SF/SH
Numéro 23/00943
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 14/03/2023
Dossier : N° RG 20/01815 - N° Portalis DBVV-V-B7E-HTQ6
Nature affaire :
Revendication d'un bien immobilier
Affaire :
[K] [M]
C/
[Y] [R]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 14 Mars 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 24 Janvier 2023, devant :
Madame FAURE, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Madame DE FRAMOND, Conseillère, magistrate chargée du rapport conformément à l'article 785 du Code de procédure civile
assistées de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [K] [M]
né le 17 Septembre 1956 à [Localité 20] (64)
de nationalité Française
[Adresse 21]
[Adresse 21]
[Localité 18]
Représenté et assisté de Maître MENAHOURNA, avocat au barreau de BAYONNE
INTIME :
Monsieur [Y] [R]
né le 27 Décembre 1992 à SAINT PALAIS (64)
de nationalité Française
[Adresse 22]
[Localité 19]
Représenté et assisté de Maître VERMOTE de la SCP UHALDEBORDE-SALANNE GORGUET VERMOTE BERTIZBEREA, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 29 JUIN 2020
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BAYONNE
RG numéro : 18/01550
EXPOSE DU LITIGE
M. [A] [M] a exploité différentes parcelles agricoles (G[Cadastre 8], G[Cadastre 9], G[Cadastre 10], G[Cadastre 4], G[Cadastre 5], G[Cadastre 6] G[Cadastre 12], G[Cadastre 15] et G[Cadastre 17]) à [Localité 19] (64), qu'exploite aujourd'hui son fils, M. [Y] [R] depuis l'année 2016. Certaines de ces parcelles se trouvent de l'autre côté d'un ruisseau, et un chemin constituant notamment les parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 16], depuis la route de [Localité 19] au nord jusqu'à un pont enjambant ce ruisseau, permet d'y accéder depuis au moins 1982.
Lors de l'établissement d'un document d'arpentage en 2016, il s'est avéré que les deux parcelles sur lesquelles le chemin puis le pont sont établis appartiennent à l'oncle paternel de M. [Y] [R], M. [K] [M], propriétaire des parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 16], et au-delà du pont de la parcelle G[Cadastre 13] où se trouve le moulin de celui-ci.
Par acte d'huissier en date du 17 septembre 2018, M. [Y] [R] a fait assigner M. [K] [M] devant le tribunal de'grande instance de Bayonne, aux fins de voir juger qu'en application de la prescription acquisitive trentenaire, il est propriétaire d'une partie du chemin d'accès, et du pont reliant les parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13], et se voir allouer la somme de 2 100 € à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice résultant de l'impossibilité d'exploiter ses terres et subsidiairement voir déclarer ses parcelles G[Cadastre 4], G[Cadastre 5], G[Cadastre 6] et G[Cadastre 12] enclavées, pour lesquelles l'assiette de la servitude est acquise par prescription trentenaire ou encore plus subsidiairement que le chemin le plus court et le moins dommageable se situe sur cette assiette de passage et voir alors ordonner une expertise judiciaire pour évaluer le préjudice du fonds servant appartenant à M. [K] [M].
Suivant jugement contradictoire en date du 29 juin 2020, le juge de première instance a, notamment':
- dit que M. [R] a acquis par prescription la propriété du chemin d'accès débutant sur la parcelle G[Cadastre 17] et continuant sur les parcelles [Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13] et d'autre part du pont reliant les parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13],
- débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts,
- condamné M. [K] [M] au paiement de la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le même aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire.
Le premier juge a relevé qu'entre 1982 et 2016, la possession du chemin et du pont par M. [R] et son auteur, dont l'usage pour desservir leurs parcelles a été faite par eux seuls et pour leur seul profit, n'a jamais été contestée par M. [K] [M], aucun élément ne permettant de croire à une simple tolérance ou une convention tacite entre eux. Le tribunal a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [R] qui ne démontrait pas être empêché d'exploiter ou d'accéder à ses terres.
M. [M] a relevé appel par déclaration du 10 août 2020, critiquant le jugement dans l'ensemble de ses dispositions, sauf en ce qu'elle déboute M. [R] de sa demande de dommages et intérêts.
Dans ses dernières écritures en date du 23 avril 2021, M.[M], appelant, entend voir la cour':
- infirmer le jugement en date du 29 juin 2020 rendu par le tribunal judiciaire de Bayonne en ce qu'il a :
- dit que M. [R] a acquis par prescription la propriété du chemin d'accès débutant sur la parcelle G[Cadastre 17] et continuant sur les parcelles [Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13] et d'autre part du pont reliant les parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13],
- condamné M. [M] au paiement de la somme de 1 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné le même aux dépens,
- ordonné l'exécution provisoire,
statuant à nouveau,
- dire que M. [R] n'a pas acquis par prescription acquisitive trentenaire la propriété du chemin d'accès débutant sur la parcelle G [Cadastre 17] et continuant sur les parcelles G[Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13], et d'autre part du pont reliant les parcelles G [Cadastre 14] et G[Cadastre 13],
- débouter M. [R] de toute demande contraire,
- dire que les parcelles G[Cadastre 1], G[Cadastre 2], G[Cadastre 3] et G[Cadastre 12] ne sont pas enclavées,
en conséquence,
débouter M. [R] de sa demande de servitude de passage sur le chemin d'accès débutant sur la parcelle G[Cadastre 17] et continuant sur les parcelles G[Cadastre 16], G [Cadastre 14] et G[Cadastre 13], et sur le pont reliant les parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13],
subsidiairement,
- ordonner une mesure d'expertise, et désigner pour y procéder tel géomètre-expert qu'il plaira à la cour, avec pour mission de :
- se rendre sur les lieux en y convoquant les parties ainsi que leurs conseils,
- les décrire en leur état actuel et en dresser un plan,
- entendre les parties ainsi que toutes personnes susceptibles d'apporter des éléments ou éclaircissements,
- dire si les parcelles G[Cadastre 1], G[Cadastre 2], G[Cadastre 3] et G[Cadastre 12] appartenant à M.[R] sont ou non en situation d'enclave, en tant compte de toutes les parcelles lui appartenant, notamment les parcelles G[Cadastre 15] et G [Cadastre 17],
- vérifier l'existence jusqu'en 2016 du chemin allégué par M. [M] permettant l'accès aux parcelles G[Cadastre 1], G[Cadastre 2], G[Cadastre 3] et G[Cadastre 12] appartenant à M.[R],
- énumérer, en cas d'enclave, les parcelles susceptibles de constituer le fonds servant,
- proposer, en cas d'enclave, le tracé le plus court et le moins dommageable de chacune des parcelles enclavées à la voie publique ou toute autre voie,
- dire, en cas d'enclave, si des travaux seront nécessaires pour y remédier,
- décrire les travaux et en chiffrer le coût,
- faire toutes constatations susceptibles d'éclairer la cour,
- faire toutes mentions utiles en rapport avec la présente mission,
- recueillir les observations des parties,
- dire que l'expert devra faire connaître sans délai son acceptation au juge chargé du contrôle de l'expertise, et devra commencer ses opérations dès sa saisine,
- dire qu'en cas d'empêchement ou de refus de l'expert, il sera procédé à son remplacement par ordonnance du juge chargé du contrôle de l'expertise,
- dire que l'expert devra accomplir sa mission conformément aux articles 232 et suivants du code de procédure civile, notamment en ce qui concerne le caractère contradictoire des opérations,
- dire que l'expert devra tenir le juge chargé du contrôle de l'expertise informé du déroulement de ses opérations et des difficultés rencontrées dans l'accomplissement de sa mission,
- dire que l'expert est autorisé à s'adjoindre tout spécialiste ou tout sachant de son choix sous réserve d'en informer le juge chargé du contrôle de l'expertise et les parties,
- dire qu'avant de déposer son rapport, l'expert fera connaître aux parties ses premières conclusions, leur impartira un délai pour formuler dires et observations qu'il annexera avec ses réponses à son rapport définitif,
- dire que l'expert déposera au greffe et adressera aux parties, dans le délai de 6 mois à compter de sa saisine effective, un pré-rapport comprenant son avis motivé sur l'ensemble des chefs de sa mission, qu'il laissera alors aux parties un délai maximum d'un mois pour leur permettre de faire valoir leurs observations par voie de dires récapitulatifs et que de toutes ses opérations et constatations, il dressera un rapport qu'il déposera au greffe et adressera aux parties,
- fixer le montant de la provision à valoir sur la rémunération de l'expert,
- dire que cette provision à valoir sur la rémunération de l'expert devra être consignée par M. [R] entre les mains du régisseur d'avances et de recettes de la cour,
- réserver à statuer sur les dépens,
- renvoyer l'affaire à une audience de mise en état ultérieure,
sur l'appel incident formé par M. [R],
- juger nulle la demande de dommages et intérêts pour défaut de fondement en droit,
- confirmer le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts,
en toutes hypothèses,
- débouter M. [R] en l'intégralité de ses prétentions,
- condamner M. [R] à payer à M. [M], sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, une somme de 3 000 € au titre de la procédure de première instance, et une somme de 3 500 € au titre de la procédure d'appel,
- condamner M. [R] aux dépens de première instance et ceux d'appel, en ce compris tous frais d'expertise à venir.
Au soutien de ses prétentions et sur le fondement des articles 2258 et suivants du code civil, les articles 682 et suivants du code civil, l'article 1353 du même code et les articles 9 et 56 du code de procédure civile, M. [K] [M] fait valoir :
- que M. [Y] [R] ne rapporte pas la preuve':
. de l'existence d'une quelconque possession à titre de propriétaire exclusif par son auteur et/ou par lui-même du chemin d'accès débutant sur la parcelle G[Cadastre 17] et continuant sur les parcelles [Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13], et d'autre part du pont reliant les parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13],
. de l'existence d'une possession trentenaire continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire par son auteur et/ou par lui-même,
- que M. [K] [M] rapporte la preuve de ce que depuis 1982, il a exercé sur le chemin d'accès débutant sur la parcelle G[Cadastre 17] et continuant sur les parcelles G[Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13], via le pont reliant les parcelles G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13], toutes les prérogatives attachées à son droit de propriété, et que reconnaître l'acquisition de ce chemin par l'intimé reviendrait à le priver lui-même du seul chemin d'accès à son moulin.
M. [K] [M] fait valoir que le pont et la voie d'accès, non empierrés, ont été créés à l'origine pour lui permettre d'accéder à pied, depuis la voie publique communale, à son moulin situé sur la parcelle G[Cadastre 13], et que c'est par simple commodité et tolérance que son frère puis son neveu ont utilisé occasionnellement ce passage'; que les travaux d'aménagement et d'entretien dudit chemin ont été réalisés ensemble par les deux frères [K] et [A] [F] [M] durant toutes ces années ; en outre, de nombreuses personnes de leur entourage empruntent ce chemin, ce qui entache la possession d'équivocité'; il conteste le caractère probant des attestations versées par l'intimé qui, si elles confirment le passage régulier par celui-ci sur le chemin litigieux, ne démontrent pas un usage à titre de propriétaire. Enfin, à supposer que l'équivocité ait cessé en 1990 lors d'un litige à l'occasion de travaux réalisés par M. [R] sur la parcelle G[Cadastre 7] lui appartenant, la prescription de 30 ans n'était pas acquise en 2018 lors de l'introduction de la présente procédure.
- que l'état d'enclave de ses parcelles n'est pas démontré, alors que les parcelles G[Cadastre 4], G[Cadastre 5], G[Cadastre 6] et G[Cadastre 12] appartenant à Monsieur [R] disposent d'une issue à la voie publique passant par ses parcelles G[Cadastre 15] et G[Cadastre 17] ou par le sud de l'autre côté de la rivière par un autre chemin longeant une parcelle [Cadastre 11]' depuis la RD 22; en cas de doute sur l'état d'enclave, la Cour ordonnerait une expertise
- que M. [R] ne fonde pas sa demande de dommages et intérêts, ce qui la rend nulle, et ne démontre pas que l'accès à ses parcelles a été empêché par M. [M] et qu'il a été privé de la possibilité de les exploiter, il avait déjà formé une demande en référé alléguant un trouble manifestement illicite qui a été rejeté faute de preuve par ordonnance du 27 novembre 2018, et à nouveau par le juge du fond.
Par conclusions notifiées le 9 novembre 2022, M. [Y] [R], entend voir la cour :
- confirmer le jugement en ce qu'il a dit que M. [R] a acquis par prescription la propriété du chemin débutant sur la parcelle G [Cadastre 17] et continuant sur les parcelles [Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13] et d'autre part du pont reliant les parcelles G [Cadastre 14] et [Cadastre 13],
- l'infirmer en ce qu'il a débouté M. [R] de sa demande de dommages et intérêts et statuant à nouveau, condamner M. [M] à verser à M.[R] la somme de 2 100 € en réparation du préjudice subi par M.[R] du fait de son impossibilité d'exploiter ses terres,
- condamner Monsieur [K] [M] à payer à M. [Y] [R] la somme de 5 000€ à titre de dommages et intérêts du fait du déplacement abusif de la clôture et le préjudice de jouissance en résultant.
A titre subsidiaire, si le jugement est infirmé s'agissant de la prescription acquisitive, à titre subsidiaire,
- dire et juger que les parcelles G[Cadastre 1], G[Cadastre 2], G[Cadastre 3] et G[Cadastre 12] sont enclavées,
- dire et juger que la prescription trentenaire est acquise quant à l'assiette et au mode de servitude, et qu'en conséquence le propriétaire du fonds servant ne peut être indemnisé du préjudice subi,
et à titre infiniment subsidiaire,
- dire et juger que les parcelles G[Cadastre 1], G[Cadastre 2], G[Cadastre 3] et G[Cadastre 12] sont enclavées,
- dire et juger que le passage le plus court et le moins dommageable est celui qui existe déjà, c'est- à-dire celui débutant sur la parcelle G [Cadastre 17], continuant sur les parcelles G[Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13] et empruntant le pont reliant la parcelle G[Cadastre 14] et [Cadastre 13],
- nommer un expert chargé d'évaluer le préjudice subi par le propriétaire du fonds servant,
en tout état de cause,
- condamner M. [M] à verser à M. [R] la somme de 5 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens d'appel.
Au soutien de ses prétentions et sur le fondement des dispositions des articles 2258 et suivants du code civil et les articles 682 et suivants du même code et 1240 du code civil , M. [Y] [R] fait valoir':
- que son père a financé les travaux de réalisation du pont en 1982, a réalisé des travaux de drainage du ruisseau et a financé et réalisé le chemin empierré passant sur ses parcelles G[Cadastre 15] et G[Cadastre 17] reliant le pont à la voie publique, longeant les parcelles G[Cadastre 16] et G[Cadastre 14] de M. [K] [M]'; que ce dernier a souhaité réhabiliter son moulin en 2016 situé sur la parcelle G[Cadastre 13], et c'est à l'occasion de l'arpentage des différentes parcelles qu'il est apparu que la voie empierrée traversait en réalité les parcelles G[Cadastre 16], G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13] de M. [K] [M], contrairement à ce qu'avait toujours cru M. [A] [M]. Mais pendant 34 ans, ce dernier, puis son fils M. [Y] [R] ont exercé une possession de ce chemin et du pont en qualité de propriétaire de manière continue et non équivoque ainsi que l'établissent les attestations et pièces versées par eux, émanant de tiers à la famille, contrairement aux attestations produites par l'appelant, non probantes.
- que M. [K] [M], pour réhabiliter son moulin, a fait des travaux de modification de l'assiette du chemin, et a barré l'ancien accès par un portail et des troncs et souches d'arbre obligeant l'intimé à saisir le juge des référés, devant lequel M. [K] [M] a finalement indiqué ne plus s'opposer au passage revendiqué. M. [Y] [R] a néanmoins perdu 9 tonnes de fourrage en 2017-2018 et 4 tonnes de foin l'été 2018, et la faute de l'appelant qui a eu l'intention de nuire à son neveu justifie des dommages et intérêts fondés sur l'article 1240 du code civil , d'autant que M. [M] a installé une clôture en 2020-2021 pour réduire l'assiette du chemin d'accès, empêchant les engins agricoles de passer, justifiant de lui allouer des dommages et intérêts complémentaires pour son préjudice de jouissance.
- A titre subsidiaire, il fait valoir l'état d'enclave des parcelles agricoles situées de l'autre côté du cours d'eau dit Nasako Ituria sur lequel n'existe aucun autre pont que celui litigieux'; de simples ponceaux ayant existé avant 1982, détruits à cette date lors du recalibrage du ruisseau par la société SETMO. L'assiette de la servitude a été acquise par plus de trente ans d'usage continu ne permettant plus l'indemnisation du propriétaire du fonds servant, et représente en toute hypothèse le chemin le plus court et le moins dommageable.
L'ordonnance de clôture a été prononcée le 30 novembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
La cour rappelle que, en vertu de l'article 954 alinéa 3, selon lequel «'La cour ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif'» les demandes contenues au dispositif des conclusions tendant à « constater », « dire et juger», ne constituent pas, hors les cas prévus par la loi, des prétentions saisissant la Cour, mais des rappels de moyens.
Sur l'acquisition par prescription trentenaire par M. [R] du pont et du chemin d'accès litigieux ':
Selon les articles 2258 et suivants du Code civil : « la prescription acquisitive est un moyen d'acquérir un bien ou un droit par l'effet de la possession sans que celui qui l'allègue soit obligé d'en rapporter un titre ou qu'on puisse lui opposer l'exception déduite de la mauvaise foi.
«'Pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue paisible, publique, non équivoque, et à titre de propriétaire'».
« Les actes de pure faculté et ceux de simple tolérance ne peuvent fonder ni possession ni prescription.».
Aux termes de l'article 2272 du code civil , le délai de prescription requis pour acquérir la propriété immobilière est de trente ans.
S'agissant d'un passage sur un chemin, il ressort de l'article 688 du code civil que les servitudes discontinues sont celles qui ont besoin du fait actuel de l'homme pour être exercées : tels sont les droits de passage, puisage, pacage et autres semblables.
Selon l'article 691 du code civil, les servitudes continues non apparentes, et les servitudes discontinues apparentes ou non apparentes, ne peuvent s'établir que par titres. Le simple fait de passer, même pendant 30 ans, ne permet pas d'acquérir la propriété du chemin.
En outre en l'espèce, des attestations de part et d'autres démontrent que le chemin litigieux (parcelles [Cadastre 16] et [Cadastre 14] appartenant à M. [K] [M] et le pont auquel elles aboutissent) étaient utilisés par M. [Y] [R] et son père [A] [M] avant lui pour l'accès à ses terres agricoles de l'autre côté du ruisseau (attestations [L] et [I] et de sa première femme Mme [W] [B]), mais aussi par M. [K] [M] et sa famille ou ses amis (21 attestations) pour accéder à son moulin situé également de l'autre côté du ruisseau (parcelle G[Cadastre 13]) dont c'était le seul accès, peu carrossable.
C'est à M. [Y] [R], qui allègue la prescription acquisitive sur les parcelles G[Cadastre 16] et G[Cadastre 14] de M. [K] [M], de rapporter la preuve de cette possession continue à titre de propriétaire, autrement que par le passage, qui est une servitude discontinue ne pouvant s'acquérir par prescription par des actes non équivoques de propriété sur ces parcelles.
M. [Y] [R] affirme que son père, dont il tient ses droits et prolonge donc la possession sur les parcelles litigieuses, a construit le pont sur le ruisseau en 1982. Cette affirmation s'appuie sur un courrier du 18 octobre 1983 adressé par la SETMO, société d'aménagement du sol et de Territoire, chargé par un collectif d'agriculteurs et propriétaires locaux de réaliser des drainages de leurs terrains régulièrement inondés, à son père, qui lui rappelle que pour drainer et recalibrer le ruisseau, il a fallu détruire les ponceaux existants et en reconstruire un selon ses indications.
Or, M. [A] [M] a ensuite contesté, lors de l'expertise réalisée le 7 juin 1990 dans le cadre d'un litige opposant celui-ci à la SETMO, avoir demandé la réalisation de ce pont, puisqu'il déclare à l'expert M. [T] en page 4': «'Il fait remarquer qu'un ponceau a été construit, en bout à l'ouest de la parcelle [Cadastre 7] (actuelle parcelle [Cadastre 15])qui n'était pas prévu dans les travaux qu'on lui avait annoncés'».
Mais en toutes hypothèses, dès lors qu'il s'agissait de déplacer le ponceau à cette époque pour desservir ses parcelles avec l'accord de son frère [K] qui devait aussi accéder à son moulin lui imposant de franchir aussi le ruisseau, il pouvait également avoir accepté la réfection de celui-ci ou son déplacement par la SETMO dans leur intérêt commun sans agir en cela comme propriétaire.
Par ailleurs, il verse l'attestation de M. [I], entrepreneur de travaux affirmant avoir en juillet 2003, réaménagé le pont lors d'une inondation et curé le fossé du chemin, à l'occasion de travaux de terrassement pour son bâtiment agricole.
La facture produite correspondante ne mentionne cependant que les travaux de terrassement, et si réaménagement du pont il y a réellement eu, cela n'a été que de manière très accessoire puisque non facturée, et là encore pour conforter son passage, sans que cela constitue un acte de propriété sur le chemin ou le pont en question. Aucun autre acte positif en qualité de propriétaire n'est invoqué par l'intimé qui aurait contesté de manière publique et non équivoque la propriété de M. [K] [M] sur les parcelles supportant le chemin.
Il s'en suit que M. [Y] [R] échoue à rapporter la preuve d'une prescription acquisitive trentenaire du chemin empruntant les parcelles G[Cadastre 16] et G[Cadastre 14] et G[Cadastre 13] et du pont sur le ruisseau auquel elles aboutissent et le jugement déféré doit être infirmé.
Sur l'état d'enclave des parcelles de M. [Y] [R] :
Pour autant, il ne peut être contesté que les parcelles de M. [Y] [R] sont enclavées au regard de la configuration des lieux, puisqu'elles n'ont aucun accès direct à une voie publique, que ce soit au nord puisque le ruisseau Nasako Ituria est un obstacle infranchissable sur lequel n'existe que le pont litigieux ou au sud, Mme [B] précisant même que l'alternative au chemin litigieux accède à la RD 22 au sud, mais moins directement que par le chemin du moulin de M. [K] [M]'; et ce deuxième accès suppose de traverser plusieurs parcelles d'autres propriétaires, ce qui confirme l'état d'enclave des parcelles de M. [Y] [R] situées au sud de ce ruisseau.
Or, selon l'article 682 du code civil, le propriétaire dont les fonds sont enclavés et qui n'a sur la voie publique aucune issue, ou qu'une issue insuffisante, soit pour l'exploitation agricole, industrielle ou commerciale de sa propriété, soit pour la réalisation d'opérations de construction ou de lotissement, est fondé à réclamer sur les fonds de ses voisins un passage suffisant pour assurer la desserte complète de ses fonds, à charge d'une indemnité proportionnée au dommage qu'il peut occasionner.
Non seulement il est manifeste au regard du plan des lieux, que le passage par les parcelles G[Cadastre 16] et [Cadastre 14] constitue, en application des prescriptions de l'article 683 du code civil, le passage du côté où le trajet est le plus court du fonds enclavé à la voie publique, mais encore l'article 685 du code civil prévoit que l'assiette et le mode de servitude de passage pour cause d'enclave sont déterminés par trente ans d'usage continu.
Or précisément en l'espèce, si M. [Y] [R] n'a pas acquis la propriété du chemin litigieux, il a bien exercé depuis plus de trente ans un usage continue de ce passage qui lui en a ainsi fait acquérir l'assiette qui se situe sur les parcelles G[Cadastre 16] et G[Cadastre 14] passant par le pont où elles aboutissent à la parcelle G[Cadastre 13] lui permettant, par celle-ci, avec des engins agricoles, d'accéder à sa parcelle G602 contiguë à la parcelle [Cadastre 13].
En application de l'article 685 du code civil, l'action en indemnité pour le propriétaire du fonds servant, prévu par l'article 682 du code civil en cas d'enclave, est prescriptible, et le passage emprunté pendant plus de 30 ans par M. [Y] [R] ou son auteur peut être continué sans que M. [K] [M] puisse en réclamer aujourd'hui l'indemnisation, cette action étant prescrite.
Il n'y a donc pas lieu d'ordonner d'expertise sur la détermination de l'assiette du chemin de désenclavement, ni sur l'indemnisation de M. [K] [M].
Sur la demande incidente de dommages et intérêts pour perte d'exploitation de M.[R]
. Sur la nullité pour défaut de fondement juridique':
L'exception de nullité de l'assignation pour défaut de respect des prescriptions de l'article 56 du code de procédure civile doit être soulevée in limine litis, avant tout débat au fond, et relève des exceptions de procédure qui doivent être tranchées par le juge de la mise en état, et par conséquent M. [K] [M] n'est pas recevable à soulever cette exception pour la première fois devant la cour d'appel , sur laquelle le 1er juge n'a pas statué et après avoir développé ses moyens sur le fond du litige.
. Sur le fond':
En application de l'article 1240 du code civil, celui qui cause à autrui un dommage doit le réparer.
Il ressort du constat d'huissier sollicité le 27 décembre 2018 par M. [Y] [R], des photographies des lieux et des plans versés au débat que le chemin litigieux lui permettant d'accéder à ses parcelles de l'autre côté du ruisseau a été encombré de broussailles, de troncs d'arbres, lorsque M. [K] [M] a ré-aménagé un meilleur accès personnel à son moulin en vue de la réhabilitation de celui-ci par sa fille. Les encombrements ont été retirés en décembre 2018 suite à la procédure de référé engagée par M. [Y] [R] en septembre 2018.
Les parcelles rendues inaccessibles pendant plusieurs mois ont privés M. [Y] [R] de foin ou d'herbe et sa demande de dommages et intérêts pour la somme de 2 100 € non utilement contestée doit être accordée et le jugement déféré infirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts pour le déplacement de la clôture par M. [K] [M]
Au regard du constat d'huissier dressé le 6 avril 2021 postérieurement au jugement de 1ère instance, il apparaît que l'ancienne clôture installée au-delà du pont délimitant les parcelles [Cadastre 13] de M. [K] [M] et 602 de M. [Y] [R] a été déplacée. Un portail, cependant amovible simplement, barre l'extrémité du pont au droit de la parcelle G603 de M. [K] [M].
La Cour n'est cependant pas en mesure, à partir des seules photos du constat, en l'absence d'un plan de bornage, de déterminer si la position de cette clôture empiète sur la propriété de M. [Y] [R], et dès lors que la Cour a infirmé le jugement sur la prescription acquisitive, l'intimé ne peut s'opposer à des modifications sur le terrain de l'appelant ou à son droit de se clore, dès lors que son propre droit de passage selon l'ancienne assiette qu'il a acquis par son usage trentenaire concerne les parcelles [Cadastre 14], [Cadastre 16] jusqu'au pont et au-delà au début seulement de la parcelle G[Cadastre 13] pour que ses engins agricoles puissent accéder à sa parcelle G[Cadastre 12] qui est très proche du pont et dont il n'est pas suffisamment démontré que le passage n'y est plus possible ou y est rendu plus incommode. La demande de ce chef doit donc être rejetée.
Le tribunal a exactement statué sur le sort des dépens et les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile dont il a fait une équitable application.
En équité, la demande de M. [K] [M] au titre des frais exposés en cause d'appel sera rejetée.
En cause d'appel, M. [K] [M] sera condamné aux entiers dépens.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement rendu le 29 juin 2020 en ce qu'il a déclaré que M. [Y] [R] avait acquis par prescription la propriété du chemin d'accès débutant sur la parcelle G[Cadastre 17] et continuant sur les parcelles [Cadastre 16], [Cadastre 14] et [Cadastre 13] et d'autre part du pont reliant les parcelles G[Cadastre 14] et [Cadastre 13], et en ce qu'il a rejeté la demande de dommages et intérêts de M. [Y] [R] ;
Confirme pour le surplus ;
Statuant à nouveau et y ajoutant,
Constate que les parcelles G[Cadastre 1], G[Cadastre 2], G[Cadastre 3] et G[Cadastre 12] situées à [Localité 19] de M. [Y] [R] sont enclavées ;
Dit que M. [Y] [R] a acquis, par prescription trentenaire, l'assiette de la servitude nécessaire au passage de ses engins agricoles pour relier depuis la voie publique n° 2 de [Localité 19] sa parcelle [Cadastre 17], passant par les parcelles G[Cadastre 16] et G[Cadastre 14] et par le pont sur le ruisseau aboutissant à la parcelle G[Cadastre 13], appartenant à M. [K] [M], jusqu'à sa parcelle G602 ;
Dit n'y avoir lieu à indemnisation du fonds dominant pour la servitude de passage pour cause d'enclave ainsi constatée';
Rejette la demande d'expertise judiciaire';
Condamne M. [K] [M] à payer à M. [Y] [R] la somme de 2 100 € au titre de son préjudice pour perte d'exploitation';
Rejette la demande de M. [Y] [R] en indemnisation pour le déplacement de la clôture et mise en place d'un portail situé sur la parcelle G[Cadastre 13] ;
Condamne M. [K] [M] aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Rejette la demande de M. [K] [M] fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au titre de ses frais en appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme FAURE, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline FAURE