totalité du sable qui était présent et dès lors d'établir un terrain parfaitement plat sur lequel il était plus facile d'édifier les immeubles qui s'y trouvent aujourd'hui, de sorte que si ce mur retient les terres situées sur le fond de Madame [B] [D], ce n'est pas dans l'intérêt de cette dernière mais dans l'intérêt exclusif des consorts [V] qui peuvent désormais jouir d'un terrain parfaitement plat sur la totalité de sa surface.
Elle fait valoir que la déclaration de Monsieur [X] [V] par laquelle il a revendiqué la propriété exclusive du mur litigieux, constitue, conformément aux dispositions des articles 1383 à 1383-2 du code civil, un aveu judiciaire qui est devenu irrévocable et ne peut être rétracté par les ayants-droit de Monsieur [X] [V].
Madame [B] [D] expose par ailleurs que l'appentis qui s'appuie sur le mur litigieux est en état de ruine à tel point que l'expert a exigé dans le cadre des opérations d'expertise, d'en interdire l'accès et l'usage, de sorte qu'elle s'est trouvée dans l'obligation de faire procéder à sa destruction au mois de juin 2022 et que depuis cette date, elle ne profite plus d'un quelconque appui sur le mur propre de Madame [J] [H] [F] veuve [V] ; elle soutient qu'elle est, dès lors, en droit de se prévaloir des dispositions de l'article 656 du code civil selon lesquelles « Cependant tout copropriétaire d'un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne» .
Elle soutient qu'elle a renoncé à utiliser ce mur au titre d'appui de cette construction, de sorte que Madame [J] [H] [F] veuve [V] ne peut plus se prévaloir de ce que le mur serait totalement ou partiellement devenu mitoyen et que dans la mesure où cette dernière reconnaît en être seule propriétaire, elle devra conserver à sa charge exclusive la totalité du coût de réfection tel que chiffré par Monsieur [U].
Subsidiairement, Madame [B] [D] fait valoir qu'elle n'a utilisé ce mur de 23 m de longueur que sur une distance de 2,5 m pour y appuyer l'appentis, de sorte que si l'on doit considérer qu'elle est devenue propriétaire du mur , ce ne peut être que sur la longueur du réduit litigieux, soit 23 m /2,5 m = 10,87 % de la longueur du mur.
Elle soutient qu'il est de jurisprudence constante que la mitoyenneté du mur ne peut s'acquérir par prescription que pour la partie de celui-ci sur lequel l'exhaussement ou l'appui est intervenu ; elle considére que dans ces conditions, le premier juge ne pouvait, sans violation de la jurisprudence, juger que Madame [B] [D], avait acquis la mitoyenneté du mur sur la totalité de sa longueur et qu'elle ne peut donc être tenue à la réparation du mur que pour moitié de sa distance utilisée s'agissant d'un mur mitoyen, soit 10,87 % /2 = 5,435 % de l'ensemble.
Madame [J] [H] [F] veuve [V] sollicite la confirmation du jugement en faisant valoir qu'il est de jurisprudence constante qu'un mur sur lequel un voisin appuie des constructions pendant le délai de 30 ans devient pour moitié la propriété de son possesseur, ce qui est le cas en l'espèce, l'expert ayant retenu que l'appentis maçonné appartenant à Madame [D] avait été construit en 1973 et s'appuyait sur le mur séparatif depuis cette date.
Elle souligne que le fait que Monsieur [X] [V] se soit déclaré propriétaire du mur est sans incidence, puisque l'expert a constaté que le mur litigieux recevait les terres de la propriété de Madame [D] sur une hauteur moyenne de 1,6 m, de sorte que la destruction de l'appentis n'a aucune conséquence sur l'application de l'article 2258 du code civil, puisque depuis plus de 30 ans, le mur reçoit et retient les terres de la propriété de Madame [D].
En l'espèce, il résulte suffisamment des éléments du dossier que le mur contre lequel est venu s'adosser l'appenti de Madame [B] [D] était, lors de sa construction initiale en 1932, un mur privatif de Monsieur [X] [V] et non un mur mitoyen ; il s'ensuit que le fait que Monsieur [X] [V] ait toujours considéré que ce mur était sa propriété ne peut avoir aucune conséquence et ne peut notamment pas constituer un aveu judiciaire, puisqu'il correspond à la réalité de la situation juridique de ce bien et Madame [J] [H] [F] veuve [V] indique d'ailleurs à la page 8 de ses écritures, ne pas contester être propriétaire du mur construit par son auteur.
Il est également constant que Madame [B] [D] a, en 1973, soit depuis plus de trente ans, construit un appentis qui s'appuie sur ce mur privatif de la famille [V], l'objet du litige étant de savoir si Madame [B] [D] a ou non acquis la mitoyenneté du mur, et, si c'est le cas, si elle a acquis la mitoyenneté de la totalité de ce mur ou d'une partie seulement.
Le fait d'appuyer une construction contre un mur privatif constitue un acte de possession caractérisée puisque son propriétaire se comporte comme si le mur était sa propriété exclusive et le maintien de cette situation pendant 30 ans peut effectivement donner lieu à l'acquisition de la mitoyenneté par prescription de la surface ainsi usucapée.
Il sera ainsi rappelé que l'article 2258 du code civil dispose que la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
L'article 2261 du code civil précise que pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire.
L'article 2262 du même code ajoute que les actes de pure faculté et de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession, ni prescription.
L'article 2272 du code civil dispose que le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans. Toutefois, celui qui acquiert de bonne foi et par juste titre un immeuble en prescrit la propriété par dix ans.
Compte tenu de l'ancienneté de la construction de l'appentis réalisé en 1973 et du fait qu'il n'est pas contesté que cette situation s'est maintenue paisiblement, de façon continue et non interrompue, publique, non équivoque et à titre de propriétaire pendant plus de 30 ans, il est incontestable que Madame [B] [D] a acquis par prescription acquisitive, la mitoyenneté du mur litigieux séparant son fonds de celui de Madame [J] [F] veuve [V] et ce, même, si elle a désormais détruit cet appenti.
Cette acquisition est toutefois limitée à la partie du mur sur laquelle a eu lieu l'appui et c'est à tort que le premier juge a pu déduire du seul appui de l'appentis sur le mur litigieux que Madame [B] [D] avait acquis la propriété de la totalité du mur alors que cette acquisition se limite strictement à la surface sur laquelle l'adossement de l'appentis a eu lieu dont il n'est pas contesté par Madame [J] [H] [F] veuve [V] que sa longueur est de 2,5 mètres, pas plus qu'il n'est contesté par les parties que la longueur totale du mur est de 23 mètres.
Selon l'article 655 du code civil, la réparation et la reconstruction du mur mitoyen sont à la charge de tous ceux qui y ont droit, et proportionnellement au droit de chacun.
L'article 656 précise toutefois que tout copropriétaire d'un mur mitoyen peut se dispenser de contribuer aux réparations et reconstructions en abandonnant le droit de mitoyenneté, pourvu que le mur mitoyen ne soutienne pas un bâtiment qui lui appartienne.
C'est vainement que Madame [B] [D] tente d'échapper à son obligation de participer aux travaux de réparation du mur litigieux en prétendant abandonner le droit de mitoyenneté suite à la destruction de l'appentis, alors que la faculté d'abandon de la mitoyenneté ne peut être exercée qu'à condition que le propriétaire concerné ne retire pas du mur litigieux un avantage particulier, et qu'elle ne soit pas motivée par une volonté du demandeur de se soustraire aux dépenses nécessitées par son fait ; notamment, le demandeur à l'abandon ne peut pas renoncer à la mitoyenneté dans le but de se soustraire aux réparations rendues nécessaires par son défaut d'entretien du mur pendant plusieurs années, peu important que ce reproche puisse également être adressé à son voisin.
En l'espèce, s'il est constant que Madame [B] [D] a fait procéder à la destruction de l'appentis par la SARL SOMIBAT suivant facture en date du 06 juin 2022 pour un montant de 4 840,80 euros TTC, il n'est pas contesté que, comme cela a été constaté par tous les experts ayant eu à connaître de ce litige, le mur litigieux fait soutènement des terres de la propriété de Madame [B] [D] sur une hauteur moyenne de 1,6 ml.
C'est donc justement que le premier juge a considéré que Madame [B] [D] ne pouvait abandonner son droit de mitoyenneté puisqu'elle retire du mur litigieux un avantage particulier.
En revanche, la participation de Madame [B] [D] aux travaux de réparation du mur ne saurait excéder son droit de mitoyenneté et ce conformément aux dispositions sus-visées de l'article 655 du code civil, soit : coût total des travaux : 67 130,80 euros x 2,5 mètres /23 mètres = 7 296,82 euros /2 = 3 648,41 euros TTC.
Egalement sa participation aux travaux confortatifs réalisés en cours d'expertise dont le coût a été avancé par Madame [J] [H] [F] veuve [V] doit être fixée à la somme de : 616,00 euros x 2,5 m/ 23 m = 66,95 euros /2 = 33,47 euros.
Le jugement entrepris sera infirmé de ce chef et Madame [B] [D] sera condamnée à payer à Madame [J] [H] [F] veuve [V] la somme sus-visée de 3 648,41 euros TTC à indexer en fonction de la variation de l'indice INSEE BT01 entre la date du rapport d'expertise, le 20 mai 2021 et la date de la présente décision, condamnation sous condition effective des travaux de réparation du mur mitoyen, ainsi que celle de 33,47 euros au titre des travaux confortatifs réalisés en cours d'expertise.
3°) Sur les demandes accessoires
Le jugement entrepris sera confirmé concernant les dispositions prononcées au titre de l'article 700 du code de procédure civile et des dépens.
Chaque partie conservera ses frais irrépétibles en cause d'appel.
Les dépens d'appel seront partagés par moitié entre les parties.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement entrepris en ce qu'il a :
- déclaré Madame [I] [V] recevable à agir,
- condamné Madame [B] [D] à payer à Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] la somme de 308,00 euros pour les travaux confortatifs exécutés,
- condamné Madame [B] [D] à payer à Madame [J] [H] [F] veuve [V] et Madame [I] [V] la somme de 33 565,40 euros à indexer en fonction de la variation de l'indice INSEE BT01 entre la date du rapport, le 20 mai 2021, et le jugement, condamnation sous condition d'exécution effective des travaux de réparation du mur mitoyen,
Statuant à nouveau sur les seuls chefs infirmés :
Déclare Madame [I] [V] irrecevable à agir,
Condamne Madame [B] [D] à payer à Madame [J] [H] [F] veuve [V] la somme de 33,47 euros pour les travaux confortatifs exécutés,
Condamne Madame [B] [D] à payer à Madame [J] [H] [F] veuve [V] la somme de 3 648,41 euros TTC à indexer en fonction de la variation de l'indice INSEE BT01 entre la date du rapport, le 20 mai 2021, et le présent arrêt, condamnation sous condition d'exécution effective des travaux de réparation du mur mitoyen,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses autres dispositions,
Y ajoutant,
Dit que chaque partie conservera ses frais irrépétibles en cause d'appel,
Dit que les dépens d'appel seront partagés par moitié entre les parties.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE