CF/SH
Numéro 24/01637
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 15/05/2024
Dossier : N° RG 23/02169 -
N° Portalis DBVV-V-B7H-ITJ7
Nature affaire :
Demande en réparation des dommages causés par d'autres faits personnels
Affaire :
S.A. SANOFI CHIMIE
C/
[P] [N]
[T] [G]
CPAM DE [Localité 12]-PYRÉNÉES S.A.S. GEODIS RT CHIMIE LACQ
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 15 Mai 2024, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 21 Février 2024, devant :
Madame FAURE, magistrate chargée du rapport,
assistée de Madame HAUGUEL, greffière présente à l'appel des causes,
Madame [I], en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame FAURE, Présidente
Madame de FRAMOND, Conseillère
Madame REHM, Magistrate honoraire
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A. SANOFI WINTHROP INDUSTRIE venant au droit de la Société SANOFI CHIMIE prise en la personne de son représentant légal en exercice domicilié en cette qualité audit siège
[Adresse 8]
[Localité 9]
Représentée par Maître CREPIN de la SELARL LX PAU-TOULOUSE, avocat au barreau de PAU
assistée de Maître VAHRAMIAN, du cabinet CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON
INTIMES :
Madame [P] [N]
née le [Date naissance 2] 1983 à [Localité 11]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Monsieur [T] [G]
né le [Date naissance 1] 1971 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 6]
Représentés et assistés de Maître BERNADET de la SCP BERNADET JACQUES, avocat au barreau de PAU
S.A.S. GEODIS RT CHIMIE LACQ représentée par son Président en exercice
Savoie Hexapôle
[Adresse 7]
Représentée par Maître LABES de la SELARL ABL ASSOCIES, avocat au barreau de PAU
assistée de Maître GAUTIER de la SELARL CAPSTAN RHÔNE-ALPES, avocat au barreau de LYON
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 12]-PYRÉNÉES
[Adresse 4]
[Localité 5]
Assignée
sur appel de la décision
en date du 19 JUILLET 2023
rendue par le PRÉSIDENT DU TRIBUNAL JUDICIAIRE DE PAU
RG numéro : 23/00136
EXPOSE DU LITIGE
Le 11 avril 2022, Monsieur [T] [G], chauffeur poids-lourd au sein de la SAS Géodis RT Chimie Lacq (SAS Géodis) avec une accréditation 'matières dangereuses route citerne étendue', a livré à la SA Sanofi Chimie, aux droits de laquelle vient la SA Sanofi Winthrop Industrie (SA Sanofi), située à [Localité 11] (64) une citerne de soude caustique à 30%.
Un accident a eu lieu alors que Monsieur [E] [L], opérateur de la SA Sanofi, a entrepris de décharger la citerne.
M. [G] a aidé M. [L], employé par la société Sanofi, qui rencontrait des difficultés pour retirer le bouchon du bras de déchargement, en tenant ce bras pendant que M. [L] retirait le bouchon avec la clé à manche et un maillet pour exercer une pression supplémentaire.
La soude caustique de la citerne a jailli sous pression du bras de déchargement, atteignant M. [G] au visage et arrachant ses équipements de sécurité.
M. [G] a été transporté au centre hospitalier de [Localité 12], et a subi plusieurs interventions chirurgicales à plusieurs mois d'intervalle, dont la dernière en date du 24 mai 2023.
Une enquête préliminaire a été ouverte par le parquet du tribunal judiciaire de Pau.
Par acte de commissaire de justice des 26 et 27 avril 2023, M. [G] et sa compagne, Mme [P] [N], ont fait assigner la SA Sanofi et la Caisse Primaire d'Assurance Maladie (CPAM) de [Localité 12] Pyrénées devant le juge des référés du tribunal judiciaire de Pau aux fins que soit ordonnée sur le fondement de l'article 145 du code de procédure civile, une mesure d'expertise judiciaire dans le but d'évaluer leurs préjudices corporels, outre l'allocation d'une provision de 150 000 euros pour M. [G] et de 20 000 euros pour Mme [N].
Par acte de commissaire de justice du 5 mai 2023, la SA Sanofi a fait appeler à la cause la SAS Géodis afin de la voir condamner à la relever indemne et la garantir de toute condamnation provisionnelle à son encontre.
Par ordonnance contradictoire du 19 juillet 2023 (RG n°23/00136), le juge des référés a notamment :
- ordonné la jonction des deux affaires,
- ordonné une expertise médicale de M. [G] et de Mme [N],
- commis pour y procéder Monsieur le docteur [S], expert judiciaire inscrit sur la liste de la cour d'appel de Pau, avec pour mission de :
- convoquer les parties, se faire remettre tous les documents médicaux nécessaires à l'exercice de sa mission,
- examiner et décrire les lésions qu'il impute à l'accident,
- déterminer la date de consolidation des blessures,
- durant la période qui a précédé la consolidation :
- indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été hospitalisée et préciser dans quels établissements de santé, relater les soins, les interventions et les traitements qui ont été pratiqués en précisant leur évolution,
- hors les périodes d'hospitalisation, donner tous renseignements permettant de dire si la victime pouvait se livrer à certaines activités de la vie courante et/ou de loisir, de dire si l'assistance d'une tierce personne lui était nécessaire pour accomplir certaines tâches et le temps utile pour ce faire, de dire si elle devait être transportée dans un véhicule aménagé ou de dire si elle pouvait se déplacer seule pour se rendre à des examens et soins, de dire si son logement a nécessité des adaptations ou si des locations de matériel ont dû être réalisées,
- dégager les éléments propres à justifier une indemnisation au titre de la douleur physique ou psychique tant en raison des blessures initiales que des soins et traitements appliqués et au titre du préjudice esthétique temporaire en raison d'une altération de son apparence physique en les qualifiant,
- après la date de consolidation :
- dire si du fait des lésions constatées, il existe une atteinte permanente à une ou plusieurs fonctions et dans l'affirmative après en avoir précisé les éléments, fixer le taux de déficit physiologique permanent ; dire si les séquelles présentées entraînent des douleurs permanentes ou épisodiques et les inclure dans le déficit constaté,
- dire si l'état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ou amélioration et dans l'affirmative fournir au tribunal toutes précisions utiles sur cette évolution, son degré de probabilité et dans le cas où un nouvel examen apparaîtrait nécessaire indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé,
- dire si malgré son éventuel déficit fonctionnel permanent la victime est au plan médical physiquement, psychiquement et intellectuellement apte à reprendre dans les conditions antérieures ou autres les activités-professionnelles (incidence professionnelle) qu'elle exerçait avant l'accident,
- dire si la victime devra subir, du fait de l'accident, des soins et traitements éventuellement sous le régime de l'hospitalisation, en préciser la périodicité, la durée et les conséquences sur les activités de la vie courante,
- dire si une tierce personne sera nécessaire pour assister la victime et dans l'affirmative préciser les actes à accomplir et le temps prévisible pour ce faire,
- dire si des adaptations du logement doivent intervenir et dans l'affirmative préciser lesquelles,
- dire si un véhicule automobile adapté est nécessaire en précisant les adaptations,
- dire s'il existe un préjudice esthétique permanent en le qualifiant,
- dire si la victime a pu reprendre dans les mêmes conditions ou autres les activités sportives ou de loisir auxquelles elle se livrait avant les lésions,
- dire si la victime subit un préjudice sexuel d'ordre morphologique ou lié à l'acte sexuel lui-même ou lié a une impossibilité de procréer,
- faire toute remarque et observation utile,
- débouté la SA Sanofi de ses demandes à l'égard de la SAS Géodis,
- condamné la SA Sanofi au paiement à M. [G] d'une provision de 50 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,
- condamné la SA Sanofi au paiement à Mme [N] d'une provision de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,
- condamné la SA Sanofi à payer à la SAS Géodis la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Sanofi à payer à M. [G] et Mme [N] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné M. [G] et Mme [N] aux dépens.
Pour motiver sa décision, le juge a retenu :
- que M. [G] démontre un motif légitime à solliciter une expertise médicale destinée à évaluer les préjudices corporels dont il souffre dès lors qu'il produit des documents médicaux relatifs aux constatations initiales, aux soins et interventions chirurgicales qu'il a subis, le rapport de l'UMJ et des procès verbaux de l'enquête préliminaire pénale sur l'accident,
- que le juge des référés n'est pas compétent pour apprécier les responsabilités, et notamment les fautes qu'auraient commises M. [G] et qui seraient à l'origine de ses dommages,
- que la responsabilité civile de la SA Sanofi paraît pouvoir être recherchée dans la mesure où certains éléments techniques semblent mettre en cause des dysfonctionnements de l'installation où l'accident a eu lieu, de sorte que l'action civile n'est pas de manière évidente vouée à l'échec,
- qu'aucun élément objectif ne démontre une intervention de l'employeur de la victime permettant sa mise en cause,
- que le concubinage entre M. [G] et Mme [N] est démontré, et que le préjudice qu'elle subit est attesté par la psychothérapie qu'elle a dû mettre en oeuvre suite à l'accident, est lié à cet accident, et est certain à ce stade,
- que les demandes de provision sont justifiées par l'importance du préjudice d'ores et déjà constaté, par l'affectation des conditions de vie, tant de M. [G] qui a vu diminuer significativement ses capacités visuelles, que de Mme [N] par l'aide qu'elle doit apporter à son compagnon.
Par deux déclarations du 31 juillet 2023 (RG n°23/02169 et 23/02171), la SA Sanofi a relevé appel, critiquant l'ordonnance en ce qu'elle a :
- ordonné une expertise médicale de M. [G] et de Mme [N],
- commis pour y procéder Monsieur le docteur [S], expert judiciaire inscrit sur la liste de la cour d'appel de Pau, avec pour mission de :
- convoquer les parties, se faire remettre tous les documents médicaux nécessaires à l'exercice de sa mission,
- examiner et décrire les lésions qu'il impute à l'accident,
- déterminer la date de consolidation des blessures,
- durant la période qui a précédé la consolidation :
- indiquer les périodes pendant lesquelles la victime a été hospitalisée et préciser dans quels établissements de santé, relater les soins, les interventions et les traitements qui ont été pratiqués en précisant leur évolution,
- hors les périodes d'hospitalisation, donner tous renseignements permettant de dire si la victime pouvait se livrer à certaines activités de la vie courante et/ou de loisir, de dire si l'assistance d'une tierce personne lui était nécessaire pour accomplir certaines tâches et le temps utile pour ce faire, de dire si elle devait être transportée dans un véhicule aménagé ou de dire si elle pouvait se déplacer seule pour se rendre à des examens et soins, de dire si son logement a nécessité des adaptations ou si des locations de matériel ont dû être réalisées ;
- dégager les éléments propres à justifier une indemnisation au titre de la douleur physique ou psychique tant en raison des blessures initiales que des soins et traitements appliqués et au titre du préjudice esthétique temporaire en raison d'une altération de son apparence physique en les qualifiant,
- après la date de consolidation :
- dire si du fait des lésions constatées, il existe une atteinte permanente à une ou plusieurs fonctions et dans l'affirmative après en avoir précisé les éléments, fixer le taux de déficit physiologique permanent ; dire si les séquelles présentées entraînent des douleurs permanentes ou épisodiques et les inclure dans le déficit constaté,
- dire si l'état de la victime est susceptible de modifications en aggravation ou amélioration et dans l'affirmative fournir au tribunal toutes précisions utiles sur cette évolution, son degré de probabilité et dans le cas où un nouvel examen apparaîtrait nécessaire indiquer le délai dans lequel il devra y être procédé,
- dire si malgré son éventuel déficit fonctionnel permanent la victime est au plan médical physiquement, psychiquement et intellectuellement apte à reprendre dans les conditions antérieures ou autres les activités-professionnelles (incidence professionnelle) qu'elle exerçait avant l'accident,
- dire si la victime devra subir, du fait de l'accident, des soins et traitements éventuellement sous le régime de l'hospitalisation, en préciser la périodicité, la durée et les conséquences sur les activités de la vie courante,
- dire si une tierce personne sera nécessaire pour assister la victime et dans l'affirmative préciser les actes à accomplir et le temps prévisible pour ce faire,
- dire si des adaptations du logement doivent intervenir et dans l'affirmative préciser lesquelles,
- dire si un véhicule automobile adapté est nécessaire en précisant les adaptations,
- dire s'il existe un préjudice esthétique permanent en le qualifiant,
- dire si la victime a pu reprendre dans les mêmes conditions ou autres les activités sportives ou de loisir auxquelles elle se livrait avant les lésions,
- dire si la victime subit un préjudice sexuel d'ordre morphologique ou lié à l'acte sexuel lui-même ou lié a une impossibilité de procréer,
- faire toute remarque et observation utile,
- débouté la SA Sanofi de ses demandes à l'égard de la SAS Géodis RT Chimie Lacq,
- condamné la SA Sanofi au paiement à M. [G] d'une provision de 50 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,
- condamné la SA Sanofi au paiement à Mme [N] d'une provision de 10 000 euros à valoir sur l'indemnisation de son préjudice,
- condamné la SA Sanofi à payer à la SAS Géodis la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Sanofi à payer à M. [G] et Mme [N] la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Par ordonnance du 4 août 2023, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des deux affaires sous le RG n° 23/02169.
Suivant avis de fixation adressé par le greffe de la cour, l'affaire a été fixée selon les modalités prévues aux articles 905 et suivants du code de procédure civile.
Aux termes de ses dernières conclusions du 20 février 2024, la SA Sanofi Winthrop Industrie, appelante, entend voir la cour :
- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a :
- rejeté sa demande de non prise en compte des pièces du dossier pénal en cours communiquées par les consorts [G]/[N], pour violation de la présomption d'innocence,
- débouté la SA Sanofi de ses demandes contre la SAS Géodis,
- ordonné une expertise médicale de M. [G] et Mme [N],
- condamné la SA Sanofi à verser à M. [G] une provision de 50 000 euros et à Mme [N] une provision de 10 000 euros,
- condamné la SA Sanofi à verser à M. [G] et Mme [N] une somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SA Sanofi à verser à la SAS Géodis la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- prendre acte de ce que la société Sanofi Winthrop Industrie vient aux droits de la société Sanofi Chimie,
Statuant à nouveau, à titre préliminaire, sur la violation de la présomption d'innocence de la SA Sanofi :
- exclure des débats les pièces des consorts [G]/[N] n° 3 à 8 inclus et n°23,
- réformer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- débouter M. [G] et M. [N] de l'ensemble de leurs demandes,
Sur la réformation de l'ordonnance,
- réformer l'ordonnance en toutes ses dispositions,
- débouter M. [G] et M. [N] de l'ensemble de leurs demandes,
Subsidiairement, pour le cas où la cour confirmerait l'ordonnance,
- dire que la SA Sanofi Winthrop Industrie venant aux droits de la SA Sanofi Chimie formule toutes protestations et réserves sur les demandes d'expertise de Mme [N] et M. [G],
- ramener les demandes de provision à de plus justes proportions,
- condamner la SAS Géodis à la relever et garantir indemne de toute condamnation provisionnelle prononcée à son encontre, sur le fondement des demandes formulées par M. [G] et Mme [N] à son encontre, et de toute décision de recours ultérieure,
- dire et juger commune et opposable à la SAS Géodis l'expertise à intervenir demandée par M. [G] et Mme [N],
En tout état de cause,
- rejeter l'appel incident formé par M. [G] et Mme [N] et rejeter leur demande provisionnelle,
- rejeter la demande d'article 700 du code de procédure civile de la SAS Géodis,
- condamner Mme [N] et M. [G] à payer à la SA Sanofi Winthrop Industrie venant aux droits de la SA Sanofi la somme de 1 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, et la SAS Géodis à lui régler la somme de 1 500 euros à ce titre,
- condamner la SAS Géodis aux entiers dépens.
Au soutien de ses prétentions, elle fait valoir, au visa des articles 9 de la déclaration des droits de l'homme et du citoyen, 11 de la déclaration universelle des droits de l'homme de 1948, 48 et 1er de la charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, 14 et 2 du pacte international relatif aux droits civils et politiques, 6 et 2 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, des articles préliminaires, 11 et 77-2 du code de procédure pénale, 145 et 835 alinéa 2 du code de procédure civile :
- qu'en fondant ses écritures exclusivement sur la procédure pénale en cours, dont il communique les éléments, M. [G] a violé la présomption d'innocence de la SA Sanofi, qu'il présente comme responsable pénal et coupable de l'accident sur la base de ces éléments,
- que le juge des référés s'est fondé sur la procédure pénale pour la condamner, violant le principe de présomption d'innocence qu'il devait sauvegarder,
- qu'aucune condamnation pénale n'est intervenue, l'enquête pénale étant toujours en cours, et pouvant toujours évoluer, et étant à ce titre soumise au secret professionnel,
- qu'elle se trouve contrainte malgré elle, en violation de ses droits de la défense, d'argumenter sur des éléments de l'enquête pénale en cours,
- que la copie de la procédure pénale n'a pu être communiquée aux consorts [G]/[N] sur le fondement de l'article 77-2 du code de procédure pénale, même dans sa nouvelle version, dès lors que la SA Sanofi en tant que partie n'en a pas été destinataire et que la communication de la procédure n'a pas eu lieu à l'initiative du procureur,
- que la transmission de la procédure par le parquet peut avoir pour seul but de permettre aux parties de faire des observations dans le cadre de cette procédure, pas d'utiliser les éléments dans le cadre d'une procédure civile,
- que Mme [N] ne justifie pas d'un motif légitime à solliciter une expertise médicale à son égard dès lors qu'elle ne prouve pas sa relation de concubinage et sa vie commune avec M. [G], qu'elle ne peut affirmer s'être inquiétée pour la survie de son compagnon n'ayant eu que peu d'informations suite à l'accident dès lors qu'il l'a nécessairement informée de son état, qu'elle ne produit pas de certificat médical, que son préjudice n'est pas lié à l'accident mais à des difficultés relationnelles avec sa hiérarchie, et que la SA Sanofi n'a commis aucune faute ayant contribué à son dommage,
- que M. [G] ne dispose pas de motif légitime de formuler une demande d'expertise à son égard, dès lors qu'il est à l'origine exclusive de son dommage, et que l'accident est un accident du travail couvert par la législation spécifique,
- qu'il a commis une faute exclusive de la cause de son dommage, et à ce titre exonératoire de responsabilité pour la SA Sanofi qui est un tiers, et que cette exonération s'applique aux victimes par ricochet, ou est à tout le moins constitutive d'une contestation sérieuse,
- que le fait que les indemnisations versées par la sécurité sociale à M. [G] ne soient pas connues constitue une contestation sérieuse s'opposant à la demande de provision,
- que Mme [N] ne rapporte pas la preuve de son préjudice en lien avec une faute de la SA Sanofi, et ne peut recevoir une indemnisation au titre des postes de préjudice tels que le déficit fonctionnel, les souffrances endurées, les souffrances esthétiques ou l'incidence professionnelle alors que seul M. [G] a été blessé,
- que la faute de M. [G] justifie le rejet de ses demandes de provision,
- que sa faute consiste à avoir participé à une action qui sortait de son champ d'intervention, en aidant le salarié de la SA Sanofi alors qu'il avait interdiction de toucher aux installations du site,
- que M. [G] devait être formé par la SAS Géodis à tous risques liés à la manipulation des équipements et installations en vue de dépoter ou d'empoter des produits chimiques dangereux puisqu'il peut avoir à intervenir à ces opérations chez d'autres clients de la SAS Géodis,
- que la SAS Géodis a commis des fautes, même d'abstention, ayant joué un rôle causal dans l'accident de M. [G], en sa qualité de commettant civilement responsable de son préposé,
- qu'elle a commis des fautes propres consistant en une défaillance de formation et d'information et de mise en place de procédures de travail adéquates de son salarié, à l'origine de l'accident,
- que M. [G] était déjà intervenu à plusieurs reprises pour effectuer des livraisons de matières dangereuses chez la SA Sanofi, et connaissait donc les procédures en vigueur sur le site,
- que n'étant ni autorisé ni habilité à intervenir lors des opérations de déchargement, M. [G] n'avait pas à sa disposition les mêmes équipements de protection individuels que les salariés de la SA Sanofi,
- que M. [G] n'aurait pas été blessé s'il n'était pas intervenu fautivement, en contradiction avec les dispositions du code du travail qui prévoient que chaque salarié doit prendre soin de sa santé et de sa sécurité par ses actes ou ses omissions au travail,
- que M. [G] ne portait pas tous les équipements de protection fournis par son employeur, notamment ses lunettes de protection,
- qu'un salarié d'une qualification similaire placé dans une situation identique ne serait pas intervenu sur les installations de la SA Sanofi,
- qu'en l'absence de contestation sérieuse, l'indemnité allouée à une personne atteinte de cécité est significativement inférieure à la demande de provision de M. [G].
Par conclusions notifiées par RPVA le 19 février 2024, M. [T] [G] et Mme [P] [N], intimés et appelants incident, demandent à la cour de :
- débouter la SA Sanofi de son appel,
- accueillir leur appel incident,
- réformer l'ordonnance en ce qu'elle a alloué la somme de 50 000 euros à M. [G] et de 10 000 euros à Mme [N] à titre provisionnel,
Statuant à nouveau,
- condamner la SA Sanofi à payer à M. [G] la somme de 150 000 euros à valoir sur la réparation de son préjudice, en deniers ou quittances,
- condamner la SA Sanofi à payer à Mme [N] la somme de 30 000 euros à titre d'indemnité provisionnelle à valoir sur la réparation de son préjudice,
A titre subsidiaire,
- confirmer la décision de ce chef,
- condamner la SA Sanofi à leur payer la somme de 5 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- la condamner aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de leurs demandes, ils font valoir :
- qu'ils agissent dans un cadre civil en lecture des règles de responsabilité civile alors que la présomption d'innocence est une garantie fondamentale dans le cadre de l'action publique,
- qu'ils ont réitéré leurs demandes au parquet afin d'obtenir de manière régulière et sans aucune manoeuvre une copie de la procédure pénale, en indiquant qu'elle était destinée à permettre d'avancer sur la procédure d'indemnisation ; que la SA Sanofi aurait également pu demander à obtenir une copie de la procédure,
- que rien n'interdit à la victime d'un dommage corporel de faire référence à des éléments issus d'une enquête préliminaire en dehors de tout procès pénal,
- que la SA Sanofi n'a pas demandé en première instance que les pièces produites soient écartées des débats,
- que l'article 77-2 du code de procédure pénale prévoit la possibilité d'une part d'obtenir copie de l'enquête préliminaire en cours, et d'autre part de formuler toutes observations utiles, et sa nouvelle version prévoit cette possibilité à tout moment de l'enquête préliminaire,
- que le parquet n'a communiqué le dossier qu'après plusieurs demandes, quand l'enquête a paru être terminée,
- que la question de la responsabilité de la SA Sanofi dans l'accident de M. [G] sera débattue devant la juridiction du fond,
- que le procès à venir est probable dès lors que l'enquête préliminaire et le compte-rendu d'enquête du CSE révèlent de multiples fautes commises par la SA Sanofi,
reconnues par la responsable du site Sanofi, concernant les protocoles de sécurité et de dépotage qui étaient obsolètes, la vétusté des installations et l'absence de mesures de sécurité propres à éviter un accident, la présence d'une vanne fuyarde non réparée malgré les remontées faites par les équipes techniques,
- que M. [G] a été examiné par l'unité médico-judiciaire dans le cadre de l'enquête préliminaire, révélant les conséquences physiques et psychologiques de l'accident ; l'expertise judiciaire est nécessaire pour établir les éléments médico-légaux qui serviront de base à son indemnisation,
- que l'obligation de la SA Sanofi de réparer le préjudice corporel subi par M. [G] ne souffre aucune contestation ni discussion, les éléments préliminaires établissant sans contestation possible que les blessures occasionnées à M. [G] sont la conséquence de négligences, d'imprudences et du non respect des règles de sécurité en matière de manipulation des produits chimiques, qui ont également été mis en avant par l'enquête menée par l'inspection du travail,
- que M. [G] n'a commis aucune faute dès lors qu'il a été sollicité par l'opérateur Sanofi en poste afin de tenir un tuyau, qu'il s'agit de sa seule intervention, qui n'est pas prévue mais pas clairement interdite, et qu'il portait ses lunettes de protection,
- que la SA Sanofi invoque un protocole en vigueur qu'elle ne produit pas, et dont l'inspection du travail a relevé qu'il était obsolète et non conforme,
- qu'il n'a pas touché d'indemnisation forfaitaire de la CPAM, dès lors qu'il n'est pas consolidé et ne connaît donc pas son taux d'incapacité,
- que le préjudice de M. [G] n'a pas vocation à être indemnisé dans le cadre du droit restrictif du code de la sécurité sociale mais sur le fondement du droit commun,
- que l'indemnité allouée à titre provisoire par le juge des référés ne correspond pas à la fraction incontestable du préjudice ; qu'il ressort du barème du concours médical que les cas de grande cécité peuvent aller jusqu'à 85% de déficit fonctionnel permanent, et que le dossier médical de M. [G] témoigne de la lourdeur du suivi auquel il est astreint ; qu'il présente un stress post-traumatique et que son avenir s'avère particulièrement sombre, ce qui ressort également du rapport d'expertise provisoire du 5 octobre 2023,
- que la relation entre M. [G] et Mme [N] est établie par un tiers entendu dans le cadre de l'enquête préliminaire, qu'ils vivent en concubinage depuis de nombreuses années et vont se marier le 11 mai 2024,
- que Mme [N] s'est inquiétée pour la survie de son compagnon dans les suites immédiates de l'accident, ayant été informée de l'accident par leur employeur commun,
- que Mme [N] justifie d'un motif légitime de voir ordonner une mesure d'expertise dès lors qu'elle subit les conséquences de l'accident subi par son compagnon, étant présente dans son parcours de soins, lui fournissant l'aide humaine dont il a besoin ; qu'elle a dû être prise en charge psychologiquement, ce qui est retenu dans le pré-rapport d'expertise déposé le 23 janvier 2024,
- que travaillant dans la même entreprise que son compagnon, Mme [N] s'est trouvée face à sa hiérarchie qui s'est montrée particulièrement craintive et méfiante, s'agissant d'un accident du travail.
Dans ses conclusions récapitulatives du 16 février 2024, la SAS Géodis RT Chimie Lacq, intimée, demande à la cour de confirmer l'ordonnance en toutes ses dispositions, et ce faisant :
- dire et juger injustifiée la demande d'intervention forcée de la SA Sanofi,
- débouter la SA Sanofi de l'ensemble de ses demandes,
- la condamner au paiement de la somme de 4 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers dépens de l'instance.
Au soutien de ses demandes, elle fait valoir :
- que l'action de la SA Sanofi à son encontre ne saurait se fonder sur la responsabilité des commettants du fait de leurs préposés dès lors que M. [G] ne lui a causé aucun dommage,
- que le dommage subi par M. [G] résulte directement des manquements de la SA Sanofi et/ou de son préposé qui devait assurer le déchargement de la livraison,
- que le document unique d'évaluation des risques professionnels (DUERP) qu'elle produit confirme que les risques de contact et/ou de projection avec des matières dangereuses sur site de chargement et de déchargement était identifié,
- que le rapport de son service HSE qu'elle produit a été établi dans le respect des procédures et standards applicables au sein du groupe Géodis, et qu'il fait ressortir que M. [G] détenait les équipements de sécurité et habilitations, et était sensibilisé aux règles de sécurité,
- qu'il est légitime que les équipements de protection de M. [G] différaient de ceux des opérateurs Sanofi ; que M. [G] était équipé de l'ensemble de son équipement, qui n'a été arraché qu'en raison de la forte pression de la projection, résultant d'une vanne qui aurait dû être fermée,
- que les causes de l'accident sont définies dans le rapport d'enquête Sanofi et ne sont pas imputables à la SAS Géodis.
La Caisse primaire d'assurance maladie de [Localité 12] n'a pas constitué avocat.
L'affaire a été retenue à l'audience du 21 février 2024 pour y être plaidée.
MOTIFS
- Sur la demande d'expertise médicale
L'article 145 du code de procédure civile dispose que 's'il existe un motif légitime de conserver ou d'établir avant tout procès la preuve de faits dont pourrait dépendre la solution d'un litige, les mesures d'instruction légalement admissibles peuvent être ordonnées à la demande de tout intéressé, sur requête ou en référé.'
En l'espèce, il n'est pas contesté par les parties qu'un accident est survenu le 11 avril 2022, dans les locaux de la SA Sanofi à [Localité 11], à l'occasion de la livraison par M. [G] de produits dangereux, alors que ce dernier aidait M. [L], salarié de la SA Sanofi, en maintenant le bras de raccordement pendant que M. [L] tentait d'en ouvrir le bouchon.
Il ressort des pièces versées aux débats, et notamment du dossier médical de M. [G], des lettres du docteur [B], et des comptes-rendus opératoires, que M. [G] subit un préjudice corporel découlant de cet accident, de sorte qu'à l'évidence, il existe un litige potentiel susceptible d'opposer les parties.
Il n'est pas nécessaire d'étudier les pièces issues de la procédure pénale pour arriver à cette conclusion.
M. [G] justifie donc d'un motif légitime que soit ordonnée une expertise médicale afin de déterminer les préjudices corporels dont il souffre, au contradictoire de la SA Sanofi, sans que cela ne préjuge des responsabilités de chacun, qui seront tranchées au fond.
Concernant Mme [N], il y a lieu de constater, au vu des pièces du dossier, qu'elle est la compagne et future épouse de M. [G].
Il résulte des seules circonstances de la survenance de l'accident et des séquelles de M. [G], qui consistent en partie en une perte importante de la vue, que Mme [N] subit, du fait de cet accident, un préjudice propre et distinct, de sorte qu'elle justifie d'un motif légitime de voir ordonner une mesure d'expertise afin de le déterminer, sans qu'il soit question de la commission d'une faute par la victime principale ayant contribué à son dommage, qui relèvera de l'appréciation du juge du fond.
L'ordonnance sera donc confirmée sur ce point.
- Sur la demande de provision
L'article 835 alinéa 2 du code de procédure civile prévoit que dans les cas où l'existence de l'obligation n'est pas sérieusement contestable, le juge peut accorder une provision au créancier, ou ordonner l'exécution de l'obligation même s'il s'agit d'une obligation de faire.
Il ressort d'un courrier de l'inspection du travail adressé à M. [G] le 13 septembre 2023 que diverses infractions à la législation du travail ont été constatées dans le cadre de l'enquête sur l'accident du travail, telles que la 'réalisation d'opération de chargement, déchargement sans établir de protocole de sécurité conforme'.
Le compte-rendu d'enquête du service Hygiène Sécurité Environnement de la SA Sanofi, fait quant à lui état de plusieurs actions, notamment 'le bouchon doit être facilement enlevable manuellement', 'le bras n'aurait pas dû être sous pression de soude', 'la pompe aurait dû être arrêtée, la vanne V806001 aurait dû être fermée', 'la vanne V806002 n'aurait pas dû être fuyarde', qui sont qualifiées comme ayant eu un impact sur l'accident survenu.
Il en résulte que si le partage éventuel des responsabilités relève de la compétence du juge du fond, l'existence même de l'obligation de la SA Sanofi n'est pas sérieusement contestable, et ce sans qu'il soit nécessaire d'étudier les pièces de la procédure pénale.
L'octroi d'une indemnité provisionnelle à M. [G] et Mme [N] est donc justifié.
Le montant de cette indemnité ne saurait en revanche se baser en appel sur le pré-rapport de l'expertise ordonnée par la décision querellée, dès lors que cette expertise a pour objet d'éclairer le juge du fond sur les justes sommes à accorder en réparation du préjudice subi par les victimes.
Le juge des référés, juge de l'évidence, a correctement pu apprécier le montant des provisions accordées tant à M. [G] qu'à sa compagne, au vu des pièces produites aux débats, attestant de l'importance des préjudices qu'ils subissent.
L'ordonnance sera donc confirmée sur ce point.
- Sur la mise en cause de la SAS Géodis
L'article 331 du code civil dispose, dans ses alinéas 1 et 2, qu' 'un tiers peut être mis en cause aux fins de condamnation par toute partie qui est en droit d'agir contre lui à titre principal.
Il peut également être mis en cause par la partie qui y a intérêt afin de lui rendre commun le jugement.'
La SA Sanofi ne démontre pas à ce stade une intervention ou une abstention fautive de la SAS Géodis, qui aurait à l'évidence contribué au dommage de M. [G], et qui justifierait qu'elle soit condamnée à la garantir et relever indemne des condamnations provisionnelles auxquelles elle est condamnée. L'ordonnance sera confirmée en ce qu'elle a débouté la société Sanofi de son appel en garantie dirigé contre la société Geodis en cas de condamnation.
Cependant, il est cohérent, dès lors qu'une enquête pénale est en cours et est susceptible de déterminer les circonstances exactes de l'accident, et dans la mesure où le juge des référés n'est pas compétent pour apprécier le partage des responsabilités dans la survenance du dommage subi par M. [G] et Mme [N], de déclarer communes et opposables les opérations d'expertise à la SAS Géodis.
En conséquence, l'ordonnance sera réformée sur ce point.
L'équité commande que soit allouée une indemnité aux consorts [G]/[N] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt réputé contradictoire et en dernier ressort,
PREND ACTE de ce que la SA Sanofi Winthrop Industrie vient aux droits de la SA Sanofi Chimie,
INFIRME l'ordonnance en ce qu'elle a :
- débouté la SA Sanofi Winthrop Industrie de sa demande relative aux opérations d'expertise à l'égard de la SAS Géodis RT Chimie Lacq,
- condamné la SA Sanofi Winthrop Industrie à payer à la SAS Géodis RT Chimie Lacq la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Statuant à nouveau :
DÉCLARE communes et opposables les opérations d'expertise à la SAS Géodis RT Chimie Lacq,
CONFIRME l'ordonnance pour le surplus des dispositions soumises à la cour,
Y ajoutant :
CONDAMNE la SA Sanofi Winthrop Industrie à payer à M. [T] [G] et Mme [P] [N], ensemble, la somme de 2 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre de l'instance d'appel,
CONDAMNE la SA Sanofi Winthrop Industrie aux dépens de l'appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE