La jurisprudence francophone des Cours suprêmes


recherche avancée

11/07/2022 | FRANCE | N°21/00606

France | France, Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 11 juillet 2022, 21/00606


MM/CS



Numéro 22/2744





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 11 juillet 2022







Dossier : N° RG 21/00606 - N° Portalis DBVV-V-B7F-HZE3





Nature affaire :



Demande en garantie formée contre le vendeur















Affaire :



S.A.S.U. [W] [Y] COIFFURE





C/



[B] [H]





































Grosse délivrée le :

à :











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 juillet 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième ali...

MM/CS

Numéro 22/2744

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1

ARRET DU 11 juillet 2022

Dossier : N° RG 21/00606 - N° Portalis DBVV-V-B7F-HZE3

Nature affaire :

Demande en garantie formée contre le vendeur

Affaire :

S.A.S.U. [W] [Y] COIFFURE

C/

[B] [H]

Grosse délivrée le :

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 11 juillet 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 9 mai 2022, devant :

Marc MAGNON, magistrat chargé du rapport,

assisté de Mme DENIS, Greffière présente à l'appel des causes,

Marc MAGNON, en application des articles 805 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Philippe DARRACQ et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Jeanne PELLEFIGUES, Présidente

Monsieur Marc MAGNON, Conseiller

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE :

S.A.S.U. [W] [Y] COIFFURE

[Adresse 1]

[Localité 3]

(bénéficie d'une aide juridictionnelle Totale numéro 2021/2204 du 30/04/2021 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)

Représentée par Me Caroline CROZET, avocat au barreau de BAYONNE

INTIME :

Monsieur [B] [H]

né le 09 Novembre 1979 à [Localité 5]

de nationalité Française

[Adresse 2]

[Adresse 4]

[Localité 3]

Représenté par Me Thomas GUILLOT de la SCP MENDIBOURE-CAZALET-GUILLOT, avocat au barreau de BAYONNE

sur appel de la décision

en date du 01 FEVRIER 2021

rendue par le TJ HORS JAF, JEX, JLD, J. EXPRO, JCP DE BAYONNE

EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :

Suivant acte reçu le 31 août 2018 par Maître [A] [Z], Notaire a [Localité 6] (64), l'EURL [B] dont le gérant est Monsieur [B] [H], a cédé à la SAS [W] [Y] Coiffure, dont le gérant est Monsieur [W] [Y], le fonds artisanal de coiffure mixte sis [Adresse 1] (64), qu'elle exploitait sous le nom commercial de [B] Coiffure, comprenant les éléments suivants :

' Éléments incorporels :

la clientèle, l'achalandage y attachés ;

le droit au bail pour le temps restant a courir des locaux sis [Adresse 1] où le fonds est exploité ;

la ligne téléphonique : 05 59 59 33 91 ;

' Éléments corporels :

le mobilier commercial, les agencements et le matériel servant à son exploitation, dont une liste est demeurée annexée à l'acte ;

le fonds de commerce est vide de toutes marchandises.

Cette cession est intervenue pour le prix de 15 000,00 euros s'appliquant :

aux éléments incorporels pour 5830,00 euros ;

au matériel pour 9170,00 euros.

Une clause de non concurrence intitulée ' interdiction de se rétablir et d'établir', valable pendant un an, était inscrite en page 7 de l'acte, contenant également un rappel de l'obligation légale de garantie d'éviction pesant sur le cédant.

La SAS [W] [Y] Coiffure a commencé à exploiter le fonds de commerce le 31 août 2018.

L'EURL [B] a fait l'objet d'une liquidation amiable à compter du 1er octobre 2018 avec une clôture à effet du 10 avril 2019, le liquidateur amiable étant Monsieur [B] [H] et le siège de la liquidation étant 'xé à l'adresse du liquidateur, [Adresse 2] (64).

Se plaignant d'un détournement de clientèle par Monsieur [B] [H], la SAS [W] [Y] Coiffure a déposé une requête auprès du président du tribunal de commerce de Bayonne aux 'ns d'être autorisée a faire procéder par huissier de justice à des constatations au domicile de Monsieur [B] [H].

Par ordonnance en date du 14 mars 2019, le président du tribunal de commerce de Bayonne a désigné la SELARL Brunel-Lapeyre-Pont, huissiers de justice à Bayonne, aux 'ns de :

' se rendre sur place, au siège de la liquidation judiciaire de l'EURL [B] sise à [Adresse 2], aux 'ns de rechercher tous dossiers, 'chiers et documents relatifs à une éventuelle poursuite de l'activité professionnelle ;

' procéder à toutes recherches sur tous dossiers, 'chiers, documents, correspondances situés dans lesdits locaux quelqu'en soit le support en rapport avec l'activité de coiffure ;

' procéder à toutes constatations visant à établir la présence de matériel de coiffure au domicile de Monsieur [B] [H] ;

' interroger les clients visés au 'chier a'n de connaitre dans quelles circonstances ils ont décidé de cesser de fréquenter le salon de coiffure sis a [Adresse 1] et plus particulièrement leur demander si Monsieur [H] les a informés qu'il cédait sa clientèle à Monsieur [W] [Y], s'il leur a communiqué son numéro de téléphone portable a'n de continuer à traiter avec eux en direct.

L'huissier de justice ayant été autorisé à se faire assister au besoin par un expert informatique, par ordonnance du président du tribunal de commerce en date du 02 aout 2019, Monsieur [P] [N] a été désigné comme expert informatique pour assister l'huissier de justice.

L'huissier de justice a procédé à ses constatations avec l'assistance de Monsieur [P] [N] et a dressé un procès-verbal de constat en date du 07 août 2019.

Par exploit du 21 août 2019, la SAS [W] [Y] Coiffure a fait assigner Monsieur [B] [H] devant le tribunal de grande instance de Bayonne, devenu depuis le 1er janvier 2020, le tribunal judiciaire de Bayonne, sur le fondement des articles 1231-1 et suivants du code civil et 1626 du code civil, aux 'ns de :

' ordonner la cessation immédiate des agissements déloyaux opérés par Monsieur [B] [H] au préjudice de la société [W] [Y] Coiffure sous astreinte de 250,00 euros par jour de retard,

' dire que Monsieur [B] [H] a méconnu la clause de non-rétablissement insérée à l'acte de cession du 30 (sic) août 2018 et que ce faisant, il s'est livré personnellement à des actes de concurrence déloyale constitutifs d'une faute, ayant engendré un préjudice à l'encontre de la société [W] [Y] Coiffure,

En conséquence :

' le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 52 200,00 euros en dédommagement du préjudice matériel subi,

' le condamner à payer a la société [W] [Y] Coiffure la somme de 5000,00 euros en dédommagement du préjudice moral subi,

' le condamner à faire paraitre à ses frais le jugement à intervenir dans un journal local,

' ordonner l'exécution provisoire de la décision a intervenir,

' le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 3000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au pro't de Maitre Caroline Crozet.

Aux termes de ses dernières conclusions, la SAS [W] [Y] Coiffure a demandé au tribunal, sur le fondement des articles 1231-1 et suivants, et 1626 du code civil, de :

' ordonner la cessation immédiate des agissements déloyaux opérés par Monsieur [B] [H] au préjudice de la société [W] [Y] Coiffure sous astreinte de 250,00 euros par jour de retard,

' dire que Monsieur [B] [H] a méconnu la clause de non-rétablissement insérée a l'acte de cession du 30 (sic) août 2018 et que ce faisant, il s'est livré personnellement à des actes de concurrence déloyale constitutifs d'une faute, ayant engendré un préjudice à l'encontre de la société [W] [Y] Coiffure,

En conséquence :

- le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 52 200,00 euros en dédommagement du préjudice matériel subi,

- le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 10 000,00 euros en dédommagement du préjudice moral subi,

- le condamner à faire paraitre à ses frais le jugement a intervenir dans un journal local,

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir,

- le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 3000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux entiers dépens dont distraction au pro't de Maitre Caroline Crozet.

[B] [H] a demandé au tribunal, sur le fondement des articles 1231-1 et suivants du code civil, de :

- débouter la SARL (sic) [W] [Y] Coiffure de l'ensemble de ses demandes,

- la condamner aux dépens,

- la condamner à verser à Monsieur [B] [H] la somme de 3000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

Par jugement du 1er février 2021, le tribunal judiciaire de Bayonne a :

- Débouté la SAS [W] [Y] Coiffure de 1'intégralité de ses demandes,

- Condamné la SAS [W] [Y] Coiffure aux entiers dépens sans 'qu'i1y ait lieu de faire application des dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,

- Dit n'y avoir lieu a faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile au pro't de l'une ou l'autre partie,

- DIT n'y avoir lieu à exécution provisoire de la présente décision.

Par déclaration en date du 26 février 2021 la SASU [W] [Y] Coiffure a relevé appel de ce jugement.

L'ordonnance de clôture est en date du 8 septembre 2021, l'affaire ayant été fixée au 9 mai 2022.

Au delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.

PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:

Vu les conclusions notifiées le 30 avril 2021 par la SASU [W] [Y] Coiffure , qui demande de :

Vu l'article 1103 et suivants du Code civil,

Vu l'article 1142 du Code civil,

Vu l'article 1626 et suivants du Code civil,

- Infirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions

En conséquence :

A TITRE PRINCIPAL

- Dire et juger que Monsieur [B] [H] a méconnu la clause de non-rétablissement insérée à l'acte de cession du 30 août 2018 et que ce faisant il s'est livré personnellement à des actes de détournements de la clientèle constitutifs d'une faute, ayant engendré un préjudice à l'encontre de la société [W] [Y] Coiffure,

- Le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 53.250 € en dédommagement du préjudice matériel subi,

- Le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 10.000€ en dédommagement du préjudice moral subi,

A TITRE SUBSIDIAIRE

- Dire et juger que Monsieur [B] [H] a violé l'obligation de garantie de non-éviction dont il était débiteur à l'égard de la société [W] [Y] Coiffure

- Le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 53.250 € en dédommagement du préjudice matériel subi,

- Le condamner à payer à la société [W] [Y] Coiffure la somme de 10.000€ en dédommagement du préjudice moral subi,

Dans tous les cas,

- Condamner Monsieur [B] [H] à verser à la société [W] [Y] Coiffure

la somme de 3.000 euros au titre de l'article 700 CPC

- Le condamner aux entiers dépens de l'instance dont distraction au profit de Me Caroline Crozet

****

Vu les conclusions notifiées le 27 juillet 2021 par [B] [H] qui demande à la Cour, au visa des articles 1231-1 et suivants du code civil, de :

- Confirmer le jugement du tribunal judiciaire de Bayonne rendu le 1er février 2021

- Débouter la SARL [W] [Y] Coiffure de l' ensemble de ses demandes ,

- Condamner la SARL [W] [Y] Coiffure aux dépens

- Condamner la SARL [W] [Y] Coiffure à verser à Monsieur [B] [H] la somme de 3000,00 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile.

MOTIVATION:

Rappel sur le rabat de l'ordonnance de clôture:

Par conclusions de procédure notifiées le 18 mars 2022, la SASU [W] [Y] Coiffure a sollicité le rabat de l'ordonnance de clôture pour lui permettre de communiquer deux nouvelles pièces:

' la pièce 37: attestation de son expert comptable

' la pièces 38: les certificats d'arrêt de maladie de [W] [Y]

Le 9 mai 2022, avant l'ouverture des débats, en accord avec le conseil de [B] [H] qui n'a pas souhaité répliquer par de nouvelles écritures, ni solliciter le renvoi de l'affaire, l'ordonnance de clôture a été révoquée pour permettre l'admission des nouvelles pièces communiquées par l'appelant, la clôture étant fixée à la date de l'audience par mention au dossier.

Sur le fond:

Au soutien de son appel, la SASU [W] [Y] Coiffure invoque deux moyens :

' à titre principal: la violation de la clause de non concurrence inscrite au contrat de cession de fonds de commerce;

' à titre subsidiaire: la violation de la garantie d'éviction prévue par l'article 1626 du code civil.

Elle fait valoir que la clause de non rétablissement est bien proportionnée au regard de l'objet du contrat de cession ; qu'elle est limitée dans le temps et dans l'espace; qu'elle pèse sur la société venderesse comme sur son gérant.

Elle ajoute que les faits démontrent parfaitement que [B] [H] a préparé et anticipé minutieusement son départ du salon de coiffure et sciemment entrepris de détourner la clientèle du fonds cédé et l'intégralité des fichiers clients qui auraient dû être remis au cessionnaire;

[B] [H] réplique notamment qu'il a respecté la clause de non rétablissement inscrite à l'acte et n'a commis aucune faute, et que la prétendue chute de la clientèle invoquée par le cessionnaire ne peut lui être imputée.

' Sur la violation de la clause de non rétablissement:

A la page 7 de l'acte 'gure une clause intitulée ' interdiction de se rétablir et d'établir' ainsi libellée:

' A titre de condition essentielle et déterminante sans laquelle le cessionnaire n'aurait pas contracté, le cédant s 'interdit la faculté :

' de créer, acquérir, exploiter, prendre à bail ou faire valoir, directement ou indirectement, à quelque titre que ce soit, aucun fonds similaire en tout ou partie à celui présentement cédé;

' de donner à bail pour une activité identique à l'activité principale cédée ;

' de s 'intéresser directement ou indirectement ou par personne interposée, et même en tant qu'associé ou actionnaire de droit ou de fait, même à titre de simple commanditaire, ou de gérant, dirigeant social, salarié ou préposé, fut-ce à titre accessoire, à une activité concurrente ou similaire en tout ou partie à celle exercée par lui dans le fonds présentement cédé ;

Cette interdiction s'exerce à compter du jour de l'entrée en jouissance dans un rayon de 5 km du lieu d 'exploitation du fonds cédé et ce pendant un an.

En cas d'infraction, le cédant sera de plein droit redevable d'une indemnité forfaitaire de 150,00 euros par jour de contravention ; le cessionnaire se réservant en outre le droit de demander à la juridiction compétente d'ordonner la cessation immédiate de ladite infraction.

[ ]

Cette interdiction ne dispense pas le cédant du respect des exigences édictées par l'article 1628 du code civil aux termes duquel ' Quoiqu 'il soit dit que le vendeur ne sera soumis a aucune garantie, il demeure cependant tenu de celle qui résulte d'un fait qui lui est personnel: toute convention contraire est nulle '. Par suite, le cédant ne peut être déchargé de l'obligation légale de garantie qui est d'ordre public, les manoeuvres permettant la reprise ou la conservation de la clientèle et amenant une concurrence déloyale ne pouvant être limitées dans le temps.'

En droit, la violation de la clause de non concurrence ou de non rétablissement est caractérisée par la constatation de l'exercice d'une activité prohibée sans qu'il soit nécessaire de démontrer l'emploi de procédés déloyaux.

De ce point de vue, l'argument de l'appelant sur la non présentation de sa clientèle par le cédant ou la communication d'un fichier clients inexploitable, n'est pas de nature à caractériser un manquement à l'obligation de non rétablissement inscrite à l'acte de cession.

En outre, l'acte de cession ne contenait aucune disposition sur la présentation de la clientèle et les caractéristiques particulières d'un fichier clients à remettre au cessionnaire par le cédant, qui permettrait de caractériser un manquement spécifique de [B] [H] aux obligations lui incombant en la matière.

La société appelante indique en second lieu que son dirigeant a dû expliquer à plusieurs clients du salon, qui téléphonaient pour prendre rendez-vous avec [B] [H], qu'il y avait eu un changement d'exploitant, s'entendant répondre que ce n' était pas grave et qu'ils allaient prendre rendez-vous avec [B] [H] en l'appelant sur son portable et se rendraient à son domicile pour se faire coiffer.

Toutefois, cette affirmation n'est étayée par aucun élément de preuve.

A cet égard, les attestations établies par Mesdames [U] [S], [M] [E] et [J] [T] qui indiquent ne pas avoir été prévenues par Mr. [H] de la cession de son fonds de coiffure sont insusceptibles d'établir l'existence de faits de rétablissement dans une activité concurrente prohibée par la clause litigieuse.

De même , l'attestation de Madame [O] [K], bailleresse commerciale, qui déclare « qu'au mois d'août 2018 Monsieur [H] lui aurait annoncé avoir trouvé un pigeon pour acheter son salon de coiffure dans ce quartier pourri », n'est pas de nature à caractériser les faits dénoncés, pas plus que ne l'est l'attestation de Madame [I] [L], voisine du salon de coiffure, qui indique que ce fonds drainait constamment des clients, mais que 15 jours avant le changement de propriétaire, le salon était vide, ce qui l'avait choquée, et qu'apprenant qu'il avait été vendu, elle avait compris que [B] [H] avait prévenu les clients de son départ.

En effet, cette déduction purement subjective n'est pas constitutive d'un fait constaté personnellement par celui qui atteste.

Les faits rapportés par Mesdames [G] [X] et [C] [R] qui attestent qu'avant la fermeture de son salon, à une date toutefois indéterminée, [B] [H] leur aurait donné son numéro de téléphone portable personnel, pour lui téléphoner pour savoir où il allait coiffer, ou pour aller chez lui se faire coiffer, ne permettent pas, non plus, de caractériser un rétablissement dans une activité ou un fonds concurrent au mépris de la clause inscrite à l'acte. En effet ces dernières n'indiquent pas avoir été coiffées par [B] [H] ni à son domicile, ni ailleurs, après la cession du fonds de commerce.

En revanche, il résulte du mail adressé le 20 août 2019, au conseil de la demanderesse, par l'intimé, que [B] [H] a reconnu avoir coiffé « à la maison...moins d'une dizaine de clientes... très proches...qu'il coiffait depuis des années... qui l'ont suivi » et ce, après la cession du fonds artisanal.

Bien qu'il banalise ce message en indiquant qu'il a craint, face à un auxiliaire de justice averti, que des menaces de condamnation soient mises à exécution, tentant par cette réponse de mettre fin au litige, [B] [H] n'en a pas moins reconnu des faits contraires au quatrième alinéa de la clause de non rétablissement.

En effet, en continuant de coiffer à son domicile, des clientes du salon qu'il venait de céder, et quand bien même ces dernières auraient été attachées à sa pratique par un intuitu personae particulièrement fort, [B] [H] n'en a pas moins méconnu la prohibition posée par la clause de non rétablissement lui interdisant de « s'intéresser directement ou indirectement ou par personne interposée... fût-ce à titre accessoire, à une activité concurrente ou similaire en tout ou partie à celle exercée par lui dans le fonds présentement cédé ».

Ce comportement est en outre constitutif d'un manquement à l'obligation légale de garantie d'éviction rappelée dans l'acte de vente.

' Sur la garantie d'éviction :

L'article 1626 du code civil emporte pour le vendeur d'un fonds de commerce de devoir s'abstenir de tout acte de nature à diminuer l'achalandage et à détourner la clientèle du fonds cédé.

L'article 1628 du même code stipule que « quoiqu'il soit dit que le vendeur ne sera soumis à aucune garantie, il demeure cependant tenu de celle qui résulte d'un fait qui lui est personnel : toute convention contraire est nulle »

Si le vendeur est une personne morale, cette obligation pèse non seulement sur elle, mais aussi sur son dirigeant ou les personnes qu'il pourrait interposer.

Il ne peut, par des moyens détournés, tenter de conserver une partie ou la totalité de ce qu'il a cédé. Il lui est interdit d'effectuer des actes visant à détourner la clientèle, même par des moyens loyaux.

En l'espèce, le fait de détourner ou conserver une partie même minime de la clientèle du fonds cédé, au travers d'une activité clandestine de coiffure à son domicile, est bien constitutif, de la part de [B] [H], d'un manquement à la garantie d'éviction due au cessionnaire.

Ce fait engage la responsabilité de l'intimé en application de l'article 1240 du code civil, sous réserve de la démonstration d'un préjudice.

' Sur le préjudice :

La société [W] [Y] Coiffure invoque un préjudice énorme, ses chiffres d'affaires et résultats étant déplorables en raison des agissements de [B] [H].

Elle en veut pour preuve la comparaison des chiffres d'affaires réalisés par l'EURL [B] [H] sur les trois derniers exercices précédant la vente, avec les siens.

Toutefois, il convient de relever que le chiffre d'affaires réalisé par l'EURL [B] [H] a connu une tendance baissière entre le 1er avril 2015 et le 31 mars 2018, passant de 41950,00 euros à 30060,00 euros, alors que le chiffre d'affaires réalisé sur le 1er quadrimestre de l'exercice en cours au jour de la vente s'établissait à 9764,00 euros .

Or, sur le premier quadrimestre de son exploitation, du 1er septembre 2018 au 31 décembre 2018, la SAS [W] [Y] Coiffure a réalisé un chiffre d'affaires de 8442,00 euros et sur l' exercice entier suivant, du 1er janvier 2019 au 31 décembre 2019, un chiffre d'affaires de 32 849,00 euros légèrement supérieur à celui réalisé par l' EURL [B] sur l'exercice clos au 31 mars 2018.

La baisse de chiffre d'affaires en lien avec les agissements de [B] [H] n'est donc pas établie, et le préjudice économique invoqué ne peut être déterminé forfaitairement par la multiplication de l' indemnité de 150 euros par jour de contravention, prévue dans la clause de non rétablissement, par 355 jours correspondant au nombre de jours écoulés entre la date de l'acte de cession et le 21 août 2019 , date de l'acte introductif d'instance.

En effet, un tel calcul suppose que [B] [H] ait poursuivi une activité quotidienne de coiffure à son domicile pendant près d'un an, ce qui est incompatible avec les constatations de l'huissier mandaté en application de l'article 145 du code de procédure civile: caractère résiduel du stock de produits de coiffure retrouvé à son domicile , absence de fichier clients, et le fait qu'il occupait un emploi salarié au sein de la société de distribution Boulanger, dans un tout autre secteur d'activité.

L'indemnité réparant la violation de la clause de non rétablissement sera en conséquence évaluée sur la base des indications données par ce dernier dans son mail du 2 août 2019, à savoir moins de 10 clientes revenant tous les deux mois pour une couleur et tous les 4 à 6 mois pour les mèches, soit :

' clientes : 9

' fréquence de soins sur un an par cliente: 6 (fréquence la plus haute, partant du principe qu'une cliente vient soit pour une couleur, soit pour les mèches et la couleur)

' indemnité forfaitaire contractuelle par jour d'infraction: 150 euros

Au total : 9x6x150 euros = 8100,00 euros.

A cette somme, il convient d'ajouter une somme de 2000,00 euros en réparation du préjudice moral découlant des agissements déloyaux de [B] [H].

Le jugement sera infirmé en ce sens.

' Sur les demandes annexes :

[B] [H] qui succombe supportera les dépens de première instance et d'appel dont distraction au bénéfice de Maître Caroline Crozet, en application de l'article 699 du code de procédure civile,

Au regard des circonstances de la cause et de la position respective des parties, l'équité justifie de condamner [B] [H] à payer à la société [W] [Y] Coiffure une somme de 2000,00 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS:

La cour, statuant par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,

Infirme le jugement,

Statuant à nouveau,

Condamne [B] [H] à payer à la SAS [W] [Y] Coiffure une somme de 8100,00 euros, au titre du préjudice économique et 2000,00 euros, au titre du préjudice moral, pour manquement à l'obligation de non rétablissement inscrite à l'acte de cession du fonds de coiffure et manquement à son obligation de garantie,

Condamne [B] [H] aux dépens de l'entière procédure, dont distraction au bénéfice de Maître Caroline Crozet,

Condamne [B] [H] à payer à la SAS [W] [Y] Coiffure une somme de 2000,00 euros en application de l'article 700 du code de procédure civile

Le présent arrêt a été signé par Madame PELLEFIGUES, Présidente, et par Madame Catherine SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.

LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 2ème ch - section 1
Numéro d'arrêt : 21/00606
Date de la décision : 11/07/2022

Origine de la décision
Date de l'import : 26/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2022-07-11;21.00606 ?
Association des cours judiciaires suprmes francophones
Organisation internationale de la francophonie
Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie. Juricaf est un projet de l'AHJUCAF, l'association des Cours suprêmes judiciaires francophones. Il est soutenu par l'Organisation Internationale de la Francophonie.
Logo iall 2012 website award