JP/CS
Numéro 22/3487
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 29 septembre 2022
Dossier : N° RG 20/02764 - N° Portalis DBVV-V-B7E-HWCT
Nature affaire :
Demande en paiement des loyers et des charges et/ou tendant à faire prononcer ou constater la résiliation pour défaut de paiement ou défaut d'assurance et ordonner l'expulsion
Affaire :
[I] [L]
[A] [G] épouse [L]
C/
[K] [L]
[V] [L] née [R]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 29 septembre 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 21 juin 2022, devant :
Jeanne PELLEFIGUES, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame SAYOUS, Greffière présente à l'appel des causes,
Jeanne PELLEFIGUES, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Marc MAGNON et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [I] [L]
né le 22 Juillet 1965 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 11]
Madame [A] [G] épouse [L]
née le 06 Novembre 1964 à [Localité 8]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 11]
Représentés par Me Anne lorraine RODOLPHE de la SELARL MAGELLAN AVOCATS, avocat au barreau de DAX
INTIMES :
Monsieur [K] [L]
né le 22 Mars 1943 à [Localité 7]
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 11]
Madame [V] [L] née [R]
née le 15 Juin 1944 à [Localité 10] (MAROC)
de nationalité Française
[Adresse 2]
[Localité 11]
Représentés par Me Philippe LALANNE de la SCP LALANNE-JACQUEMAIN LALANNE, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision
en date du 18 NOVEMBRE 2020
rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE DAX
[K] [L] et [V] [R] épouse [L], faisant valoir que [I] [L] leur fils et son épouse [A] [L] née [G] , étaient, depuis le 1er janvier 2018, occupants sans droit ni titre de parcelles leur appartenant, les ont fait assigner le 18 janvier 2018 devant le tribunal d'instance de Dax aux fins de voir ordonner leur expulsion sur le fondement des articles 1875 et suivants du Code civil.
Par jugement du 18 septembre 2018, le tribunal d'instance s'est déclaré incompétent au profit du tribunal de grande instance.
Par jugement contradictoire du 18 novembre 2020, le tribunal judiciaire de DAX a :
- Ordonné l'expulsion de Monsieur [I] [L], Madame [A] [G] épouse [L] et de tous occupants de leur chef, des biens situés [Adresse 3] à [Localité 11], parcelles cadastrées section A numéros [Cadastre 4] et [Cadastre 5], avec le concours de la force publique si nécessaire,
- Condamné Monsieur [I] [L] et Madame [A] [G] épouse [L] à payer à Monsieur [K] [L] et Madame [V] [R] épouse [L], une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 900 € à compter du 1er mai 2018 et jusqu'à libération effective des lieux,
- Condamné Monsieur [I] [L] et Madame [A] [G] épouse [L] à payer à Monsieur [K] [L] et Madame [V] [R] épouse [L],la somme de 1500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- Ordonné l'exécution provisoire de la décision,
- Débouté les parties du surplus de leurs demandes
- Condamné Monsieur [I] [L] et Madame [A] [G] épouse [L] aux entiers dépens.
Par déclaration du 26 novembre 2020, [I] [L] et [A] [G] épouse [L] ont interjeté appel de la décision.
[I] [L] et [A] [L] concluent à :
Vu les articles 1875 et suivants du Code civil
Vu les articles 555 et suivants du Code Civil,
- DECLARER recevable et bien fondé l'appel interjeté par Monsieur [I] [L] et Madame [A] [G],
- INFIRMER le jugement rendu par le Tribunal judiciaire de DAX en date du 18 novembre 2020,
Statuant à nouveau,
A TITRE PRELIMINIAIRE,
- JUGER que Monsieur [K] [L] ne justifie pas d'un intérêt à agir,
- DEBOUTER Monsieur [K] [L] de l'ensemble de ses demandes à l'encontre de Monsieur [I] [L] et Madame [A] [G],
SUR LE FOND, A TITRE PRINCIPAL,
- DEBOUTER Madame [R] de sa demande d'expulsion et de fixation d'une indemnité
d'occupation,
A TITRE SUBISIDIAIRE,
- JUGER que l'indemnité d'occupation due par Monsieur [I] [L] et Madame [A] [G] sera d'un montant mensuel de 150 €,
- JUGER que l'indemnité d'occupation due par Monsieur [I] [L] et Madame [A] [L] sera due à compter du 1er novembre 2018,
A TITRE RECONVENTIONNEL,
- JUGER que Monsieur [I] [L] et Madame [A] [G] en qualité de constructeurs évincés sont titulaires d'une créance à l'encontre de Madame [V]
[R],
- SOMMER Madame [V] [R] d'opter pour le choix du mode de calcul de l'indemnité due par elle,
AVANT DIRE DROIT,
- ORDONNER une expertise à tel Expert qu'il plaira à la Cour, avec pour mission de procéder à l'évaluation des deux indemnités prévues par l'article 555 alinéa 3, portant sur la construction réalisée selon permis de construire en date du 27 décembre 1994, située sur les parcelles [Cadastre 1] cadastrées section A n°[Cadastre 4] et [Cadastre 5] à [Localité 11], et d'une manière générale d'apporter à la juridiction tous éléments utiles de nature à permettre de faire le comptes ente les parties,
- RENVOYER le dossier à une audience de mise en état ultérieure, après dépôt du rapport
d'expertise, afin de permettre aux parties de conclure.
EN TOUT ETAT DE CAUSE,
- CONDAMNER Monsieur [K] [L] et Madame [V] [R] solidairement à verser à Monsieur [I] [L] et à Madame [A] [G] la somme de 10.000 € à titre de dommage et intérêts,
- CONDAMNER Monsieur [K] [L] et Madame [V] [R] solidairement au paiement d'une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du Code de
Procédure Civile ;
- CONDAMNER les mêmes en tous les dépens d'appel et de première instance, avec distraction au profit de Maître RODOLPHE avocat sur son affirmation de droit.
[K] [L] et [V] [R] épouse [L] demandent à la Cour de :
débouter les appelants de leur recours,
confirmer le jugement rendu par le tribunal judiciaire de Dax,
condamner Monsieur et Madame [I] [L] au paiement de la somme de 4000 € Sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
les condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 12 janvier 2022.
SUR CE
[K] [L] et [V] [R] épouse [L] sont propriétaires à [Localité 11] d'un ensemble immobilier comprenant un immeuble à usage d'habitation sur les parcelles cadastrées section A numéros [Cadastre 4] et [Cadastre 5], situées [Adresse 2] à [Localité 11].
Au cours de l'année 1994, [K] et [V] [L] ont permis à [I] [L] et [A] [G] épouse [L] de prendre jouissance de ces parcelles sur lesquelles [I] et [A] [L] ont fait réaliser des travaux de construction et rénovation de la maison à usage d'habitation.
Par acte notarié du 26 décembre 2003, [K] et [V] [L] ont régularisé, au profit de leur fils [I] ,une donation-partage d'usufruit temporaire , limitée à 10 ans portant sur les parcelles [Cadastre 4] et [Cadastre 5].
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 21 septembre 2017 et par lettre simple du 12 octobre 2017, [K] et [V] [L] ont informé [I] et [A] [L] de leur souhait de récupérer la maison située [Adresse 2] à [Localité 11], à compter du début de l'année 2018.
En raison du refus de leur fils et belle-fille de quitter les lieux, ils les ont fait assigner devant le tribunal aux fins de voir ordonner leur expulsion qui a été ordonnée par le jugement dont appel.
L'intérêt à agir :
En cause d'appel, [I] et [A] [L] soulèvent l'absence d'intérêt à agir de [K] [L] en raison de la nature de ce bien appartenant en propre à Madame [L] aux termes d'un acte notarié comportant changement de régime matrimonial avec adoption du régime de la séparation de biens.
S'agissant d'une demande présentée pour la première fois en cause d'appel, elle n'est pas recevable.
En outre, [K] et [V] [L] ont changé de régime matrimonial pour adopter celui de la communauté universelle homologué par jugement du tribunal de grande instance de Dax du 12 juin 2006 .
Par conséquent [K] et [V] [L], propriétaires de ce bien ont donc un intérêt commun à agir .
Sur la cessation du contrat de prêt à usage et l'éviction des occupants :
[I] et [A] [L] ne contestent plus en cause d'appel l' existence de ce prêt à usage mais rappellent les circonstances dans lesquelles ils ont pris possession des lieux en 1994 afin de réhabiliter le bâtiment existant et de le transformer en une maison d'habitation en déposant un permis de construire accordé le 27 décembre 1994. La volonté des parties d'officialiser cette situation par un acte de donation ne s'est jamais concrétisée. [I] [L] s'est vu octroyer , par acte de donation du 26 décembre 2003, l'usufruit temporaire des parcelles cadastrées section A N° [Cadastre 4] et [Cadastre 5] lieudit [Localité 6] sans mentionner l'existence de la construction pour des raisons fiscales.
À l'expiration de l'usufruit temporaire le 26 décembre 2013 la situation a perduré sans que les parties régularisent un écrit.
Ils soutiennent que [K] et [V] [L] n'établissent pas la preuve d'un besoin pressant et imprévu de reprendre le bien loué et sollicitent le rejet de la demande d'éviction et à titre subsidiaire si l'éviction devait être décidée par les juges demandent d' obtenir un préavis plus important faisant valoir qu'ils occupent cette maison depuis 25 ans avec leur fils toujours à charge en sollicitant un délai de préavis d'une année jusqu'au 1er novembre 2018.
Ils précisent avoir quitté la maison le 5 juillet 2021.
[K] et [V] [L], rappellent qu' aucun écrit n'est exigé pour le prêt à usage et que lorsque 'aucun terme n'a été convenu pour le prêt d'une chose à usage permanent, le prêteur est en droit d'y mettre un terme à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable. Ils font observer que les relations familiales sont devenues conflictuelles et que la fin du prêt à usage résulte de l'intérêt commun. Ils estiment que le délai d'un an invoqué par les appelants est largement dépassé et demandent la confirmation du délai de préavis de six mois fixé par le tribunal en faisant courir l'indemnité d'occupation au 1er mai 2018.
L'article 1875 du Code civil définit le prêt à usage comme un contrat par lequel l'une des parties livre une chose à l'autre pour s'en servir, à la charge par le preneur de la rendre après s'en être servi.
Suivant l'article 1876 ce prêt est essentiellement gratuit et l'article 1877 précise que le prêteur demeure propriétaire de la chose prêtée.
Lorsque aucun terme n'a été convenu pour le prêt d'une chose d'un usage permanent, sans qu'aucun terme naturel soit prévisible, le prêteur est en droit de mettre fin à tout moment en respectant un délai de préavis raisonnable.
Telle est la situation dans laquelle se trouvent les parties et la décision déférée sera confirmée en ce qu'elle a fixé un préavis de six mois jusqu'au 1er mai 2018.
Sur les conséquences de l'éviction : l'indemnité d'occupation et le dédommagement pour les travaux effectués.
[I] et [A] [L] arguent que l'objet du contrat de prêt est constitué d'un terrain sans aucune mention d'un immeuble bâti. Ils produisent plusieurs attestations de membres de la famille confirmant l'absence d'une maison d'habitation sur le terrain litigieux lors de la prise de possession de [I] [L] en 1994.
[K] et [V] [L]: versent aux débats l'acte notarié du 17 juillet 1970 par lequel ils ont acquis la parcelle numéro [Cadastre 4] consistant en une maison à usage d'habitation située à [Localité 11] avec le terrain attenant. Ils produisent également un acte notarié des 4 janvier et 12 février 1974 par lequel ils ont acquis la parcelle numéro [Cadastre 5] consistant en une maison d'habitation dénommée : « la douce maison » sise à [Localité 11] avec le terrain attenant.
Les attestations produites émanant de membres de la famille nécessairement subjectifs dans leur appréciation de la situation, et font état d'un vieux bâtiment existant que le couple a transformé en une confortable maison d'habitation .
Le permis de construire évoqué par [I] et [A] [L] suite à une demande déposée le 21 novembre 1994, porte sur un terrain sis à lieu dit TOKI GOCHOA et ne concerne donc pas les terrains dont il s'agit.
L'attestation de [Y] [U] datée du 23 décembre 2020 mentionne que celui-ci a été rémunéré pour la construction d'une maison individuelle complète à usage d'habitation sise [Adresse 2] à [Localité 11]. Ce témoin précise :« la masure qu'il y avait en lieu et place de la nouvelle maison a été démolie. Tous les artistes intervenants ont été réglés pour leur prestation par Monsieur et Madame [I] [L]».
[K] et [V] [L] produisent une attestation de ce même témoin [Y] [U] en date du 8 avril 2021 mentionnant : « ayant été mandaté en tant que maître d''uvre par Monsieur et Madame [I] [L] pour la rénovation et l'extension d'une habitation qui comportait deux logements et créer un seul logement pour son usage familial je confirme qu'il n'y a pas eu d'entière démolition car j'aurais demandé un permis de démolir, seulement obturation d'ouverture existante, création de nouvelles et démolition de cloisonnements intérieurs. Je pense que les plans acceptés par l'administration sont assez explicites. »
Il résulte de ces éléments que le prêt à usage a bien englobé une habitation sis sur les parcelles que [I] et [A] [L] ont rénové pour partie à leur frais et pour partie, comme il en est justifié avec l'aide de leurs parents.
S'agissant d'un prêt à usage comme ils le reconnaissent, il convient de faire application des dispositions de l'article 1886 du Code civil suivant lesquelles : « si pour user de la chose, l'emprunteur a fait quelques dépenses, il ne peut pas la répéter. »
Suivant jurisprudence de la Cour de cassation, seules peuvent être répétées, les dépenses extraordinaires, nécessaires et tellement urgentes que l'emprunteur n'a pu en prévenir le prêteur ainsi que le prévoit l'article 1890 ; tout autres dépenses que ferait l'emprunteur y compris pour user de la chose ne sont pas soumis à répétition en application de l'article 1886.
Le caractère urgent des travaux de rénovation de la maison n'étant pas établi, les demandes de [I] et [A] [L] tendant à se faire rembourser les dépenses engagées seront rejetées en confirmation du jugement déféré ainsi que leur demande d'expertise.
S'agissant du montant de l'indemnité d'occupation, il sera tenu compte du fait qu'à l'origine le prêt portait sur un bâtiment qui n'était pas doté du confort moderne apporté par [I] et [A] [L].
Cette indemnité d'occupation sera donc fixée à un montant mensuel de 300 €, après infirmation du jugement déféré qui devra être versée à compter du 1er mai 2018 et jusqu'à libération effective des lieux.
La demande de dommages-intérêts :
Le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a rejeté cette demande en raison de la connaissance qu'avaient [I] et [A] [L] du caractère précaire de ce prêt à usage alors qu'aucune faute ne peut être reprochée sur le fondement de l'article 1240 du Code civil à [K] et [V] [L].
[I] et [A] [L] seront condamnés à payer la somme de 2000 € à [K] et [V] [L] sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Rejette la contestation de [I] [L] et [A] [L] sur l'intérêt à agir de [K] [L] comme irrecevable et non fondée.
Infirmant partiellement le jugement déféré :
Condamne [I] [L] et [A] [L] à payer à [K] et [V] [L] une indemnité d'occupation d'un montant mensuel de 300 € à compter du 1er mai 2018 et jusqu'à la libération effective des lieux.
Confirme le jugement déféré en toutes ses autres dispositions.
Y ajoutant :
Condamne [I] [L] et [A] [L] à payer à [K] et [V] [L] la somme de 2000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Dit [I] [L] et [A] [L] tenus aux entiers dépens.
Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Catherine SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,