AB/CD
Numéro 24/01792
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 28/05/2024
Dossier : N° RG 22/02100 - N° Portalis DBVV-V-B7G-II2B
Nature affaire :
Demande relative à une servitude de jours et vues sur le fonds voisin
Affaire :
[X] [C]
C/
[W] [E]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 28 Mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 11 Mars 2024, devant :
Madame BLANCHARD, magistrate chargée du rapport,
assistée de Madame HAUGUEL, greffière présente à l'appel des causes,
Madame BLANCHARD, en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame FAURE, Présidente
Madame BLANCHARD, Conseillère
Madame REHM, Magistrate honoraire
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [X] [C]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représenté et assisté de Maître BURTIN de la SCP BERRANGER BURTIN, avocat au barreau de TARBES
INTIMEE :
Madame [W] [E]
[Adresse 6]
[Adresse 6]
Représentée et assistée de Maître CREPIN-MARTINEZ VILLA, avocat au barreau de TARBES
sur appel de la décision
en date du 10 MARS 2022
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE TARBES
RG numéro : 20/00463
EXPOSE DU LITIGE :
Suivant acte notarié de donation-partage du 9 février 1994, Mme [W] [E] née [L], Mme [M] [L] et M. [H] [L] sont devenus propriétaires indivis de parcelles sises lieu-dit [Localité 5], commune d'[Localité 2].
L'une de ces parcelles, cadastrée [Cadastre 4], a ensuite été cédée à Mme [W] [E] le 27 janvier 2018, laquelle était déjà propriétaire de la maison cadastrée [Cadastre 3] depuis 1994.
Suivant acte notarié du 18 février 2016, M. [X] [C] a acquis sur la commune d'A[Localité 7], lieu-dit [Localité 5], une 'ancienne maison à usage d'habitation à rénover' composée de quatre pièces principales en rez-de-chaussée, d'une cave et de combles avec grangette mitoyenne et jardin, sur une parcelle voisine de celle des consorts [E]-[L].
Le 12 septembre 2016, M. [C] a déposé une déclaration préalable à la Mairie de la commune d'[Localité 2] pour la réfection de la couverture et la réalisation de cinq lucarnes et d'un chien assis d'une construction sur sa propriété.
Par arrêté avec prescription (consistant en toiture en ardoise naturelle) au nom de la commune d'[Localité 2] du 15 décembre 2016, le maire n'a pas fait opposition à cette déclaration préalable.
Par courrier du 19 décembre 2016, dont copie a été adressée au maire d'[Localité 2], les consorts [E]-[L] ont indiqué à M. [C] qu'ils s'opposaient à la création d'ouvertures donnant directement vue sur leur propriété sans respecter les prescriptions des articles 675 à 680 du code civil.
Le 13 mars 2017, M. [S] [L], Mme [W] [E] et M. [H] [L] ont fait assigner M. [C] en référé aux fins d'expertise.
Le 23 juin 2017, M. [C] a présenté une nouvelle déclaration préalable à la Mairie de la commune d'[Localité 2], tenant compte des prescriptions de celle-ci.
Par ordonnance du 11 juillet 2017, le juge des référés du tribunal judiciaire de Tarbes a désigné M. [R] en qualité d'expert.
Le 10 octobre 2017, le maire d'[Localité 2] adressait une lettre de procédure contradictoire pour retrait du projet à l'initiative de l'administration et par arrêté du 7 novembre 2017, il retirait la déclaration préalable déposée le 23 juin 2017. Enfin, le 14 novembre 2017, il signait un arrêté d'opposition à la déclaration préalable.
L'expert judiciaire a déposé son rapport le 11 octobre 2018.
En lecture de ce rapport, par acte du 16 septembre 2019, Mme [E] a assigné M. [C] devant le tribunal de grande instance de Tarbes afin de voir ordonner l'obturation des ouvertures créant une vue sur son fonds ainsi qu'à l'arrachage de plantations en limite de propriété.
Suivant jugement contradictoire du 10 mars 2022, le tribunal judiciaire de Tarbes a :
- Déclaré recevables les demandes de Mme [W] [E] ;
- Condamné M. [X] [C] à obturer les trois ouvertures situées au rez-de-chaussée de sa maison désignées D, E, et F dans le rapport d'expertise de M. [R] ;
- Débouté Mme [W] [E] de ses autres demandes ;
- Condamné Mme [W] [E] à obturer l'ouverture désignée G dans le rapport d'expertise de M. [R] ;
- Dit n'y avoir lieu à assortir cette condamnation d'une astreinte,
- Débouté chacune des parties de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné M. [X] [C], d'une part et Mme [W] [E], d'autre part, à se partager par moitié les dépens incluant les dépens de référé, d'expertise et les frais d'expertise.
Sur la fin de non-recevoir tirée du défaut de qualité à agir de Mme [E], celle-ci a justifié, par le biais d'une attestation de Me [V], notaire, datée du 25 mars 2021, de sa qualité de propriétaire unique du bien pour lequel elle demande la cessation d'une servitude de vue.
S'agissant de la demande relative aux trois fenêtres du rez-de-chaussée, le tribunal en a ordonné l'obturation en considérant que les conclusions de l'expert sont incontestables et que le fait que ces trois ouvertures existent depuis plus de 30 ans n'autorisait pas leur propriétaire, à créer ou aggraver des servitudes de vue au détriment de son voisin.
Concernant la demande de constatation relative aux trois ouvertures sur le toit, le premier juge a rappelé qu'il ne statuait que sur les prétentions énoncées au dispositif et qu'il n'avait pas à répondre à ce qui ne constituait pas juridiquement une prétention.
Sur la difficulté relative à l'arrachage des plantations, le tribunal a estimé que le constat fait par l'expert démontrait que M. [C] se soumettait spontanément à son obligation de réduction de la taille des arbres de sorte qu'il ne pouvait pas faire droit à cette demande formulée par Mme [E].
Sur la demande reconventionnelle de M. [C], le premier juge a, à l'appui du rapport d'expertise, ordonné l'obturation de la porte-fenêtre située sur la propriété de Mme [E] en raison de sa distance vis-à -vis de la limite séparative qui constituait une vue directe sur la propriété voisine.
Par déclaration enregistrée au greffe le 21 juillet 2022, M. [X] [C] a interjeté appel partiel à l'encontre des dispositions du jugement rendu en ce qu'il a :
- Déclaré recevables les demandes de Mme [W] [E] ;
- Condamné M. [X] [C] à obturer les trois ouvertures situées au rez-de-chaussée de sa maison désignées D, E, et F dans le rapport d'expertise de M. [R] ;
- Débouté chacune des parties de ses demandes au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;
- Condamné M. [X] [C], d'une part, et Mme [W] [E], d'autre part, à se partager par moitié les dépens incluant les dépens de référé, d'expertise et les frais d'expertise.
Aux termes de ses conclusions notifiées par voie électronique le 22 mars 2023, auxquelles il est expressément fait référence, M. [X] [C], appelant, demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement rendu le 10 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Tarbes en ce qu'il l'a condamné à obturer trois ouvertures situées au rez-de-chaussée de sa maison désignées D, E, et F dans le rapport d'expertise de M. [R] ;
- INFIRMER le jugement en ce qu'il l'a débouté de la demande de paiement d'une indemnité pour les frais de procédure exposés et en ce qu'il l'a condamné à payer par moitié les dépens, en ceux compris ceux du référé, de l'expertise et de l'instance dont est issu le jugement critiqué ;
- CONFIRMER le jugement pour le surplus ;
Et statuant à nouveau :
- DÉBOUTER Mme [W] [E] de l'ensemble de ses demandes ;
- CONDAMNER Mme [W] [E] à payer à M. [X] [C] la somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris ceux du référé, ceux de 1ere instance, ceux d'appel et les frais de l'expertise.
M. [C] fait valoir au soutien de son appel :
- que le premier juge s'est contenté de recopier le rapport d'expertise sans répondre aux moyens soulevés par M. [C],
- que les ouvertures présentes sur l'immeuble existent depuis 300 ans, et Mme [E] ne prouve pas qu'elles ont été modifiées, il y a donc prescription acquisitive de la servitude de vue,
- que les documents produits par Mme [E] ne prouvent pas que l'ouverture située sur son immeuble aurait été agrandie depuis plus de trente ans.
Par conclusions notifiées par voie électronique le 2 mai 2023, auxquelles il est expressément fait référence, Mme [W] [L]-[E] épouse [E], intimée et appelante incident, demande à la cour de :
- INFIRMER le jugement rendu le 10 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Tarbes en ce qu'il l'a condamnée à obturer l'ouverture désignée G dans le rapport d'expertise de M. [R] ;
- INFIRMER le jugement rendu le 10 mars 2022 par le tribunal judiciaire de Tarbes en ce qu'il l'a déboutée de sa demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile et l'a condamnée à payer la moitié des dépens incluant les dépens de référé et les frais d'expertise (payés entièrement par Mme [E]) ;
- CONFIRMER le jugement pour le surplus.
Et statuant à nouveau :
- DÉBOUTER M. [C] de l'ensemble de ses demandes,
- CONDAMNER M. [C] à obturer les trois ouvertures situées au rez-de-chaussée de sa maison désignées D, E et F dans le rapport d'expertise de M. [R], ou à tout le moins lui ordonner de remettre ces ouvertures dans leur état d'origine en respectant les dispositions de l'article 676 du code civil,
- CONDAMNER M. [C] à payer à Mme [E] la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens, en ce compris ceux du référé, ceux de 1ère instance, ceux d'appel et les frais d'expertise.
Mme [E] soutient :
- que M. [C] a fait modifier les ouvertures existantes, sans autorisation,
- que ces fenêtres ont une vue directe et plongeante chez Mme [E],
- que ces trois fenêtres sont respectivement situées à 22 cm, 22 cm et 36 cm de la limite séparative des propriétés, ce qui ne respecte pas la distance de 2,60 m prévue par l'article 677 du code civil,
- que le fond servant dont Mme [E] est propriétaire est un terrain constructible, au bord d'une route départementale, dans un site classé, la perte d'intimité à cause de la création des ouvertures donnant une vue directe sur la propriété voisine provoquent une grande nuisance de ce fond, et même la perte de sa valeur vénale si ces ouvertures sont conservées, privant le fond servant de toute intimité,
- que la servitude trentenaire qu'invoque M. [C] s'est éteinte car la succession sur le fonds est restée vacante pendant plus de trente ans,
- que la porte-fenêtre du fonds [E] a été agrandie il y a plus de trente ans et donnait sur le mur aveugle d'une grange qui s'est, depuis, effondrée,
- que le pignon est recouvert d'un verre opaque qui empêche toute vue sur le fonds voisin.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 7 février 2024.
MOTIFS :
Il est constant entre les parties que le débat devant la cour ne concerne plus les trois ouvertures pratiquées par M. [C] en toiture, ni la végétation située en limite des deux propriétés, mais uniquement les trois ouvertures situées au rez-de-chaussée de la maison d'habitation de M. [C], et la porte-fenêtre située en pignon à l'étage de la maison de Mme [E].
Sur la demande d'obturation des trois ouvertures situées en rez-de-chaussée de la maison de M. [C] :
L'article 676 du code civil dispose que 'Le propriétaire d'un mur non mitoyen, joignant immédiatement l'héritage d'autrui, peut pratiquer dans ce mur des jours ou fenêtres à fer maillé et verre dormant. Ces fenêtres doivent être garnies d'un treillis de fer, dont les mailles auront un décimètre d'ouverture au plus, et d'un châssis à verre dormant'.
L'article 677 du code civil prévoit quant à lui que : 'Ces fenêtres ou jours ne peuvent être établis qu'à vingt-six décimètres (huit pieds) au-dessus du plancher ou sol de la chambre qu'on veut éclairer, si c'est à rez-de-chaussée, et à dix-neuf décimètres (six pieds) au-dessus du plancher pour les étages supérieurs.'
En l'espèce, il résulte du rapport d'expertise judiciaire que :
- les trois ouvertures sont des fenêtres laissant la possibilité de laisser passer l'air et donnant de la lumière ;
- les deux plus à l'Ouest donnent directement vue sur le terrain voisin (de Mme [E]) car elles sont situées respectivement à 1,37 m et 1,31 m au-dessus du plancher du rez-de-chaussée ;
- celle plus à l'Est donne aussi une vue directe sur le terrain voisin mais il est constaté qu'elle est située à 2,04m du plancher ; les photographies montrent qu'il s'agit d'une fenêtre de salle de bains située en hauteur de la pièce.
Il résulte de ces constatations que les trois ouvertures susvisées ne respectent pas les prescriptions de l'article 677 du code civil en termes de hauteur par rapport au plancher ; ainsi s'il s'agissait d'ouvertures nouvellement créées, même leur transformation conformément aux prescriptions de l'article 676 du code civil ne serait pas possible.
Toutefois, M. [C] fait valoir que de telles ouvertures existaient depuis bien plus de trente ans, en réalité 300 ans, de sorte qu'il pourrait se prévaloir d'une servitude de vue pour conserver les ouvertures.
Il produit aux débats plusieurs photographies des lieux non datées, et indique que l'une d'entre elle (sans préciser le numéro de pièce) est de 1937 et montre l'existence d'ouvertures.
La seule photographie d'aspect ancien est la photographie n° 5 en annexe 5 du rapport d'expertise, montrant l'existence de l'un des fenêtres, mais rien ne permet de dater le cliché.
De son côté, Mme [E] produit des attestations de quatre habitants de la vallée indiquant que, sur la maison de M. [C], il y avait :
- une fenêtre en bois avec deux battants de 6 (ou 8) carreaux opaques et les deux carreaux du bas en bois sur la partie basse, et un grillage à maille fine sur le côté extérieur protégeant la fenêtre,
- une fenêtre en bois avec deux battants de bois plein en haut et en bas, également grillagée côté extérieur.
Ces témoins ne datent pas leurs constatations, qu'ils indiquent simplement être la situation antérieure aux travaux pratiqués par M. [C] en 2016.
Ainsi il est établi qu'il existait avant les travaux pratiqués par M. [C], des ouvertures sur la maison, donnant du jour pour l'une d'entre elles, mais ne créant pas de vue directe sur le fonds voisin, et M. [C] échoue de toutes façons à démontrer que ces ouvertures datent de plus de trente ans.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a ordonné l'obturation de ces trois ouvertures, puisque celles-ci ne respectent pas les dispositions de l'article 677 du code civil.
Sur la demande relative à l'obturation de la porte-fenêtre située sur la maison de Mme [E] :
Il résulte du rapport d'expertise judiciaire que le pignon Ouest de la maison de Mme [E] supporte une ouverture munie d'une porte-fenêtre qui laisse passer l'air et la lumière, située à 84 cm de la limite séparative des deux fonds et donnant vue directe sur le fonds M. [C].
L'expert note que l'ouverture daterait de 1994, ce qu'indique Mme [E] dans ses écritures ; cette dernière produit à ce sujet le permis de construire qui lui a été délivré pour la modification d'une grange en gîte. Toutefois ce permis vise une demande du 26 juillet 1994, une autorisation du 16 janvier 1995, des plans supportant cette même date, et un certificat de conformité (nécessairement postérieur à l'achèvement des travaux) du 16 octobre 1996.
Il en résulte que ces travaux créant une porte-fenêtre avec vue directe sur le fonds M. [C] datent de moins de 30 ans.
Mme [E] produit des attestations dont il résulte qu'il existait déjà une ouverture sur le pignon Ouest depuis les années 1960, mais il s'agissait d'une ouverture qui servait d'aération à la grange et rien n'indique quelle était la hauteur de cette ouverture par rapport au plancher, étant précisé que la photographie qui semble ancienne, produite par Mme [E], montre une petite ouverture carrée en haut du pignon.
Dans ces conditions, c'est à juste titre que le premier juge a considéré que Mme [E] n'était pas autorisée à créer à l'encontre de son voisin une servitude de vue dans le cadre des travaux de rénovation de sa grange et a ordonné l'obturation de cette ouverture, sans que le prononcé d'une astreinte soit justifiée.
Le jugement sera donc confirmé de ce chef.
Sur le surplus des demandes :
Le jugement déféré sera confirmé en ses dispositions relatives aux frais irrépétibles et aux dépens.
M. [C], échouant en son appel, sera condamné à en supporter les dépens.
L'équité et la situation économique des parties ne commandent pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile devant la présente cour.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Statuant dans les limites des chefs qui lui sont soumis,
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions,
y ajoutant,
Déboute les parties de leur demande au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne M. [X] [C] aux dépens d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Carole DEBON Caroline FAURE