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16/03/2023 | FRANCE | N°21/00553

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 16 mars 2023, 21/00553


TP/SB



Numéro 23/1014





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 16/03/2023







Dossier : N° RG 21/00553 - N° Portalis DBVV-V-B7F-HY7V





Nature affaire :



Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail









Affaire :



S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES



C/



[W] [T]









Grosse délivrée le

à :





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 16 Mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de ...

TP/SB

Numéro 23/1014

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 16/03/2023

Dossier : N° RG 21/00553 - N° Portalis DBVV-V-B7F-HY7V

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES

C/

[W] [T]

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 16 Mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 16 Janvier 2023, devant :

Madame PACTEAU, magistrat chargé du rapport,

assistée de Madame LAUBIE, greffière.

Madame PACTEAU, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame CAUTRES, Présidente

Madame SORONDO, Conseiller

Madame PACTEAU,Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.S. CARREFOUR HYPERMARCHES

[Adresse 1]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Maître DUSSERT, avocat au barreau de TARBES et Maître DUPUY JAUVERT, avocat au barreau de TOULOUSE

INTIMEE :

Madame [W] [T]

née le 09 Avril 1983 à [Localité 5] (95)

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/2528 du 28/05/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)

Représentée par Maître GARRETA de la SCP GARRETA ET ASSOCIES, avocat au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 23 DECEMBRE 2020

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : 19/00227

EXPOSÉ DU LITIGE

Mme [W] [T] a été embauchée le 15 mai 2007 par la société Carrefour hypermarchés en qualité d'équipière de vente, statut employé-ouvrier, niveau I A, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire.

Le 20 octobre 2011, elle a été promue animatrice de vente, niveau IV A.

À compter du mois de septembre 2017, la société Carrefour hypermarchés a accepté de ne faire travailler Mme [W] [T] qu'en journée et non le soir, les parties étant en désaccord sur le caractère temporaire ou définitif de cette organisation.

Le 22 janvier 2018, la société Carrefour hypermarchés a indiqué à Mme [W] [T] qu'elle mettait fin à cette organisation du temps de travail.

Du 23 janvier au 5 mars 2018, Mme [W] [T] a été placée en arrêt de travail.

Le 27 janvier 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 8 février suivant.

Le 14 février 2018, elle a fait l'objet d'un avertissement qu'elle a contesté par courrier recommandé adressé à son employeur.

Le 17 mars 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 14 mai suivant.

Le 3 avril 2018, elle a fait l'objet d'une mise à pied d'un jour.

Les 20 et 28 avril 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 3 mai suivant et repoussé au 14 mai.

Le 24 mai 2018, elle a fait l'objet d'une mise à pied de trois jours qu'elle a contestée.

Le 18 juillet 2018, Mme [W] [T] a formulé une demande de rappel de salaire au motif que la société Carrefour hypermarchés a unilatéralement réduit sa durée de travail..

Le 25 juillet 2018, elle a été convoquée à un entretien préalable fixé le 7 août suivant et mise à pied à titre conservatoire.

Le 13 août 2018, Mme [T] a été licenciée pour faute grave.

Le 1er août 2019, elle a saisi la juridiction prud'homale d'une contestation des sanctions disciplinaires dont elle a fait l'objet ainsi que de son licenciement.

Par jugement du 23 décembre 2020, le conseil de prud'hommes de Pau a notamment':

- annulé les sanctions disciplinaires et les mises à pied notifiées à Mme [W] [T],

- condamné la société Carrefour hypermarchés à payer à Mme [W] [T] :

* 3 320,95 € à titre de rappel de salaire sur mise à pied conservatoire,

* 3 000 € à titre de dommages et intérêts pour préjudice moral sur sanctions disciplinaires,

- dit que le licenciement de Mme [W] [T] ne repose pas sur une faute grave et qu'il est sans cause réelle et sérieuse,

- en conséquence, condamné la société Carrefour hypermarchés à verser à Mme [W] [T] les sommes suivantes :

* 3 579 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 357,20 € bruts au titre des congés payés afférents,

* 4 467,50 € net à titre d'indemnité légale de licenciement,

* 17 870 € au titre de l'article L. 1235-3 du code du travail,

* 2 000 € à titre de dommages et intérêts pour exécution déloyale du contrat de travail,

- fixé la rémunération mensuelle brute de Mme [W] [T] à la somme de 1 787 € brut,

- ordonné l'exécution provisoire de la décision à intervenir sur le fondement de l'article 515 du code de procédure civile,

- ordonné le paiement aux organismes intéressés du remboursement des indemnités chômage versées à Mme [W] [T] dans la limite d'un mois d'indemnité sur justification des versements faits,

- condamné la société Carrefour hypermarchés à verser à Mme [W] [T] la somme de 3 000 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,

- débouté les parties du surplus de leurs demandes,

- condamné la société Carrefour hypermarchés aux entiers dépens de l'instance.

Le 23 février 2021, la société Carrefour hypermarchés a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 3 mars 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Carrefour hypermarchés demande à la cour de :

- infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions,

- et, statuant à nouveau,

- à titre principal :

- débouter Mme [W] [T] de l'ensemble de ses demandes,

- à titre subsidiaire':

- réduire les dommages et intérêts alloués à la salariée en tenant compte de l'indemnité conventionnelle de licenciement conformément aux dispositions de l'article L. 1235-3 du code du travail qui devra venir en déduction des dommages et intérêts alloués à Mme [W] [T],

- condamner Mme [W] [T] à lui payer la somme de 2'000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

- condamner Mme [W] [T] aux entiers dépens.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 26 octobre 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [W] [T] demande à la cour de':

- confirmer le jugement dont appel et en conséquence et faisant droit à l'appel incident de la concluante sur le montant des dommages-intérêts :

- annuler et donc confirmer le jugement dont appel pour les raisons précédemment énoncées les sanctions disciplinaires d'avertissement et de mises à pied disciplinaire notifiées à la concluante le 14 février 2018, 3 avril 2018, et 24 mai 2018,

- dire et juger que la société Carrefour hypermarchés, devra procéder au paiement des salaires ayant fait l'objet des retenues dans le cadre desdites sanctions,

- condamner la société Carrefour hypermarchés à payer à la concluante la somme suivante au titre des rappels de salaires': 3 320,95 €,

- sur le montant des dommages intérêts :

- condamner la société Carrefour hypermarchés à payer à la concluante une somme de 5 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation du préjudice moral subi du chef de ces sanctions injustifiées et abusives,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a dit et jugé pour les raisons précédemment énoncées que le licenciement dont a fait l'objet la concluante le 13 août 2018 procède d'un abus de droit de la part de l'employeur,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Carrefour hypermarchés à réparer les conséquences dommageables et notamment à lui payer la somme de 23'646'€ à titre de dommages-intérêts,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Carrefour hypermarchés au paiement du préavis et à lui payer en conséquence de ce chef une somme d'un montant de 4'504'€,

- condamner par suite la société Carrefour hypermarchés à lui payer la somme de 450,40 € au titre des congés payés sur préavis,

- confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a condamné la société Carrefour hypermarchés au paiement de l'indemnité légale de licenciement et à lui payer en conséquence de ce chef une somme d'un montant de 7 600 €,

- dire et juger et donc confirmer le jugement dont appel en ce qu'il a jugé que la société Carrefour hypermarchés s'est rendue auteur de différents manquements caractérisant l'exécution déloyale du contrat de travail et condamner en conséquence ladite société à lui payer en réparation du préjudice résultant de ses manquements au une somme d'un montant de 6 756 €,

- condamner la société Carrefour hypermarchés, employeur, à lui verser une indemnité d'un montant de 5 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile outre aux entiers dépens.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 décembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Il doit être au préalable relever que Mme [T] sollicite, aux termes de son dispositif, la confirmation de la décision du conseil de prud'hommes tout en sollicitant des montants supérieurs à ceux accordés en première instance.

Sa demande de confirmation commande de retenir, comme quantum des sommes sollicitées, les montants accordés par le premier juge.

Sur le fond, les sanctions disciplinaires prononcées à l'encontre de Mme [T] reposent sur un seul et même motif': son irrespect des plannings de travail réalisés par son supérieur hiérarchique.

Son licenciement pour faute grave a été motivé par l'insubordination reprochée par son employeur pour ne pas avoir respecté les horaires fixés par son supérieur hiérarchique ainsi que des retards dans son travail et un désinvestissement dans ses fonctions.

Les difficultés opposant Mme [T] et la société Carrefour et ayant conduit à la rupture du contrat de travail à l'initiative de l'employeur ont pour origine un différend sur la répartition des horaires de travail de la salariée.

Il importe de rappeler les dispositions de l'article L.3123-12 du code du travail selon lesquelles lorsque l'employeur demande au salarié de modifier la répartition de sa durée de travail, alors que le contrat de travail n'a pas prévu les cas et la nature de telles modifications, le refus du salarié d'accepter cette modification ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement.

Lorsque l'employeur demande au salarié de modifier la répartition de sa durée du travail dans un des cas et selon des modalités préalablement définis dans le contrat de travail, le refus du salarié d'accepter cette modification ne constitue ni une faute ni un motif de licenciement dès lors que cette modification n'est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses, avec le suivi d'un enseignement scolaire ou supérieur, avec l'accomplissement d'une période d'activité fixée par un autre employeur ou avec une activité professionnelle non salariée. Il en va de même en cas de modification des horaires de travail au sein de chaque journée travaillée qui figurent dans le document écrit communiqué au salarié en application du 3° de l'article L.3123-6.

Ainsi, sauf atteinte excessive au droit du salarié au respect de sa vie personnelle et familiale ou à son droit au repos, l'instauration d'une nouvelle répartition du travail sur la journée relève du pouvoir de direction de l'employeur.

Le changement d'horaire consistant dans une nouvelle répartition de l'horaire au cours de la journée, alors que la durée du travail et la rémunération restent identiques, constitue un simple changement des conditions de travail, relevant du pouvoir de direction du chef d'entreprise, et non une modification du contrat de travail.

Il est constant que le refus d'accepter un changement d'horaire peut être légitime, même si ce changement est prévu au contrat, lorsque le changement n'est pas compatible avec des obligations familiales impérieuses. Cela suppose de démontrer l'existence d'une incompatibilité entre le changement litigieux des conditions de travail et les obligations familiales excipées par le salarié.

En l'espèce, le contrat de travail de Mme [T] signé le 15 mai 2007 stipulait': «'votre base horaire hebdomadaire est de 35 heures de travail effectif. Cette durée hebdomadaire peut varier dans le cadre des dispositions relatives à la modulation du temps de travail, telle que définie dans l'accord d'entreprise Carrefour'».

Ce contrat et son avenant du 20 octobre 2011 portant reclassification de la salariée ne fixaient pas la répartition des horaires de travail de Mme [T] sur la semaine.

L'examen des plannings versés aux débats depuis 2015 montre que les salariés du service intégré par Mme [T] travaillaient selon une alternance des plages horaires suivantes':

de 6h à 13h30,

de 13h30 à 21h,

en journée de 8h30 à 16h ou de 9h à 16h30 ou de 10h à 17h30.

Mme [T] a intégré le planning à partir du mois de septembre 2015.

A compter du 27 octobre 2015 et pendant 6 semaines consécutives, elle a travaillé exclusivement en journée selon les horaires 8h30-16h.

Les parties s'accordent pour dire que cette organisation a été décidée d'un commun accord entre Mme [T] et son supérieur hiérarchique M. [D], pour des raisons personnelles à la salariée.

A compter du mois de décembre 2015, une alternance s'est installée dans le planning de Mme [T], à savoir une semaine sur deux en horaires de journée de 8h30 à 16h et l'autre semaine en horaires principalement de matin. Elle travaillait ponctuellement en horaires d'après-midi et soirée. Cette organisation était calée sur son rythme personnel puisque, séparée de son mari, elle avait la charge de ses enfants une semaine sur deux, à savoir les semaines durant lesquelles elle travaillait en horaires de journée.

Cette organisation s'est poursuivie jusqu'en septembre 2017, lorsque Mme [T] a sollicité, pour des raisons familiales, de travailler uniquement en journée, ce qui lui a été accordé.

En décembre 2017, l'une des collègues de Mme [T], Mme [C], a demandé un aménagement de ses horaires de travail pour ne travailler qu'en journée, en raison d'un changement dans sa vie personnelle et familiale.

Il résulte des attestations de Messieurs [D] et [R] mais également des échanges de courrier entre Mme [T] et la société Carrefour qu'il lui donc été demandé, afin de faire droit également à la requête de Mme [C], de reprendre ses anciens horaires, à savoir travailler en horaire de journée une semaine sur deux et l'autre semaine en horaires de matin et ponctuellement en horaires de soirée, en alternance avec sa collègue.

A la lecture des pièces du dossier, il apparaît que Mme [T] a refusé l'aménagement proposé en alternance avec Mme [C], en arguant du fait qu'elle avait, seule, la charge de ses deux jeunes enfants compte tenu de la pathologie lourde dont souffrait leur père et qu'elle était sans relais amical ou familial à proximité permettant de la seconder auprès de ses enfants, à moindre frais.

A partir du 8 janvier 2018 puis à son retour d'arrêt maladie en mars 2018, Mme [T] a continué de venir travailler mais selon un rythme d'horaires de journée, ce qui a donné lieu à des arrivées tardives le matin par rapport aux horaires fixés sur les plannings et a conduit aux sanctions disciplinaires.

La société Carrefour affirme que l'accord relatif à l'aménagement des horaires de Mme [T] en journée seulement n'était que temporaire et produit les attestations en ce sens des supérieurs hiérarchiques de l'intimée, dont il convient de relever qu'elles sont rédigées dans des termes très similaires.

S'il n'existe pas, en effet, pour un salarié, de droit acquis à l'adaptation de son contrat de travail à ses impératifs familiaux, il résulte de cette chronologie que la société Carrefour, consciente des impératifs familiaux de Mme [T], dont elle avait ainsi eu connaissance dès le départ, a accepté de modifier à plusieurs reprises la répartition des horaires de travail de sa salariée pour lui permettre d'assumer ses obligations professionnelles malgré ses contraintes familiales et personnelles.

Il importe en effet de rappeler que Mme [T] est mère de deux enfants alors âgés de 4 ans et 10 ans, pour être nés en avril 2013 et janvier 2007, qu'elle est séparée de son mari depuis l'été 2015, que ce dernier souffre d'une lourde pathologie l'empêchant d'avoir ses enfants au quotidien et qu'elle n'a aucun relais familial à proximité.

Bien que non consacrés par des écrits, ces changements actés dans les plannings réalisés par l'employeur ont ainsi été contractualisés.

La société Carrefour avait accepté que Mme [T] travaille en journée à compter de septembre 2017 en raison de la pathologie du père de ses enfants l'obligeant à assumer seule leurs deux jeunes enfants, situation qui n'avait pas de terme fixé et qui était donc vouée à perdurer.

En revenant sur cette organisation, la société Carrefour, qui invoque certes un souci d'équité vis-à-vis d'autres salariés, propose une modification de la répartition des horaires de travail qui n'est pas compatible avec les impératifs familiaux de Mme [T] et porte une atteinte excessive à sa vie privée, de sorte que le refus qu'elle a opposé à son employeur ne constitue ni une faute, ni un motif de licenciement.

Dès lors, il ne peut être reproché à Mme [T] de ne pas avoir respecté le nouveau planning mis en place en janvier 2018 avec des horaires exclusivement de matin, changement qu'elle pouvait refuser en raison de ses obligations familiales impérieuses, reconnues comme telles par son employeur qui lui avaient accordé précédemment des modifications de la répartition de ses horaires de travail pour ce motif.

Les sanctions disciplinaires prononcées au seul motif de l'irrespect des plannings de travail réalisés par son supérieur hiérarchique doivent donc être annulées.

Il convient donc de confirmer la décision déférée de ce chef, mais également en ce qu'elle a condamné la société Carrefour à payer à Mme [T] un rappel de salaire de 3320,95 euros, qui correspond au manque à gagner entre les mois de mars et d'août 2018.

Par ailleurs, ces trois sanctions disciplinaires, un avertissement et deux mises à pied disciplinaire, prononcées à la suite d'entretiens préalables à une sanction ont causé un préjudice moral à Mme [T] qu'il convient d'indemniser par la somme estimée, à juste titre, à 3000 euros par les premiers juges dont la décision sera confirmée sur ce point.

Concernant le licenciement de Mme [T], à la lecture de la lettre du 13 août 2018 qui fixe les limites du litige, il appert qu'il est intervenu pour faute grave au motif d'une insubordination résultant des éléments suivants':

insubordination pour ne pas avoir respecté les horaires de travail,

attitude d'affrontement avec ses supérieurs hiérarchiques,

désinvestissement dans l'exercice de ses fonctions.

Aux termes de l'article L.1235-1 du Code du travail, en cas de litige, il appartient au juge, à défaut d'accord, d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur à l'appui d'un licenciement : tout licenciement doit en effet être fondé sur une cause à la fois réelle, donc établie, objective et exacte, ainsi que sérieuse. Pour ce faire, le juge formera sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, éventuellement, après toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il doit se placer à la date du licenciement pour apprécier la ou les cause(s) du licenciement. Les juges du fond ont ainsi pour mission d'apprécier les éléments produits par les parties pour établir l'existence d'une cause réelle et sérieuse. Ils qualifient les faits au regard de la réalité et du sérieux du motif et, le cas échéant, à défaut de caractériser une faute grave, ils recherchent si les faits reprochés au salarié ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement.

S'il subsiste un doute, il profite au salarié.

Par ailleurs, Mme [T] ayant été licenciée pour faute grave, il appartient à l'employeur d'établir que la faute commise par la salariée dans l'exécution de son contrat de travail est d'une gravité telle qu'elle rendait impossible son maintien dans l'entreprise.

Concernant l'irrespect des plannings, il doit être considéré, au regard des développements précédents, que le refus de Mme [T] d'accéder aux modifications sollicitées par l'employeur en janvier 2018, motivé par ses obligations familiales impérieuses, ne peut pas constituer un motif de licenciement.

Le second grief relatif à l'attitude d'affrontement vis-à-vis de ses supérieurs hiérarchiques n'est pas démontré par l'employeur qui vise les propos tenus dans les différentes correspondances que lui a adressées Mme [T], dans des termes certes fermes mais polis, et en aucun cas irrespectueux.

Concernant un affrontement entre Mme [T] et ses supérieurs hiérarchiques, il est seulement fait référence, dans son entretien annuel, au ton qu'elle a employé envers son supérieur hiérarchique, sans autre explication.

Ce grief n'est donc pas établi.

Enfin, concernant son désinvestissement dans l'exercice de ses missions, il est relevé dans l'entretien annuel de Mme [T] effectué le 12 mai 2018, que ses supérieurs hiérarchiques lui demandent de reprendre sa place d'animatrice de vente compétente et motivée et attendent une remise en question profonde de sa part.

Mme [T], au cours de cet entretien, avait pu exprimer qu'elle n'avait plus confiance en sa hiérarchie ni en la société.

Pour autant, elle a continué de venir travailler, selon ses horaires en journée de fin 2017, et a adressé une candidature volontaire sur un autre poste de la société à laquelle elle a ensuite renoncé compte tenu des horaires qui allaient être mis en 'uvre, ce qui démontre une implication professionnelle de sa part malgré les circonstances et les sanctions qui lui avaient été infligées.

En l'absence d'autres éléments produits par l'employeur, force est de constater que ce grief n'est pas caractérisé.

Le licenciement de Mme [T] n'est donc fondé sur aucune cause réelle et sérieuse, de sorte qu'elle a vocation à percevoir différentes sommes, justement évaluées par les premiers juges sur la base d'un salaire mensuel brut de 1787 euros, à savoir':

3 579 € bruts à titre d'indemnité compensatrice de préavis, outre 357,20 € bruts au titre des congés payés afférents,

4 467,50 € net à titre d'indemnité légale de licenciement dans les limites de sa demande.

En réparation de son préjudice né de la rupture dépourvue de cause réelle et sérieuse de son contrat de travail, Mme [T] est bien fondée à solliciter des dommages et intérêts.

En application de l'article 1235-3 du code du travail et compte tenu de son ancienneté depuis le 2 avril 2007 ainsi que cela ressort de son bulletin de paie, Mme [T] peut prétendre à une indemnité d'un montant compris entre 3 mois et 10,5 mois de salaire.

Il est désormais constant que le'barème'applicable à l'indemnité de licenciement sans cause réelle et sérieuse n'est pas contraire à l'article'10 de la convention n°'158 de l'OIT. L'invocation de la Charte sociale européenne est de surcroît inopérante dès lors que ce texte ne bénéficie pas d'un effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers. Il appartient seulement aux juges du fond d'apprécier la situation concrète du salarié pour déterminer le montant de l'indemnité due entre les montants minimaux et maximaux déterminés par l'article L.1235-3 du code du travail.

Compte tenu de la nature des faits et des circonstances, ainsi que de la situation personnelle de Mme [T] telle qu'elle résulte des pièces versées aux débats, il y a lieu de lui accorder la somme de 17870 euros, à titre de dommages et intérêts.

La société Carrefour sera condamnée à lui payer cette somme.

Le jugement déféré sera confirmé de ce chef.

Par ailleurs, en imposant à Mme [T] un changement de la répartition de ses horaires de travail contrevenant à ses obligations familiales impérieuses dont elle avait connaissance et qu'elle avait reconnues comme telles en lui accordant d'effectuer seulement des horaires en journée depuis plusieurs mois, la société Carrefour a failli à son obligation d'exécution le contrat de travail de bonne foi, telle qu'elle résulte de l'article L.1222-1 du code du travail.

C'est par une bonne appréciation des faits de la cause que les premiers juges lui ont alloué la somme de 2 000 € à titre de dommages et intérêts à ce titre.

La décision déférée doit donc être confirmée de ce chef.

Suivant l'article L.1235-4 du code du travail, dans les cas prévus aux articles L. 1132-4, L. 1134-4, L. 1144-3, L. 1152-3, L. 1153-4, L. 1235-3 et L. 1235-11, le juge ordonne le remboursement par l'employeur fautif aux organismes intéressés de tout ou partie des indemnités de chômage versées au salarié licencié, du jour de son licenciement au jour du jugement prononcé, dans la limite de six mois d'indemnités de chômage par salarié intéressé. Ce remboursement est ordonné d'office lorsque les organismes intéressés ne sont pas intervenus à l'instance ou n'ont pas fait connaître le montant des indemnités versées.

En application de ces dispositions, il convient d'ordonner le remboursement par la société Carrefour hypermarchés des indemnités de chômage versées à Mme [T] à hauteur d'un mois.

La décision querellée sera confirmée sur ce point.

La société Carrefour Hypermarchés succombant en son appel, elle devra en supporter les dépens.

Elle sera également condamnée à payer à Mme [T] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles exposés en appel.

PAR CES MOTIFS,

La cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

CONFIRME en toutes ses dispositions le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 23 décembre 2020';

Y ajoutant':

CONDAMNE la société Carrefour Hypermarchés aux dépens';

CONDAMNE la société Carrefour Hypermarchés à payer à Mme [W] [T] la somme de 1500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 21/00553
Date de la décision : 16/03/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-03-16;21.00553 ?
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