La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

01/12/2022 | FRANCE | N°20/03035

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 01 décembre 2022, 20/03035


TP/SB



Numéro 22/4251





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 01/12/2022









Dossier : N° RG 20/03035 - N° Portalis DBVV-V-B7E-HWZH





Nature affaire :



Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail















Affaire :



[K] [Y]



C/



[G] [L]















Grosse délivr

ée le

à :













RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 01 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 45...

TP/SB

Numéro 22/4251

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 01/12/2022

Dossier : N° RG 20/03035 - N° Portalis DBVV-V-B7E-HWZH

Nature affaire :

Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail

Affaire :

[K] [Y]

C/

[G] [L]

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 01 Décembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 05 Octobre 2022, devant :

Madame CAUTRES-LACHAUD, Président

Madame PACTEAU, Conseiller

Madame ESARTE, Magistrat honoraire exerçant des fonctions juridictionnelles

assistées de Madame LAUBIE, Greffière.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

Madame [K] [Y]

[Adresse 2]

[Localité 3]

Représentée par Maître KAROUBI, avocat au barreau de PAU

INTIMEE :

Madame [G] [L]

[Adresse 1]

[Localité 4]

Comparante assistée de Maître PIAULT, avocat au barreau de PAU et de Maître SAUGE de la SCP SAUGE MIREILLE, avocat au barreau de PAU,

sur appel de la décision

en date du 20 NOVEMBRE 2020

rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU

RG numéro : 19/00260

EXPOSÉ DU LITIGE

Suivant contrat à durée indéterminée en date du 14 décembre 2018, avec effet au 17 décembre suivant, Mme [K] [Y] a été embauchée par Mme [G] [L] en qualité d'assistante maternelle.

Par courrier reçu le 1er juin 2019, Mme [K] [Y] a communiqué à Mme [G] [L] un certificat de grossesse la concernant.

Le 10 juin 2019, Mme [G] [L] a notifié à Mme [K] [Y] la rupture de son contrat de travail aux motifs suivants':

un déménagement prochain,

des modifications d'organisation professionnelle,

un arrêt maladie de Mme [L],

de nouveaux besoins pour l'enfant.

Par requête déposée au greffe le 26 septembre 2019, Mme [K] [Y] a saisi la juridiction prud'homale aux fins d'obtenir la nullité de la rupture de son contrat de travail et le paiement de diverses sommes.

Par jugement du 20 novembre 2020, le conseil de prud'hommes de Pau a notamment':

- dit que 1e licenciement intervenu 1e 10 juin 2019 n'est pas fondé sur une cause réelle et sérieuse ;

- en conséquence, condamné Mme [G] [L] à verser à Mme [K] [Y] la somme de 810,55 euros à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1235-3 du code du travail pour licenciement sans cause réelle ni sérieuse ;

- dit que Mme [G] [L] sera condamnée à verser à Mme [K] [Y] une somme de 1'500'euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ;

- débouté les parties du surplus de leurs demandes ;

- ordonné 1'exécution provisoire de la décision à intervenir dans les conditions légalement prévues ;

- dit que Mme [G] [L] supportera les dépens.

Le 18 décembre 2020, Mme [K] [Y] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 9 juillet 2021 auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [K] [Y] demande à la cour de :

- déclarer recevable et fondé son appel,

- y faisant droit,

- infirmer la décision entreprise en ce qu'elle':

* l'a déboutée de sa demande de voir dire le licenciement nul,

* a dit le licenciement sans cause réelle et réelle et sérieuse,

* a condamné Mme [G] [L] à verser la somme de 810,55 € à titre de dommages et intérêts en application de l'article L. 1235-3 du code du travail pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,

* l'a déboutée du surplus de ses demandes,

- statuant à nouveau,

- dire et juger la rupture du contrat de travail nulle,

- en conséquence

- condamner Mme [G] [L] à lui payer les sommes suivantes :

* 6.484,50 € outre la somme de 648 € au titre des rappels de salaire et congés payés pour la période de nullité,

* 6.484,50 € au titre de l'indemnité pour nullité du licenciement,

- condamner Mme [G] [L] à lui payer la somme de 2.500 € au titre de l'article 700 code de procédure civile devant la cour outre les entiers dépens,

- dire que les sommes ayant une nature de salariale ou assimilées (rappels de salaires, indemnités de licenciement, indemnité compensatrice de préavis et indemnité compensatrice de congés sur le préavis) produisent des intérêts au taux légal à compter de la date de convocation de l'employeur devant le bureau de conciliation,

- confirmer pour le surplus.

Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 6 avril 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, Mme [G] [L] demande à la cour de':

- déclarer Mme [K] [Y] mal fondée dans son appel principal,

- la débouter de sa demande de nullité de la rupture du contrat d'assistante maternelle et de ses demandes financières,

- recevant son appel incident, le dire bien fondé,

- constater que le licenciement a une cause réelle et sérieuse,

- condamner Mme [K] [Y] à lui payer la somme de 3 000 € pour accusation mensongère de faux particulièrement vexatoire,

- condamner Mme [K] [Y] aux entiers dépens outre 3 000 € sur le fondement de 1'article 700 du code de procédure civile.

L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 septembre 2022.

MOTIFS DE LA DÉCISION

Selon l'article 423-2 3° du code de l'action sociale et des familles, sont applicables aux'assistants'maternels'et'assistants'familiaux employés par des personnes de droit privé les dispositions du code du travail relatives « à la maternité, à la paternité, à l'adoption et à l'éducation des enfants, prévues par le chapitre V du titre II du livre II de la première partie » ; il en résulte que l'assistant'maternel'bénéficie de la protection instituée par l'article L. 1225-4 du code du travail.

Ce dernier texte dispose qu'aucun employeur ne peut rompre le contrat de travail d'une salariée lorsqu'elle est en état de grossesse médicalement constaté, pendant l'intégralité des périodes de suspension du contrat de travail auxquelles elle a droit au titre du congé de maternité, qu'elle use ou non de ce droit, et au titre des congés payés pris immédiatement après le congé de maternité ainsi que pendant les dix semaines suivant l'expiration de ces périodes.

Toutefois, l'employeur peut rompre le contrat s'il justifie d'une faute grave de l'intéressée, non liée à l'état de grossesse, ou de son impossibilité de maintenir ce contrat pour un motif étranger à la grossesse ou à l'accouchement. Dans ce cas, la rupture du contrat de travail ne peut prendre effet ou être notifiée pendant les périodes de suspension du contrat de travail mentionnées au premier alinéa.

L'article 18 de la convention collective nationale des'assistants'maternels'du particulier employeur du 1er juillet 2004 reprend les dispositions légales en indiquant que l'employeur peut exercer son droit de retrait de l'enfant, ce retrait entraînant la rupture du contrat de travail et en rappelant que l'employeur qui décide de ne plus confier son enfant au salarié, quel qu'en soit le motif, doit lui notifier sa décision par lettre recommandée avec avis de réception.

L'article 16 de ladite convention collective, applicable en l'espèce, précise que la maternité de la salariée ne peut être le motif du retrait de l'enfant.

En l'espèce, le retrait de l'enfant a été annoncé par Mme [L] à Mme [Y] pour le 30 juin 2019, par courrier du 10 juin 2019, soit quelques jours après l'annonce de sa grossesse par Mme [Y].

Mme [Y] avait ainsi écrit à Mme [L] et M. [R], le père de l'enfant, le 25 mai 2019 pour les informer officiellement de sa grossesse.

Par courrier envoyé le 1er juin 2019, elle leur avait adressé le certificat de grossesse justifiant de son état.

Il importe de vérifier si, comme le soutient l'appelante, la décision de Mme [L] de mettre fin au contrat n'était pas motivée par cet état de grossesse, ce qui constituerait une mesure discriminatoire rendant la rupture illicite.

Si la charge de la preuve incombe à Mme [Y], celle-ci doit être considérée comme suffisamment établie par un faisceau de faits distincts qui, pris isolément ne font pas la démonstration directe de la discrimination, mais dont la valeur probante découle de leur concordance et de leur caractère univoque.

A cet égard et si Mme [L] affirme que sa décision était sans rapport avec l'état de l'assistante maternelle force est de constater, à la lecture des échanges de sms entre le 22 mai 2019 et le 02 juin 2019, produits par Mme [Y] que le petit [T] n'a plus été confié à son assistante maternelle à partir du 23 mai 2019.

Les propos employés de part et d'autre dans ces messages ne laissent place à aucun doute sur le fait que Mme [L] avait été informée verbalement à cette date de l'état de grossesse de Mme [Y].

Le courrier du 25 mai 2019 adressé par Mme [Y] aux parents de [T] fait référence à cette annonce de grossesse et à la réaction de ces derniers.

Le message du 02 juin 2019 à 23h11 émanant de Mme [L] mentionne les propos suivants': «'[T] (père) t'a proposé d'aller jusqu'à ce que t'arrive à ton congés maternité (') mais tu as refusé par peur de perdre ton taux plein du fait que le petit soi pas là. On a bien compris que tu es enceinte et que t'as prévu de te servir de ça pour nous mettre des batons dans les roues (') C'est belle et bien toi qui nous mets dans une situation pourrie et pas parce que tu es enceinte mais parce que tu refuses de nous délivrer du contrat. (') C'est scandaleux ce que tu nous fais, comme je te l'ai dis je ne suis pas satisfaite de l'éducation que tu apporte à mon fils, c'est ça la raison du début de l'histoire, et non pas t'as grossesse comme tu peux le laisser sous-entendre » (sic).

Malgré ces propos et les réserves décrites par Mme [Z] [L], s'ur de l'intimée, quant à la prise en charge du petit [T] par Mme [Y], aucun autre élément du dossier ne permet de remettre en cause la bonne qualité des relations entre Mme [Y] et Mme [L] jusqu'à l'annonce'de sa'grossesse'par l'assistante maternelle. Le conjoint de Mme [Y], par ailleurs collègue de Mme [L], atteste de cette bonne entente entre les deux femmes et témoigne du changement de l'attitude de cette dernière envers lui et son épouse après l'annonce de la grossesse.

Dans la lettre de notification du retrait de l'enfant, Mme [L] ne fait nullement référence à l'insatisfaction qu'elle énonce dans son message du 2 juin 2019.

Elle invoque l'évolution de la situation familiale, à savoir':

«'un déménagement prévu dans les prochains mois'»,

la distance des domiciles qui complique le maintien du contrat actuel,

la situation de son employeur qui l'amène à envisager soit du chômage technique, soit des modifications d'organisation, entraînant des déplacements professionnels plus lourds que les précédents,

son propre arrêt maladie pour une durée indéfinie à la date de son courrier, soit le 10 juin 2019, ce qui entraîne une diminution de ses ressources mensuelles,

de nouveaux besoins pour [T] de telle sorte qu'un accueil en crèche lui serait bénéfique pour le sociabiliser et préparer sa rentrée à l'école l'année suivante.

Dans ses dernières conclusions, Mme [L] invoque la concomitance de l'annonce de la grossesse de Mme [Y] avec la découverte de sa propre grossesse et sa séparation d'avec le père de son fils [T].

Elle n'a jamais fait part à Mme [Y] de ces circonstances.

Elle avait pourtant connaissance de son propre état de grossesse depuis le 5 juin 2019, date de la confirmation par un test sanguin, et avait envisagé cette situation comme cause de retrait de [T] lors de la conclusion du contrat de travail de Mme [Y]. Mais au contraire, elle a argué d'un souhait de changement de prise en charge pour son fils aîné.

En tout état de cause, il n'est pas permis de déduire des propos de ce courrier de retrait de l'enfant l'existence de circonstances rendant impossible la poursuite du contrat avec l'assistante maternelle pour un motif étranger à la grossesse et à l'accouchement. Les motifs invoqués sont en effet soit éventuels, à propos du déménagement, de la distance entre les domiciles, de la situation de l'employeur de l'intimée ou de la durée de son arrêt maladie, soit contraires à la poursuite d'un contrat de garde de l'enfant quand il s'agit de le confier à une crèche.

Il s'évince de l'ensemble de ces éléments que le retrait de l'enfant a fait suite à l'annonce de sa grossesse par l'assistante maternelle et que, malgré les tentatives pour essayer de trouver une autre explication au retrait de l'enfant, celui-ci, qui est concrètement intervenu dès la fin du mois de mai 2019, est bien lié à cet état de grossesse.

Dès lors que Mme [L] ne pouvait mettre fin au contrat d'assistance maternelle après le 1er juin 2019, date à laquelle l'état de grossesse de Mme [Y], médicalement constaté, a été porté à sa connaissance, le retrait de l'enfant intervenu par courrier du 10 juin 2019 doit être déclaré nul.

Il y a donc lieu d'infirmer le jugement dont appel qui avait rejeté la demande de nullité du licenciement.

Selon l'article L.1225-71 du code du travail, dans sa version actuelle applicable au présent litige, l'inobservation par l'employeur des dispositions des articles L.1225-1 à L.1225-28'et L.1225-35 à L.1225-69'peut donner lieu, au profit du salarié, à l'attribution d'une indemnité déterminée conformément aux dispositions de l'article L.1235-3-1, c'est-à-dire une indemnité qui ne peut être inférieure aux salaires des six derniers mois.

Compte tenu des circonstances de la rupture de la relation de travail qui n'a duré que quelques mois, il y a lieu d'accorder à Mme [Y], sur la base d'un salaire mensuel brut de 810,55 euros ainsi qu'elle le demande, une indemnité de 4863,30 euros.

Cette somme, de nature indemnitaire, portera intérêts au taux légal à compter de la présente décision, conformément aux dispositions de l'article 1231-7 du code civil.

En revanche, en l'absence de fondement juridique pour sa demande complémentaire en paiement de salaires relative à la période couverte par la nullité, à savoir la période durant laquelle une femme enceinte est protégée, Mme [Y] sera déboutée de sa demande à ce titre, l'article L.1225-71 alinéa 2 du code du travail qu'elle vise n'étant plus applicable au moment du retrait de l'enfant.

Mme [L], qui succombe à l'instance en appel, devra en supporter les entiers dépens, en sus de ceux de première instance.

En revanche, l'équité et les situations respectives des parties commandent de ne pas faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au profit de Mme [Y] qui sera en conséquence déboutée de sa demande sur ce fondement.

PAR CES MOTIFS,

La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

INFIRME en toutes ses dispositions le jugement rendu par le conseil de prud'hommes de Pau';

Statuant à nouveau et y ajoutant':

DIT que le retrait de l'enfant intervenu par courrier du 10 juin 2019 émanant de Mme [G] [L] est nul comme étant causé par l'état de grossesse de Mme [K] [Y]';

CONDAMNE Mme [G] [L] à payer à Mme [K] [Y] la somme de 4863,30 euros à titre d'indemnité pour le retrait de l'enfant entaché de nullité, avec intérêt au taux légal à compter de la présente décision';

DEBOUTE Mme [K] [Y] de sa demande en paiement d'un rappel de salaires correspondant à la période de protection';

CONDAMNE Mme [G] [L] aux dépens de l'instance en appel, outre ceux de la première instance';

DEBOUTE Mme [K] [Y] de sa demande fondée sur l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE, LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 20/03035
Date de la décision : 01/12/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-12-01;20.03035 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award