AC/SB
Numéro 23/1519
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 04/05/2023
Dossier : N° RG 21/01064 - N° Portalis DBVV-V-B7F-H2NF
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE
C/
[T] [L]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 04 Mai 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 12 Janvier 2023, devant :
Madame CAUTRES, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
Madame CAUTRES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU,Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
S.A.S. DISTRIBUTION CASINO FRANCE Prise en la personne de son représentant légal
[Adresse 1]
[Localité 3]
Représentée par Maître MARTY-DAVIES, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIME :
Monsieur [T] [L]
[Adresse 7]
[Localité 2]
Représenté par Maître MARCO de la SELARL SAGARDOYTHO-MARCO, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 09 MARS 2021
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TARBES
RG numéro : F20/00025
EXPOSÉ DU LITIGE
Après plusieurs contrats à durée déterminée, M. [T] [L] a été embauché le 12 avril 1999 par la société Distribution casino France en qualité d'ouvrier professionnel, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du commerce de gros et de détail à prédominance alimentaire.
En dernier lieu, il a occupé le poste d'ouvrier professionnel, niveau 3, au sein du rayon boulangerie.
Le 12 avril 2016 et le 28 août 2017, il a fait l'objet de rappels à l'ordre écrits.
Le 16 octobre 2019, une altercation a eu lieu entre M. [T] [L] et un autre salarié, lequel est le fils de la directrice du magasin.
Le 18 octobre 2019, M. [T] [L] a été mis à pied à titre conservatoire.
Il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 29 octobre 2019.
Le 4 novembre 2019, il a été licencié pour faute grave.
Le 14 février 2020, il a saisi la juridiction prud'homale.
Par jugement du 9 mars 2021, le conseil de prud'hommes de Tarbes a notamment':
- condamné la société Distribution casino France à payer à M. [T] [L] 1 086,31 € de rappel de salaire au titre du paiement de la mise à pied conservatoire,
- condamné la société Distribution casino France à payer à M. [T] [L] 4 345,26 € au titre du paiement préavis,
- condamné la société Distribution casino France à payer à M. [T] [L] 434,52 € au titre du paiement des congés payés sur préavis,
- condamné la société Distribution casino France à payer à M. [T] [L] 11 949,47 € au titre de l'indemnité de licenciement,
- condamné la société Distribution casino France à payer à M. [T] [L] 20 000 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif,
- condamné la société Distribution casino France à payer à M. [T] [L] la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- débouté M. [T] [L] du restant de ses demandes,
- condamné le défendeur aux dépens.
Le 29 mars 2021, la société Distribution casino France a interjeté appel de ce jugement.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 3 novembre 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Distribution casino France demande à la cour de :
- réformer le jugement entrepris en ce qu'il':
* l'a condamnée à payer à M. [T] [L]':
o 1 086,31 € de rappel de salaire au titre du paiement de la mise à pied conservatoire,
o 4 345,26 € au titre du paiement préavis,
o 434,52 € au titre des congés payés sur préavis,
o 11 949,47 € au titre de l'indemnité de licenciement,
o 20 000 € au titre des dommages et intérêts pour licenciement abusif,
o 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
* l'a condamnée aux dépens,
- et, statuant à nouveau,
- débouter la partie adverse de toutes ses demandes,
- dire et juger que la mise à pied conservatoire est justifiée,
- dire et juger que le licenciement de M. [T] [L] repose sur une faute grave,
- subsidiairement, si par extraordinaire la cour considérait la mise à pied conservatoire et/ou le licenciement pour faute grave comme infondés,
- ramener à de plus justes proportions le montant de l'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, et la fixer au maximum à la somme de 6 517,89 €, soit 3 mois de salaire,
- en tout état de cause :
- condamner M. [T] [L] à lui verser la somme de 3000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, outre les entiers dépens de l'instance.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 26 août 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [T] [L] demande à la cour de':
- en la forme,
- statuer ce que de droit sur la recevabilité de l'appel interjeté par la société Distribution casino France,
- dire et juger recevable son appel incident,
- au fond,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a jugé la mise à pied conservatoire injustifiée, et qualifié de sans cause réelle et sérieuse le licenciement du salarié pour faute grave prononcé le 4 novembre 2019,
- l'infirmer pour le surplus,
- statuant de nouveau,
- condamner la société Distribution casino France à lui verser les indemnités suivantes :
* rappels de salaire sur mise à pied à titre conservatoire : 1'480,60 €,
* indemnité compensatrice de préavis : 5'099,88 €,
* indemnité légale de licenciement : 15'518,52 €,
* indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : 38'248,98 €,
* article 700 du code de procédure civile : 4 800 €,
- dire et juger qu'il y a lieu à application la plus large des dispositions de l'article L. 1235-4 du code du travail,
- dire que les condamnations porteront intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes et faire application de l'article 1343-2 du code civil autorisant la capitalisation des intérêts,
- débouter la société Distribution casino France de toutes demandes contraires,
- condamner la société Distribution casino France aux entiers dépens de première instance et d'appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 décembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le licenciement
Attendu que par courrier du 4 novembre 2019, qui fixe les limites du litige, le salarié a été licencié pour faute grave';
Qu'en application de l'article 1235-1 du code du travail, tout licenciement doit être fondé sur une cause réelle, donc établie, objective, exacte et sérieuse, le juge formant sa conviction au vu des éléments soumis par les parties et s'il subsiste un doute, il profite au salarié';
Attendu que par ailleurs, le salarié ayant été licencié pour faute grave, il appartient à l'employeur d'établir que la faute commise par le salarié dans l'exécution de son contrat de travail est d'une gravité telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant le préavis';
Attendu qu'au cas d'espèce, il ressort de la lettre de licenciement que ce dernier est motivé par un grief': des violences commises sur un autre salarié';
Attendu que l'employeur produit au dossier les éléments suivants':
un certificat médical du centre hospitalier de [Localité 4] concernant Monsieur [U] [Z] en date du 16 octobre 2019 à 13h40 qui fait état d'un traumatisme crânien sans perte de connaissance, sans lésion osseuse traumatique, une déviation navale avec douleurs à la palpation des os propres du nez';
certificat médical d'accident du travail de Monsieur [U] [Z] en date du 16 octobre 2019 avec arrêt de travail fracture des os propres du nez';
la déclaration d'accident du travail de Monsieur [U] [Z] faisant état d'une agression physique par un collègue de travail en date du 17 octobre 2019 ;
une attestation de Madame [H] [P] qui indique « dans le cadre d'une mise en avant sur la journée mondiale du pain j'ai appelé le responsable boulangerie sur son poste. Celui-ci a décroché mais ne m'a pas parlé'; ce que j'ai entendu au bout du fil est une dispute entre lui et son apprenti. Les termes étaient les suivants « tu écoutes ce que je te dis, ne réponds pas'» «'ta gueule'». Le ton était très virulent et agressif'»';
le procès-verbal d'audition de Monsieur [U] [Z] devant les services de police qui fait état que Monsieur [L] lui a donné un coup de tête au-dessus du nez et l'a bousculé';
une attestation de Monsieur [B] [O] qui indique «'[T] m'avait fait une remarque concernant mon travail pendant que je mettais du pain au four. Il m'a dit « quand je te parle tu ne réagis pas, il faut que je fasse quoi pour que tu réagisses, il faut que je t'insulte'». J'ai été voir la directrice pour signaler les propos de [T] et d'autres petites choses. Suite à ceci la directrice a informé [T] de ceci. [T] m'a isolé en réserve sans témoin et il m'a dit « je suis sanguin, je ne veux plus que tu ailles voir la directrice pour ce genre de choses et la prochaine fois ça ne se passera pas comme ça, je passe pour quoi ' Je n'ai pas peur de prendre un carton rouge ». Il aurait préféré que ça reste entre nous et que personne ne le sache... pour nous parler il a tendance à nous isoler'il s'en prend toujours à quelqu'un de nous trois, [I], [U] ou moi»';
le règlement intérieur de Casino France qui prévoit en son article 3.12 que le personnel est tenu d'observer dans ses rapports à l'intérieur de l'établissement des règles de politesse, de moralité de convenance';
une attestation de Madame [M] [J] qui fait état que Monsieur [U] [Z] a été impliqué dans son travail dans sa formation d'apprenti boulanger et qu'il a obtenu son CAP d'ouvrier boulanger. Elle fait état qu'il a été ensuite embauché en tant qu'ouvrier boulanger en contrat à durée indéterminée au géant Casino de [Localité 5]. Cette attestation est confirmée par le relevé de notes du CAP de cet apprenti, ayant obtenu 13 à la moyenne des épreuves professionnelles et par le contrat à durée indéterminée en date du 25 septembre 2020 d'[U] [Z]';
une déclaration de main courante en date du 19 janvier 2021 de Monsieur [R] [F] qui indique « je me présente à vos services pour signaler les faits suivants': Monsieur [B] [C], un employé de la boulangerie de Géant a rendu compte à la directrice avoir été menacé par Monsieur [L], un ancien employé de la boulangerie licencié pour faute grave. Ils se sont croisés dans le magasin Brico Leclerc et Monsieur [L] a déclaré « je vais choper un par un tous ceux qui ont fait une attestation contre moi'»';
Attendu que de son côté Monsieur [L] produit les éléments suivants':
une attestation de Monsieur [I] [X] en date du 17 octobre 2019 qui indique « après nous avoir fait une réflexion sur le bio, nous sommes repartis travailler, [T] nous a rappelé car [U] aurait fait un signe du genre je m'en fou. [T] a dit « la prochaine fois que tu te fou de moi alors que tu es en tort je t'en mets une ». À la suite de ça [U] répondait. C'est de là où s'est produit le conflit pendant que je sortais le pain. J'ai vu un tête contre tête ensuite [T] a dit à [U] de partir »';
une deuxième attestation du même salarié en date du 20 octobre 2019 qui indique «'je soussigné [I] [X] déclare les faits suivants sur la journée du 16 octobre 2019. [T] nous a fait une réunion pour faire une réflexion sur le bio. Nous sommes repartis au travail, [T] nous a rappelé suite au geste d'[U] montrant qu'il s'en foutait. [T] a dit à [U] « la prochaine fois que tu te fous de moi alors que tu es en tort je t'en mets une'». Ils se sont disputés verbalement, je suis allé sortir le pain et à mon retour, en aucun cas je n'ai vu [T] mettre un coup de tête à [U]. [T] a demandé à [U] de partir du rayon. Lorsqu'il est sorti je n'ai vu aucune marque sur son visage'»';
un procès-verbal d'audition de Monsieur [I] [X] par les services de police en date du 17 janvier 2020 qui indique «'[T] a demandé à [U] d'arrêter de se foutre de lui mais [U] restait sans bouger les bras dans le dos en disant «'t'inquiète pas'» à plusieurs reprises. À ce moment-là le four à sonner je me suis dirigé vers celui-ci. 3 m plus loin, je me suis retourné et j'ai vu [T] et [U] tête contre tête qui se poussait. Je n'ai pas vu si un coup de tête avais été donné que ce soit dans un sens ou dans l'autre. Aucun des deux ne semblaient avoir été blessé'»';
une main courante en date du 8 novembre 2019 de Monsieur [L] qui indique avoir été l'objet de diffamation';
Un procès-verbal d'audition de Monsieur [L] en date du 8 février 2020 de la gendarmerie de [Localité 6] Dans cette déclaration il rappelle les faits du 16 octobre 2019 aux alentours de sept heures du matin en indiquant que s'il s'est retrouvé tête contre tête avec Monsieur [Z] aucun coup n'a été porté à celui-ci ';
un avis de classement sans suite de la plainte déposée';
Attendu qu'il n'est pas contestable que le 16 octobre 2019 vers sept heures du matin une altercation a eu lieu entre Monsieur [L] et M. [Z] avec la certitude, au vu des déclarations du témoin M. [X], de menaces de coups de la part de Monsieur [L]';
Attendu qu'il n'est pas non plus contestable que les deux protagonistes se sont retrouvés tête contre tête selon le même témoin';
Attendu que les constatations de traumatisme crânien et fracture des os propres du nez ont eu lieu à 13h40 ce même 16 octobre 2019, soit seulement quelque heure après l'altercation';
Attendu que si le témoin n'a constaté aucune marque sur le visage de Monsieur [Z], celles-ci ont pu apparaître plus tard';
Attendu que la cour, au vu de ces éléments, n'a aucun doute sur la réalité d'un coup de tête porté par Monsieur [L] à l'encontre de son apprenti';
Attendu que c'est la seule nonchalance initiale de l'apprenti qui a provoqué l'énervement du salarié alors qu'il était responsable de la formation pratique de celui-ci dans l'entreprise'et se devait de garder son calme en toutes circonstances ;
Que ce comportement constitue un manquement aux obligations élémentaires de respect d'un salarié dans le cadre de l'exécution du contrat de travail et caractérise une cause réelle et sérieuse du licenciement de Monsieur [L]';
Attendu que l'inadaptation relative du comportement de l'employeur face à ces faits relevée par le conseil des prud'hommes dans son jugement ne permet nullement de mettre en doute la réalité du comportement de Monsieur [L]';
Attendu que ces faits, ayant eu des conséquences physiques sur un autre salarié au surplus apprenti dans l'établissement, sont suffisamment graves pour empêcher la poursuite du contrat de travail pendant le préavis';
Attendu que le contenu de l'ensemble de ces éléments le licenciement pour faute grave de Monsieur [L] est justifié et celui-ci sera débouté des demandes formulées de ce chef';
Que le jugement déféré sera donc infirmé sur le licenciement et ses conséquences';
Sur les demandes accessoires
Attendu que Monsieur [L] qui succombe devra supporter les entiers dépens de première instance et d'appel';
Qu'il apparaît équitable en l'espèce de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles non compris dans les dépens';
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement contradictoirement et en dernier ressort
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes en date du 9 mars 2021';
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que le licenciement de M. [T] [L] repose bien sur une faute grave';
DEBOUTE M. [T] [L] de l'ensemble de ses demandes';
CONDAMNE M. [T] [L] aux entiers dépens et dit n'y avoir lieu à condamnation sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,