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21/02/2023 | FRANCE | N°19/01944

France | France, Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 2, 21 février 2023, 19/01944


XG/JB



Numéro 23/699





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 2







Arrêt du 21 Février 2023







Dossier : N° RG 19/01944 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HIZI





Nature affaire :



Demande en partage, ou contestations relatives au partage







Affaire :



[Z] [R] épouse [Y]



C/



[C], [G] [R] épouse [E]







RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS













A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 21 Février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,






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XG/JB

Numéro 23/699

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 2

Arrêt du 21 Février 2023

Dossier : N° RG 19/01944 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HIZI

Nature affaire :

Demande en partage, ou contestations relatives au partage

Affaire :

[Z] [R] épouse [Y]

C/

[C], [G] [R] épouse [E]

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 21 Février 2023, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 10 Octobre 2022, devant :

Monsieur GADRAT, Président chargé du rapport,

assisté de Madame BARREAU, Greffière, présente à l'appel des causes,

Monsieur GADRAT, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

Monsieur GADRAT, Président,

Madame DELCOURT, Conseiller,

Madame BAUDIER, Conseiller,

qui en ont délibéré conformément à la loi.

Grosse délivrée le :

à :

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [Z] [R] épouse [Y]

née le 19 Août 1943 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Localité 5]

Représentée par Me Anne CHOY, avocat au barreau de PAU

INTIMEE :

Madame [C], [G] [R] épouse [E]

née le 21 Septembre 1947 à [Localité 9]

de nationalité Française

[Adresse 1]

[Localité 4]

Représentée par Me Pierre LETE, avocat au barreau de PAU

sur appel de la décision

en date du 05 AVRIL 2019

rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PAU

RG numéro :

FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES

Par acte du 5 mai 1986, Mme [M] [S] [L] et M. [J] [R] ont procédé à une donation-partage de leurs biens immobiliers, dont ils se sont réservés l'usufruit, ladite donation portant sur une valeur en nue-propriété de 450 000 francs étant consentie par préciput et hors part à Mme [Y], leur fille, à charge pour elle d'entretenir et de soigner les donateurs leur vie durant et de verser une soulte de 150 000 francs à sa s'ur, Mme [E].

Mme [M] [S] [L] est décédée le 26 novembre 2006.

Par testament olographe du 6 décembre 2006, M. [J] [R] a institué Mme [Y] en qualité de légataire universelle.

M. [J] [R] est décédé le 9 février 2014.

Par acte du 29 juin 2016, Mme [E] a fait assigner Mme [Y] devant le tribunal de grande instance de Pau aux fins de voir, au visa des articles L.321-17 alinéa 2 du code rural et 1077-1 du code civil :

- juger recevable sa réclamation de salaire différé à hauteur de 133 258,60 euros et son action en réduction tendant à compléter le montant de sa réserve dans la succession de ses parents

- avant dire droit, ordonner une mesure d'expertise afin de procéder à l'évaluation des biens compris dans la donation-partage acceptée par tous les héritiers réservataires, au jour du décès du dernier des donateurs et dans l'état dans lequel ils étaient au jour de la donation et à la date la plus proche de la décision à intervenir

- réserver les dépens

Par le jugement dont appel du 5 avril 2019, le tribunal de grande instance de Pau a notamment :

- déclaré Mme [E] recevable en son action et ses demandes

- fixé sa créance de salaire différé à la somme de 133 258,60 euros

- ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [J] [R] et commis pour y procéder Me [V] [K], notaire à [Localité 11]

- désigné le juge commis par le président de cette juridiction pour surveiller les opérations et faire rapport en cas de difficultés

- avant-dire droit, ordonné une expertise aux fins de reconstituer la masse de calcul de la quotité disponible pour la succession de M. [J] [R], d'évaluer les biens immobiliers dépendant de la succession et de calculer si nécessaire le montant de l'éventuelle indemnité de réduction

Par déclaration transmise au greffe de la cour via le RPVA le 8 juin 2019, Mme [Y] a relevé appel de cette décision, dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestés, en toutes ses dispositions expressément énumérées dans la déclaration d'appel.

***

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour via le RPVA le 8 juin 2022, Mme [Y] demande à la cour de :

- révoquer l'ordonnance de clôture au jour de l'audience des plaidoiries

- la juger recevable et bien fondée en son appel principal

- réformer en toutes ses dispositions le jugement du 5 avril 2019 du tribunal de grande instance de Pau

statuant à nouveau

à titre principal

- juger irrecevables l'action en réduction et la demande de créance de salaire différé formulées par Mme [E] à défaut de demande en partage judiciaire formée par voie d'assignation

à titre subsidiaire, si par extraordinaire la cour estimait recevables les demandes en réduction et en paiement de créance de salaire différé de Mme [E]

concernant la demande en réduction

- constater et dire et juger qu'à la date du 5 mai 1996, jour de la donation-partage litigieuse, la parcelle A [Cadastre 3] était classée en zone agricole (NC) sur la carte communale de [Localité 7], ladite parcelle n'ayant été classée en zone urbaine (UB), soit en zone constructible, que dans le PLU de ladite commune approuvé en 2008

- dire et juger que Mme [E] ne rapporte pas la preuve d'une sous-évaluation de la parcelle A [Cadastre 3] dans l'acte de donation-partage du 5 mai 1986 ayant eu pour conséquence de porter atteint à sa réserve

- dire et juger que l'émolument net reçu par Mme [Y] dans l'acte de donation-partage du 5 mai 1986 doit être chiffré déduction faite de l'obligation de soins mise à sa charge

- dire et juger que le lot donné hors part à Mme [Y] et valorisé à 150 000 francs dans l'acte de donation-partage du 5 mai 1986 en contrepartie de la charge de soins à l'égard de ses deux parents doit être valorisé à 0 et que la donation n'a porté que sur des biens valorisés pour 300 000 francs au total

- en conséquence, dire et juger que la part de réserve d'un tiers de Mme [E] sur 300 000 francs représente 100 000 francs et qu'ayant reçu un lot de 150 000 francs il n'y a eu aucune atteinte à sa réserve

- en conséquence, débouter Mme [E] de sa demande en réduction pour atteinte à sa réserve dans la donation-partage du 5 mai 1986 ainsi que de sa demande d'ordonner une mesure d'expertise avant-dire droit

concernant la demande de créance de salaire différé

- dire et juger que Mme [E] qui demande une créance de salaire différé, au-delà de n'avoir pas précisé sur laquelle des successions des deux parents elle était sollicitée, ne rapporte pas la preuve des conditions légales permettant de bénéficier du salaire différé et notamment la preuve d'une absence de rémunération en contrepartie de sa collaboration à l'exploitation

- en conséquence, débouter Mme [E] de sa demande de créance de salaire différé

à titre infiniment subsidiaire, si la cour estimait recevable et fondée les demandes en réduction et en paiement de créance de salaire différé de Mme [E]

- ordonner avant dire droit une mesure d'expertise dans laquelle l'expert aura pour mission d'évaluer les biens de la donation-partage et d'évaluer la charge de soins et d'entretien qu'elle a assumée à l'égard de ses deux parents

en toute hypothèse

- débouter Mme [E] de toutes ses demandes, fins et conclusions contraires

- condamner Mme [E] à lui payer une somme de 10 000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi que sur le fondement de l'article 1240 du code civil

- condamner Mme [E] aux entiers dépens de première instance et d'appel

Elle fait valoir en ce sens que :

- l'action en réduction et la demande reconventionnelle en partage judiciaire sont irrecevables

- l'action en réduction est irrecevable parce que Mme [E] ne formule, dans son assignation, aucune action en liquidation partage des deux successions de ses père et mère alors qu'il est constant qu'elle ne peut demander au juge de trancher les contestations relatives à la masse partageable (et, par conséquent, la réduction des libéralités) sans qu'une action tendant à la liquidation et au partage ait été préalablement formée

- il en va de même d'une demande de licitation d'un bien indivis ou d'une demande de rapport de primes manifestement excessives sur un contrat d'assurance-vie

- l'action en réduction est en effet manifestement liée aux opérations de partage et ne peut être formée de manière indépendante à l'action en partage elle-même

- l'action en réduction ne peut porter sur la succession de ses parents, comme demandé par Mme [E], dès lors qu'il y a nécessairement deux successions à liquider pour vérifier une éventuelle atteinte à la réserve dans chacune d'elles

- ce n'est que par des conclusions ultérieures du 11 mai 2018 (soit 2 ans après l'assignation) que Mme [E] a reconventionnellement demandé au tribunal « d'ordonner en tant que de besoin l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession dont s'agit », précisant, dans ses conclusions signifiées le 27 novembre 2018, qu'il s'agissait des opérations concernant « la succession de M. [J] [R] »

- or, l'assignation est le seul mode d'introduction du partage judiciaire qui doit être initié par voie d'action et ne peut être introduit par la voie d'une demande reconventionnelle en défense à une demande d'irrecevabilité

- cette demande était par ailleurs fondée sur l'article 815 du code civil et non sur l'article 840 du code civil

- à supposer même que l'on considère que le partage pourrait être demandé autrement que par voie d'assignation, encore conviendrait-il que soient respectées les dispositions de l'article 1360 du code de procédure civile selon lesquelles l'assignation en partage précise « les diligences accomplies en vue de parvenir à un partage amiable » à peine d'irrecevabilité

- en l'espèce, Mme [E] ne précise aucunement les diligences qu'elle aurait entreprises pour aboutir à un partage amiable

- elle n'a pas plus formulé de demande en répartition des biens

- s'agissant de la demande de salaire différé, elle est également irrecevable car elle supposait au préalable, sur le fondement de l'article 321-17 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime, comme l'action en réduction, une assignation en partage judiciaire préalable

- dans aucune de ses écritures, Mme [E] n'a indiqué de quel exploitant de ses père et mère il s'agissait ou sur la succession duquel de ses parents elle revendiquait un salaire différé, alors que, même dans l'hypothèse où les ascendants sont considérés comme co-exploitants, il n'y a qu'un seul contrat de salaire différé et la dette de salaire pèse indifféremment pour le tout sur l'une ou sur l'autre des successions mais pas sur les deux

- contrairement à ce qu'a retenu le premier juge, son père n'était pas unique exploitant et le relevé de carrière MSA ne désigne aucunement celui-ci comme seul exploitant

- sur le fond, l'action en réduction ne peut qu'être rejetée dès lors que la parcelle A [Cadastre 3] était bien une parcelle agricole lors de la signature de la donation-partage, ce dont elle justifie

- en tout état de cause, elle ne saurait prospérer, compte tenu du raisonnement même de Mme [E] selon lequel son obligation de soins aurait été évaluée à 150 000 francs dans la donation-partage, ce dont il résulterait qu'en réalité le montant des biens donnés s'élève à 300 000 francs et qu'ayant obtenu 150 000 francs aucune atteinte n'a été portée à sa réserve qui était de 100 000 francs

- s'agissant de la créance de salaire différé, son bénéfice suppose, aux termes de l'article L.321-13 alinéa 1 du code rural et de la pêche maritime, la réunion de quatre conditions, dont la preuve d'une absence de rémunération

- il appartient à celui qui prétend bénéficier d'un contrat de travail à salaire différé d'apporter la preuve qu'il remplit ces conditions, ce que ne fait pas Mme [E]

- la simple affiliation à la MSA en qualité d'aide familiale n'est pas suffisante pour apporter la preuve d'une absence de participation aux bénéfices et aux pertes de l'exploitation

- elle a reçu le 14 octobre 1975, soit lorsqu'elle a quitté l'exploitation de ses parents, une somme de 30 000 francs qu'elle ne conteste pas

- les attestations de M. [W] et de Mme [D] ne peuvent qu'être écartées dès lors que ces personnes n'étaient aucunement dans l'intimité de la famille, qu'elles habitaient à cette époque à [Localité 11] et que le paiement en espèces du salaire de sa s'ur se faisait dans la stricte intimité familiale

- Mme [B], cousine de Mme [R], est la seule qui rendait régulièrement visite à la famille et elle n'atteste aucunement que Mme [E] n'était pas rémunérée en contrepartie de ses travaux, étant observé par ailleurs que cette attestation a été obtenue dans des conditions douteuses telles que cela transparaît de la sommation interprétative du 9 juillet 2018

- en tout état de cause, et à supposer que Mme [E] soit bien bénéficiaire d'une créance de salaire différé sur la succession de son père et qu'elle puisse exiger des donataires de la donation-partage de 1986 le paiement de son salaire lors des opérations de partage sur le fondement de l'article L3 121-17 alinéa 2 du code rural, il convient de rappeler que les donataires ne peuvent être tenus de la dette de salaire que jusqu'à concurrence et à proportion des biens qui leur ont été donnés, soit dans la proportion de ce que chacune aura reçu dans la donation-partage et, la concernant, à hauteur de l'émolument net après déduction de la charge de soins

- s'agissant de la valeur des biens précédemment donnés par voie de donation-partage, il convient de retenir la valeur au jour du règlement de la créance de salaire différé compte tenu de leur état lors de la donation-partage

- considérant l'obligation de soins mise à sa charge en contrepartie de l'attribution d'un tiers des biens, on ne pourra retenir que la valeur actuelle des 2/3 des biens donnés

- ainsi, dans l'hypothèse où il serait fait droit à la demande de créance de salaire différé, il conviendra d'ordonner une expertise en vue d'évaluer les biens objet de la donation-partage à la date de ce jour, dans l'état où ils se trouvaient au jour de la donation-partage du 5 mai 1986, valeur dont sera déduite la valeur de l'obligation de soins qu'elle a exécutée à l'égard de ses deux parents parallèlement fixée à dire d'expert

- le tribunal n'ayant été saisi d'aucune action en partage par voie d'assignation, aucun notaire ne peut être désigné pour procéder aux opérations de partage, sachant qu'en tout état de cause la désignation d'un notaire s'avère inutile en l'espèce dès lors que les opérations de partage sont très simples et que la décision de justice qui trancherait les questions relatives au partage se suffit amplement

- la somme de 10 000 euros est sollicitée tant au titre des frais irrépétibles qu'elle est contrainte d'exposer pour se défendre en justice qu'au titre du préjudice moral que lui cause sa s'ur par le biais de cette procédure injuste et infondée ainsi que par son comportement déloyal

Dans ses dernières conclusions transmises au greffe de la cour via le RPVA le 30 août 2022, Mme [E] demande à la cour de :

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, les déclarer irrecevables et en tout cas non fondées

- confirmer le jugement du 5 avril 2019 en ses dispositions non contraires aux présentes constatant que la parcelle A [Cadastre 3] était classée en zone agricole (NC) sur la carte communale de [Localité 8] à la date du 5 mai 1986

- lui donner acte de son désistement concernant l'action en réduction sur le fondement de l'article 1077-1 et suivants du code civil

- en conséquence, dire et juger n'y avoir lieu à l'expertise des biens immobiliers objet de la donation-partage du 5 mai 1986, ni à l'estimation d'une quelconque indemnité de réduction

- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, notamment la demande d'expertise pour évaluer la charge d'entretien assumée par elle telle qu'imposée dans l'acte de donation du 5 mai 1986 et à sa demande de dommages-intérêts

- ordonner, en tant que de besoin, l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [J] [R] sur le fondement des articles 815, 840 et suivants du code civil et désigner tel notaire qu'il plaira à la cour de nommer aux fins d'y procéder

- la dire et juger recevable et bien fondée en sa réclamation de salaire différé et fixer ladite créance de salaire différé à hauteur de 133 258,60 euros

- condamner Mme [Y] à lui régler une somme de 7000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

- la condamner aux entiers dépens

Elle fait valoir que :

- au regard des pièces produites par l'appelante établissant que la parcelle [Cadastre 6] était classée en terrain agricole, non constructible, au moment de la signature de la donation-partage du 5 mai 1986, elle n'est plus en mesure d'établir que sa part de réserve héréditaire n'a pas été respectée par l'acte de donation-partage, raison pour laquelle elle se désiste de son action en réduction

- sa demande d'expertise devient également en conséquence sans objet, sachant qu'en application des dispositions de l'article 1075-3 du code civil la donation-partage ne peut être attaquée pour cause de lésion et que les valeurs des biens immobiliers retenus dans l'acte ne peuvent plus être discutées

- pour autant, elle n'engageait cette action que sur la foi de l'attestation du maire de la commune de [Localité 8] dont elle ne pouvait imaginer qu'elle était erronée, ce dont il résulte qu'elle ne saurait supporter les conséquences de cette erreur, ni de la révélation tardive de la nature de la parcelle litigieuse

- s'agissant de son action engagée sur le fondement de l'article L.321-17 alinéa 2 du code rural et de la pêche maritime, contrairement à ce que soutient Mme [Y], et comme l'a retenu justement le tribunal, une demande en partage a bien été formulée sur la succession de M. [R]

- aucune disposition du code de procédure civile n'impose que la demande en partage judiciaire soit formée par voie d'action et par assignation

- en l'espèce, la revendication de créance de salaire différé et la demande en partage figurent dans ses premières conclusions responsives qui exposent le descriptif sommaire du patrimoine partagé et précisent les intentions du demandeur quant à la répartition des biens

- il importe peu que seul l'article 815 ait été cité comme fondement à l'action dès lors que l'action est expressément formée « sur le fondement des dispositions de l'article 815 et suivants du code civil » et que les dispositions de l'article 1360 du code de procédure civile ont été respectées

- il y a bien eu des diligences pour parvenir à un partage amiable puisqu'un acte de partage a été effectivement établi par Me [N], notaire de Mme [Y], et que Mme [Y] reconnaît expressément que Me [A], notaire de Mme [E], est à l'origine de la demande de salaire différé de sa cliente

- elle a refusé cette proposition de partage amiable car elle contenait une clause de renonciation à réclamer le solde de sa créance de salaire différé

- Mme [Y] ne démontre aucunement que chacun de ses parents exploitait sa propre exploitation agricole sur ses propres terres séparément alors même que la réalité est toute autre, il s'agissait d'une seule et même exploitation agricole constituée des terres appartenant à chacun des époux et exploitées par ces derniers comme co-exploitants

- comme cela a été exposé dans ses écritures, sa réclamation de créance de salaire différé est exercée à l'encontre de la succession de son père, dernier exploitant décédé en conformité avec les dispositions de l'article L.321-17 alinéa 1 du code rural et de la pêche maritime

- Mme [Y] ne peut valablement contester sur le fond l'existence et le montant de sa créance qui a été évaluée par son propre notaire et qui n'était pas contestée

- de fait, elle a travaillé en qualité d'aide familiale sur l'exploitation agricole du 21 septembre 1965 au 31 décembre 1975 alors qu'elle était âgée de 18 ans et n'a jamais perçu de rémunération ni été associée aux bénéfices ou pertes de ladite exploitation

- elle était inscrite auprès de la MSA en qualité d'aide familiale

- trois témoins attestent qu'elle a toujours vécu et travaillé sur l'exploitation des parents de la fin de sa scolarité fin juin 1964 jusqu'à son mariage en 1975, qu'elle a participé à tous les travaux ménagers et agricoles de la ferme et n'a jamais été rémunérée

- dès lors que l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [R] est ordonnée, il est normal qu'un notaire soit nommé pour y procéder

- la charge d'entretien de Mme [Y] a été évaluée par anticipation au tiers de la masse successorale correspondant à la quotité disponible et à titre de condition de la donation du tiers préciputaire dans le cadre de la donation-partage, ce dont il résulte qu'elle est aujourd'hui irrecevable à remettre en question l'équilibre de la donation-partage dans le cadre d'une action en réduction et d'une demande d'expertise

La clôture des débats, initialement fixée au 7 juin 2022, est intervenue le 26 septembre 2022 et l'affaire a été examinée à l'audience des plaidoiries du 10 octobre 2022.

Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision entreprise et aux dernières conclusions régulièrement déposées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.

MOTIFS DE LA DÉCISION

A titre préalable, il sera rappelé qu'ux termes de l'acte notarié signé le 5 mai 1986 par devant Me [W], notaire à [Localité 10], M. [J] [R] et Mme [M] [F] [S] [R] ont fait donation entre vifs à titre de partage anticipé à Mme [Z] [R] épouse [Y] et à Mme [C] [R] épouse [E], seuls enfants issues de leur mariage et leurs seules présomptives héritières, de la totalité de la nue-propriété de leurs biens immobiliers propres et communs, nue-propriété évaluée à la somme totale de 450 000 francs comme suit :

- pour 1/3 à titre préciputaire à Mme [Y] soit 150 000 francs à charge pour elle seule d'entretien, logement, soins et nourriture imposée par les donateurs

- pour les 2/3 restants à leurs deux enfants chacune par part égale, soit 150 000 francs chacune

Aux termes de cet acte, les parties ont convenu de l'attribution de la totalité des biens immobiliers à Mme [Y] à charge pour elle de régler à sa s'ur une soulte de 150 000 francs.

sur le « désistement » relatif à l'action en réduction

Il résulte des dernières conclusions de Mme [E] que celle-ci renonce à sa demande de ce chef ainsi qu'à la demande d'expertise y relative.

Dans ces conditions, il n'y a pas lieu de statuer sur l'irrecevabilité de la demande invoquée par Mme [Y].

sur la demande relative à la créance de salaire différé

- sur la recevabilité de la demande

Selon les dispositions de L.321-17 du code rural et de la pêche maritime, « Le bénéficiaire d'un contrat de salaire différé exerce son droit de créance après le décès de l'exploitant et au cours du règlement de la succession ; cependant l'exploitant peut, de son vivant, remplir le bénéficiaire de ses droits de créance, notamment lors de la donation-partage à laquelle il procéderait.

Toutefois, le bénéficiaire des dispositions de la présente sous-section, qui ne serait pas désintéressé par l'exploitant lors de la donation-partage comprenant la majeure partie des biens, et alors que ceux non distribués ne seraient plus suffisants pour le couvrir de ses droits, peut lors du partage exiger des donataires le paiement de son salaire (...) ».

Pour autant, Il est constant que :

- la créance de salaire différé naît du vivant de l'exploitant agricole et constitue une dette personnelle de ce dernier de sorte que le bénéficiaire d'un contrat de salaire différé est créancier de l'exploitant, même s'il ne peut exercer son droit qu'après le décès de ce dernier, au cours du règlement de sa succession

- la créance de salaire différé n'est ainsi qu'une variété de créance d'un héritier contre la succession

- la demande d'un héritier tendant à voir fixer sa créance à l'égard de la succession, qui ne tend ni à la liquidation de l'indivision successorale, ni à l'allotissement de cet héritier, ne constitue pas une opération de partage et n'est, dès lors, pas subordonnée à l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession

- elle peut donc être engagée par un héritier à l'encontre d'un seul de ses cohéritiers, chaque héritier étant personnellement tenu des dettes de la succession pour la part successorale dont il est saisi en application des dispositions des articles 873 et 1220 du code civil

Dès lors, la demande en fixation de sa créance de salaire différé par Mme [E] est parfaitement recevable indépendamment de l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession, étant observé que :

- l'article L.321-17 susvisé est relatif aux conditions de règlement de cette créance

Mme [Y] admet elle-même, dans ses dernières conclusions, que ses deux parents étaient co-exploitants d'une seule et même exploitation

- peu important dès lors la nature propre ou commune des différentes parcelles exploitées, Mme [E], qui prétend avoir travaillé sur cette exploitation dans le cadre d'un contrat de travail à salaire différé, peut faire valoir sa créance à l'encontre de l'un ou l'autre des exploitants

- Mme [E] a clairement indiqué, dans ses conclusions, qu'elle entendait faire valoir sa créance à l'égard de son père, dernier vivant des co-exploitants

La demande de Mme [E] en fixation de sa créance de salaire différé est donc parfaitement recevable.

- sur l'existence et le montant de la créance de salaire différé

Conformément aux dispositions de l'article L.321-13 du code rural et de la pêche maritime, « Les descendants d'un exploitant agricole qui, âgés de plus de dix-huit ans, participent directement et effectivement à l'exploitation, sans être associés aux bénéfices ni aux pertes et qui ne reçoivent pas de salaire en argent en contrepartie de leur collaboration, sont réputés légalement bénéficiaires d'un contrat de travail à salaire différé sans que la prise en compte de ce salaire pour la détermination des parts successorales puisse donner lieu au paiement d'une soulte à la charge des cohéritiers (...) ».

le bénéfice d'un contrat de travail à salaire différé suppose ainsi la réunion de quatre conditions :

- avoir la qualité de descendant de l'exploitant

- être âgé de plus de 18 ans

- avoir participé directement et effectivement à l'exploitation

- ne pas avoir été associé aux bénéfices ou aux pertes de l'exploitation et ne pas avoir perçu de salaire en argent en contrepartie de sa collaboration

En l'espèce, il n'est pas contestable que Mme [E], née le 21 septembre 1947, a bien la qualité de descendante de M. [R] - à l'égard de de la succession duquel elle entend faire valoir sa créance de salaire différé - et a atteint l'âge de 18 ans le 21 septembre 1965.

Il résulte par ailleurs d'un document de reconstitution de carrière établi le 27 mars 2014 par la MSA Sud Aquitaine qu'elle a été inscrite auprès de la MSA du 21 septembre 1965 au 31 décembre 1975 en qualité d'aide familiale.

Mme [E] produit enfin trois attestations de cousins et/ou connaissance de la famille, à savoir celles de M. [W], de Mme [D] et de Mme [B], qui exposent sans ambiguïté que celle-ci a vécu sur l'exploitation de se parents et participé de manière directe et effective aux divers travaux de celle-ci (entretien et alimentation des animaux, culture du tabac,') de la fin de sa scolarité en 1961 jusqu'à son mariage en 1975.

M. [W] et Mme [D] précisent en outre que ces travaux n'ont jamais été rémunérés.

Les attestations de M. [W] et de Mme [D] ne sont pas sérieusement remises en cause par Mme [Y] qui se contente d'indiquer, sans en justifier, que ceux-ci ne pourraient témoigner de l'absence de rémunération dès lors que le salaire était versé « dans la stricte intimité familiale ».

Quant à l'attestation de Mme [B], cette dernière ne remet aucunement en cause, dans la sommation interprétative qui lui a été délivrée postérieurement, la véracité des déclarations qui y figurent concernant la participation effective de Mme [E] aux travaux de l'exploitation sur la période considérée.

La production de photographies, prétendument relatives à des vacances passées par Mme [E] en Espagne, ne saurait sérieusement contredire les attestations précises produites par cette dernière est corroborées par son inscription en tant qu'aide familiale auprès de la MSA.

Il en va de même du document daté du 14 octobre 1975, semble-t-il établi entre M. [X] [Y] (époux de Mme [Y]) et Mme [R] [C] (Mme [E]) concernant la perception par cette dernière d'une somme de 30 000 nouveaux francs qui ne saurait justifier de la perception d'un quelconque salaire au titre de sa participation à l'exploitation agricole de ses parents alors même que l'on ne connaît pas la cause du versement de cette somme et qu'elle n'émane pas de ses parents co-exploitants.

De l'ensemble des éléments susvisés, il résulte que Mme [E] rapporte suffisamment la preuve qu'en sa qualité de descendante de M. [J] [R], exploitant agricole, elle a, du 21 septembre 1965 à la date de son mariage, soit le 24 septembre 1975 (à savoir pendant 10 années), participé directement et effectivement à l'exploitation, sans être associée aux bénéfices ni aux pertes et qu'elle n'a pas perçu de salaire en argent en contrepartie de sa collaboration, ce dont il résulte qu'elle est réputée légalement bénéficiaire d'un contrat de travail à salaire différé.

S'agissant du montant de la créance en résultant, l'article L.321-17 3ème alinéa du code rural et de la pêche maritime dispose que « (') Les droits de créance résultant des dispositions de la présente sous-section ne peuvent en aucun cas, et quelle que soit la durée de la collaboration apportée à l'exploitant, dépasser, pour chacun des ayants droit, la somme représentant le montant de la rémunération due pour une période de dix années, et calculée sur les bases fixées au deuxième alinéa de l'article L.321-13 (...) ».

L'article L.321-13 précise que « (') Le taux annuel du salaire sera égal, pour chacune des années de participation, à la valeur des deux tiers de la somme correspondant à 2 080 fois le taux du salaire minimum interprofessionnel de croissance en vigueur, soit au jour du partage consécutif au décès de l'exploitant, soit au plus tard à la date du règlement de la créance, si ce règlement intervient du vivant de l'exploitant ».

En application de ces dispositions, la créance de salaire différé de Mme [E] a été valablement évaluée, dans le projet de partage amiable établi le 12 mars 2015, à la somme de : 2080x 2/3x 9,61 (taux du SMIC alors en vigueur) x10= 133 258,60 euros, somme à laquelle Mme [E] limite sa demande.

La décision du tribunal de grande instance de Pau fixant la créance de salaire différé de Mme [E] à cette somme sera en conséquence confirmée de ce chef.

sur la demande de partage judiciaire

Le tribunal, par le jugement dont appel du 5 avril 2019, a ordonné l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [J] [R] et commis pour y procéder Me [V] [K], notaire à Pau.

En cause d'appel, Mme [Y] demande l'infirmation de la décision de ce chef.

Mme [E] demande, quant à elle, « d'ordonner en tant que de besoin l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [J] [R] ».

Étant rappelé que la demande de fixation de la créance de salaire différé n'est pas subordonnée à l'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession et qu'il n'est donc pas « besoin » d'y procéder, la cour n'est donc pas valablement saisie d'une demande d'ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [J] [R] par l'une ou l'autre des parties au présent litige.

sur leur demande d'expertise de Mme [Y]

Cette demande, qui tend à remettre en cause l'équilibre de la donation-partage intervenue en 1986, s'inscrit manifestement dans le cadre des opérations de liquidation et de partage des successions de M. et Mme [R] et est donc subordonnée à l'ouverture préalable des opérations de compte, liquidation et partage desdites successions.

Aucune des parties n'ayant formulé une telle demande en cause d'appel, tel que cela été précédemment retenu, cette demande d'expertise est irrecevable.

sur la demande de Mme [Y] fondée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil et 700 du code de procédure civile

Il ne saurait être considéré que la procédure initiée par Mme [E] l'a été de manière abusive et aurait ainsi causé un préjudice à Mme [Y] qui en réclame indemnisation dès lors qu'il a été fait droit à la demande en fixation de la créance de salaire différé de l'intéressée.

La demande d'indemnité en ce qu'elle est formée sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil sera en conséquence rejetée.

Chacune des parties succombant partiellement ou ayant prononcé partiellement à ses demandes initiales devra supporter en conséquence la moitié des dépens de première instance et d'appel.

L'équité commande enfin de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés dans cette instance. Mme [Y] et Mme [E] seront en conséquence déboutées de leur demande respective d'indemnité fondée sur les dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, statuant publiquement par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,

INFIRME la décision du tribunal de grande instance de Pau du 5 avril 2019, sauf en ce qu'elle a déclaré Mme [E] recevable en son action et sa demande en fixation de sa créance de salaire différé et en ce qu'elle a fixé ladite créance à la somme de 133 258,60 euros

Statuant à nouveau pour le surplus et y ajoutant,

CONSTATE que Mme [E] renonce à son action en réduction de la donation-partage et à sa demande d'expertise y relative

DIT n'y avoir lieu en conséquence à statuer sur l'irrecevabilité soulevée par Mme [Y] à ce titre

DIT que la cour n'est pas valablement saisie d'une demande en ouverture des opérations de compte, liquidation et partage de la succession de M. [J] [R] par l'une ou l'autre des parties au présent litige

DECLARE en conséquence irrecevable la demande d'expertise formée à titre subsidiaire par Mme [Y]

DEBOUTE Mme [Y] de sa demande de dommages-intérêts en ce qu'elle est formée sur les dispositions de l'article 1240 du code civil

DEBOUTE les parties de leur demande respective sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile

CONDAMNE chacune des parties à prendre en charge la moitié des dépens de première instance et d'appel.

Arrêt signé par Xavier GADRAT, Président et Régine PALU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIERE LE PRESIDENT

Régine PALU Xavier GADRAT


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 2ème ch - section 2
Numéro d'arrêt : 19/01944
Date de la décision : 21/02/2023

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2023-02-21;19.01944 ?
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