TP/DD
Numéro 22/4505
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 15/12/2022
Dossier : N° RG 20/02930 - N°Portalis DBVV-V-B7E-HWRQ
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[T] [D]
C/
S.A.S. BRINK'S EVOLUTION
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 15 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 17 Octobre 2022, devant :
Madame PACTEAU, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
En présence de Madame DUPONT, Greffiére stagiaire.
Madame PACTEAU, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [T] [D]
[Adresse 3],
[Adresse 3]
[Localité 1]
Représenté par Maître ALOS, avocat au barreau de TARBES
INTIMÉE :
S.A.S. BRINK'S EVOLUTION
Prise en la personne de son représentant légal en exercice dûment domicilié ès qualité audit siège
[Adresse 2]
[Localité 4]
Représentée par Maître DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU et Maître LIBERI de la SELAS BARTHELEMY, avocat au barreau de TOULOUSE
sur appel de la décision
en date du 16 NOVEMBRE 2020
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TARBES
RG numéro : F 18/00194
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [T] [D] a été embauché par la SAS Brink's Evolution suivant plusieurs contrats de travail à durée déterminée et à temps complet :
le 3 juillet 2001 en qualité d'opérateur post-marqueur,
le 27 mai 2002, avec effet au 1er juin suivant, et jusqu'au 7 septembre 2002 pour les mêmes fonctions,
du 9 septembre 2002 au 28 septembre 2002 en qualité d'agent de maintenance,
le 29 septembre 2002 et jusqu'au 31 décembre 2002, renouvelé pour le mois de janvier 2003 par avenant en date du 20 décembre 2002, en qualité de conducteur VL.
Suivant un avenant du 27 janvier 2003, la relation de travail s'est poursuivie dans le cadre d'un contrat à durée indéterminée.
À compter du 1er mars 2006, il a occupé le poste de conducteur-convoyeur, coefficient 140.
Il a été affecté à [Localité 4] à compter du 1er mars 2008.
Du 22 novembre 2017 au 31 janvier 2018, il a fait l'objet d'arrêts de travail pour d'accident du travail ou maladie professionnelle.
Par lettre recommandée avec accusé de réception en date du 22 décembre 2017, il s'est vu notifier une mise à pied à titre disciplinaire pour une durée de trois jours.
Le 5 janvier 2018, il a demandé la conclusion d'une rupture conventionnelle, ce que la société Brink's Evolution a refusé.
Le 6 février 2018, il a été mis en demeure de justifier de son absence depuis le 1er février 2018.
Le 12 février 2018, il a été convoqué à un entretien préalable fixé le 19 février suivant.
Le 22 février 2018, il a été licencié pour faute grave.
Le 23 février 2018, il a été destinataire d'un protocole d'accord transactionnel qu'il a refusé de signer ainsi que d'un chèque de 15 071,77 euros qu'il a encaissé.
Le 12 novembre 2018, il a saisi la juridiction prud'homale afin que son licenciement soit jugé comme étant dénué de cause réelle et sérieuse et que lui soient octroyées, en conséquence, diverses sommes d'argent.
Par jugement du 16 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Tarbes a notamment :
- jugé que le protocole d'accord transactionnel a été accepté par les deux parties,
- débouté M. [T] [D] de l'intégralité de ses demandes indemnitaires,
- débouté la société Brink's Evolution de l'intégralité de ses demandes à titre reconventionnel.
Le 10 décembre 2020, M. [T] [D] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 1er juillet 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [T] [D] demande à la cour de :
- le déclarer recevable et bien fondé en son appel,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il :
* a jugé que le protocole d'accord transactionnel a été accepté par les deux parties
* l'a débouté de l'intégralité de ses demandes indemnitaires,
* a débouté la société Brink's Evolution de l'intégralité de ses demandes à titre reconventionnel,
- y faisant droit et statuant à nouveau,
- juger son licenciement comme étant sans cause réelle et sérieuse,
- condamner la société Brink's Evolution à lui payer les sommes suivantes :
* 23 454,76 € à titre d'indemnité pour licenciement abusif,
* 12 2074,93 € au titre de l'indemnité de licenciement, la somme étant de 12 207,93 € dans le corps des conclusions,
* 3 000 € à titre de dommages-intérêts en réparation de son préjudice moral,
* 3 474,60 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
* 347,46 € au titre des congés payés sur préavis,
* 732 € qu'elle reconnaît lui devoir dans son courrier du 7 novembre 2018,
- constater que la société Brink's Evolution lui a déjà réglé l'indemnité légale de licenciement et le trop-perçu d'indemnités journalières de la sécurité sociale d'un montant de 732 €,
- condamner la société Brink's Evolution à lui remettre sous peine d'une astreinte de 100 € par jour de retard à compte du prononcé de l'arrêt à intervenir les documents modi'es suivants :
* l'attestation Pôle Emploi sur laquelle doit 'gurer le motif de la rupture,
* les bulletins de paie du mois de février 2018,
* le certificat de travail,
* le reçu de solde de tout compte,
- condamner la société Brink's Evolution à lui payer la somme de 3 000 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Brink's Evolution aux dépens d'appel qui pourront être recouvrés conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 11 mai 2021, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Brink's Evolution demande à la cour de :
- rejetant toutes conclusions contraires comme injustes ou infondées :
- confirmer le jugement en toutes ses dispositions ;
- rejeter l'intégralité des demandes indemnitaires de M. [T] [D] ;
- à titre subsidiaire, si par extraordinaire, la cour venait à considérer que le protocole d'accord transactionnel n'est pas opposable à M. [T] [D] ;
- juger que le licenciement de M. [T] [D] repose sur une faute grave ;
- rejeter l'ensemble des demandes indemnitaires et M. [T] [D] ;
- à titre infiniment subsidiaire, si par extraordinaire, la cour venait à considérer que le protocole d'accord transactionnel n'est pas opposable à M. [T] [D] et que son licenciement est dénué de cause réelle et sérieuse ;
- juger que la somme de 12 207,93 € versée à M. [T] [D] correspond à un indu qui vient en compensation de l'indemnité légale de licenciement qu'il réclame ;
- juger que M. [T] [D] était en toute hypothèse dans l'impossibilité d'exécuter son contrat de travail pendant la période correspondant au préavis ;
- juger que M. [T] [D] est impuissant à justifier d'un préjudice moral ;
- rejeter l'intégralité des demandes indemnitaires de M. [T] [D] ;
- en toute hypothèse,
- condamner M. [T] [D] à verser à la société Brink's Evolution la somme de 3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et les entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 19 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur le protocole transactionnel
Selon l'article 2044 du code civil, la transaction est un contrat par lequel les parties, par des concessions réciproques, terminent une contestation née, ou préviennent une contestation à naître.
Ce contrat doit être rédigé par écrit.
L'article 2052 du même code dispose que la transaction fait obstacle à l'introduction ou à la poursuite entre les parties d'une action en justice ayant le même objet.
Il est également constant que, en matière de transaction signée par une seule des parties, le commencement de preuve par écrit doit émaner de la partie à laquelle on l'oppose et, d'autre part, que l'endossement de chèques démontre seulement la réalité de la remise de fonds et non la preuve de l'acceptation tacite de la transaction par celui qui n'avait pas signé le protocole.
En l'espèce, le protocole transactionnel dont se prévaut la société Brink's Evolution a été signé de son seul représentant légal, mais pas par M. [T] [D].
L'intimée produit ainsi un commencement de preuve émanant d'elle-même et non de l'appelant auquel elle l'oppose, de sorte que ce document ne peut être retenu comme commencement de preuve.
Certes, M. [D] a encaissé le chèque de 15 071,77 euros qui était joint au protocole qui lui avait été envoyé pour signature.
Néanmoins, cet encaissement démontre seulement la réalité de la remise de fonds et ne peut être considéré comme étant l'acceptation tacite de la transaction par M. [D].
Dès lors, il doit être considéré qu'aucune transaction valablement conclue n'a terminé ou prévenu une contestation née ou à naître entre la société Brink's Evolution et M. [D].
En conséquence, il y a lieu d'infirmer le jugement querellé en ce qu'il a jugé que le protocole transactionnel avait été accepté par les deux parties.
Sur le licenciement
Aux termes de l'article L.1235-1 du Code du travail, en cas de litige, il appartient au juge, à défaut d'accord, d'apprécier le caractère réel et sérieux des motifs invoqués par l'employeur à l'appui d'un licenciement : tout licenciement doit en effet être fondé sur une cause à la fois réelle, donc établie, objective et exacte, ainsi que sérieuse. Pour ce faire, le juge formera sa conviction au vu des éléments fournis par les parties et, éventuellement, après toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Il doit se placer à la date du licenciement pour apprécier la ou les cause(s) du licenciement. Les juges du fond ont ainsi pour mission d'apprécier les éléments produits par les parties pour établir l'existence d'une cause réelle et sérieuse. Ils qualifient les faits au regard de la réalité et du sérieux du motif et, le cas échéant, à défaut de caractériser une faute grave, ils recherchent si les faits reprochés au salarié ne constituent pas néanmoins une cause réelle et sérieuse de licenciement. S'il subsiste un doute, il profite au salarié.
Par ailleurs, M. [D] ayant été licencié pour faute grave, il appartient à l'employeur d'établir que la faute commise par le salarié dans l'exécution de son contrat de travail est d'une gravité telle qu'elle rendait impossible le maintien du salarié dans l'entreprise.
Il est enfin constant que, pendant la période de suspension du contrat de travail consécutive à un accident du travail ou une maladie professionnelle, l'employeur peut seulement, dans le cas d'une rupture pour faute grave, reprocher au salarié des manquements à l'obligation de loyauté.
En l'espèce, M. [T] [D] a été licencié par courrier du 22 février 2018, pour faute grave consistant en des absences injustifiées depuis le 1er février 2018.
Il résulte des éléments du dossier que M. [D] a été placé en arrêt de travail pour cause d'accident du travail à compter du 22 novembre 2017, jusqu'au 28 novembre suivant.
Le 27 novembre 2017, il a été prolongé jusqu'au 11 décembre 2017, date à laquelle il a été reconduit jusqu'au 1er janvier 2018.
Le 29 décembre 2017, l'arrêt de travail de M. [D] a été prolongé à nouveau jusqu'au 31 janvier 2018.
Il résulte du dossier médical qu'il a lui-même produit qu'il a bénéficié d'une visite de pré-reprise le 10 janvier 2018. Il a évoqué, auprès du médecin, son projet d'ouvrir un bar avec sa femme, laquelle était également présente à la consultation. Le compte-rendu mentionne également que M. [D] était en train d'essayer de négocier une rupture conventionnelle.
D'ailleurs, la société Brink's Evolution verse aux débats un courrier de M. [D] en date du 5 janvier 2018, par lequel ce dernier propose à son employeur une rupture conventionnelle de son contrat de travail dans le but de développer la micro-entreprise qu'il était en train de créer avec sa conjointe.
Enfin, le 30 janvier 2018, M. [D] s'est vu délivrer un certificat de poursuite de soins jusqu'au 28 février 2018, avec une reprise de travail à temps complet le 1er février 2018.
Il reproche à son employeur de ne pas avoir organisé de visite de reprise, ce qui justifierait selon lui ses absences à compter du 1er février 2018 et rendrait son licenciement, qui serait alors intervenu pendant une période de suspension du contrat de travail pour motif professionnel et au motif d'absences injustifiées, dépourvu de cause réelle et sérieuse.
Certes, selon l'article R.4624-31 du code du travail, le travailleur bénéficie d'un examen de reprise du travail par le médecin du travail :
1° Après un congé de maternité ;
2° Après une absence pour cause de maladie professionnelle ;
3° Après une absence d'au moins trente jours pour cause d'accident du travail ;
4° Après une absence d'au moins soixante jours pour cause de maladie ou d'accident non professionnel.
Toutefois, le texte conclut que, dès que l'employeur a connaissance de la date de la fin de l'arrêt de travail, il saisit le service de prévention et de santé au travail qui organise l'examen de reprise le jour de la reprise effective du travail par le travailleur, et au plus tard dans un délai de huit jours qui suivent cette reprise.
Or, dans la présente espèce, aucun élément n'établit que l'employeur était avisé de la date de reprise de M. [D]. Il a certes reçu le dernier arrêt de travail courant jusqu'au 31 janvier 2018. En revanche, il n'est pas justifié que l'avis suivant, qui mentionnait une poursuite des soins dans le cadre de l'accident du travail et une reprise pour le 1er février 2018, a été adressé à la société Brink's Evolution, ce qui lui aurait permis d'organiser la visite de reprise dans les 8 jours suivant celle-ci. Celle-ci a dès lors écrit à son salarié, à sa dernière adresse connue, dès le 6 février 2018, pour lui demander de reprendre le travail ou de lui adresser un arrêt de travail. Il importe d'ailleurs de relever qu'il appartient au salarié d'envoyer les certificats portant arrêts de travail ou soins dans le cadre d'accident du travail, dans les 48 heures qui suivent leur établissement.
Il résulte de tous ces éléments que M. [D], qui ne s'est pas présenté à son poste à compter du 1er février 2018 alors qu'il n'était plus en arrêt de travail, était en absence injustifiée à partir de cette date.
Ces absences injustifiées rendaient impossible la poursuite du contrat de travail, même pendant la période du préavis, de sorte que le licenciement pour faute grave est bien fondé.
Il y a lieu de débouter M. [D] de sa demande à ce titre et des demandes financières subséquentes, à savoir l'indemnité pour licenciement abusif, l'indemnité de licenciement, les dommages-intérêts en réparation du préjudice moral et l'indemnité compensatrice de préavis ainsi que les congés payés y afférents.
Le jugement querellé sera donc confirmé de ce chef.
Sur les autres demandes
M. [D] demande que la société Brink's Evolution soit condamnée à lui payer la somme de 732 euros.
Cette somme a finalement été payée par cette dernière en cours de procédure, par un courrier du 11 mai 2021, comportant le bulletin de salaire correspondant duquel il résulte que cette somme correspondait à un trop perçu d'indemnités journalières.
L'intimée avait d'ailleurs admis être redevable de cette somme dès le 7 novembre 2018.
Cette somme ayant été payée, la demande de M. [D] n'a plus lieu d'être et doit être rejetée.
La décision des premiers juges sera confirmée de ce chef.
M. [D], qui succombe à l'instance, devra en supporter les entiers dépens, ceux de la procédure devant le conseil de prud'hommes et ceux de la procédure en appel.
Il serait par ailleurs inéquitable de laisser à la charge de la société Brink's Evolution l'intégralité des frais non compris dans les dépens qu'elle a dû engager dans le cadre de la procédure initiée par M. [D].
Ce dernier sera en conséquence condamné à lui payer la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS,
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
CONFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes en date du 16 novembre 2020, sauf en ce qu'il a jugé que le protocole d'accord transactionnel a été accepté par les deux parties ;
Statuant à nouveau et y ajoutant :
DIT qu'aucune transaction n'a été valablement conclue entre la société Brink's Evolution et M. [T] [D] ;
DECLARE bien fondé le licenciement pour faute grave de M. [T] [D] ;
CONDAMNE M. [T] [D] aux dépens de l'instance devant le conseil de prud'hommes et de l'instance en appel ;
CONDAMNE M. [T] [D] à payer à la société Brink's Evolution la somme de 800 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,