JN/SB
Numéro 22/3704
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 20/10/2022
Dossier : N° RG 19/03896 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HOEE
Nature affaire :
A.T.M.P. : demande de prise en charge au titre des A.T.M.P. et/ou contestation relative au taux d'incapacité
Affaire :
[T] [I] [N] veuve [S]
C/
CPAM DES LANDES
SAS [5]
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 20 Octobre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 08 Septembre 2022, devant :
Madame NICOLAS, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame LAUBIE, greffière.
Madame [V], en application de l'article 945-1 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame NICOLAS, Présidente
Madame SORONDO, Conseiller
Madame PACTEAU, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [T] [I] [N] veuve [S]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Comparante assistée de Maître STEENKISTE, avocat au barreau de BORDEAUX
INTIMEES :
CPAM DES LANDES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître SERRANO loco Maître BARNABA, avocat au barreau de PAU
SAS [5]
[Adresse 3]
[Adresse 3]
Représentée par Maître BOSSUOT-QUIN de la SELAS CMS FRANCIS LEFEBVRE LYON AVOCATS, avocat au barreau de LYON
sur appel de la décision
en date du 08 NOVEMBRE 2019
rendue par le POLE SOCIAL DU TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 14/00197
FAITS ET PROCÉDURE
M. [R] [S] (le salarié), décédé le 29 septembre 2012, a été salarié de la société [5] (l'employeur) de 1953 à 1993, sous réserve d'une période de service militaire .
Le 17 avril 2013, sa veuve, Mme [T] [N] (l'ayant droit), a adressé à la caisse primaire d'assurance maladie des Landes (la caisse ou l'organisme social), une demande de reconnaissance de maladie professionnelle faisant état d'un « problème du c'ur 1985, pleuropneumopathie + leucémie », accompagnée d'un certificat médical établi par le Docteur [C] [D] du 29 avril 2013 indiquant que le salarié était notamment suivi pour une « myélodysplasie diagnostiquée en juillet 2009 ».
La caisse a instruit l'affaire, comme s'agissant d'une maladie inscrite au tableau n° 4 des maladies professionnelles, dont le délai de prise en charge était dépassé, ainsi que prévu par les dispositions de l'article L461-1, en sa version applicable au litige, alinéas 3 et 5, du code de la sécurité sociale.
Le 19 février 2014, après instruction, comportant consultation pour avis du comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles (CRRMP) de [Localité 4], et sur avis défavorable de ce comité, la caisse a notifié à la veuve du salarié sa décision de refus de prise en charge au titre de la législation sur les risques professionnels, de la maladie déclarée de « syndrome myéloprolifératif » ( note de la cour: indiqué par erreur au lieu de syndrome myélodysplasique) formulée dans le cadre du tableau n° 4 « hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant ».
La veuve du salarié a contesté la décision de refus de la caisse ainsi qu'il suit :
- le 16 avril 2014, devant la commission de recours amiable (CRA) de l'organisme social, laquelle a confirmé le refus de prise en charge, par décision du 6 mai 2014, notifiée le 9 mai 2014
- le 26 mai 2014, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale des Landes, en contestation de la décision de rejet de la CRA.
Le tribunal des affaires de sécurité sociale des Landes a :
' par jugement avant dire droit en date du 17 mars 2017, ordonné la saisine du CRRMP de Limoges afin qu'il donne son avis sur l'existence d'un lien direct entre la pathologie déclarée et l'exposition professionnelle du salarié.
Le 12 février 2018, le CRRMP de Limoges a rendu un avis défavorable, visant cependant au titre de son instruction, non la maladie déclarée, de syndrome myélodysplasique, mais la maladie de syndrome myéloprolifératif .
' par jugement avant dire droit du 27 juillet 2018, ordonné la saisine du CRRMP de Toulouse aux mêmes fins que celui de [Localité 6] lequel a de même, le 31 octobre 2018, rendu un avis défavorable.
$gt; par jugement du 8 novembre 2019, alors qu'il était devenu le pôle social du tribunal de grande instance de Mont de Marsan :
- constaté qu'il n'existe pas de lien direct entre la pathologie de M. [R] [S] (syndrome myélodysplasique) déclarée le 17 avril 2013 et son exposition professionnelle,
- dit que la pathologie de M. [R] [S] (syndrome myélodysplasique) telle que déclarée le 17 avril 2013 ne peut être prise en charge au titre de la législation professionnelle,
- débouté Mme [T] [I] [S] de l'ensemble de ses demandes,
- condamné Mme [T] [I] [S] aux dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.
Cette décision a été notifiée aux parties, par lettre recommandée avec avis de réception, reçue de l'ayant droit le 22 novembre 2019.
Le 11 décembre 2019, par lettre recommandée avec accusé de réception adressée au greffe de la cour, l'ayant droit en a régulièrement interjeté appel.
Selon avis de convocation du 3 novembre 2021, contenant calendrier de procédure, les parties ont été régulièrement convoquées à l'audience du 17 mars 2022, renvoyée à leur demande au 8 septembre 2022, à laquelle elles ont comparu.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon ses conclusions transmises par RPVA le 7 février 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, la veuve et ayant droit du salarié, Mme [T] [N] veuve [S], appelante, demande à la cour de :
- rejeter les exceptions et fins de non-recevoir invoquées par la caisse et l'employeur,
- infirmer le jugement déféré, en ce qu'il l'a déboutée de l'ensemble de ses demandes,
- et en conséquence,
1- à titre principal,
- infirmer la décision de la CRA de la caisse du 9 mai 2014,
- reconnaître que le syndrome myélodysplasique décrit dans le certificat médical du 29 avril 2013 dont était porteur le salarié a été directement causé par son travail habituel,
- en conséquence,
- condamner la caisse à verser à l'action successorale les prestations correspondantes à compter du lendemain du constat médical initial - 1 er juillet 2009 - jusqu'au décès du salarié,
2- à titre subsidiaire,
- saisir un autre CRRMP régulièrement composé ayant pour mission de dire si le syndrome myélodysplasique dont était atteint le salarié a été directement causé par son activité professionnelle,
3- en tout état de cause,
- débouter la caisse et l'employeur de l'ensemble de leurs demandes, fins et conclusions.
Selon ses conclusions transmises par RPVA le 22 février 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, la caisse, la CPAM des Landes, intimée, conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, et à la condamnation de l'appelante aux dépens engagés à compter du 1er janvier 2019.
Selon ses conclusions transmises par RPVA le 15 juillet 2022, reprises oralement à l'audience de plaidoirie, et auxquelles il est expressément renvoyé, l'employeur, la société [5], intimé, demande à la cour de :
$gt; in limine litis, d'ordonner la jonction des recours enregistrés sous les numéros de RG 22/00916 et RG 19/03896,
$gt; à titre principal, confirmer le jugement déféré,
$gt; à titre subsidiaire, statuant de nouveau, débouter Mme veuve [S] de sa demande de désignation d'un autre CRRMP,
$gt; à titre plus subsidiaire, statuant de nouveau, lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie le cas échéant ordonnée.
SUR QUOI LA COUR
I/ Sur la demande de jonction
Selon les articles 367 et 368 du code de procédure civile, la décision de jonction est une mesure d'administration judiciaire.
Elle est une faculté offerte au juge, s'il existe entre plusieurs instances pendantes devant lui, un lien tel qu'il soit de l'intérêt d'une bonne justice de les faire instruire ou juger ensemble.
En l'espèce, la cour est saisie de deux procédures enrôlées sous les numéros 19/3896 et 22/ 0916, qui concernent respectivement:
-la reconnaissance d'une maladie professionnelle ( Syndrome myélodysplasique) d'un salarié pré-décédé, dans ses rapports avec la caisse et l'employeur, appelé en cause par la caisse,
-la tierce opposition de l'employeur à l'encontre d'un arrêt faisant droit à la demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle de ce même salarié pré-décédé, distincte de la première, bien qu'en lien avec elle ( syndrome prolifératif) dans ses rapports avec la même caisse, l'employeur n'ayant pas été partie à la procédure ayant abouti à la décision contre laquelle il a formé tierce opposition.
Ainsi, ces procédures sont relatives à la survenance de maladies distinctes, apparues à des dates distinctes, ayant donné lieu à des instructions distinctes, de même que leurs cadres procéduraux sont distincts, si bien qu'elles sont indépendantes l'une de l'autre, et qu'aucun motif tenant à l'intérêt d'une bonne justice ne justifie leur jonction.
La demande de jonction est rejetée.
II/ Sur le caractère professionnel de la maladie
En application des dispositions de l'article L461-1, alinéas 3 et 5 du code de la sécurité sociale, le caractère professionnel d'une maladie désignée dans l'un des tableaux des maladies professionnelles, lorsqu'une ou plusieurs des conditions prévues par ce dernier ne sont pas remplies, ou d'une maladie non désignée dans un tableau, ne peut être reconnu qu'après avis d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles.
En application de l'article R 142-24-2 du même code, applicable à la cause et depuis lors abrogé, lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une maladie dans les conditions prévues aux alinéas 3 et 4 de l'article L461-1 du code de la sécurité sociale, le tribunal recueille préalablement l'avis d'un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du cinquième alinéa de l'article L461-1.
Pour mémoire, il est rappelé que :
-l'article L461-1 alinéa 3 et 5, du code de la sécurité sociale, en sa version applicable à la cause prévoit que :
« (')
(...)
Si une ou plusieurs conditions tenant au délai de prise en charge, à la durée d'exposition ou à la liste limitative des travaux ne sont pas remplies, la maladie telle qu'elle est désignée dans un tableau de maladies professionnelles peut être reconnue d'origine professionnelle lorsqu'il est établi qu'elle est directement causée par le travail habituel de la victime.
(...)
Dans les cas mentionnés aux deux alinéas précédents, la caisse primaire reconnaît l'origine professionnelle de la maladie après avis motivé d'un comité régional de reconnaissance des maladies professionnelles. La composition, le fonctionnement et le ressort territorial de ce comité ainsi que les éléments du dossier au vu duquel il rend son avis sont fixés par décret. L'avis du comité s'impose à la caisse dans les mêmes conditions que celles fixées à l'article L. 315-1. »,
-l'article R 142-24-2 du même code, en sa version applicable à la cause, en vigueur du 11 septembre 1996 au 1er janvier 2019, prévoit que :
« Lorsque le différend porte sur la reconnaissance de l'origine professionnelle d'une maladie dans les conditions prévues aux troisième et quatrième alinéas de l'article L. 461-1, le tribunal recueille préalablement l'avis d'un comité régional autre que celui qui a déjà été saisi par la caisse en application du cinquième alinéa de l'article L. 461-1.
Le tribunal désigne alors le comité d'une des régions les plus proches. ».
Les juges du fond ne sont pas liés par l'avis des comités successivement saisis.
'Sur le tableau des maladies professionnelles applicable à la cause
Il est constant que la pathologie litigieuse retenue par l'organisme social, s'agissant d'un «syndrome myélodysplasique » est désignée par le tableau n° 4 des maladies professionnelles relatif aux « hémopathies provoquées par le benzène et tous les produits en renfermant ».
Cependant, ce tableau ayant évolué dans le temps, il convient de déterminer si la version applicable à la cause, est celle jusque-là appliquée, issue du décret n° 97-582 du 22 juillet 1987, et en vigueur du 28 juillet 1987 au 17 janvier 2009, ou la version actuelle, en vigueur depuis le 17 janvier 2009.
À cet égard, il résulte des dispositions de l'article L461-2 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, que les modifications et adjonctions aux tableaux des maladies professionnelles, sont applicables aux victimes dont la maladie a fait l'objet d'une première constatation médicale entre le 1er janvier 1947 et la date d'entrée en vigueur du nouveau tableau, sans que les prestations, indemnités et rentes, ne puissent avoir un effet antérieur à cette entrée en vigueur.
Au cas particulier, le certificat médical accompagnant la déclaration de maladie professionnelle, fixe sans contestation la date de première constatation médicale au mois de juillet 2009, c'est-à-dire postérieurement à la date entrée en vigueur de la modification du tableau n° 4, si bien que c'est le tableau n° 4 en vigueur jusqu'au 17 janvier 2009, et non celui en vigueur à compter du 17 janvier 2009, qui s'applique à la cause.
Ce tableau n° 4 désignait notamment la maladie de « hypercytoses d'origine myélodysplasique », prévoyait pour cette pathologie, un délai de prise en charge de 3 ans, sous réserve d'une durée d'exposition de 6 mois, et était libellé en ces termes au titre de la liste indicative des travaux susceptibles de provoquer ces maladies :
« Opérations de production, transport et utilisation du benzène et autres produits renfermant du benzène, notamment :
- production, extraction, rectification du benzène et des produits en renfermant ;
- emploi du benzène et des produits en renfermant pour la production de leurs dérivés, notamment en organosynthèse ;
- préparation des carburants renfermant du benzène, transvasement, manipulation de ces carburants, travaux en citerne ;
- emplois divers du benzène comme dissolvant des résines naturelles ou synthétiques ;
- production et emploi de vernis, peintures, émaux, mastics, encre, colles, produits d'entretien renfermant du benzène ;
- fabrication de simili-cuir ;
- production, manipulation et emploi des dissolutions de caoutchouc naturel ou synthétique, ou des solvants d'avivage contenant du benzène ;
- autres emplois du benzène ou des produits en renfermant comme agent d'extraction, d'élution, d'imprégnation, d'agglomération ou de nettoyage et comme décapant, dissolvant ou diluant ;
- opérations de séchage de tous les produits, articles, préparations, substances où le benzène (ou les produits en renfermant) est intervenu comme agent d'extraction, d'élution, de séparation, d'imprégnation, d'agglomération, de nettoyage, de concentration, et comme décapant, dissolvant ou diluant ;
- emploi du benzène comme déshydratant des alcools et autres substances liquides ou solides ;
- emploi du benzène comme dénaturant ou réactif de laboratoire .»
Il est constant que la condition tenant au délai de prise en charge n'est pas remplie, puisque c'est la raison de la saisine des comités de reconnaissance des maladies professionnelles.
'Sur la position des parties
L'appelante, après avoir rappelé au visa de l'article 455 du code de procédure civile, que le juge doit tenir compte de tous les éléments présentés par les parties, et n'est pas lié par l'avis du ou des comités de reconnaissance des maladies professionnelles, estime que les attestations qu'elle produit, de même et surtout que l'arrêt de la cour d'appel de Pau en date du 2 décembre 2021, démontrent que son époux a été exposé au benzène et à tous les produits en renfermant, durant l'ensemble de sa carrière professionnelle au sein de la société employeur.
La caisse fait valoir qu'il ne suffit pas de démontrer l'exposition du salarié au benzène, pour établir le lien direct entre l'activité professionnelle et la maladie, puisqu'en effet, le délai de prise en charge de la maladie, tel que prévu par le tableau n° 4, est de 3 ans, que le délai d'incubation de la maladie, ainsi que le relève le CRRMP de Bordeaux, est court, alors qu'au cas particulier, ce délai est très largement dépassé, puisque selon que la date de dernière exposition au risque est fixée en 1985 ou en 1993, ce délai compte 24 ou 16 années, si bien qu'il est beaucoup trop long, pour permettre d'établir un lien direct entre la pathologie présentée et l'activité professionnelle du salarié.
L'employeur, quant à lui, conteste que le salarié ait été exposé au benzène dans les postes occupés au sein de son entreprise, dès lors que l'utilisation du benzène était prohibée à compter du mois de mars 1949, et produit au soutien de sa position, deux attestations précédemment produites, outre une expertise amiable qu'il a confiée à M. [P], expert chimiste, selon laquelle, à l'exception du benzène lui-même, les produits cités par les attestations de collègues de travail du salarié, ne contiennent pas de benzène.
Il rappelle qu'il a formé tierce-opposition à l'arrêt de la cour d'appel de Pau en date du 2 décembre 2021, invoqué par l'appelante, au vu duquel l'appelante estime pouvoir soutenir que l'exposition du salarié au benzène serait acquise.
Il fait observer également, que deux des personnes attestant pour le compte du salarié (M. [O] et M. [K]), sont des anciens salariés de la société, dont il est notoirement connu qu'ils ont été en contentieux avec leur ancien employeur, créent intentionnellement une confusion entre les différents postes occupés par le salarié dans différents services, de même qu'une confusion dans les dates, qu'en outre, les attestations, rédigées en 2017, pour les besoins de la cause, ont une teneur pour le moins floue, contradictoire et partiale, totalement contraire aux éléments objectifs qu'il produit, rappelant que le médecin du travail intervenait 2 fois par semaine sur le site, a suivi l'ensemble des salariés entre décembre 1985 et juin 2013, était très rigoureux, connaissait parfaitement la réglementation en vigueur, notamment celle visant l'utilisation du benzène, et serait intervenu pour en interdire son usage si tel avait été le cas.
Enfin, il observe que la première constatation médicale a été fixée en juillet 2009 par le médecin-conseil, alors que selon que la date de la fin d'exposition au risque allégué est fixée en 1993, date du départ à la retraite de M. [S], ou en 1985, date à laquelle le salarié a occupé le poste de magasinier, le délai de prise en charge de 3 ans est trop largement dépassé, puisqu'il est de 16 ans ou 24 ans, pour permettre d'établir la preuve d'un lien direct entre la pathologie présentée par le salarié et son activité professionnelle, conformément à l'analyse concordante des 2 CRRMP consultés.
Sur ce,
L'arrêt de la présente cour dont se prévaut l'appelante, en date du 2 décembre 2021, est inopposable à l'employeur dès lors que celui-ci n'était pas partie à la procédure.
La cour doit déterminer, au vu des avis concordants des deux CRRMP consultés, de la position respective des parties, et des pièces produites, si les éléments du dossier établissent que la maladie déclarée est directement causée par le travail habituel de la victime.
S'agissant d'un fait juridique, la preuve de cette causalité directe peut être faite par tous moyens, notamment par un faisceau d'indices sérieux et concordants.
Il sera rappelé que :
-le CRRMP de Bordeaux, après avoir pris connaissance de la demande motivée de reconnaissance présentée par la victime ou ses ayants droits, du certificat établi par le médecin traitant, de l'avis motivé du médecin du travail, du rapport circonstancié de l'employeur, des enquêtes réalisées par l'organisme social, par le service de prévention, du rapport du contrôle médical de la caisse, et après avoir entendu le médecin rapporteur, l'ingénieur conseil chef du service prévention de la Carsat, la victime ou ses ayants droits et l'employeur, a considéré que :
« Il s'agit d'un homme, né en 1935, et décédé à l'âge de 76 ans le 29 septembre 2012, qui présentait une pathologie caractérisée à type de syndrome myélodysplasique (leucémie myélomonocytaire chronique) figurant au tableau 4 des maladies professionnelles du régime général.
Une demande concomitante de reconnaissance en maladie professionnelle tableau 30 B a fait l'objet d'un avis défavorable d'ordre médical (le scanner du 1er août 2011 ne montrant pas des plaques pleurales ni de fibrose pulmonaire).
Le dossier est soumis au CRRMP car le délai de prise en charge est dépassé : la fin d'exposition au risque se situe en 1993, et la première constatation médicale en juillet 2009, soit un délai de 16 ans au lieu de 3 ans par le tableau si l'on considère qu'il s'agit d'un syndrome myélodysplasique.
Ce monsieur a fait toute sa carrière professionnelle dans une usine de fabrication de papier :
-de 1963 à 1985 il a travaillé comme opérateur au département papier, sur les machines papier,
-de 1985 à 1993 il a été magasinier, coupeur de mandrin, façonnage, affûteur des couteaux.
Deux témoignages faisant état du fait que le salarié travaillait à la machine n° 3, dont le plafond était floqué d'amiante, les morceaux d'amiante tombaient régulièrement et tous les 2 jours, ils devaient nettoyer les feutres avec de l'essence pour enlever la graisse avec du trichloréthylène. Un des témoins indique qu'au début ils utilisaient du benzène et des essences de térébenthine.
(')
Le comité de [Localité 4] considère qu'il s'agit d'un syndrome myélodysplasique qui comporte en l'état actuel des connaissances un délai d'incubation court tandis que le délai d'incubation dans le cas soumis au comité est long : 16 ans.
L'exposition au benzène n'apparaît ni certaine ni significative.
En conséquence, le comité considère que les éléments de preuve d'un lien de causalité directe entre la pathologie déclarée (syndrome myélodysplasique) et l'exposition professionnelle incriminée sont pas réunies dans ce dossier. »
-le CRRMP de Toulouse, au vu des mêmes éléments, à l'exception de l'audition de la victime et de l'employeur, a considéré que :
« (')
M. [S] a donc exercé plusieurs emplois auprès du même employeur [5] à savoir :
-conducteur de machine de février 1963 à mars 1985,
-magasinier de 1985 à 1993.
Dans les documents mis à notre disposition, il est fait état de l'utilisation d'essence pour le nettoyage de pièces dans les premières années de l'activité professionnelle de M. [S] et donc d'une potentielle exposition au benzène.
Il est donc possible qu'il ait été exposé au benzène.
Le problème tient ici au délai de prise en charge non rempli.
En effet, le salarié n'est plus exposé de manière certaine depuis 1985 (fin de l'activité professionnelle au poste de conducteur de machine) alors que la date de première constatation médicale du syndrome myélodysplasique a été fixée à juillet 2009.
Nous sommes en présence d'un délai de prise en charge de 24 ans pour un délai réglementaire de 3 ans dans le cadre d'un syndrome myélodysplasique.
Parmi les documents mis à notre disposition, il n'est pas retrouvé d'éléments objectifs faisant état de manifestations de ce syndrome antérieurement à juillet 2009.
Eu égard à cet élément, un dépassement du délai très important, le CRRMP de Toulouse considère que les éléments de preuve d'un lien direct entre la pathologie présentée (syndrome myélodysplasique) et l'activité professionnelle du salarié, ne sont pas réunies dans ce dossier.
Il n'est pas établi que la maladie n° 4 de M. [S] [R] est directement causée par son travail habituel.
Elle ne peut donc pas être reconnue d'origine professionnelle au titre du 3e alinéa de l'article L461-1 du code de la sécurité sociale. »
Par ailleurs, la caisse produit les éléments de son enquête.
'Sur l'exposition professionnelle au benzène
L'employeur produit sans contestation, des pièces (sous les numéros 6 et 35), qui permettent d'établir que le salarié, au sein de la société employeur, a occupé les postes suivants :
- 16 septembre 1953 au 31 octobre 1956 : gamin de machine (apprenti man'uvre de fabrication),
-du 2 février 1959 au 26 février 1963 : man'uvre de fabrication,
-du 26 février 1963 au 27 avril 1979 : sécheur puis sécheur MP3,
-du 27 avril 1979 au 11 mars 1985 : conducteur de machine à papier 3 et 4,
-du 11 mars 1985 au 15 septembre 1986 : magasinier,
-du 15 septembre 1986 au 3 juillet 1987 : coupeur de mandrin, façonnage,
-du 3 juillet 1987, au mois de juin 1993 : affûteur de couteaux.
L'étude attentive des nombreuses pièces, enquête de la caisse, attestations et rapport technique produits au dossier, permet de retenir que :
-la déclaration de maladie professionnelle, concernait une exposition à l'amiante, ainsi que l'inhalation de « produits » sans aucune protection, la veuve du salarié ayant indiqué à l'enquêteur, que son mari se servait au moins tous les 2 jours de trichloréthylène pour enlever la résine des toiles,
- deux personnes entendues lors de l'enquête, à savoir M. [S] [L], cousin germain du salarié, le 4 juin 2013, et M. [X] [B], retraité de la société employeur, le 27 juin 2013, font état :
- pour le premier, d'usage « d'essence » pour le nettoyage de graisse sur les feutres, et de trichloréthylène, pour enlever la résine présente sur les toiles,
-pour le second de « nettoyants très nocifs. Ils ont employé pendant une période des trichloréthylènes et des perchloréthylènes. À l'origine, de mémoire, il était utilisé du benzènes et des essences de térébenthine. Au fur et à mesure de leur interdiction ils ont été remplacés. Aujourd'hui il est utilisé de l'IMBELIT, de la marque Kolb »,
-l'appelante, par ses pièces 21 à 27, produit 7 attestations établies par d'anciens salariés de l'entreprise, lesquels apportent les témoignages suivants :
-le témoignage de M. [G] [Z], concerne la période du 26 février 1963 au11 mars 1985, pendant laquelle le salarié était sécheur puis « conducteur technicien » de la MP3, et indique qu'à cette occasion, les salariés ont utilisé sans protection pour filtrer les émanations de ces produits, du trichloréthylène et autres solvants pour le nettoyage soit des toiles de formation de feuilles, ou de toiles sécheuses lorsque celles-ci étaient encrassées de graisse,
-le témoignage de M. [B] [M], concerne la période du 27 avril 1979 au 11 mars 1985, où le salarié « a travaillé de nombreuses années à la machine 3 », et indique que le salarié « était tous les jours en contact avec des produits tels que la benzène, le trichloréthylène et autres dissolvants et les a manipulés pour nettoyer les toiles de fabrication, les presses de machine à papier, et les mandrins car les tâches de résine et de graisse pouvaient détruire les feuilles de papier »,
-l'attestation de M. [Y] [A], concerne également la période du 27 avril 1979 au 11 mars 1985, pendant laquelle le salarié travaillait « à la machine 3 », et indique qu' il utilisait des produits comme « le perchloréthylène, puis le trichloréthylène, puis de l'essence' »,
-l'attestation de M. [X] [B], concerne la même période, pendant laquelle le salarié travaillait « à la machine 3 », et déclare qu'il était employé au sein de la société, pour nettoyer la toile de fabrication, et utilisait des nettoyants très nocifs, s'agissant pendant une période des trichloréthylènes, perchloréthylènes, alors qu'à l'origine, il précise de mémoire, qu'il était utilisé du benzène et des essences de térébenthine, le benzène étant stocké au fond de l'atelier de maintenance ; le témoin précisant qu'aujourd'hui il est utilisé de l'imbelit, et en cas de fortes salissures, de la soude liquide, se rappelant que le personnel en cas de tâches très prononcées, allait chercher avec un seau soit du trichloréthylène, soit du benzène pour nettoyer' ajoutant que le salarié a bien évidemment effectué toutes ces opérations alors même que les protections individuelles ne sont arrivées dans l'entreprise que plus tard,
-enfin, les attestations de Messieurs [O] [J], et [K] [F], concernent la période de 1985 à 1993, où le salarié est arrivé en qualité de magasinier outillage, et indiquent :
-selon le premier, que le salarié rectifiait tous les couteaux utilisés dans l'entreprise avec une rectifieuse située dans l'atelier central, et utilisait du benzène pour le nettoyage des pièces de la rectifieuse, à chaque fois qu'il rectifiait les couteaux des coupeuses à bois pour en enlever la résine, et ce sans aucune protection individuelle,
- selon le second, qu'à compter de 1985, le salarié avait pour principale activité d'affûter les lames des couteaux utilisées sur les machines à papier, ou coupeurs à bois, de même que de nettoyer la machine pour enlever les résidus de colle ou résine, à l'aide d'un chiffon trempé dans du benzène ou du trichloréthylène, ces produits étant contenus dans des petits bidons à côté de son poste de travail, activités effectuées jusqu'à ce qu'il parte en préretraite courant 1993,
-l'attestation de M. [H], concerne des périodes indéterminées de 1956 à 1993, pendant lesquelles il déclare avoir été employé à plusieurs reprises en compagnie du salarié, « au nettoyage de certains matériels avec des produits tel le benzène, l'imbélite, le trichloréthylène, la soude caustique, sans avoir été averti en danger ».
Pour contredire ces éléments, l'employeur se prévaut sous ses pièces n° 19, 20, et 28, des attestations de M. [E], de Mme [U], et du rapport d'expertise de M. [P].
M. [E] retrace son parcours professionnel au sein de la société employeur, dont il ressort que si sa carrière y a commencé en janvier 1986 (jeune ingénieur aux machines à papier), il a été affecté après une année de formation à l'école Française de papeterie, et postérieurement au mois de juin 1987, en qualité de chef d'atelier de la machine à papier 3 puis 6. À ce titre, il expose les opérations de lavage de la toile de formation et des feutres humides, à l'aide de soude, et port des équipements de protections individuelles obligatoires, le lavage des toiles de sècherie, pour lequel il a toujours connu l'utilisation de l'Imbelit, avec port de protections individuelles obligatoires pendant la manipulation, et précise qu'en cas de tâches tenaces, les opérateurs employaient une petite quantité de dégraissant disponible en fûts de 200 litres à l'atelier mécanique afin de frotter la tâche avec le produit et une brosse. Il indique ainsi que les solvants utilisés dans l'entreprise, depuis plusieurs années, étaient le trichloréthylène remplacé (début des années 90) ensuite par le perchloréthylène, puis (début des années 2000) par le SRB5, s'agissant de produits ne contenant pas de benzène.
Mme [U], en sa qualité de responsable du service médico-social au sein de la société employeur, a été entendue en qualité de représentant de l'employeur, par le CRRMP de Bordeaux, rappelle l'argumentaire qu'elle y a présenté en 6 points, et tout particulièrement :
-en point n° 2, l'interdiction d'utiliser du benzène et des bases selon réglementation du 29 décembre 1948 applicable au 1er mars 1949, au vu de laquelle elle estime que le salarié n'a pas été exposé au risque revendiqué,
-en point n° 4, la description des schémas de production de la société employeur, au titre desquels elle fait valoir que ne sont utilisés ni trichloréthylène, ni perchloréthylène,
-en point n° 5, des phases de nettoyage où elle invoque que selon qu'il s'agit de la partie humide, ou de la partie sèche, sont effectués des rinçages à la soude, des opérations de dégraissage des feutres sur toile avec du RB5, et un détergent légèrement alcalin, l'imbélite de marque Kolb.
Force est de constater que ces attestations ne sont pas de nature à contredire les précédentes attestations produites par l'appelante, en ce que :
-les déclarations de M. [E], qui rapporte sa connaissance des conditions de travail sur la machine à papier 3, mais seulement postérieurement au mois de juin 1987, sont indifférentes à la solution du présent litige, dès lors que le salarié ne travaillait plus sur cette machine depuis le 11 mars 1985, et que les déclarations de ce témoin, n'apportent aucune précision sur les conditions de travail au sein de l'entreprise antérieurement au mois de juin 1987,ni s'agissant des postes occupés par le salarié, postérieurement au mois de juin 1987,
- les déclarations de Mme [U], sont de même sans aucune valeur probante, dès lors que le rapprochement de son exposé, avec celui de M. [E], démontre que la description à laquelle elle se livre, ne correspond pas aux méthodes qui étaient mises en 'uvre, au cours de la période d'embauche du salarié, mais correspond à des pratiques bien postérieures.
Enfin, « l'expertise » amiable de M. [P], expert judiciaire dans la spécialité chimie et incendie explosion, a été effectuée à titre privé, à la demande de l'employeur, sur la base des documents fournis par l'employeur, et n'a consisté qu'en l'examen de la déclaration de Mme [U], pour observer qu'elle va dans le même sens que celles de l'employeur relatives à un processus n'employant pas de benzène, l'examen des déclarations de 4 témoins (M. [H], M. [A], M. [Z], M. [M]), pour observer que M.[Z] ne parle pas de benzène, M. [A], ne parle pas de benzène, mais seulement d'essence, s'agissant d'un mot trop vague pour se prononcer chimiquement sur le point de savoir s'il contient ou non du benzène, et que les deux déclarations de M. [H] et M. [M] parlent bien de benzène, mais que cependant, elles n'ont pas fait l'objet de vérifications, par référence par exemple à des commandes faites par l'employeur'
Il se déduit de ces observations, qu'il a été demandé à cet expert chimiste, pour l'essentiel, non pas une expertise dans sa spécialité, mais d'apprécier la valeur probante des pièces qui lui ont été soumises, alors même qu'une telle appréciation, relève de la juridiction saisie.
En outre, l'employeur a omis de soumettre à son expert, les attestations établies par Messieurs [X], [O] [J], et [K] [F], sans pour autant produire d'élément au soutien de ses allégations, selon lesquelles ces deux derniers salariés auraient été en contentieux avec la société employeur .
Enfin, si l'employeur produit des fiches de sécurité concernant la soude caustique, le perchloréthylène, et le trichloréthylène, celles-ci sont respectivement datées des 5 septembre 2012, 8 décembre 2004, et 18 mai 2016, c'est à dire très postérieures au dernier jour travaillé du salarié (30 juin 1993), et n'apportent rien au débat si ce n'est la confirmation que ces produits n'ont été mis en oeuvre dans l'entreprise que postérieurement à la cessation d'activité du salarié.
Pour conclure, il résulte de l'étude des pièces du dossier, que l'essentiel des attestations produites par l'appelante (à l'exception de celles de M. [H], qui ne parle ni de benzène ni d'essence) en ce qu'elles sont concordantes, se rapportent à la période d'embauche du salarié au sein de la société employeur, ne sont pas contredites par d'autres éléments, établissent que le salarié, de façon habituelle, dans l'exercice de ses fonctions, à compter du 27 avril 1979, et jusqu'à son départ de l'entreprise, en juin 1993, a été exposé à du benzène, ou/et à des produits susceptibles d'en renfermer, tels que l'essence.
La cour estime que ces éléments suffisent à établir que le salarié, au cours de ses missions professionnelles pour le compte de la société employeur, de 1979 au plus tôt et jusqu'en 1993, et de façon habituelle a été exposé à du benzène.
'Sur la cause directe de la maladie
Les éléments médicaux ou de documentation médicale produits au dossier, établissent que :
-le salarié, né le 7 novembre 1935, était suivi pour :
-une BPCO (bronchopneumopathie chronique obstructive) associée en avril 2010, à une pleuropneumopathie basale droite, ainsi que des calcifications pleurales au niveau de la lèvre pariétale, (deux lobes supérieurs et au niveau sous diaphragme),
-une myélodysplasie diagnostiquée en juillet 2009,
- il est décédé le 29 septembre 2012, à l'âge de 76 ans révolus, dans un contexte d'immunodépression induit par le syndrome myélodysplasique,
-l'évolution du syndrome myélodysplasique vers la leucémie aiguë est la règle,
-une relation entre ce syndrome, et l'exposition au benzène mais également à d'autres solvants halogénés, a été retrouvée dans plusieurs études épidémiologiques, l'exposition au benzène pouvant être faible,
-d'autres étiologies sont naturellement possibles (et notamment facteurs génétiques, traitements radio chimiothérapiques).
Au cas particulier, aucun élément du dossier, ne vient établir ni même suggérer que la maladie aurait une autre cause.
Il se déduit de l'étude précédente, que la maladie a été diagnostiquée pour la première fois en juillet 2009, soit à distance de 16 ans à compter de la date de la dernière exposition du salarié au benzène (juin 1993).
Les intimés se rapportent au tableau n° 4, en sa version applicable à la cause, pour soutenir que ce délai est trop important, pour permettre de retenir un lien direct entre exercice professionnel, et la survenance de la maladie déclarée.
Le CRRMP de Bordeaux, a considéré que le délai de la maladie était court, « en l'état actuel des connaissances », s'agissant ainsi, d'une appréciation relative, qui a été remise en question, par le législateur lui-même, à l'occasion de la modification du tableau n° 4, dont l'entrée en vigueur est intervenue à compter du 17 janvier 2009, et qui a posé pour la même pathologie, un délai de prise en charge de 20 ans.
Au vu de l'évolution des connaissances en la matière, au titre du délai d'apparition de la maladie, telle que consacrée par la modification du tableau n° 4, bien que non applicable à la cause à 6 mois près, de l'exposition du salarié au benzène, de façon habituelle, à l'occasion de l'exercice de sa mission professionnelle pour le compte de l'employeur, de 1979 à 1993, de l'absence d'évocation de toute autre cause d'étiologie, la cour estime que les éléments du dossier, établissent que la maladie déclarée a été directement causée par le travail habituel de la victime.
Le caractère professionnel de la maladie, est donc établi, et il sera fait droit à la contestation de l'appelante, jugée fondée.
III/ Sur la demande de condamnation de la caisse à verser à l'action successorale les prestations correspondantes à compter du lendemain du constat médical initial - 1 er juillet 2009 - jusqu'au décès du salarié
Il s'agit d'une demande indéterminée qui est comme telle jugée irrecevable.
IV/ Sur la demande de l'employeur de lui déclarer inopposable la décision de prise en charge de la maladie au titre de la législation sur les risques professionnels
Au visa de décisions jurisprudentielles, l'employeur fait valoir que la caisse a par lettre du 19 février 2014, notifié à la veuve du salarié un refus de prise en charge de la maladie litigieuse, dont il a demandé communication à défaut d'en avoir été spontanément destinataire, et estime que cette décision de refus lui bénéficie de façon définitive, en raison du principe d'indépendance des rapports caisse/victime et caisse/ employeur.
Les autres parties ne font valoir aucune observations à cet égard.
Sur ce,
Sur le bénéfice d'une décision définitive de refus de prise en charge
Selon l'article R. 441-14, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction issue du décret nº 2009-938 du 29 juillet 2009( en vigueur du 1er janvier 2010 au 1er décembre 2019), applicable au litige, la décision motivée de la caisse est notifiée, avec mention des voies et délais de recours par tout moyen permettant de déterminer la date de réception, à la victime ou à ses ayants droit si le caractère professionnel de l'accident, de la maladie professionnelle ou de la rechute n'est pas reconnu, ou à l'employeur dans le cas contraire, la décision étant également notifiée à la personne à laquelle elle ne fait pas grief ; il en résulte que la décision revêt, dès sa notification à la personne à laquelle elle ne fait pas grief, un caractère définitif à son égard.
Cependant, il ressort des éléments du dossier que la décision initiale de refus de prise en charge sur le fondement du tableau nº 4 des maladies professionnelles, de la maladie déclarée par la victime n'a pas été notifiée à l'employeur.
Ce dernier d'ailleurs, dans ses écritures, ne se prévaut pas d'une telle notification, mais fait valoir qu'à sa demande, la décision de refus de prise en charge nominativement notifiée à l'ayant droit de l'assuré lui a été communiquée en copie, et produit à ce titre ses pièces n° 14 et 15.
Cependant, la transmission à l'employeur à titre d'information, de la copie de la décision notifiée à l'ayant droit de l'assuré, ne vaut pas notification à l'employeur, étant rappelé qu'une notification se doit, notamment au sens de l'article 665 du code de procédure civile, de contenir toutes indications relatives aux nom et prénom ou à la dénomination ou raison sociale du destinataire, alors qu'il n'est produit par l'employeur aucune pièce démontrant une telle notification.
Dès lors qu'il ressort de ces constatations que la décision initiale de refus de prise en charge sur le fondement du tableau nº 4 des maladies professionnelles, de la maladie déclarée par la victime n'a pas été notifiée à l'employeur, ce dernier ne saurait se prévaloir du caractère définitif à son égard de cette décision pour soutenir que la décision de prise en charge de la maladie prise par le présent arrêt à l'occasion d'une procédure dont il est partie, lui est inopposable de ce chef.
Ce moyen n'est pas fondé.
Sur les dépens
La caisse et l'employeur, qui succombent, supporteront in solidum les dépens.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire, rendu en dernier ressort, par mise à disposition,
Déboute la société [5], de sa demande de jonction de la procédure enrôlée sous le numéro 22/ 0916, à l'actuelle procédure enrôlée sous le numéro 19/3896,
Infirme le jugement rendu par le pôle social du Tribunal de Grande Instance de Mont-de-Marsan en date du 8 novembre 2019,
Et statuant à nouveau,
Juge que la maladie déclarée le 17 avril 2013, par la veuve de M. [R] [S], Mme [T] [N], de « syndrome myélodysplasique », désignée au tableau 4 des maladies professionnelles, est une maladie professionnelle, car causée directement par le travail habituel du salarié,
Juge indéterminée la demande de la veuve de M. [R] [S], Mme [T] [N], de condamnation de la caisse, et en conséquence, la déclare irrecevable,
Déboute la société [5], de sa demande de lui voir déclarer inopposable la présente décision de reconnaissance du caractère professionnel de la maladie de M. [R] [S], de « syndrome myélodysplasique », désignée au tableau 4 des maladies professionnelles, déclarée le 17 avril 2013, par la veuve de l'assuré, Mme [T] [N],
Condamne in solidum la caisse primaire d'assurance maladie des Landes, et la société [5] aux dépens exposés à compter du 1er janvier 2019 .
Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,