PS/SH
Numéro 22/04360
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 13/12/2022
Dossier : N° RG 16/00340 - N° Portalis DBVV-V-B7A-GDB6
Nature affaire :
Demande en paiement de l'indemnité d'assurance dans une assurance de personnes
Affaire :
[F] [V] veuve [D]
C/
[P] [U] veuve [T]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 13 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 31 Octobre 2022, devant :
Monsieur SERNY, magistrat honoraire chargé du rapport,
assisté de Madame DEBON, faisant fonction de greffière présente à l'appel des causes,
Monsieur SERNY en application des articles 805 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame DUCHAC, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Monsieur SERNY, Magistrat honoraire
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [F] [V] veuve [D]
née le 10 Décembre 1960 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représentée et assistée de Maître DULOUT de la SCP GUILHEMSANG - DULOUT, avocat au barreau de DAX
INTIMEE :
Madame [P] [U] veuve [T]
née le 04 Janvier 1959 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 3]
Représentée et assistée de Maître CASTILLON de la SCP CASTILLON, avocat au barreau de BAYONNE
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2019/005342 du 13/09/2019 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)
sur appel de la décision
en date du 11 JANVIER 2016
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE
RG numéro : RG 14/1628
Vu le jugement rendu par le tribunal de grande instance de BAYONNE le 11 janvier 2016 ;
Vu l'arrêt avant dire droit du 27 février 2018 instituant d'office une expertise médicale pour rechercher d'éventuels éléments relatifs à un consentement vicié ;
Vu l'ordonnance du 12 septembre 2018 prononçant la caducité de l'expertise pour défaut de consignation par la partie qui avait la charge de la verser ;
Vu l'arrêt rendu le 25 juin 2019 instituant expertise graphologique ;
Vu le rapport d'expertise graphologique déposé le 29 décembre 2021 ;
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 22 septembre 2022 par [F] [V] veuve [D] qui poursuit la réformation du jugement, demande à être reconnue comme bénéficiaire du contrat d'assurance vie litigieux et qui réclame la condamnation de [P] [U] à lui payer 5.000 euros en compensation de frais irrépétibles ;
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 03 mai 2022 par [P] [U] épouse [T] qui :
- à titre principal sollicite une expertise aux fins de rechercher si le consentement d'[H] [D] avait été affecté,
- à titre subsidiaire sollicite la confirmation du jugement et l'allocation de 2.000 euros en compensation de frais irrépétibles,
Vu l'ordonnance de clôture délivrée le 28 septembre 2022.
Le rapport ayant été fait oralement à l'audience.
MOTIFS
Les faits constants
[H] [D] est décédé le 04 octobre 2013 à [Localité 5] à la survivance de son épouse [F] [V] et de son fils [K] [D]. Il avait souscrit une assurance vie auprès de la compagnie ABEILLE PAIX, aujourd'hui devenue QUATREM.
Par écrit du 10 août 2013, il a désigné [P] [U] épouse [T] comme bénéficiaire en lieu et place de son épouse [F] [V], pour ensuite modifier à nouveau cette désignation par un écrit postérieur du 27 août 2013, désignant à nouveau son épouse comme bénéficiaire du contrat.
Après le décès, la compagnie d'assurance a refusé de libérer les fonds en considération des incertitudes créées par ces modifications contradictoires ; elle a fait désigner un séquestre par ordonnance de référé du 02 juillet 2014.
Le jugement dont appel
Saisi pour [F] [V] veuve [D] en nullité de la désignation de [P] [U] comme bénéficiaire du contrat, le tribunal de grande instance de BAYONNE l'a déboutée de son action.
Sur le fond
Le litige est limité à la validité de deux manifestations successives de volonté contradictoires du défunt dans la désignation du bénéficiaire du contrat d'assurance ; il reste juridiquement étranger à la question de savoir si la désignation d'un bénéficiaire a été acceptée ou non, étant précisé que s'il n'y avait pas eu acceptation par les deux bénéficiaires en conflit, la procédure n'aurait pas d'objet.
Sont ainsi en conflit la déclaration de bénéficiaire du 10 août 2013 faite au bénéfice de [P] [U] et la déclaration de bénéficiaire subséquente du 27/28 août 2013 révoquant la précédente pour restituer à l'épouse sa qualité de bénéficiaire. La première déclaration de bénéficiaire est valablement révoquée par la seconde si la manifestation de volonté exprimée le 28 août procède d'un consentement valable, ce qui est présumé. L'absence d'effet de la manifestation de volonté en date du 27/28 août 2013 suppose que [P] [U] épouse [T] rapporte soit la preuve que cette manifestation de volonté ne procède pas d'un consentement valable en raison de l'affaiblissement des facultés du défunt à la date portée dans l'acte, soit la preuve que cet acte n'a pas été signé de la main dudit défunt.
Tout acte étant présumé valable jusqu'à preuve contraire, c'est [P] [U] qui a la charge de la preuve et non [F] [V] veuve [D]. Comme le soutient [F] [D], le jugement a bien renversé la charge de la preuve en énonçant que [F] [D] n'avait pas démontré qu'[H] [D] avait souhaité revenir sur les dispositions prises en faveur de [P] [U] épouse [T]. La cour doit donc apprécier si l'acte du 27/28 août 2013 est nul soit pour absence de consentement valable soit par ce qu'il s'agirait d'un faux car ce sont les deux moyens développés dans les conclusions de l'intimée.
L'acte restituant à l'épouse sa qualité de bénéficiaire est daté du 27 août 2013 ; il a été transmis à la compagnie d'assurance par un courrier en date du 28 août 2013 ; la transmission porte le tampon du Centre de Gestion de la compagnie d'assurance daté du 11 septembre 2013.
L'acte n'a pas été rédigé de la main d'[H] [D] mais de la main de son épouse ; [H] [D] n'y a apposé que sa signature, reconnaissable, mais à l'évidence altérée, quand on la compare aux signatures antérieures et notamment à la signature qu'il avait apposée le 10 août 2013 sur l'acte qui avait désigné [P] [U] épouse [T] comme bénéficiaire sur un formulaire à l'entête de la compagnie d'assurance ; ce document du 10 août 2013 n'avait pas plus été rédigé de sa main que le suivant ; il s'était aussi limité à y apposer sa signature. La comparaison de la forme des signatures est révélatrice d'une dégradation rapide de l'état d'[H] [D].
Le jugement a considéré que la manifestation de volonté exprimée le 27/28 août 2013 ne pouvait pas refléter la volonté du défunt ; pour porter cette appréciation de fait, il s'est appuyé sur la comparaison des écrits du défunt, de ceux de ses proches et des attestations de tiers qui, de manière concordante, rapportaient la volonté constante du défunt de gratifier [P] [U] en écartant son épouse ; [H] [D] écrivait sans équivoque qu'il n'avait pas de bonnes relations avec cette dernière. La totalité des écrits signés du défunt exprimant sa proximité affective avec [P] [U] et l'existence d'un conflit familial l'opposant à son fils et à son épouse sont datés du printemps 2013 ; ils portent tous une signature assurée et leur rédaction est parfaitement cohérente dans l'argumentation ; dans la forme, l'écriture est régulière et, comme les signatures, assurée. L'écrit du 12 août 2013, encore écrit d'une main ferme, indique qu'[H] [D] « confie le soin à Mme [P] [T] de bien vouloir organiser ses funérailles ». Une lettre du 31 mai 2013 fait état d'un conflit entre le défunt et son fils [K] qui serait allé jusqu'à un échange de coups ; en raison de l'antagonisme, le père y fait interdiction à son fils d'assister à ses obsèques. Est aussi produit un écrit en date du 24 juillet 2013 destiné à Maître [B] [O], notaire à [Localité 6], entièrement rédigé de la main du défunt, toujours d'une écriture assurée, qui présente l'acte comme étant son testament et par lequel il stipule sans équivoque que les capitaux détenus par l'assureur soient entièrement remis à [P] [U] à l'exclusion de son épouse et de son fils. La désignation d'un bénéficiaire par voie testamentaire étant prévue par l'article L 132-8 du code des assurances, le litige porte sur la question de savoir si la désignation du 27/28 août 2013 révoque ou non valablement cette disposition testamentaire, dont la désignation du 10 août 2013 n'est au demeurant que la reprise.
On se retrouve donc ramené à la question de la validité de la manifestation de volonté du 27/28 août et à sa comparaison avec l'expression de volonté du 10 août 2013, dont la validité n'est pas contestée.
Le premier juge avait rejeté une vérification d'écriture en relevant qu'[H] [D] avait bien signé ce document, rédigé par son épouse et transmis à l'assurance par cette dernière.
Cette expertise a été ordonnée par l'arrêt du 25 juin 2019. L'expert désigné par le précédent arrêt a conclu que si [H] [D] subissait les effets de la maladie en affectant fortement l'aspect de son écriture dans un contexte de dégradation physique, les similitudes sont cependant suffisamment nombreuses entre l'écrit litigieux et les autres pour attribuer avec certitude à [H] [D] la signature de l'écrit par lequel il désignait finalement son épouse comme bénéficiaire en révoquant la désignation de [P] [U].
La validité du consentement est aujourd'hui discutée par [P] [U], qui réclame une expertise ayant le même objet que celle ordonnée d'office par la cour dans son arrêt du 27 février 2018 mais qui n'avait été suivie d'aucune consignation et avait été déclarée caduque. Or, les pièces indiquent que la capacité du défunt à exprimer un consentement valable a été médicalement reconnue ; là se trouve la raison pour laquelle n'a pas été suivie de consignation, la décision de la cour instituant d'office une expertise médicale pour confirmer ou infirmer ce point ; tirant les conséquences de cette abstention et en l'absence de tout élément nouveau, la cour rejettera cette demande de nouvelle expertise.
Puisque la désignation d'un autre bénéficiaire exprimée le 27/28 août est valable, seront rejetées les prétentions de [P] [U], formées à titre subsidiaire, tendant à la validation de l'expression de volonté lui bénéficiant et à la confirmation.
En compensation de frais irrépétibles, [P] [U] devra payer à [F] [V] veuve [D] la somme de 5.000 euros.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
* infirme le jugement dont appel ;
* dit que [F] [V] veuve [D] a été valablement désignée comme bénéficiaire de l'assurance vie litigieuse ;
* ordonne au séquestre de se défaire des fonds entre ses mains ;
* condamne [P] [U] aux dépens qui comprennent les frais d'expertise mais aussi les frais de la procédure de référé en désignation de séquestre ;
* condamne [P] [U] à payer à [F] [V] veuve [D] la somme de 5.000 euros en compensation de frais irrépétibles et dit qu'ils seront recouvrés en la forme prévue en matière d'aide juridictionnelle.
Le présent arrêt a été signé par Mme DUCHAC, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUEL Caroline DUCHAC