PS/CD
Numéro 22/04355
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 13/12/2022
Dossier : N° RG 20/02266 - N° Portalis DBVV-V-B7E-
HUXS
Nature affaire :
Demande d'exécution de travaux, ou de dommages-intérêts, formée par le maître de l'ouvrage contre le constructeur ou son garant, ou contre le fabricant d'un élément de construction
Affaire :
SA MATIGNON 86
C/
[V] [H],
MMA ASSURANCES,
SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, SA AXA FRANCE IARD
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 13 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 18 Octobre 2022, devant :
Madame DUCHAC, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Monsieur SERNY, Magistrat honoraire, chargé du rapport conformément à l'article 785 du code de procédure civile
assistés de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l'appel des causes.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SA MATIGNON 86
prise en la personne de son représentant légal domicilié ès qualités au siège
[Adresse 2]
[Localité 6]
Représentée et assistée de Maître MIRANDA de la SELARL ETCHE AVOCATS, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMES :
Monsieur [V] [H]
né le 19 septembre 1951 à [Localité 10]
de nationalité Française
[Adresse 9]
[Localité 4]
Représenté et assisté de Maître L'HOIRY de la SELARL L'HOIRY & VELASCO, avocat au barreau de BAYONNE
MMA ASSURANCES
prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 1]
[Localité 5]
SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES
prise en la personne de son représentant légal ayant son siège social
[Adresse 1]
[Localité 5]
Représentées et assistées de Maître DELPECH de la SCP ETCHEVERRY & DELPECH, avocat au barreau de BAYONNE
SA AXA FRANCE IARD
[Adresse 3]
[Localité 7]
Représentée et assistée de Maître TORTIGUE de la SELARL TORTIGUE PETIT SORNIQUE RIBETON, avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 31 AOUT 2020
rendue par le TRIBUNAL JUDICIAIRE DE BAYONNE
RG numéro : 10/01213
Vu l'acte d'appel initial du 02 octobre 2020 ayant donné lieu à l'attribution du présent numéro de rôle,
Vu le premier rapport d'expertise judiciaire déposé le 31 octobre 2008 dans une instance ayant opposé les époux [P] (propriétaire de la parcelle en amont de celle de la société MATIGNON 86), la SA [H], la commune d'[Localité 8] et la communauté d'agglomération ;
Vu le second rapport d'expertise judiciaire déposé le 25 novembre 2017 par le même expert dans une instance opposant les parties aujourd'hui en cause ;
Vu le jugement dont appel rendu le 31 août 2020 par le tribunal judiciaire de Bayonne qui a débouté le SA MATIGNON 86 de son action en responsabilité et réparation d'un dommage matériel causé par la crue du ruisseau coulant en limite de son fonds, dommage qu'elle imputait en l'entreprise [H], assurée en responsabilité auprès de la SA MMA IARD, qui avait précédemment, réalisé en 1998, pour le compte de son voisin en amont des travaux d'aménagement du cours d'eau qu'il avait fallu ensuite reprendre pour améliorer la solidité de l'ouvrage à la suite d'une importante crue ;
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 24 février 2021 par lesquelles la SA MMA ASSURANCES et la SA MMA IARD ASSURANCES MUTUELLES, ci-après les MMA, assureurs responsabilité de l'entreprise [H], qui concluent ensemble à la confirmation du jugement, au débouté en invoquant que l'entreprise a réalisé des travaux défectueux qui n'entraient pas dans le périmètre de la garantie responsabilité accordée, au rejet de toute action en responsabilité qui la viserait pour manquement à son obligation de conseil, et à l'allocation de 4.000 euros en compensation de frais irrépétibles ;
Vu les dernières conclusions transmises le 17 mars 2021 par voie électronique par la société AXA FRANCE IARD, assureur responsabilité de la commune d'[Localité 8] qui, sans discuter la responsabilité de la commune qu'elle assure, conclut au rejet de la demande en contestant le préjudice qui ne serait prouvé ni dans son existence, ni dans son étendue et qui, reconventionnellement conclut,
- à titre principal, au débouté à titre subsidiaire à la réduction de ses obligations d'indemnisation à la remise en état des berges pour un montant de 70 835 euros TTC,
- à la responsabilité de l'entreprise [H], ce qui s'interprète,
- à l'allocation de 2 000 euros en compensation de frais irrépétibles ;
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 04 avril 2022 par lesquelles la SA MATIGNON 86 sollicite :
- l'infirmation du jugement, une déclaration de responsabilité quasi délictuelle à l'encontre de la SA [H],
- la condamnation solidaire de cette entreprise et des sociétés MMA qui l'assure, à la réparation d'un préjudice matériel de 153 414 euros TTC,
- leur condamnation réparer un préjudice de jouissance évalué à 225 500 euros,
- mais aussi la condamnation solidaire au paiement de ces mêmes indemnités de la société AXA FRANCE IARD prise en sa qualité d'assureur de la commune d'[Localité 8], non appelée en cause, mais considérée comme coresponsable,
- le paiement d'une indemnité de 8 000 euros en compensation de frais irrépétibles ;
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique 07 avril 2022 par [V] [H] qui conclut à la confirmation du jugement, dénie sa responsabilité, agit subsidiairement en garantie contre les sociétés MMA qui l'assure, et demande reconventionnellement, en compensation de frais irrépétibles le paiement de 4.000 euros à ses assureurs et à celui de la commune d'[Localité 8] ;
Vu l'ordonnance de clôture délivrée le 14 septembre 2022.
Le rapport ayant été fait oralement à l'audience.
MOTIFS
Le jugement a été rendu au contradictoire de diverses sociétés du groupe SEGERIC et de la société GENERALI qui ne figurent pas en cause d'appel. Les dispositions du jugement les concernant sont donc définitives.
Les faits
Sur l'action en responsabilité visant [V] [H] assuré par les sociétés MMA IARD
La société MATIGNON 86 est propriétaire d'une parcelle située en bordure Nord du ruisseau de [Localité 11] qui coule sur la commune d'[Localité 8]. La rive opposée appartient au groupe SEGERIC qui n'est pas dans la cause. En amont de sa propriété, se situe la propriété [P] sur laquelle l'entreprise [V] [H] est intervenue dans les conditions ci-après précisées, pour procéder à des travaux de renforcement des rives.
Contrairement aux parcelles situées en amont comme en aval sur la même rive, la parcelle de la société MATIGNON 86 ne présente pas de construction édifiée en bordure immédiate du ruisseau ; le sol y est donc plus meuble qu'ailleurs.
Au cours du temps, l'évolution du climat et l'urbanisation ont modifié le régime des crues du ruisseau ; les volumes ponctuels à évacuer peuvent d'une part, être plus importants et d'autre part, la vitesse d'écoulement de l'eau se trouve de sorte qu'à volume constant d'eau à évacuer, la capacité destructrice de chaque unité de volume d'eau se trouve augmentée. Le ruisseau autrefois étroit s'est donc modifié, sa largeur étant allé croissante, particulièrement à hauteur de la parcelle de la SA MATIGNON 86 qui, n'étant pas construite au bord du ruisseau, y présente une consistance moins résistante.
En 1998, [V] [H] a réalisé un renforcement de la rive du ruisseau le long de la parcelle appartenant aux époux [P], située immédiatement en amont de celle dont la société MATIGNON 86 est propriétaire. La collectivité publique a financé l'ouvrage à 50 %.
Cet ouvrage a été au moins partiellement détruit à la suite de crues survenues en décembre 2005, classées en catastrophe naturelle. Une expertise judiciaire a été ordonnée dans une procédure judiciaire opposant les époux [P] et l'entreprise [H] dont la responsabilité était recherchée. Il doit être précisé que l'expert avait été parallèlement commis par le tribunal administratif de Pau. Aucune des parties ne communique de décision rendue par la juridiction administrative qui a statué au fond sur des actions en responsabilité visant une collectivité publique.
L'expert judiciaire a constaté que, sur la parcelle appartenant aux époux [P], la partie aval des ouvrages construits en 1998 avait cédé et il a conclu à une insuffisance des ouvrages réalisés en 1998. Les travaux confortatifs préconisés pour remédier à cette insuffisance ont été réalisés. La procédure judiciaire s'est achevée par une transaction conclue entre les époux [P] et l'entreprise [H] qui convenaient de se partager la charge d'un préjudice. Les règles juridiques prises en considération pour aboutir à la transaction ne sont pas explicitées, il n'y aucune reconnaissance de responsabilité explicite. Il n'est fait référence à aucune participation de la commune au financement de ces travaux de reprise alors qu'elle avait financé à 50 % les travaux de 1998. Le document ne permet pas de savoir si les travaux qui en étaient l'objet étaient les seuls réalisés ou s'ils s'intégraient dans le cadre d'un aménagement plus large ayant pu être cofinancé par les collectivités locales.
C'est à la suite de la crue de 2009 que la société MATIGNON 86 a engagé son action contre l'entreprise [H], qui avait oeuvré sur le fonds des époux [P]. Cette seconde expertise judiciaire a permis de vérifier que l'ouvrage conforté après la crue de 2005 par l'entreprise [H] a résisté à la crue de 2009 qui a endommagé le terrain de la société MATIGNON 86 situé en aval ; l'expert note dans son premier rapport de 2008, antérieur à la crue de 2009, que l'érosion avait déjà commencé de détruire le fonds de la société MATIGNON 86 avant même que ne survienne la crue de 2005 : il doit ici être mentionné que lors la première expertise, la société MATIGNON 86 avait été conviée à suivre les opérations sans y être appelée comme partie au procès.
Si le dommage s'est produit consécutivement à une crue de 2009 après réparation correcte des ouvrages implantés sur la propriété [P], cela signifie nécessairement que les faits générateurs de responsabilité qui avaient obligé la société [H] à contribuer à la réparation du dommage subi par les époux [P], n'ont joué aucun rôle causal dans le dommage subi par la société MATIGNON 86 après la réalisation, entre 2005 et 2008, de travaux de reprise efficaces. Que ce soit sur le fondement de la responsabilité pour trouble anormaux de voisinage (qui n'est pas invoquée contre le propriétaire amont mais seulement contre l'entreprise [H]) ou que ce soit sur le fondement de la responsabilité quasi-délictuelle pour faute, l'action en responsabilité de la société MATIGNON 86 est dépourvue de fondement.
Le premier juge, a donc justement conclu à la lecture des rapports d'expertise, que le dommage actuel subi par la société MATIGNON 86 se serait pareillement produit dans la situation qui était celle des lieux après réalisation des travaux de reprise.
La société MATIGNON 86, à qui il incombe, selon la loi, d'entretenir sa propre rive en fonction de l'évolution des conditions d'occupation des parcelles environnantes, ne rattache donc pas les préjudices de toute nature qu'elle invoque aujourd'hui au fait générateur du dommage dont l'entreprise [H] a eu à répondre envers les époux [P].
Faute pour elle de démontrer une faute causale ou un trouble de voisinage causal, elle sera déboutée de son action en responsabilité quasi-délictuelle.
Le jugement doit être confirmé.
Sur la garantie dû à [V] [H] par son assureur
Le rejet de l'action en responsabilité visant l'assuré rend sans objet l'appel en garantie qu'il forme contre son assureur.
Sur l'action directe visant la SA AXA FRANCE IARD, assureur responsabilité de la commune d'[Localité 8]
La cour ne dispose d'aucune reconnaissance de responsabilité de la commune ni d'aucune décision juridictionnelle la déclarant responsable du dommage subi par les époux [P]. La discussion ne porte que sur l'existence et l'étendue du préjudice. L'assureur de la commune conclut au rejet de la demande à titre principal.
Dans ces conditions, en l'absence de toute pièce probante d'un fait générateur de responsabilité explicité, l'action directe de la société MATIGNON 86 contre l'assureur de la commune, qui ne reconnaît pas le principe de son obligation, ne peut prospérer.
Le jugement doit être confirmé.
Sur les demandes annexes
Le jugement sera confirmé dans ses dispositions concernant les dépens et les frais irrépétibles.
La société MATIGNON 86 devra payer une somme de 4 000 euros à [V] [H] en compensation de frais irrépétibles exposés en appel. Il ne sera pas fait d'autre application de l'article 700 du code de procédure civile.
Les dépens seront à la charge de la société MATIGNON 86 dont l'appel est déclaré mal fondé.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe,
* confirme le jugement dans toutes ses dispositions frappées d'appel,
* condamne la SA MATIGNON 86 aux dépens d'appel,
* la condamne à payer à [V] [H] une somme de 4 000 euros en compensation de frais irrépétibles exposés en appel,
* dit n'y avoir lieu à d'autre application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Mme DUCHAC, Présidente, et par Mme DEBON, faisant fonction de Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Carole DEBON Caroline DUCHAC