PS/DD
Numéro 22/4516
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 15/12/2022
Dossier : N° RG 20/01927 - N°Portalis DBVV-V-B7E-HTZX
Nature affaire :
Demande de paiement de créances salariales sans contestation du motif de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[I] [E]
C/
S.A.R.L. BORDERDIS HARD-DISCOUNT
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 15 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 12 Octobre 2022, devant :
Madame CAUTRES, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles
assistées de Madame LAUBIE, Greffière.
En présence de Madame DUPONT, Greffière stagiaire.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [I] [E]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par Maître CALIOT de la SELARL PICOT VIELLE & ASSOCIÉS, avocat au barreau de BAYONNE, et Maître VAISSIERE de la SELARL VOA, avocat au barreau de TOULOUSE
INTIMÉE :
S.A.R.L. BORDERDIS HARD-DISCOUNT
[Adresse 6]
[Adresse 5]
[Localité 3]
Représentée par Maître CREPIN de la SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU, et Maître TABOHOUT, avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 24 JUILLET 2020
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE TARBES
RG numéro : F 19/00039
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [I] [E] a été embauché par la société Borderdis Hard Discount le 1er novembre 2016, avec reprise d'ancienneté au 12 septembre 2016, en qualité de directeur de magasin, statut cadre, suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de détail et de gros à prédominance alimentaire. Suivant une convention annexée au contrat, il était convenu une rémunération mensuelle de 2.700 € brut pour un forfait annuel de 216 jours de travail.
Le 15 mars 2018, il a été licencié pour faute grave.
Le 15 mars 2019, il a saisi la juridiction prud'homale.
Par courrier du 20 octobre 2017, l'inspection du travail a sollicité de l'employeur des informations suite à un contrôle du même jour portant sur le secteur boulangerie de l'établissement, ainsi que la communication du document par lequel les jours de travail du directeur de magasin était suivi. Le 6 mai 2019, elle a adressé un courrier à M. [E].
Par jugement du 24 juillet 2020, le conseil de prud'hommes de Tarbes a :
- débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné M. [E] à payer à la société Borderdis Hard Discount une somme de 500 € sur le fondement de l'article l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux éventuels dépens.
Le 25 août 2020, M. [E] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 31 août 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [E] demande à la cour de :
- rejetant toutes conclusions contraires comme injustes, ou mal fondées,
- infirmer le jugement entrepris en ce qu'il l'a débouté de l'ensemble de ses demandes, à savoir :
. juger que l'employeur n'a pas respecté les obligations inhérentes à la mise en 'uvre de la convention de forfait en jour à laquelle il était soumis,
. juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité à son égard,
. juger qu'il n'a pas bénéficié des temps de repos hebdomadaires obligatoires,
. juger qu'il a travaillé 270 jours en 2017 et qu'il doit bénéficier du paiement des jours travaillés au-delà de 216 jours, soit 54 jours,
- en conséquence :
. condamner la société Borderdis Hard Discount à lui régler les sommes suivantes :
o 9.040,59 € bruts au titre des 54 jours supplémentaires travaillés en 2017, outre les congés payés à hauteur de 904,05 € bruts,
o 12.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos obligatoires,
o 16.200 € nets au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
. condamner la société Borderdis Hard Discount à lui verser la somme de 3.000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile,
- infirmer le jugement en ce qu'il l'a condamné à payer à la société Borderdis Hard Discount la somme de 500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'aux éventuels dépens,
- statuant à nouveau :
- débouter la société Borderdis Hard Discount de l'ensemble de ses demandes,
- juger que l'employeur n'a pas respecté les obligations inhérentes à la mise en 'uvre de la convention de forfait en jour à laquelle il était soumis,
- juger que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité à son égard,
- juger qu'il n'a pas bénéficié des temps de repos hebdomadaires obligatoires,
- juger qu'il a travaillé 270 jours en 2017 et qu'il doit bénéficier du paiement des jours travaillés au-delà de 216 jours, soit 54 jours,
- en conséquence :
. condamner la société Borderdis Hard Discount à lui régler les sommes suivantes :
o 9.040,59 € bruts au titre des 54 jours supplémentaires travaillés en 2017, outre les congés payés à hauteur de 904,05 € bruts,
o 12.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos obligatoires,
o 16.200 € nets au titre de l'indemnité forfaitaire de travail dissimulé,
- condamner la société Borderdis Hard Discount à lui verser la somme de 3 000 € au visa de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamner la société Borderdis Hard Discount aux entiers dépens de première instance et d'appel.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 29 août 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Borderdis Hard Discount demande à la cour de :
- à titre principal,
- la déclarer recevable en son action et bien fondée dans ses demandes, fins et prétentions,
- débouter M. [E] de toutes ses demandes, fins et prétentions plus amples ou contraires,
- y faisant droit :
. juger que le dépassement de la convention de forfait en jours est exclusivement imputable au salarié,
. juger que le non-respect des temps de repos hebdomadaire est exclusivement imputable au salarié,
. juger que le salarié n'établit pas l'élément intentionnel caractéristique de l'infraction de travail dissimulé,
- et en conséquence,
. confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions en ce qu'il a :
1/ débouté M. [E] de l'ensemble de ses demandes à savoir :
o jugé que l'employeur n'a pas respecté les obligations inhérentes à la mise en 'uvre de la convention de forfait en jour à laquelle était soumis M. [E],
o jugé que l'employeur a manqué à son obligation de sécurité à l'égard de M. [E],
o jugé que M. [E] n'a pas bénéficié des temps de repos hebdomadaires obligatoires,
o jugé que M. [E] a travaillé 270 jours en 2017 et qu'il doit bénéficier du paiement des jours travaillés au-delà de 216 jours, soit 54 jours,
. et en conséquence condamner la société Borderdis Hard Discount à lui régler les sommes suivantes :
o 9.040,59 € bruts au titre de 54 jours supplémentaires travaillés en 2017 outre 904,05 € bruts à titre des congés payés afférents,
o 12.000 € nets à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos obligatoires,
o 16.200 € nets à titre d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
o 3.000 € sur le fondement de l'article 700 code de procédure civile,
2/ condamné M. [E] à lui verser la somme de 500 € sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile et aux dépens,
- débouter M. [E] de l'ensemble de ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires,
- condamner M. [E] à lui verser 2.500 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile et aux entiers dépens,
- à titre subsidiaire, si la cour de céans devait infirmer le jugement entrepris et entrer en voie de condamnation,
- fixer le taux journalier conformément aux bulletins de salaire à 128,57 € bruts,
- fixer le nombre de jours correspondant au dépassement de la convention de forfaits en jours à 49,5 jours,
- juger que le salarié n'établit pas la réalité de son préjudice qui résulterait du non-respect des temps de repos hebdomadaire,
- et en conséquence,
- limiter le montant des condamnations aux sommes suivantes :
. 6.364,21 € bruts au titre du dépassement de la convention de forfait jour,
. 636,42 € bruts au titre des congés payés afférents,
. 1.000 € à titre de dommages et intérêts au titre du préjudice supposément subi correspondant au non-respect des temps de repos hebdomadaires,
- débouter le salarié du surplus de ses demandes, fins et prétentions, plus amples ou contraires.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 septembre 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Sur la demande de paiement de 54 jours supplémentaires
Aux termes de l'article L.3121-59 du code du travail, le salarié ayant conclu une convention de forfait jours et qui le souhaite peut, en accord avec l'employeur, renoncer à une partie de ses jours en repos en contrepartie d'une majoration de salaire.
Selon l'article L.3171-4 du code du travail, en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre d'heures de travail accomplies, l'employeur fournit au juge les éléments de nature à justifier les horaires effectivement réalisés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si le décompte des heures de travail accomplies par chaque salarié est assuré par un système d'enregistrement automatique, celui-ci doit être fiable et infalsifiable.
Aux termes de l'article D.3171-10 du code du travail, la durée du travail des salariés ayant conclu une convention de forfait en jours sur l'année est décomptée chaque année par récapitulation du nombre de journées ou demi-journées travaillées par chaque salarié.
Il résulte de la combinaison de ces textes qu'en cas de litige relatif à l'existence ou au nombre de jours de travail effectués par le salarié dans le cadre d'une convention de forfait en jours, l'employeur doit fournir au juge les éléments de nature à justifier des jours effectivement travaillés par le salarié. Au vu de ces éléments et de ceux fournis par le salarié à l'appui de sa demande, le juge forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Ainsi la preuve n'incombe spécialement à aucune des parties, et le juge ne peut, pour rejeter une demande de paiement de jours travaillés, se fonder sur l'insuffisance des preuves apportées par le salarié mais doit examiner les éléments de nature à justifier les jours effectivement travaillés par le salarié et que l'employeur est tenu de lui fournir (Cour de cassation chambre sociale 23 septembre 2009 08-41377 ; 19 septembre 2012 11-16205 ; 2 juin 2021 19-16067).
En l'espèce, M. [E] produit :
- le planning du magasin du 2 janvier au 31 décembre 2017 (pièce 3) émargé chaque semaine par chacun des salariés d'où il résulte qu'il a travaillé 270 jours sur cette période, soit :
Total cumulé
S1 : 2 au 8/01 : 4 jours et 2 demi-jours, 5 jours
S2 : 9 au 15/01 : 4 jours et 3 demi-jours, 10 jours et ¿ jour
S3 : 16 au 22/01 : 2 jours et 4 demi-jours, 14 jours et ¿ jour
S4 : 23 au 29/01 : 3 jours et 4 demi-jours, 19 jours et ¿ jour
S5 : 30/01 au 5/02 : 3 jours et 3 demi-jours 24 jours
S6 : 6 au 12/02 : 2 jours et 4 demi-jours 28 jours
S7 : 13 au 19/02 : 3 jours et 3 demi-jours 32 jours et ¿ jour
S8 : 20 au 26/02 : 2 jours et 4 demi-jours 36 jours et ¿ jour
S9 : 27/02 au 5/03 : 3 jours et 4 demi-jours 41 jours et ¿ jour
S10 : 6 au 12/03 : 6 jours 47 jours et ¿ jour
S11 : 13 au 19/03 : 6 jours 53 jours et ¿ jour
S12 : 20 au 26/03 : 6 jours 59 jours et ¿ jour
S13 : 27/03 au 2/04 : 6 jours 65 jours et ¿ jour
S 14 : 3 au 9/04 : 6 jours et 1 demi-jour 72 jours
S 15 : 10 au 16/04 : 6 jours 78 jours
S 16 : 17 au 23/04 : 6 jours 84 jours
S 17 : 24 au 30/04 : 6 jours 90 jours
S 18 : 1/05 au 7/05 : 5 jours 95 jours
S 19 : 8 au 14/05 : 3 jours 98 jours
S 20 : 15 au 21/05 : 6 jours 104 jours
S 21 : 22 au 28/05 : 5 jours 109 jours
S 22 : 29/05 au 4/06 : 6 jours et 1 demi-jour 115 jours et ¿ jour
S 23 : 5 au 11/06 : 6 jours 121 jours et ¿ jour
S 24 : 12 au 18/06 : 5 jours et 1 demi-jour 127 jours
S 25 : 19 au 25/06 : congés payés
S 26 : 26/06 au 2/07 : congés payés
S 27 : 3 au 9/07 : 6 jours 133 jours
S 28 : 10 au 16/07 : 5 jours et 2 demi-jours 139 jours
S 29 : 17 au 23/07 : 6 jours 145 jours
S 30 : 24 au 30/07 : 5 jours et 2 demi-jours 151 jours
S 31 : 31/07 au 6/08 : 5 jours et 1 demi-jour 156 jours et ¿ jour
S 32 : 7 au 13/08 : 5 jours et 1 demi-jour 162 jours
S 33 : 14 au 20/08 : 4 jours et 2 demi-jours 167 jours
S 34 : 21 au 27/08 : 6 jours et 1 demi-jour 173 jours et ¿ jour
S 35 : 28/08 au 3/09 : 6 jours 179 jours et ¿ jour
S 36 : 4 au 10/09 : 6 jours 185 jours et ¿ jour
S 37 : 11 au 17/09 : 6 jours 191 jours et ¿ jour
S 38 : 18 au 24/09 : 6 jours 197 jours et ¿ jour
S 39 : 25/09 au 1/10 : 6 jours 203 jours et ¿ jour
S 40 : 2 au 8/10 : 6 jours et 1 demi-jour 210 jours
S 41 : 9 au 15/10 : 6 jours 216 jours
S 42 : 16 au 22/10 : 6 jours et 1 demi-jour 222 jours et ¿ jour
S 43 : 23 au 29/10 : 6 jours 228 jours et ¿ jour
S 44 : 30/10 au 5/11 : 6 jours 234 jours et ¿ jour
S 45 : 6 au 12/11 : 6 jours 240 jours et ¿ jour
S 46 : 13 au 19/11 : RTT
S 47 : 20 au 26/11 : RTT
S 48 : 27/11 au 3/12 : 6 jours et 1 demi-jour 246 jours et ¿ jour
S 49 : 4 au 10/12 : 6 jours 252 jours et ¿ jour
S 50 : 11 au 17/12 : 6 jours 258 jours et ¿ jour
S 51 : 18 au 24/12 : 6 jours et 1 demi-jour 265 jours
S 52: 25 au 31/12 : 5 jours 270 jours
- les bulletins de paie de l'année 2017 qui mentionnent au total 260 jours travaillés ;
- un courrier adressé le 20 octobre 2017 par le directeur adjoint du travail des Hautes Pyrénées à la société Borderdis Hard Discount faisant état d'un contrôle du secteur boulangerie le 17 octobre 2017, mentionnant que le directeur du magasin ne figure pas sur les derniers plannings qu'il a examinés et sollicitant la communication du document par lequel la société suit ses jours de travail chaque semaine depuis le début de l'année, ainsi qu'un courrier de rappel du 11 décembre 2017 ;
- un courrier qui lui a été adressé le 6 mai 2019 par un inspecteur du travail mentionnant notamment que, suite au contrôle réalisé le 17 octobre 2017, et « à l'étude des plannings de travail communiqués par l'employeur », il a été constaté qu'il avait travaillé 270 jours ;
- sur le planning produit en pièce 3, il observe que :
. il était assisté d'une adjointe, Mme [G], qui a été mise à la disposition du magasin de [Localité 4] du 27 février au 30 avril (période durant laquelle il est indiqué sur le planning mise à disposition [Localité 4] ), puis a quitté la société le 19 novembre après avoir été en congés payés à compter du 30 octobre, et n'a pas été remplacée ;
. Mme [X] [P] était adjointe chef de caisse,
. Mme [N] [A] était responsable de caisse,
. Mme [J] [B] était responsable épicerie,
. M. [L] [Z] était employé commercial,
. Mme [T] était employée commerciale.
- un plan d'action magasin mentionnant, à la rubrique « exemplarité », comme « constat » : « Le directeur doit être le meneur de ses équipes, montrer la voie, donner l'exemple, il doit faire monter ses employés en exigence et en compétences. A ce titre, il se doit de tendre vers l'excellence et maîtriser tous les process », et comme « action à mener » à échéance de la semaine 27 : « Au moins 2 ouvertures et 2 fermetures par semaine, planning tournant avec ses AM sur les dimanches (soit ¿). Le directeur ne doit partir de son magasin que si les tâches sont organisées et planifiées de telle sorte qu'il le soit même en son absence » ;
- un courriel adressé par lui le 31 janvier 2018 à une salariée en charge des ressources humaines par lequel il indique qu'aucun salarié n'étant titulaire du Caces malgré plusieurs demandes datant de plus d'un an, plus aucun salarié ne déchargera les camions de sorte que les chauffeurs de ceux-ci devront procéder au déchargement ;
- un courriel adressé par lui le 3 juillet 2017 à [M] [R] qui, d'après le planning produit en pièce 3, ne fait pas partie du magasin, par lequel il fait le constat d'un mauvais état du magasin à son retour de congés payés, et demande ce qu'il en sera du remplacement de son adjointe qui a fait connaître son départ au 1er novembre 2017.
Il fait valoir que l'employeur n'a pas assuré de suivi de sa charge de travail ni mis en 'uvre l'entretien annuel relativement à la charge de travail prévu par la convention collective. Il a pour sa part rempli de façon hebdomadaire ses relevés de temps de travail et les a communiqués à l'employeur. Il a subi des contraintes que l'employeur connaissait :
- absence puis départ de son adjointe et non-remplacement,
- obligation d'exemplarité,
- aucun des salariés ne disposant du Caces, il a dû décharger des palettes.
La société Borderdis Hard Discount produit le registre unique du personnel au 31 janvier 2020 et les bulletins de paie de M. [E]. Elle fait valoir :
- qu'elle n'a jamais exigé que M. [E] travaille 6 jours par semaine ou plus sans respecter son temps de travail ;
- que M. [E] ne l'a pas alertée concernant le nombre de jours travaillés, alors même qu'elle en a comptabilisés pour sa part davantage en janvier, février, juin et novembre 2017 ; il ne l'a pas avisée de ces erreurs ;
- que la convention de forfait fixe un nombre de jours à travailler de 216 jours et exclut le paiement des heures supplémentaires ;
- que M. [E] disposait de plusieurs responsables hors Mme [G], à savoir Mme [X] [P], Mme [N] [A], Mme [J] [B] et M. [L] [Z], qui avaient chacun une ancienneté importante ;
- que la directrice adjointe était Mme [K] [T], embauchée le 10 avril 2017 ;
- que M. [E] a été licencié pour faute pour avoir harcelé les salariés ;
- que M. [E] disposait du pouvoir d'embaucher et se devait de le faire s'il manquait de personnel pour le soutenir ;
- que lorsque le salarié n'a pas pris tous ses jours de repos au titre de la réduction du temps de travail sans que cela ne soit imputable à l'employeur, il n'est pas en droit de prétendre à être indemnisé.
L'avenant du 17 septembre 2015 à la convention collective du nationale du commerce de détail et de gros à prédominance alimentaire, étendu par arrêté du 24 mai 2016 publié au JO le 3 juin 2016, prévoit en son article 2 :
« Le forfait en jours s'accompagne d'un suivi du nombre de jours ou demi-journées travaillés et du respect du repos quotidien et hebdomadaire prévu par le présent accord, ainsi que de la charge de travail. Ce suivi peut s'effectuer à l'aide d'un document tenu par le salarié sous la responsabilité de l'employeur. Ce document fait apparaître la qualification de chacune des journées ou demi-journées du mois, répartie en quatre catégories au minimum : travail, repos, congé payé, autre absence ; afin d'identifier les éventuelles difficultés en matière d'amplitude des journées de travail, le document indique également, lorsqu'un repos quotidien a été inférieur à 12 heures consécutives, quelle en a été la durée. Il doit également comporter la possibilité pour le salarié d'ajouter toute information complémentaire qu'il jugerait utile d'apporter. Signé par le salarié, le document de décompte est remis mensuellement à sa hiérarchie, responsable de son analyse et des suites à donner, ainsi que de sa conservation. Un récapitulatif annuel est remis au salarié, dans les 3 mois suivant la fin de la période.
Au moins une fois par an, le salarié en forfait jours bénéficie à l'initiative de sa hiérarchie d'un entretien portant sur sa charge et son amplitude de travail, sur l'organisation du travail dans l'entreprise ou l'établissement, sur l'articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle et familiale, ainsi que sur sa rémunération.
Un entretien doit également être proposé par la hiérarchie du salarié lorsque le document mensuel de décompte visé ci-dessus fait apparaître des anomalies répétées mettant en évidence des difficultés en matière de temps de travail. Cet entretien a pour objet d'examiner les mesures correctives à mettre en 'uvre.
Un entretien supplémentaire peut en outre avoir lieu à tout moment de l'année à l'initiative du salarié si celui-ci rencontre des difficultés d'organisation de sa charge de travail l'amenant à des durées de travail trop importantes. Cette alerte doit aboutir à des décisions concrètes.
Lorsqu'un entretien a été rendu nécessaire en raison de difficultés en matière de temps de travail, un bilan est effectué 3 mois plus tard afin de vérifier que la charge de travail présente bien un caractère raisonnable.
L'entreprise peut mettre en place d'autres modalités de suivi que le document ci-dessus, à condition de présenter les mêmes garanties ».
La convention de forfait prévoit :
« Le salarié s'engage à effectuer et signer une déclaration hebdomadaire et fidèle de ses jours ou demi-journées travaillés et non travaillés pour la semaine échue, ainsi que le nombre de journées ou demi-journées de repos prises et celles restant à prendre. Il est informé qu'il devra réaliser un suivi régulier indiquant ses journées de repos, de réduction de temps de travail et demi-journées ou journées de travail ou tout autre incident affectant le suivi de son temps de travail. Cette déclaration répond à une obligation légale à laquelle doivent répondre l'entreprise et la société. Aussi, si le salarié n'y répondait pas, ce manquement constituerait une faute pouvant assurer une sanction allant jusqu'au licenciement. Le salarié reconnaît disposer de tous les moyens et latitudes pour réaliser ce décompte, en ce notamment qu'il bénéficie du logiciel Ageforh.
Un récapitulatif lui sera adressé à l'issue de chaque année, afin qu'il puisse être vérifié que le plafond n'est pas atteint ».
A l'évidence, la convention de forfait ne satisfait pas aux dispositions conventionnelles ci-dessus rappelées en ce qu'il n'est organisé aucun évaluation ni suivi de la charge de travail et que le contrôle du nombre de journées et de demi journées travaillés relève de la seule responsabilité du salarié. Il est pour autant loisible à M. [E] de ne pas solliciter qu'elle soit déclarée nulle ou privée d'effet pour prétendre au paiement d'heures supplémentaires et d'agir en paiement des jours travaillés au-delà du forfait. Il ne demande pas à être indemnisé de jours de repos non pris.
Le seul élément versé aux débats relativement au décompte des jours et demi-journées travaillés est le planning du magasin de l'année 2017 émargé chaque semaine par chacun des salariés dont M. [E], et il en résulte qu'il a travaillé 54 jours au-delà du forfait en 2017, ce qui est étayé en outre par le courrier adressé à M. [E] par l'inspection du travail qui a eu communication de plannings par l'employeur.
L'employeur a su que M. [E] a travaillé en 2017 un nombre de jours nettement supérieur au forfait puisqu'il a mentionné sur les bulletins de paie au total 260 jours travaillés. Il ne fournit aucun élément de fait de suivi de la charge de travail ni des temps de travail et de repos de M. [E], ce alors même que l'absence d'adjoint pendant près de quatre mois sur l'année 2017 était de nature à occasionner un accroissement significatif de la charge de travail du directeur. A cet égard, il est à observer :
- que suivant la classification conventionnelle des emplois, l'adjoint du directeur est le salarié qui, dans un magasin maxi-discompte ou une supérette, aide le ou la responsable de magasin et le ou la supplée dans toutes ses attributions en cas d'absence,
- que sur toute l'année 2017, Mme [V] [G] est la seule personne mentionnée comme étant adjoint du directeur sur le planning du magasin régulièrement émargé par tous les salariés produit en pièce 3 par M. [E] ;
- que le registre unique du personnel produit par l'employeur au 31 janvier 2020 est impropre à déterminer quelles étaient les fonctions de Mme [X] [P], de Mme [N] [A], de Mme [J] [B], de M. [L] [Z], et de Mme [K] [T] en 2017, et que d'après le planning que chacun d'entre eux a émargé durant toute l'année 2017, ils étaient alors respectivement adjointe chef de caisse, caissière, chef de rayon, et, pour les deux derniers, employés commerciaux,
- qu'il résulte des éléments ci-dessus que Mme [V] [G] était adjointe du directeur en 2017, et du planning du magasin et du registre unique du personnel qu'elle a été absente du 27 février au 30 avril 2017 puisque affectée au magasin de [Localité 4], puis qu'elle a quitté la société le 19 novembre 2017 après avoir été en congés payés à compter du 30 octobre 2017, et qu'elle n'a pas été remplacé au moins jusqu'au 31 décembre 2017.
- que si la délégation de pouvoirs annexée au contrat de travail stipule que le directeur est responsable du recrutement du personnel nécessaire à l'exploitation du magasin, il n'est habilité à fixer les traitements, salaires, gratifications et indemnités qu'après concertation avec le gérant de la société, et que le courriel du 3 juillet 2017 produit par M. [E] caractérise qu'il a sollicité dès cette date la société en vue du remplacement de Mme [G] à compter du 1er novembre 2017.
En conséquence de ces éléments, M. [E], qui a travaillé 54 jours au-delà du forfait, au su de l'employeur, parce que les tâches confiées le nécessitaient, est fondé en sa demande de ces jours.
Au vu des bulletins de paie produits, le salaire annuel 2017 de M. [E] s'est élevé à 36.162,39 € pour 248 jours (216 jours de forfait + 25 jours de congés payés + 7 jours fériés). Il en résulte un salaire journalier de 145,82 €, de sorte que la demande de M. [E] sera accueillie à hauteur de 7.874,28 € outre 787,43 € au titre des congés payés afférents. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur le travail dissimulé
En application de l'article L.8223-1 du code du travail, en cas de rupture de la relation salariée, le salarié auquel un employeur a eu recours dans les conditions de l'article L.8221-3 ou en commettant les faits prévus à l'article L.8221-5 a droit à une indemnité forfaitaire égale à six mois de salaire.
Suivant l'article L.8221-5 2° du code du travail, est réputé travail dissimulé le fait pour l'employeur de mentionner sur le bulletin de paie ou le document équivalent un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli, si cette mention ne résulte pas d'une convention ou d'un accord collectif d'aménagement du temps de travail conclu en application du titre II du livre Ier de la troisième partie.
En l'espèce, les bulletins de paie mentionnent un nombre de jours travaillés au total de 260 jours pour l'année 2017, proche de celui effectif, de sorte que l'intention de l'employeur exigée par les textes ci-dessus n'est pas caractérisée. La demande d'indemnité forfaitaire doit donc être rejetée. Le jugement sera confirmé sur ce point.
Sur la demande de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos obligatoires
Les dispositions des articles L.3131-1 du code du travail relatives au repos minimal de 11 h consécutives, de l'article L.3132-1 du code du travail interdisant de faire travailler un même salarié plus de 6 jours par semaine et de l'article L.3132-2 du code du travail imposant un repos hebdomadaire d'une durée minimale de 35 h sont applicables au salarié ayant conclu une convention de forfait.
En l'espèce, il a été retenu que l'employeur n'a procédé à aucun suivi de la charge de travail et s'est déchargé sur le salarié du contrôle des temps de travail et de repos. Il ressort du courrier adressé par l'inspection du travail le 6 mai 2019 à M. [E] qu'à l'étude de ses plannings de travail communiqués par l'employeur, il n'a pas bénéficié d'un repos hebdomadaire de 35 h pendant les périodes suivantes :
- du 9 au 21 janvier 2017,
- du 23 janvier au 4 février 2017,
- du 27 février au 11 mars 2017,
- du 3 au 15 avril 2017,
- du 29 mai au 10 juin 2017,
- du 10 au 22 juillet 2017,
- du 24 juillet au 5 août 2017,
- du 21 août au 2 septembre 2017,
- du 2 au 14 octobre 2017,
- du 16 au 28 octobre 2017,
- du 27 novembre au 9 décembre 2017.
Il est ainsi caractérisé que l'employeur a manqué aux dispositions de l'article L.3132-2 du code du travail.
Les éléments produits par M. [E] (prescriptions d'antidépresseurs les 31 janvier et 19 février 2018, certificat d'un psychiatre du 13 mars 2018 mentionnant un état psychopathologique en lien avec une souffrance au travail, bulletin de salaire de février 2018 mentionnant des absences pour maladie, fiches de pré-reprise des 26 février et 15 mars 2018 de la médecine du travail dont la seconde mentionnant « à la reprise une inaptitude pour tous les postes de travail est envisagée ») sont insuffisants à caractériser un lien entre la dégradation de son état de santé et ses conditions de travail, d'autant que cette dégradation est concomitante, d'après la lettre de licenciement produite par l'employeur, à une enquête initiée par ce dernier à son égard le 26 janvier 2018 pour harcèlement moral suivie de sa mise à pied à titre conservatoire puis de son licenciement. Pour autant, l'absence de repos suffisant est de nature à nuire à la santé et à la vie personnelle du salarié et, eu égard aux circonstances de l'espèce, le préjudice subi peut être raisonnablement évalué à la somme de 5.000 € que la société Borderdis Hard Discount sera donc condamnée à payer à M. [E]. Le jugement sera infirmé sur ce point.
Sur les autres demandes
La société Borderdis Hard Discount succombe de sorte que le jugement sera infirmé concernant les dépens et les frais irrépétibles. Elle sera condamnée aux dépens de première instance et d'appel, condamnée à payer à M. [E] une somme de 2.500 € en application de l'article 700 et déboutée de sa demande de ce chef.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoire et en dernier ressort,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Tarbes du 24 juillet 2020 hormis sur la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé,
Statuant de nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
Condamne la société Borderdis Hard Discount à payer à M. [I] [E] les sommes de :
- 7.874,28 € au titre de 54 jours travaillés en 2017 au-delà du forfait, outre 787,43 € au titre des congés payés afférents,
- 5.000 € à titre de dommages et intérêts pour non-respect des temps de repos obligatoires,
- 2.500 € en application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne la société Borderdis Hard Discount aux dépens de première instance et d'appel.
Arrêt signé par Madame CAUTRES, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,