PhD/ND
Numéro 23/1727
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 23/05/2023
Dossier : N° RG 21/02476 - N° Portalis DBVV-V-B7F-H573
Nature affaire :
Autres actions en responsabilité exercées contre un établissement de crédit
Affaire :
[V] [U] épouse [J]
[G] [J]
C/
Société DEUTSCHE BANK ESPANA
Société CREDIT LYONNAIS
Société TARGO BANK
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 23 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Mars 2023, devant :
Monsieur Philippe DARRACQ, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame SAYOUS, Greffière présente à l'appel des causes,
Philippe DARRACQ, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Jeanne PELLEFIGUES et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Madame [V] [U] épouse [J]
née le [Date naissance 3] 1966 à [Localité 12] (64)
de nationalité française
[Adresse 8]
[Localité 6]
Monsieur [G] [J]
né le [Date naissance 2] 1964 à [Localité 15] (64)
de nationalité française
[Adresse 8]
[Localité 6]
Représentés par Me Vincent LIGNEY de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU
Assistés de Me Géraldine DURAN (SELARL DURAN-MARTIAL), avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMEES :
Société DEUTSCHE BANK ESPANA
immatriculée au registre du commerce de Madrid, volume 28100, Livre 0, section 8, page M506294, inscription 2, code NIF A 08000614, prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 14]
[Localité 5] - Espagne
Représentée par Me Delphine BORDANAVE VIGNAU, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Julian COCKAIN-BARERE, avocat au barreau de TOULOUSE
S-A CREDIT LYONNAIS
immatriculée au Registre du Commerce et des Sociétés de Lyon sous le numéro 954 509 741, prise en la personne de son représentant légal, domicilié en cette qualité au siège
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentée par Me Martine DE BRISIS de la SCP CABINET DE BRISIS & DEL ALAMO, avocat au barreau de PAU
Société TARGO BANK
inscrite au registre du commerce de Madrid sous le n° T1326 F70, section 8, page M14751, code NIF A 79223707, prise en la personne de son représentant légal.
[Adresse 1]
[Localité 5] - Espagne
Représentée par Me Sophie CREPIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU
Assistée de Me Mathieu SPINAZZE (cabinet DECKER & Associés), avocat aubarreau de TOULOUSE
sur appel de la décision
en date du 27 AVRIL 2021
rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE PAU
FAITS - PROCEDURE - PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES
Au cours du mois de mai 2016, Mme [V] [U], épouse [J], s'est vu refuser par sa banque, la société Le Crédit Lyonnais Banque (LCL Banque), l'octroi d'un prêt immobilier destiné à la rénovation d'un bien hérité par son mari, M. [G] [J] (ci-après les époux [J]).
Les époux [J] se sont adressés à une SARL Solution Crédit, courtier en opérations de banque.
Les époux [J] ont reçu un courrier, à l'en-tête de ce courtier, en date du 28 juin 2016, les informant en ces termes : « la banque BCDC, [Adresse 1], consent à vous prêter la somme de 170.000 euros sur une durée de 180 mois à un taux fixe de 1,50 % et un TEG de 1,54 %, soit une mensualité de 1.123,26 euros assurance comprise afin d'acquérir un bien immobilier. [...]. Cet accord prendra effet aux conditions suivantes :
- dépôt de 160.000 euros sur votre compte BCDC réparti comme suit : 90.000 euros en apport et 70.000 euros en placement (assurance-vie), dans un délai de 10 jours (convention d'ouverture de compte jointe)
- [...]
- Nous retourner la présente offre signée et paraphée [...] ».
Il leur était communiqué deux références IBAN/BBAN, l'une correspondant à un compte bancaire ouvert dans les livres de la société de droit espagnol Targo Bank, l'autre correspondant à un compte bancaire ouvert dans les livres de la société de droit espagnol Deutsche Bank Espana.
Le 27 juillet 2016, les époux [J] ont donné l'ordre à leur banque, LCL agence d'[Localité 12], d'exécuter un virement SEPA d'un montant de 90.000 euros sur le compte ouvert à la Targo Bank, sous la référence IBAN/BBAN n° [XXXXXXXXXX011], en mentionnant qu'ils étaient les bénéficiaires de ce virement.
Le virement a été exécuté.
Le 15 septembre 2016, un mail au nom de BCDC Espana les informait d'une difficulté survenue avec son partenaire Investbank au motif que le versement escompté n'avait pas été effectué.
Le 20 septembre 2016, les époux [J] ont donné l'ordre à leur banque d'exécuter un virement SEPA de 50.000 euros sur le compte ouvert à la Deutsche Bank Espana, sous la référence IBAN/BBAN n° [XXXXXXXXXX010], en désignant la « BCDC » comme bénéficiaire du virement.
Le virement a été exécuté.
S'inquiétant de ne pas recevoir le contrat de prêt définitif et de ne pouvoir joindre un interlocuteur de la société Solution Crédit, les époux [J] ont contacté la banque Targo Bank qui les a avisés qu'ils n'étaient pas titulaires du compte bancaire correspondant aux identifiants de l'IBAN en question.
Leur banque les informait également que les fonds virés sur les comptes avaient été entièrement retirés par une personne.
Le 4 octobre 2016, Mme [U], épouse [J] a déposé plainte pour escroquerie auprès de la brigade territoriale de la gendarmerie d'[Localité 12], en expliquant qu'elle était entrée en relation avec un certain [P] [B], puis un certain [G] [M], de la société Solution Crédit, puis que celui-ci s'était chargé d'ouvrir, via internet, le compte bancaire Targo Bank au nom des époux [J], sur lequel elle avait versé, à la demande de ce même [M], la somme de 90.000 euros, ayant pu elle-même vérifier, via internet, la bonne exécution de ce versement au moyen du mot de passe d'accès internet au compte qui lui avait été remis ; et, suite au mail de la BCDC du 15 septembre 2016, qu'elle a viré sur le compte Deustche Bank Espana la somme de 50.000 euros censée abonder un contrat d'assurance-vie en garantie du prêt.
Suivant exploit du 16 juin 2017, les époux [J] ont fait assigner la société Le Crédit Lyonnais Banque par devant le tribunal de grande instance de Pau en responsabilité et indemnisation, sur le fondement de la responsabilité contractuelle, de leur préjudice pour manquement à son obligation de vigilance.
Le 24 septembre 2018, selon les formes prévues par le règlement (CE) n°1393/2007 du Parlement et du Conseil de l'Europe, les époux [J] ont transmis aux entités espagnoles compétentes une assignation en intervention forcée formée contre la société Deutsch Bank et la société Targo Bank, en responsabilité et indemnisation, sur le fondement de la responsabilité extra-contractuelle française, pour défaut de vigilance.
Les instances ont été jointes.
Par ordonnance du 10 octobre 2019, le juge de la mise en état du tribunal de grande instance de Pau a rejeté l'exception d'incompétence territoriale au profit du juge espagnol soulevée par les sociétés de droit espagnol défenderesses.
Par jugement contradictoire du 27 avril 2021, auquel il convient expressément de se référer pour un plus ample exposé des faits et des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal judiciaire de Pau, anciennement tribunal de grande instance de Pau, a :
- prononcé la mise hors de cause de LCL Banque
- constaté que la loi française est applicable à la présente instance
- en conséquence, débouté les époux [J] de l'ensemble de leurs prétentions
- condamné les époux [J] à payer la somme de 1.500 euros à chacune des trois défenderesses sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile
- condamné les époux [J] aux dépens.
Par déclaration faite au greffe de la cour le 22 juillet 2021, les époux [J] ont relevé appel de ce jugement.
La procédure a été clôturée par ordonnance du 11 janvier 2023.
***
Vu les dernières conclusions notifiées le 19 avril 2022 par les époux [J] qui ont demandé à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, 1147 et suivants anciens du code civil, d'infirmer le jugement entrepris et, statuant à nouveau, de :
- dire et juger que les banques LCL, Targo Bank et Deutsche Bank Espana doivent voir leur responsabilité engagée sur le fondement des articles sus-visés
- condamner solidairement les banques LCL, Targo Bank et Deutsche Bank Espana à leur payer la somme de 140.000 euros avec intérêts au taux légal à compter de la délivrance de l'assignation devant le tribunal de grande instance de Pau
- condamner solidairement les mêmes à leur payer la somme de 20.000 euros en réparation de leur préjudice moral
- condamner solidairement les mêmes à leur payer la somme de 12.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 20 décembre 2021 par la société Le Crédit Lyonnais qui a demandé à la cour, au visa de l'article L. 133-21 du code monétaire et financier de confirmer en toutes ses dispositions le jugement entrepris et de condamner les appelants à lui payer la somme de 3.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 25 mars 2022 par la société Targo Bank qui a demandé à la cour de :
A titre principal :
- infirmer le jugement en ce qu'il a constaté que la loi française était applicable au litige, et statuant à nouveau, au visa des articles 4.1 et 15 du Réglement n°864/2007 du 11 juillet 2007, 1902, 1968-2 et 1969 du code civil espagnol de :
- dire que la loi espagnole est applicable
- en conséquence, déclarer irrecevables comme prescrites l'ensemble des demandes formées par les époux [J].
A titre subsidiaire :
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté les époux [J] de l'intégralité de leurs demandes
- débouter les époux [J] de l'intégralité de leurs demandes.
En tout état de cause, condamner solidairement les époux [J] à lui payer la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
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Vu les dernières conclusions notifiées le 15 mai 2022 par la société Deutsche Bank Espana qui a demandé à la cour, au visa des articles 1382 et 1383 anciens du code civil, du Réglement n°864/2007 du 11 juillet 2007 et du certificat de coutume, d'infirmer le jugement entrepris en ce qu'il a constaté que la loi française était applicable en l'espèce, et statuant à nouveau :
- dire et juger qu'au sens du droit de l'Union Européenne, le fondement de la responsabilité recherchée par les époux [J] est extra-contractuel
- dire et juger que le dommage est survenu en Espagne et que le droit espagnol est applicable au litige
- confirmer le jugement pour le surplus et en conséquence :
A titre principal :
- constater que la société Deutsche Bank Espana est soumise au secret bancaire prévu par le droit espagnol et à l'interdiction de communiquer toute information relative à la titularité ou aux opérations dommages et intérêts compte IBAN n° [XXXXXXXXXX010]
- en conséquence, dire et juger que la responsabilité de la Deutsche Bank Espana n'est pas engagée.
A titre subsidiaire :
- dire et juger que, tant au regard de l'imprudence et des fautes par négligences successives des époux [J] que des normes de comportement espagnoles en pareille matière, Deutsche Bank Espana est exonérée de toute responsabilité.
A titre infiniment subsidiaire :
- limiter la responsabilité de Deutsche Bank Espana à la somme de 50.000 euros.
En tout état de cause, condamner les époux [J] à lui payer la somme de 5.000 euros pour procédure abusive, outre celle de 4.500 euros au titre des frais irrépétibles de première instance, ainsi que celle de 3.000 euros au titre des frais irrépétibles d'appel, en application de l'article 700 du code de procédure civile.
MOTIFS
sur la responsabilité contractuelle de la société Le Crédit Lyonnais
Les appelants font grief au jugement entrepris d'avoir « mis hors de cause la banque LCL » sur le fondement de l'article L. 133-21 du code monétaire et financier alors que ces dispositions ne peuvent exonérer le banquier qui, manquant à son devoir de vigilance, exécute un ordre de virement affecté d'une anomalie apparente, ce qui est le cas en l'espèce puisque la banque LCL :
- était informée de l'objet des deux virements litigieux réalisés en vue de l'obtention d'un prêt de 160.000 euros sous condition de réaliser un apport de 90.000 euros ainsi qu'un versement de 70.000 euros en vue d'un placement sur un contrat d'assurance-vie ouvert dans une banque espagnole, ce qui ne pouvait qu'alerter leur banque sur l'incohérence de l'opération objet de ces virements
- ne pouvait ignorer que les fonds étaient virés sur deux comptes différents ouverts auprès de deux banques espagnoles et au profit d'une prétendue banque BCDC censée leur octroyer le prêt
- l'ensemble de ces éléments inhabituels en matière d'octroi de crédit faisaient fortement suspecter la réalisation prochaine d'une escroquerie que devait relever la banque LCL sans pouvoir se retrancher derrière le principe de non-immixtion du banquier dans la gestion des affaires de leurs clients.
Les appelants en déduisent qu'en procédant à l'exécution automatique et irréfléchie de leurs ordres de virement sans les alerter sur les anomalies apparentes de leur opération, la banque a manqué à son devoir de vigilance, facilitant ainsi la commission de l'escroquerie commise à leur détriment, de sorte qu'ils sont fondés à mettre en jeu la responsabilité contractuelle de leur banquier, sur le fondement de l'article 1147 ancien du code civil, alors applicable aux deux virements litigieux.
En droit, comme le rappelle exactement la banque LCL, la directive européenne 2007/64/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 novembre 2007 encadre les services de paiement dans le marché intérieur.
L'ordonnance 2009-866 du 15 juillet 2009 a transcrit les principes de cette directive sous les articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier.
L'article L. 133-21 du code monétaire et financier, dans sa version applicable à la date des deux virements litigieux, dispose que :
« un ordre de virement exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est réputé dûment exécuté pour ce qui concerne le bénéficiaire désigné par l'identifiant unique.
Si l'identifiant unique fourni par l'utilisateur du service de paiement est inexact, le prestataire de services de paiement n'est pas responsable de la mauvaise exécution de l'opération de paiement [...].
Si l'utilisateur de services de paiement fournit des informations en sus de l'identifiant unique ou des informations définies dans la convention de compte de dépôt ou dans le contrat-cadre de services de paiement comme nécessaires aux fins de l'exécution correcte de l'ordre de paiement, le prestataire de services de paiement n'est responsable que de l'exécution de l'opération de paiement conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de service de paiement. »
Par ailleurs, dans une décision du 21 mars 2019, la Cour de Justice de l'Union Européenne a dit pour droit que, si les articles 74, paragraphe 2, de la directive 2007/64 doivent être interprétés en ce sens que, lorsqu'un ordre de paiement est exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement, lequel ne correspond pas au nom du bénéficiaire indiqué par ce même utilisateur, la limitation de responsabilité du prestataire de services de paiement, prévue par cette disposition, s'applique tant au prestataire de services de paiement du payeur qu'au prestataire de services de paiement du bénéficiaire.
Et, la Cour de Cassation a jugé (Com 24 janvier 2018 n°16-22336) que depuis la directive n°2007/64/CE le banquier, lequel n'a pas à vérifier que l'identifiant fourni coïncide avec le numéro du compte du véritable bénéficiaire, est exonéré dès lors que l'identifiant fourni par le client est erroné.
En l'espèce, il convient, à titre liminaire, de constater, avec les intimées, que les circonstances de l'escroquerie dont les époux [J] disent avoir été victimes sont très confuses et dépourvues de toute documentation, les seules pièces susceptibles d'établir un lien matériel avec l'opération frauduleuse se résumant à la lettre du 28 juin 2016, paraissant émaner d'une sarl Solution Crédit domiciliée à [Localité 13], et au mail du 15 septembre 2016 au nom de BCDC Espana.
Il n'existe aucun trace d'un quelconque document ou acte, tel qu'une convention d'ouverture de compte, d'accès internet ... susceptible d'établir une relation contractuelle entre les époux [J] et l'une quelconque des deux banques espagnoles.
Les allégations concernant la consultation via internet d'un compte ouvert à leur nom dans les livres de la Targo Bank ne sont étayées par aucun élément.
Aucune précision n'a été fournie concernant les circonstances dans lesquelles ils ont obtenu les identifiants uniques (IBAN) des comptes ouverts dans les livres de Targo Bank et de Deutsche Bank Espana.
En l'état des débats, Targo Bank conteste l'existence d'un quelconque compte bancaire ouvert au nom des époux [J] dans ses livres et oppose le secret bancaire concernant le titulaire du compte identifié par l'IBAN fourni par ceux-ci pour le virement de la somme de 90.000 euros.
Cela posé, concernant le nouveau moyen, soulevé à hauteur d'appel, tiré de l'existence d'anomalies apparentes affectant les deux virements litigieux, après avoir soulevé, en première instance, le moyen tiré du défaut de vérification du numéro de compte destinataire des virements litigieux, force est de constater que les appelants n'ont produit aux débats aucun élément susceptible d'étayer leurs allégations tenant à la connaissance prétendue de la banque LCL de leur demande de financement auprès d'une banque espagnole en relation avec l'objet des deux virements.
Par conséquent, ce nouveau moyen manque en fait.
Et, si les ordres de virement ont été donnés en agence, sur support papier, mentionnant comme bénéficiaires et objets respectifs, le premier : « les époux [J] » - « apport », et le second : « BCDC » - n° client [XXXXXXXXXX09] Epargne » , sur la base des renseignements fournis par les époux [J], ces informations ne recelaient, en elles-mêmes, aucune anomalie susceptible d'obliger la banque à s'immiscer dans les affaires de ses clients au-delà de la seule obligation d'exécuter l'ordre de virement conformément à l'identifiant unique fourni par ceux-ci, conformément aux dispositions des articles L. 133-1 et suivants du code monétaire et financier.
Le virement de la somme de 50.000 euros sur le compte bancaire ouvert dans les livres de Deutsche Bank Espana et désigné par l'IBAN fourni par les époux [J] a été exécuté conformément à l'ordre de virement et, au surplus, sans discordance avec le nom du bénéficiaire déclaré « BCDC », les appelants opérant, dans leurs écritures, une confusion à ce sujet avec le compte bancaire Targo Bank.
Et, en exécutant l'ordre de virement de 90.000 euros sur le compte bancaire identifié par l'IBAN fourni par les époux [J], la banque LCL s'est libérée de son obligation de remettre les fonds entre les mains du prestataire de service de paiement du bénéficiaire, sans être tenue de répondre de la discordance entre le nom du bénéficiaire déclaré par les payeurs et le nom du titulaire du compte, conformément aux dispositions de l'article L. 133-21 du code monétaire et financier.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les époux [J] de leurs demandes contre la société LCL.
sur la loi applicable à l'action en responsabilité dirigée contre les deux banques espagnoles
Les deux banques espagnoles intimées font grief au jugement entrepris d'avoir dit que l'action en responsabilité dirigée à leur encontre était régie par la loi française alors que les règles de conflit de lois désignent la loi du pays où survient le dommage, soit en l'espèce, la loi espagnole dès lors que la disparition des fonds virés s'est réalisée en Espagne.
L'article 4.1 du Réglement n°864/2007 du 11 juillet 2007 dit Rome II sur la loi applicable aux obligations non contractuelles prévoit :
« 1.sauf dispositions contraires du présent règlement, la loi applicable à une obligation non contractuelle résultant d'un fait dommageable est celle du pays où le dommage survient, quel que soit le pays où le fait générateur du dommage se produit et quels que soient le ou les pays dans lesquels des conséquences indirectes de ce fait surviennent.
2.Toutefois, lorsque la personne dont la responsabilité est invoquée et la personne lésée ont leur résidence habituelle dans le même pays au moment de la survenance du dommage, la loi de ce pays s'applique.
3.S'il résulte de l'ensemble des circonstances que le fait dommageable présente des liens manifestement plus étroits avec un pays autre que celui visé au paragraphe 1 ou 2, la loi de cet autre pays s'applique. Un lien manifestement plus étroit avec un autre pays pourrait se fonder, notamment, sur une relation pré-existante entre les parties, telle qu'un contrat, présentant un lien étroit avec le fait dommageable en question. »
Il est exact que le premier juge ne pouvait légalement désigner la loi française en retenant que les époux [J] et la banque LCL étaient domiciliés en France, alors qu'il n'existe aucun élément d'extranéité entre ces deux parties, et que les interventions forcées des deux banques espagnoles devaient être jugées selon la loi française, par accessoire à l'instance principale, alors que chaque action obéit à ses propres règles de procédure et de fond.
Cependant, en l'espèce, les époux [J] font grief aux banques espagnoles d'avoir facilité la réalisation de l'escroquerie réalisée à leur détriment, en manquant elles-mêmes à leurs obligations de vigilance et de contrôle des opérations bancaires.
Dans ces conditions, si le fait générateur de la responsabilité des banques se situe en Espagne, le dommage subi par les époux [J] s'est matérialisé dès l'exécution des ordres de virement réalisée en France par lesquels ils se sont dessaisis, à la suite de man'uvres frauduleuses, de leurs deniers au profit des auteurs de l'escroquerie alléguée, peu important le transit des fonds via des comptes bancaires espagnols.
Par ces motifs, le jugement sera confirmé en ce qu'il a dit que la loi française était applicable à l'action en responsabilité dirigée contre les deux banques espagnoles.
Les actions en responsabilité extra-contractuelles dirigées contre les deux banques espagnoles sont donc soumises aux dispositions des articles 1382 et 1383 anciens, devenus 1240 et 1241 du code civil français.
Et, l'appréciation de la faute des banques espagnoles doit être examinée à la lumière des règles de sécurité et de comportement du droit espagnol en vigueur à la date du fait dommageable, conformément au considérant 36 et à l'article 17 du Règlement (CE) n° 864/2007.
sur la responsabilité de la société Targo Bank
La fin de non-recevoir tirée de la prescription annale de l'action en responsabilité extra-contractuelle fondée sur l'article 1968-2 du code civil espagnol est donc sans objet.
Les appelants font grief au jugement entrepris d'avoir rejeté leur demande en retenant qu'ils avaient fourni à un certain [M] les documents nécessaires à l'ouverture d'un compte courant alors que :
- ce fait est inexact et il incombe à la Targo Bank d'expliquer comment le compte a été ouvert sans ces documents
- si aucun document n'a été communiqué à la Targo Bank, celle-ci a ouvert un compte sans respecter les règles applicables en matière d'ouverture de compte
- si des documents ont été communiqués mais concernaient [M], la Targo Bank a commis une faute en ne s'assurant pas de la correspondance entre l'identité des titulaires du compte et celle issue des documents fournis pour ouvrir le compte
- si le compte n'a jamais été ouvert au nom des époux [J], la Targo Bank a commis une faute en affectant les fonds au compte d'un client sans procéder à une vérification du nom du bénéficiaire qui était mentionné dans l'ordre de virement.
Mais, d'une part, il résulte de la décision de la Cour de Justice de l'Union Européenne du 21 mars 2019 précitée, dont les effets juridiques sont applicables en Espagne, que lorsqu'un ordre de paiement est exécuté conformément à l'identifiant unique fourni par l'utilisateur de services de paiement, lequel ne correspond pas au nom du bénéficiaire indiqué par ce même utilisateur, la limitation de responsabilité du prestataire de services de paiement, prévue par cette disposition, s'applique tant au prestataire de services de paiement du payeur qu'au prestataire de services de paiement du bénéficiaire.
Et, il résulte encore du certificat de coutume du droit espagnol, que, par application de l'article 5 du Réglement UE 260/2012 en matière de réception d'un virement SEPA transfrontalier, et de l'article 59.1 de la loi espagnole sur les services de paiement, que lorsqu'un ordre de paiement est exécuté conformément au seul identifiant unique, il est considéré correctement effectué par rapport au bénéficiaire spécifié sur ledit identifiant.
Par conséquent, il ne peut être reproché à la Targo Bank, prestataire de service de paiement du bénéficiaire, de ne pas avoir contrôlé le nom du bénéficiaire du virement réalisé sur le compte bancaire désigné par l'identifiant unique (IBAN) fourni par les époux [J].
D'autre part, les époux [J] ne produisent aucun élément susceptible d'établir l'existence d'une quelconque convention d'ouverture de compte courant à leur nom opposable à la Targo Bank, ni même aucun élément susceptible de caractériser une éventuelle faute de celle-ci à l'occasion de l'ouverture du compte courant au nom d'un tiers et sur lequel les fonds ont été virés.
A cet égard, la Targo Bank est fondée, en l'état des débats, à opposer le secret bancaire garanti par la loi espagnole qui prévoit les cas de levée de celui-ci, notamment sur réquisition d'un juge pénal.
Le jugement sera donc confirmé en ce qu'il a débouté les époux [J] de leurs demandes dirigées contre la société Targo Bank.
sur la responsabilité de la Deutsche Bank Espana
Les appelants font grief au jugement entrepris d'avoir rejeté leur demande alors que, au-delà de l'exécution du virement litigieux, cette banque a failli à ses obligations professionnelles de vigilance et de prudence aux motifs que :
- il semble que l'identité réelle de la BCDC ait été usurpée par l'escroc qui a ouvert le compte au nom de la fausse BCDC
- on se demande comment ledit escroc est parvenu à ouvrir un compte dans les livres de la Deutsche Bank Espana puisque des documents justifiant de l'identité sont pour ce faire nécessaire
- dans tous les cas, le compte a été ouvert frauduleusement, ce qui implique nécessairement une faute du banquier qui a manqué de diligence à l'occasion de l'ouverture de ce compte
- le fait qu'une banque ouvre un compte dans une autre banque est naturellement de nature à attirer l'attention du banquier qui a procédé à l'ouverture du compte ; or, la Deutsche Bank Espana ne s'est posée aucune question, ni à l'ouverture du compte suspect, ni lors de l'encaissement du virement de 50.000 euros.
Mais, outre l'exonération de toute responsabilité du fait de l'exécution de l'ordre de virement conformément à l'identifiant unique fourni par les époux [J], les appelants n'ont produit aucun élément de nature à établir leurs allégations tenant aux fautes imputées à la Deutsche Bank Espana lors de l'ouverture du compte courant, dont, au demeurant, rien n'indique qu'il aurait été ouvert au nom d'une banque, ce qui aurait été absurde, mais au nom d'une société BCDC.
Et, la Deutsche Bank Espana est effectivement fondée, en l'état des débats, à opposer le secret bancaire garanti par la loi espagnole.
La cour constate que, en l'état des éléments lacunaires et obscurs produits par les appelants, il n'existe aucun fait établi susceptible de caractériser à l'encontre des deux banques espagnoles un quelconque manquement aux règles générales de prudence et de diligence qui leur incombaient à l'occasion de l'ouverture des comptes bancaires sur lesquels les fonds ont été virés et de l'exécution de la prestation du service de paiement par virement SEPA.
Le jugement sera encore confirmé en ce qu'il a débouté les époux [J] de leurs demandes contre la Deutsche Bank Espana.
La Deutsche Bank Espana sera déboutée de sa demande de dommages et intérêts pour procédure abusive, l'abus du droit d'agir en justice n'étant pas caractérisé.
sur les frais de justice
Le jugement sera confirmé en ce qu'il a condamné les époux [J] aux dépens de première instance mais infirmé sur les frais irrépétibles, les parties étant déboutées de leurs demandes de ce chef.
Les époux [J] seront condamnés in solidum aux dépens d'appel et à payer une somme de 1.000 euros à chacun des intimés sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile au titre des frais irrépétibles d'appel.
PAR CES MOTIFS
la cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement par mise à disposition au greffe, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a dit que l'action en responsabilité dirigée contre les deux banques espagnoles était soumise à la loi française, débouté les époux [J] de l'ensemble de leurs demandes formées contre la société Le Crédit Lyonnais, la société Targo Bank et la société Deutsche Bank Espana et condamné les époux [J] aux dépens,
INFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a condamné les époux [J] au paiement des frais irrépétibles de première instance,
et, statuant à nouveau de ce chef,
DEBOUTE les parties de leurs demandes fondées sur l'article 700 du code de procédure civile en première instance,
y ajoutant,
CONDAMNE les époux [J] aux dépens d'appel,
CONDAMNE in solidum les époux [J] aux dépens d'appel,
CONDAMNE in solidum les époux [J] à payer à chacune des trois parties intimées une somme de 1.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
AUTORISE Me Martine de Brisis, avocat, à procéder au recouvrement direct des dépens d'appel, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
La Greffière La Présidente