XG/JB
Numéro 22/02797
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 2
Arrêt du 19 Juillet 2022
Dossier : N° RG 19/03475 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HNAI
Nature affaire :
Action en contestation de la possession d'état d'un enfant hors mariage
Affaire :
[E] [P],
[V] [P], [JS] [P]
C/
[Z] [Y] épouse [J],
[E] [P],
[V] [P], [I] [O] veuve [P],
[JS] [P], LE PROCUREUR GENERAL
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 19 Juillet 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile,
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience en chambre du conseil tenue le 12 Avril 2022, devant :
Monsieur GADRAT, conseiller chargé du rapport,
assisté de Monsieur ETCHEBEST, faisant fonction de Greffier, présent à l'appel des causes,
Monsieur GADRAT, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur GADRAT, Président,
Madame MÜLLER, Conseiller,
Madame BAUDIER, Conseiller,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
Grosse délivrée le :
à :
dans l'affaire opposant :
APPELANTES :
Madame [E] [P]
née le 01 Juillet 1969 à [Localité 13] (Maroc)
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 1]
Madame [JS] [P]
née le 01 Avril 1975 à [Localité 12] (Corse)
de nationalité Française
[Adresse 10]
[Localité 17]
Représentées par Me Olivia MARIOL de la SCP LONGIN/MARIOL, avocat au barreau de PAU
assistées de Me Stéphane COHEN, membre de la société POMMIER, COHEN ET ASSOCIES, avocat au barreau de NICE et Me Emmanuel RAVANAS, membre de la SELURL ERAVANAS-AVOCAT, avocat au barreau de PARIS
Madame [V] [P]
né le 24 Juillet 1966 à [Localité 13] (Maroc)
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 7]
Représentée par Me François PIAULT de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de PAU
assistée de Me Eliyahu BERDUGO, avocat au barreau de MARSEILLE
INTIMES :
Madame [Z] [Y] épouse [J]
née le 15 Mars 1978 à [Localité 11] (LOT-ET-GARONNE)
de nationalité Française
[Adresse 6]
[Localité 9]
Représentée par Me Paul BLEIN de la SELARL ALQUIE AVOCATS, avocat au barreau de BAYONNE
Madame [I] [O] veuve [P]
née le 13 Mai 1965 à [Localité 19] (Maroc)
de nationalité Française
[Adresse 3]
[Localité 2] BELGIQUE
Représentée par Me Christophe DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU
Monsieur LE PROCUREUR GENERAL
Palais de Justice
[Adresse 18]
[Localité 8]
avisé de la date de l'audience
sur appel de la décision
en date du 23 SEPTEMBRE 2019
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE BAYONNE
RG numéro : 18/00648
FAITS, PROCÉDURE ET MOYENS DES PARTIES
M. [U] [P], né le 8 août 1943 à [Localité 13] (Maroc), est décédé le 4 décembre 2014 à [Localité 16] (92).
Au cours de sa vie, il s'est uni en mariage par trois fois :
- le 9 décembre 1961, avec Mme [M] [LR], union dont sont issues :
- [UI] [P], née le 10 décembre 1961 et décédée le 23 août 1994, sans enfant
- [V] [P], née le 24 juillet 1966
- [E] [P], née le 1er juillet 1969
- le 10 août 1974, avec Mme [N] [FE], union dont est issue Mme [JS] [P], née le 1er avril 1975
- le 15 juin 2010, avec Mme [I] [O] dont il n'a eu aucun enfant
Par requête du 14 février 2017, Mme [Z] [Y], née le 15 mars 1978 à [Localité 11] (47), a sollicité la délivrance d'un acte de notoriété établissant sa possession d'état d'enfant à l'égard de M. [U] [P], en application des dispositions de l'article 317 du code civil.
Par ordonnance du 2 mai 2017, le président du tribunal d'instance de Bayonne a fait droit à cette demande et délivré l'acte de notoriété sollicité.
Mention de cette filiation a été portée en marge de l'acte de naissance de l'intéressée le 30 juin 2017.
Par acte du 12 avril 2018, Mme [E] [P] et Mme [JS] [P] ont assigné Mme [Z] [Y] devant le tribunal de grande instance de Bayonne, au visa des dispositions des articles 317 et 335 du code civil, aux fins de voir dire nulle et de nul effet la possession d'état constatée dans l'acte de notoriété délivré le 2 mai 2017, le cas échéant voir ordonner l'examen comparé des sangs entre les filles de M. [P] et Mme [Y] et obtenir la condamnation de cette dernière à leur payer des dommages-intérêts sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du code civil outre une indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Par acte du 8 juin 2018, Mme [Z] [Y] a appelé en intervention forcée Mme [V] [P] et Mme [I] [O].
Par jugement du 23 septembre 2019, le tribunal de grande instance de Bayonne a :
- déclaré recevable l'action en contestation de possession d'état de Mme [E] [P] et de Mme [JS] [P] contre l'acte de notoriété du 2 mai 2017 constatant la possession d'état de Mme [Z] [Y] à l'égard de M. [U] [P]
- constaté qu'au visa de l'article 311-1 du code civil, les intéressées échouent à contester la possession d'état de Mme [Z] [Y]
- constaté que la possession d'état de Mme [Z] [Y] remplit les conditions fixées par l'article 311-2 du code civil
- débouté Mme [E] [P], Mme [JS] [P] et Mme [V] [P] de leur action en contestation contre l'acte de notoriété contestant ladite possession d'état
- constaté qu'en application de l'article 425 du code de procédure civile la communication au ministère public de la présente affaire et des pièces a été réalisée
Avant-dire droit,
- ordonné une mesure d'expertise biologique
Dans l'attente,
- sursis à statuer sur l'ensemble des demandes des parties
- laissé provisoirement les dépens à la charge de Mme [E] [P] et de Mme [JS] [P]
Par déclaration RPVA respectivement des 4 et 8 novembre 2019, Mmes [E] et [JS] [P] et Mme [V] [P] ont relevé appel de cette décision.
Par arrêt du 31 août 2020, la cour, statuant sur déféré de l'ordonnance du conseiller de la mise en état du 21 février 2020, a confirmé cette décision ayant prononcé la caducité partielle de la déclaration d'appel de Mmes [E] et [JS] [P] à l'égard de Mme [I] [O].
Par ordonnance du 17 février 2021, le conseiller de la mise en état a ordonné la jonction de la procédure enregistrée sous le numéro RG 19/3572 (appel formé par Mme [V] [P]) à la procédure enregistrée sous le numéro RG 19/3475 (appel formé par Mmes [E] et [JS] [P].
Par ordonnance du 28 avril 2021, le conseiller chargé de la mise en état, saisi par voie d'incident par Mme [V] [P], a désigné un huissier aux fins de prendre connaissance des registres de baptême de l'église Notre-Dame de [Localité 15] et de reproduire en copie l'intégralité de l'acte de baptême de Mme [Y].
Le conseiller de la mise en état a débouté par ailleurs Mmes [E], [JS] et [V] [P] de leur demande de communication de pièces concernant la procédure engagée par Mme [Y] en 1996 devant le tribunal de grande instance d'Agen et les a invitées à solliciter les archives départementales.
Le procès-verbal de constat a été transmis au greffe le 28 juin 2021.
Mmes [E] et [JS] [P] ont alors de nouveau saisi le conseiller de la mise en état aux fins qu'il ordonne la comparution personnelle de Mme [Z] [Y] et l'audition en qualité de témoin de Mme [G] [Y], mère de celle-ci.
Par décision du 30 novembre 2021, le conseiller de la mise en état a fait droit à cette demande et :
- ordonné une enquête aux fins de procéder à l'audition en qualité de témoin de Mme [G] [Y] et dit que cette audition aurait lieu à la cour d'appel de Pau le 7 décembre 2021 à 14h en présence des parties et de leurs conseils
- ordonné la comparution personnelle de Mme [Z] [Y] devant la cour d'appel de Pau le mardi 7 décembre 2021 à 14h30
La clôture de l'instruction, initialement fixée au 19 octobre 2021, a dès lors été reportée au 7 décembre 2021, date fixée pour l'audience des plaidoiries devant la formation collégiale de la cour.
A cette date, la cour a procédé à l'audition du témoin et interrogé Mme [Z] [Y], partie comparante et en a dressé procès-verbal.
Mmes [E], [JS] et [V] [P] ayant manifesté le souhait de faire valoir leurs observations suite à ces auditions, la cour les a autorisées à établir une note en délibéré à ce sujet en application des dispositions de l'article 445 du code de procédure civile.
De fait, Mmes [E] et [JS] [P] et Mme [V] [P] ont respectivement adressé à la cour les 21 décembre 2021 et 10 janvier 2022 de nouvelles pièces et conclusions pour contester les déclarations faites à l'audience du 7 décembre 2021.
Ces éléments méritant d'être débattus contradictoirement et nécessitant la rédaction par les parties de nouvelles conclusions permettant à la cour de statuer de manière éclairée sur les prétentions et moyens développés et maintenus par chacune des parties, la cour, par arrêt du 22 février 2022, a ordonné la réouverture des débats et enjoint les parties d'établir de nouvelles et dernières conclusions récapitulatives, ordonné la clôture de l'instruction au 29 mars 2022 et fixé cette affaire à l'audience collégiale du 12 avril 2022, devant le président de la chambre, en qualité de juge rapporteur.
***
Dans leurs dernières conclusions communiquées au greffe de la cour via le RPVA le 23 mars 2022, Mme [E] [P] et Mme [JS] [P] demandent à la cour de :
- les recevoir en leur appel
- prendre acte de la communication au procureur de la République à première demande des pièces en application de l'article 425 1° du code de procédure civile
- confirmer le jugement de première instance en ce qu'il a déclaré recevable leur action en contestation de possession d'état contre l'acte de notoriété du 2 mai 2017 et en ce qu'il a constaté qu'en application de l'article 425 du code de procédure civile la communication au ministère public de l'affaire et des pièces avait été réalisée
- l'infirmer pour le surplus et statuant à nouveau
à titre principal
- juger que la possession d'état de Mme [Y] à l'égard d'[U] [P] est inexistante ou à tout le moins viciée faute de remplir les exigences prescrites aux articles 311-1 et 311-2 du code civil
- dire que l'action aux fins de délivrance d'un acte de notoriété constatant la possession d'état introduite par Mme [Y] le 14 février 2017 était prescrite en l'état de l'inexistence de toute possession d'état depuis 1995, soit au moins 5 ans avant la date de la requête qu'elle a introduite
- juger qu'elles sont en tout état de cause bien fondées en leur contestation de la possession d'état résultant de l'acte de notoriété délivré par le tribunal d'instance de Bayonne du 2 mai 2017
en conséquence
- prononcer la nullité de l'acte de notoriété constatant la possession d'état délivré par le tribunal d'instance de Bayonne le 2 mai 2017
- dire nuls et de nul effet tous les actes qui auraient pu être pris en conséquence de cet acte de notoriété nul
- ordonner l'annulation rétroactive du lien de filiation établi entre Mme [Y] et [U] [P]
- ordonner que l'arrêt à intervenir soit transcrit sur les registres d'état civil ayant constaté la possession d'état de Mme [Y] et que suppression de la mention de filiation à l'égard d'[U] [P] sera faite en marge de son acte de naissance
à titre subsidiaire,
- ordonner une mesure d'expertise biologique par examen comparé des sangs entre les filles d'[U] [P] et Mme [Y]
- désigner tel expert qu'il plaira à la cour avec mission habituelle en pareille matière
- surseoir sur l'ensemble des demandes des parties
en tout état de cause
- débouter Mme [Y] de toutes ses demandes et notamment de sa demande aux fins de leur condamnation à lui verser la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts
- condamner Mme [Y] à leur payer à titre de dommages-intérêts toutes causes confondues la somme totale de 20 000 euros
- la condamner à payer à chacune d'entre elles la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- la condamner aux entiers dépens de première instance et d'appel
***
Dans ses dernières conclusions communiquées au greffe de la cour via le RPVA le 25 mars 2022, Mme [V] [P] demande à la cour de :
- réformer le jugement du tribunal de grande instance de Bayonne du 23 septembre 2019
statuant à nouveau
à titre principal
- dire et juger que l'action de Mme [Y] aux fins de constatation de la possession d'état introduite le 14 février 2017 devant le tribunal d'instance de Bayonne était prescrite
- dire et juger que Mme [Y] ne remplit aucun des critères et caractères de la possession d'état à l'égard de Monsieur [U] [P]
en conséquence
- dire que la possession d'état constaté dans l'acte de notoriété par décision du 2 mai 2017 du tribunal d'instance de Bayonne concernant la filiation paternelle de Mme [Y] est nulle et de nul effet
- ordonner la transcription du jugement à intervenir sur les registres de l'état civil et dire que mention en sera faite en marge de l'acte de naissance de Mme [Y]
- débouter Mme [Y] de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions
- la condamner à lui payer la somme de 20 000 euros à titre de dommages-intérêts
- la condamner à lui payer la somme de 10 000 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile
- la condamner aux entiers dépens
à titre subsidiaire et avant dire droit
- ordonner l'examen comparé des sangs entre les filles de M. [U] [P] et Mme [Y]
***
Dans ses dernières conclusions communiquées au greffe de la cour via le RPVA le 28 mars 2022, Mme [Z] [Y] demande à la cour de :
- juger la demande de prescription irrecevable et non fondée
- débouter les appelantes de leur demande in limine litis sur la prescription de l'action en délivrance de l'acte de notoriété
- confirmer la décision dont appel
- déclarer non fondées les appelantes en leur appel
- constater que, au visa de l'article 311-1 du code civil, elles échouent à contester sa possession d'état à l'égard d'[U] [P] constatée par acte de notoriété du 2 mai 2017 du tribunal d'instance de Bayonne
- confirmer purement et simplement le jugement de première instance sur la reconnaissance de la possession d'état considérant qu'elle remplit les critères de l'article 311-2 du code civil et déboutant les appelantes de leur action en contestation contre l'acte de notoriété
- confirmer le jugement du tribunal de grande instance de Bayonne du 23 septembre 2019 en toutes ses dispositions, sauf à considérer que la demande d'expertise n'est formulée qu'à titre subsidiaire par les appelantes, la cour s'estimant pleinement convaincue par les pièces versées aux débats démontrant la réalité de sa possession d'état à l'égard de [U] [P], tirant toutes conséquences du refus des appelantes à se soumettre à l'expertise ordonnée en première instance
- rejeter cette demande subsidiaire
y ajoutant
- condamner chacune des appelantes à réparer son préjudice moral à hauteur de 20 000 euros de dommages-intérêts chacune
- condamner chacune des appelantes à lui verser une somme de 10 000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile pour les frais irrépétibles qu'elle a dû exposer tant en première instance qu'en appel
- condamner les appelantes aux entiers dépens de l'instance en appel
Pour un plus ample exposé des faits, de la procédure, des prétentions et moyens des parties, il est expressément renvoyé à la décision entreprise et aux dernières conclusions régulièrement déposées en application des dispositions de l'article 455 du code de procédure civile.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Il convient tout d'abord de rappeler que, selon les dispositions de l'article 311-1 du code civil, « La possession d'état s'établit par une réunion suffisante de faits qui révèlent le lien de filiation et de parenté entre une personne et la famille à laquelle elle est dite appartenir.
Les principaux de ces faits sont :
1° Que cette personne a été traitée par celui ou ceux dont on la dit issue comme leur enfant et qu'elle-même les a traités comme son ou ses parents ;
2° Que ceux-ci ont, en cette qualité, pourvu à son éducation, à son entretien ou à son installation ;
3° Que cette personne est reconnue comme leur enfant, dans la société et par la famille ;
4° Qu'elle est considérée comme telle par l'autorité publique ;
5° Qu'elle porte le nom de celui ou ceux dont on la dit issue ».
L'article 311-2 dudit code précise que « la possession d'état doit être continue, paisible, publique et non équivoque ».
Enfin, selon l'article 317 du code civil, dans sa version applicable aux faits de la cause, « Chacun des parents ou l'enfant peut demander au juge du tribunal d'instance du lieu de naissance ou de leur domicile que lui soit délivré un acte de notoriété qui fera foi de la possession d'état jusqu'à preuve contraire.
L'acte de notoriété est établi sur la foi des déclarations d'au moins trois témoins et, si le juge l'estime nécessaire, de tout autre document produit qui attestent une réunion suffisante de faits au sens de l'article 311-1.
La délivrance de l'acte de notoriété ne peut être demandée que dans un délai de cinq ans à compter de la cessation de la possession d'état alléguée ou à compter du décès du parent prétendu, y compris lorsque celui-ci est décédé avant la déclaration de naissance.
La filiation établie par la possession d'état constatée dans l'acte de notoriété est mentionnée en marge de l'acte de naissance de l'enfant.
Ni l'acte de notoriété, ni le refus de le délivrer ne sont sujets à recours ».
Il résulte de ce dernier texte que la délivrance ou le refus de l'acte de notoriété, qui ne sont pas sujets à recours, relèvent du pouvoir discrétionnaire du juge.
En conséquence, en cas de délivrance de l'acte de notoriété, la seule voie ouverte est celle de la contestation de la filiation établie par la possession d'état (constatée par l'acte de notoriété) prévue par l'article 335 du code civil selon lequel « La filiation établie par la possession d'état constatée par un acte de notoriété peut être contestée par toute personne qui y a intérêt en rapportant la preuve contraire, dans le délai de dix ans à compter de la délivrance de l'acte ».
Dès lors, compte tenu du caractère discrétionnaire de la décision de délivrance de l'acte de notoriété, les demandes de Mmes [E] et [JS] [P] et de Mme [V] [P] tendant à faire juger que l'acte de notoriété serait nul - au motif que l'action aux fins de délivrance de cet acte, engagée par Mme [Y] qui ne justifie d'aucun fait de possession d'état postérieur à 1996, était prescrite au jour où elle l'a diligentée - ne peuvent qu'être déclarées irrecevables, peu important qu'elles soient formulées dans le cadre de l'action prévue par l'article 335 du code civil.
Il est constant que, dans le cadre de cette action, il appartient seulement à celui qui conteste la possession d'état constatée dans un acte de notoriété de rapporter la preuve, par tous moyens, que la possession d'état ne s'est pas valablement constituée parce qu'elle repose sur des faits insuffisamment établis ou qu'elle ne présente pas les qualités exigées par l'article 311-2.
En l'espèce, Mme [Y] soutient que Mmes [E], [JS] et [V] [P] ne rapportent pas la preuve qui leur incombe de son absence de possession d'état d'enfant de M. [U] [P] alors même qu'elle établit que :
- M. [U] [P] a entretenu une relation avec sa mère, Mme [G] [Y], de 1971 à 1996 pendant sa période de conception puisqu'elle est née le 15 mars 1978
- son père participait à son entretien et à son éducation tel que cela résulte des mandats télégraphiques du 29 novembre 1980 adressés par ce dernier à sa mère et des attestations de sa mère et de sa tante, Mme [HD]
- à compter de sa majorité, il lui a transféré l'aide financière qu'il apportait à sa mère, comme l'indique sa tante, Mme [HD] et sa colocataire étudiante, Mme [X], qui explique qu'il s'était porté caution de leur logement et finançait son budget étudiante
- il ne s'agissait donc pas de cadeaux ou de largesses mais bien d'une contribution réelle à son éducation
- depuis sa naissance, M. [U] [P] s'est en outre toujours comporté envers elle comme un père et elle l'a elle-même toujours considérée comme son père
- il était ainsi présent à son baptême et apparaît sur les registres comme son père
- il s'est présenté à cette cérémonie comme son père, comme en attestent M. et Mme [A]
- il entretenait des relations régulières avec elle comme en attestent son amie de plus de 30 ans, Mme [HT] - qui rapporte des visites de M. [P] chez sa mère, la venue de ce dernier à la sortie de l'école [20] ou au club hippique d'[Localité 11] ainsi que sa présence au championnat de France d'équitation dans les années 90 à [Localité 14] -, sa tante, Mme [HD] - qui rapporte qu'elle allait à [Localité 17] rencontrer son père et ses demi-s'urs et lui a même rapporté des robes de chez Balmain -, Mme [X] - qui précise que M. [P] est venu une fois rendre visite à Mme [Y] à leur appartement et s'est présenté comme son père, qu'il était invité au mariage de celle-ci mais n'a pas pu se déplacer -, Mme [A] - qui indique avoir appris qu'elle allait voir son père assez souvent à [Localité 17] et rencontrait ses s'urs -, M. [L] - qui indique que Mme [Y] avait des contacts avec son père au téléphone et que celui-ci devait même lui acheter un appartement en 2008 -, et Mme [OF], amie d'enfance de Mme [Y] - qui indique que M. [P] venait lui rendre visite et que, à l'âge adulte, elle l'avait contactée alors qu'elle était chez son père en convalescence après son opération du nez -
- elle était présente à l'enterrement de [UI] [P] en 1994, était désignée expressément comme la s'ur de l'intéressée dans l'avis de décès et, selon M. [MG] [P], frère de M. [U] [P], a été présentée par ce dernier à l'ensemble des personnes présentes comme sa dernière fille, née hors mariage
- elle était également présente lors de l'inauguration d'une usine à [Localité 21] le 2 février 1995 en présence du président [C] avec ses trois s'urs, étant observé que M. [U] [P] lui a d'ailleurs adressé des photographies de cet événement en y joignant une carte de visite signée « papa »
Pour autant, il résulte des conclusions et pièces produites par Mmes [E], [JS] et [V] [P] que :
- M. [U] [P] était une personne très généreuse et attentionnée, n'hésitant pas à faire des cadeaux de valeur aux personnes qu'il affectionnait ; en attestent notamment M. [W], Mme [FE] sa nièce, M. [XR] (il le gâtait ainsi que ses filles), M. [WH] ainsi que Mme [B], dont les parents étaient amis avec M. [P], et qui révèle que celui-ci a offert une voiture « comme ça »
- ses plus proches amis et/ou collaborateurs n'ont jamais ou que très rarement entendu parler de Mme [Z] [Y] qu'[U] [P] ne présentait pas comme sa fille ; ainsi :
- M. [W], collaborateur et ami, indique qu'[U] [P] lui parlait souvent de ses enfants mais jamais de Mme [Y]
- M. [XR] indique que l'intéressé lui parlait souvent de ses filles et de ses petites-filles mais n'a jamais évoqué l'existence de Mme [Y]
- M. [WH], collaborateur de 1970 à 1997, devenu ami, qui a côtoyé sa famille, a connu ses 4 filles et n'a entendu parler de Mme [Y] qu'aux obsèques de [UI] en 1994 mais ne lui en a plus jamais entendu parler par la suite
- M. [D], collaborateur de 1981 1995 dit n'avoir pas entendu parler de Mme [Y] pendant cette période pas plus qu'en 2014 quand [U] [P] lui a demandé d'être témoin de son testament
- M. [R], ami proche d'[U] [P] pendant 20 ans, indique qu'en tant qu'ami proche ils échangeaient sur leurs situations familiales et abordaient des sujets souvent intimes mais que celui-ci ne lui parlait que de ses 3 filles et n'a jamais parlé de Mme [Y] ne lui a jamais dit être le père d'une autre enfant
- M. [T], connaissant M. [P] depuis 1965 et ami de la famille, indique que l'intéressé venait le voir avec ses enfants, qu'il parlait d'elles avec beaucoup d'affection mais ne lui a jamais parlé de Mme [Y] dont le nom lui était totalement inconnu jusqu'alors
- ses assistantes et secrétaires particulières gérant ses agendas personnel et professionnel attestent par ailleurs que :
- s'agissant de Mme [H], embauchée en 1989 au sein du groupe Saillard et assistante personnelle de M. [U] [P] depuis 1993, elle atteste avoir bien connu les filles de ce dernier et s'être personnellement occupée du suivi et de la clôture des dossiers administratifs et personnels de [UI] suite à son décès ; elle précise avoir reçu quelques mois plus tard et pour la première fois un appel téléphonique personnel de Mme [Y] pour M. [P] qu'il a pris et que quelques autres appels ont suivi qu'il prenait ou refusait ; il semblait très irrité et contrarié ; « je me souviens parfaitement d'un appel de Mme [Y] et du message laissé : elle avait trouvé un cheval et avait besoin de son avis et de son aide, message que j'ai transmis mais je n'ai jamais su s'il avait rappelé à ce sujet. Je souligne que Mme [Y] n'a jamais fait état d'un lien de famille lors de ces appels et que M. [P] n'a jamais évoqué quoi que ce soit la concernant. Puis les appels de Mme [Y] ont cessé. Pour info, j'ai cessé mon activité professionnelle le 31 juillet 2002 »
- s'agissant de Mme [F], qui précise travailler depuis 10 ans chez Balmain (donc depuis 2007 compte tenu de la date de son attestation), avoir assisté M. [U] [P] pendant trois ans et s'être occupé de ses agendas personnel et professionnel, elle atteste n'avoir jamais entendu parler de Madame [Z] [Y] ni de la part de celui-ci, ni de quiconque et n'avoir jamais eu de contact avec cette dernière qui n'a jamais appelé au bureau et ne s'y est jamais présenté
- Mme [S], se définissant comme une grande amie d'[U] [P] depuis 30 ans, atteste que ce dernier lui aurait dit que l'une de ses conquêtes lui avait dit qu'il était le père de sa fille [Z] et qu'il avait fait un test de paternité qui, selon ses dires, ce serait avéré négatif ; elle soutient qu'[U] [P] était un homme d'honneur qui aurait tout fait pour la reconnaître si elle avait été sa fille
- cette attestation est confortée par celle de M. [K] ex-mari d'[E] [P] qui indique n'avoir croisé Mme [Z] [Y] qu'à deux reprises, lors du décès de [UI] et lors de l'inauguration, ne l'avoir jamais revue par la suite et que [U] [P] lui aurait dit qu'un test ADN négatif avait définitivement clos le sujet
Mmes [E], [JS] et [V] [P] établissent ainsi que la possession d'état alléguée, fondée sur des événements occasionnels et dépourvue de toute stabilité et régularité, est pour le moins équivoque et discontinue, étant observé que :
- si M. [U] [P] se serait présenté comme le père de Mme [Z] [Y] en 1978 à l'occasion du baptême, en 1994 lors des obsèques de sa fille, [UI] [P], et en 1995 lors de l'inauguration d'une usine à [Localité 21] (carte de visite signée « papa »), il doit être relevé que :
- s'agissant du baptême en 1978, cet aveu ne résulte que des attestations de la famille et des proches de Mme [Y], la mention du nom de M. [P] en qualité de père sur l'acte de baptême ayant été ajoutée postérieurement dans des conditions douteuses que les mesures d'investigation n'ont pas permis de clarifier
- s'agissant des déclarations de M. [U] [P] lors des obsèques de sa fille [UI] ou du message sur la carte de visite jointe aux photographies de l'inauguration de l'usine d'[Localité 21], elles apparaissent ponctuelles et équivoques au regard du comportement et des déclarations postérieures de M. [U] [P] qui, selon les nombreuses attestations produites par Mmes [E], [JS] et [V] [P], n'a plus jamais évoqué Mme [Z] [Y] comme sa fille, ne parlant que de ses trois filles, ce même sur son lit de mort
- ces déclarations peuvent trouver leur explication dans les révélations faites par Mme [S] et M. [K] dans leurs attestations desquelles il résulte que M. [U] [P] a pu avoir un temps un doute sur sa paternité, ce qui peut également expliquer qu'il ait sollicité une expertise dans le cadre de la procédure en recherche de paternité engagée par Mme [Z] [Y] à son encontre en 1997, dont celle-ci s'est finalement désistée sans que l'expertise ait lieu
- s'agissant des relations entretenues par M. [U] [P] avec Mme [Z] [Y], les nombreuses attestations versées aux débats par les appelantes, et plus particulièrement celles des assistantes ou secrétaires personnelles de M. [U] [P], contredisent sérieusement celles produites par Mme [Y] quant à la réalité de ces liens et à leur fréquence, étant observé que les attestations fournies par Mme [Y] sont vagues et imprécises tant en ce qui concerne les dates présumées de ces rencontres que leur fréquence
- Mme [Y] ne peut valablement expliquer les nombreuses attestations produites par Mmes [E], [JS] et [V] [P] par la volonté de M. [U] [P] de dissimuler sa « double vie », qui expliquait qu'elle venait le voir à [Localité 17] à sa demande « en toute discrétion » alors même qu'elle soutient de manière contradictoire dans ses propres écritures qu'il se présentait publiquement comme son propre père et qu'elle produit elle-même plusieurs attestations selon lesquelles elle aurait rencontré son père mais aussi ses demi-s'urs à [Localité 17] et que, pour le moins à partir de 1994, son existence avait été révélée aux personnes présentes aux obsèques de sa fille
- ces attestations révèlent simplement que, pour le moins, les relations n'étaient qu'épisodiques et inexistantes depuis près de 15 ans au jour du décès de M. [U] [P], ce que ne saurait contredire l'attestation vague de M. [L] selon laquelle « il a toujours su » que Mme [Y] entretenait des relations avec son père, M. [P], et que « il avait été question » qu'il lui achète un appartement en 2008, ce qui n'est corroboré par aucune autre pièce
- cette inexistence de relations depuis près de 15 ans et confirmée par l'absence de M. [P] aux moments importants de la vie de Mme [Y], à savoir notamment son mariage ou la naissance de son enfant
- s'agissant de l'existence d'une contribution à l'entretien et à l'éducation de Mme [Z] [Y] pendant sa minorité, il n'est produit en tout et pour tout que deux mandats télégraphiques adressés à sa mère en 1980 et l'attestation de Mme [HD] est fortement contredite par l'engagement d'une action aux fins de subsides en 1996 qui témoigne de l'absence de participation spontanée de M. [P] à l'entretien et à l'éducation de sa fille
- pour le reste, le doute qu'il a pu avoir un temps sur sa paternité et sa grande générosité largement attestée aux débats peuvent expliquer qu'il ait aidé ponctuellement Mme [Y] qui, de son propre aveu, avait quitté le foyer maternel et se trouvait donc ainsi sans ressources afin qu'elle puisse poursuivre ses études sans que pour autant cet élément puisse attester de l'existence d'une possession d'état dont le caractère pour le moins équivoque et discontinu a suffisamment été établi
Dans ces conditions, il est établi que Mme [Z] [Y] n'a pas la possession d'état d'enfant de M. [U] [P], ce dont il résulte que le lien de filiation créé en vertu de l'acte de notoriété du 2 mai 2017 doit être annulé, mention de ladite décision devant être portée sur l'acte d'état civil de l'intéressée.
Il n'y a pas lieu en conséquence de faire droit à la demande d'expertise biologique formulée à titre subsidiaire par Mmes [E], [JS] et [V] [P], étant observé qu'en tout état de cause une telle expertise n'a pas lieu d'être dans le cadre d'une action en contestation de la possession d'état dont l'objet ne porte pas sur la vérité biologique mais sur l'existence de faits constitutifs d'une possession d'état d'enfant, vérité affective et sociologique.
Le jugement du tribunal de grande instance de Bayonne du 23 septembre 2019 sera en conséquence infirmé en toutes ses dispositions, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action en contestation de possession d'état de Mme [Z] [Y] à l'égard de M. [U] [P] formée par Mmes [E], [JS] et [V] [P].
Mmes [E], [JS] et [V] [P] ne rapportant aucunement la preuve de la falsification de l'acte de baptême et partant de la tentative d'escroquerie au jugement invoqué, pas plus que du caractère abusif de l'action introduite aux fins d'obtenir un acte de notoriété, lequel ne saurait résulter du seul fait qu'il est fait droit à l'action en contestation de la possession d'état, elles seront déboutées de leur demande de dommages-intérêts formés à l'encontre de Mme [Z] [Y] sur le fondement des dispositions de l'article 1240 du Code civil.
Mme [Y], qui succombe, ne peut qu'être déboutée de sa demande de dommages-intérêts fondée sur le préjudice moral qu'elle subirait du fait de la contestation de sa possession d'état dont le bien-fondé a été retenu.
Mme [Y] sera en outre condamnée aux dépens de première instance et d'appel.
L'équité commande enfin de laisser à la charge de chacune des parties les frais irrépétibles qu'elles ont exposés dans cette instance. Mmes [E], [JS] et [V] [P] ainsi que Mme [Z] [Y] seront en conséquence déboutées de leur demande respective sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré conformément à la loi, après débats en chambre du conseil, statuant par arrêt contradictoire, prononcé par mise à disposition au greffe et en dernier ressort,
INFIRME le jugement du tribunal de grande instance de Bayonne du 23 septembre 2019, sauf en ce qu'il a déclaré recevable l'action en contestation de possession d'état de Mme [Z] [Y] à l'égard de M. [U] [P] formée par Mmes [E], [JS] et [V] [P]
Statuant à nouveau et y ajoutant,
DIT que Mme [Z] [Y] n'a pas la possession d'état d'enfant de M. [U] [P]
DIT que, en conséquence, le lien de filiation créé en vertu de l'acte de notoriété du 2 mai 2017 doit être annulé
ORDONNE qu'il soit porté mention de ladite décision sur l'acte d'état civil de Mme [Z] [Y]
DIT n'y avoir lieu à statuer sur la demande d'expertise biologique sollicitée à titre subsidiaire par Mmes [E], [JS] et [V] [P]
DEBOUTE Mmes [E], [JS] et [V] [P] et Mme [Y] de leur demande respective de dommages-intérêts et d'indemnité sur le fondement des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile
CONDAMNE Mme [Y] aux dépens de première instance et d'appel.
Arrrêt signé par Xavier GADRAT, Président et Julie BARREAU, Greffière auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIERELE PRESIDENT
Julie BARREAUXavier GADRAT