AC/SB
Numéro 22/2716
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 07/07/2022
Dossier : N° RG 18/02127 - N° Portalis DBVV-V-B7C-G6MQ
Nature affaire :
Contestation du motif non économique de la rupture du contrat de travail
Affaire :
[F] [X]
C/
SAS HALLIBURTON
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 07 Juillet 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 09 Mars 2022, devant :
Madame CAUTRES-LACHAUD, Président
Monsieur LAJOURNADE, Conseiller
Madame SORONDO, Conseiller
assistés de Madame LAUBIE, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANT :
Monsieur [F] [X]
[Adresse 1]
[Localité 2]
Représenté par DUALE de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocat au barreau de PAU et Maître SANTI de la SELARL DARMENDRAIL/SANTI, avocat au barreau de PAU,
INTIMEE :
SAS HALLIBURTON agissant poursuites et diligences de son représentant légal en exercice,
[Adresse 7]
[Adresse 7]
[Localité 3]
Représentée par Maître DABADIE, avocat au barreau de PAU et Maître LENFANT de la SELASU RAVEL AVOCAT, avocat au barreau de PARIS,
sur appel de la décision
en date du 04 JUIN 2018
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU
RG numéro : F 17/00145
EXPOSÉ DU LITIGE
M. [F] [X] a été embauché en 1981 par la société Otis Engineering, devenue la société Halliburton suivant contrat à durée indéterminée régi par la convention collective nationale de l'industrie du pétrole.
La société Halliburton expose que le contrat de travail a pris fin en 1985.
M. [F] [X] a travaillé en rotation de 30 jours sur des chantiers pour la compagnie pétrolière Total.
Le 8 janvier 2012, la société Professional Ressources Limited, ci-après la société PRL, a envoyé à M. [F] [X] une lettre de licenciement.
Le 5 juillet 2016, il a saisi la juridiction prud'homale de demandes formulées à l'encontre de la société Halliburton.
Par jugement du 4 juin 2018, le conseil de prud'hommes de Pau a notamment':
- dit que la loi applicable au litige est la loi française';
- dit que la société Halliburton est l'employeur de M. [F] [X]';
- constaté que les demandes de M. [F] [X] sont prescrites et, à ce titre, l'a débouté de ses demandes :
* de constater la nullité du licenciement et subsidiairement le dire sans cause réelle et sérieuse';
* de réintégration avec paiement de la totalité de la rémunération annuelle de 210'000'€ ou subsidiairement 420'000'€ au titre de l'indemnité conventionnelle et 425'000'€ de dommages intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';
* de l50'000'€ pour délit de marchandage';
* de 105'000'€ au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé';
* de 350'000'€ pour défaut d'information de la faculté d'adhérer volontairement à une assurance retraite expatriés';
* de 247'010'€ pour violation de l'obligation d'affilier à Pôle Emploi';
* de 7'000'€ au titre de dommages intérêts pour violation de l'obligation de formation continue et d'adaptation';
- débouté M. [F] [X] ses autres demandes';
- dit qu'il n'y a pas lieu d'appliquer l'article 700 du code de procédure civile';
- condamné M. [F] [X] aux dépens de l'instance';
Le 27 juin 2018, M. [F] [X] a interjeté appel de ce jugement dans des conditions de forme et de délai qui ne sont pas contestées.
Par ordonnance du 18 novembre 2021, le magistrat de la mise en état a':
- constaté que la péremption n'est pas acquise,
- dit qu'un calendrier de procédure sera adressé aux parties en même temps que le bulletin de fixation,
- débouté M. [F] [X] de sa demande au titre de la procédure dilatoire ou abusive,
- condamné la société Halliburton aux dépens de l'incident,
- condamné la société Halliburton à verser à M. [F] [X] la somme de 800 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- rappelé que la présente ordonnance peut être déférée par requête à la cour dans les quinze jours de sa date.
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 25 janvier 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, M. [F] [X] demande à la cour de :
- confirmer le jugement en ce qu'il a jugé d'une part que le « véritable employeur de M. [F] [X] est la société Halliburton » et, d'autre part, qu'elle « ne produit aucun document permettant d'établir la fin de cette relation contractuelle »';
- confirmer également le jugement en ce qu'il a dit la loi française applicable au litige, ou, subsidiairement, faire application de la loi du Gabon, interprétées à la lumière des principes fondamentaux de l'OIT';
- infirmer le jugement pour le surplus';
- rejeter l'appel incident ainsi que toutes les demandes, fins et conclusions de l'intimée, notamment celle tirée de la prescription';
- prononcer l'irrecevabilité des demandes nouvelles formulées ' subrepticement ' dans le dispositif du troisième jeu de conclusions de la société Halliburton notifiées le 20 janvier 2022 sollicitant, d'une part, sa mise hors de cause et, d'autre part, de constater que le calcul de sa rémunération mensuelle n'est pas démontré et, subsidiairement, la débouter de ses demandes';
- rejeter toutes nouvelles conclusions qui seraient prises par l'intimée à la suite de ses conclusions notifiées le 20 janvier 2022 ainsi que toute demande de rabat de clôture';
- rejeter la demande de l'intimée visant à ce que ne soient appliqué ni le droit français, ni loi gabonaise, ce qui constituerait un déni de justice et une violation du droit au procès équitable';
- statuer à nouveau, au fond, sur la totalité des demandes';
- constater que l'intimée ne conteste pas la compétence du juge français';
- constater aussi que l'intimée ne sollicitait pas sa mise hors de cause, reconnaissant ainsi implicitement être toujours l'employeur jusqu'à ce qu'elle le fasse soudainement, après 6 ans de procédure, dans ses troisièmes conclusions notifiées le 20 janvier 2022 ' demande irrecevable ' pour ne pas avoir été formulé dans ses premières conclusions d'intimée et, subsidiairement, la débouter, la société Halliburton ne produisant pas de lettre de licenciement, de rupture conventionnelle ou de convention tripartite de mutation';
- en conséquence, condamner la société Halliburton à payer :
* I ' au titre de l'exécution du contrat de travail :
o 350'000'€ de dommages et intérêts pour absence de cotisations retraite et/ou défaut d'information de la faculté d'adhérer volontairement à une assurance retraite, en violation de l'article L.'1222-1 du code du travail, ou, subsidiairement, sur le fondement de l'article Premier, 8ème alinéa du préambule de la Constitution de la République gabonaise et ses annexes, et du code de la sécurité sociale de la République gabonaise et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT), sans qu'il ne soit nécessaire de recourir à une expertise sollicitée à des fins dilatoires';
o 247'010'€ de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de l'affiliation au régime obligatoire Pôle Emploi des expatriés et/ou défaut d'information relatif à la faculté de s'assurer volontairement contre le risque de perte d'emploi, en violation des articles L. 5422-13, L. 1222-1 du code du travail et 1134 (devenu 1101 à 1103) du code civil, ou subsidiairement, pour absence d'assurance contre la perte d'emploi sur le fondement de la Constitution de la République gabonaise incluant ses annexes, notamment l'article 25 de la déclaration universelle des droits de l'Homme, annexée à la Constitution de la République gabonaise et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
o 150'000'€ de dommages et intérêts pour marchandage et/ou prêt de main d''uvre illicite sur le fondement des articles L. 8231-1, L. 8234-1 et L. 8234-2 du code du travail, ou bien sur le fondement des droits sociaux fondamentaux des travailleurs consacrés par le préambule de la Constitution de la République gabonaise et ses annexes et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
o 105'000'€ d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé sur le fondement de l'article L. 8223-1 du code du travail ou bien sur le fondement des droits sociaux fondamentaux des travailleurs consacrés par le préambule de la Constitution de la République gabonaise et ses annexes et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
o 7'000'€ de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation professionnelle continue et d'adaptation sur le fondement de l'article L. 6321-1 du code du travail ou bien sur le fondement de l'article 99 du code du travail de la République gabonaise et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
* II ' à titre principal, au titre de la survivance du contrat de travail avec la société Halliburton':
o le réintégrer avec paiement de la totalité de la rémunération annuelle de 185'881,47'€ outre les accessoires de salaire, depuis le dernier paiement de salaire jusqu'à la date de réintégration effective';
* III ' Subsidiairement au titre de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement :
o 15'490'€ d'indemnité pour procédure irrégulière en l'absence d'entretien préalable au licenciement, ou subsidiairement, 46'470'€ sur le fondement des articles 50 à 53 du code du travail gabonais et de la convention numéro 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
o 46'470'€ d'indemnité de préavis, outre 4'647'€ de congés afférents sur le fondement de l'article 310 de la convention collective nationale de l'industrie du pétrole, ou subsidiairement, 92'940'€, outre 9'294'€ de congés afférents, sur le fondement des articles 64, 65, 153 et 154 du code du travail de la République gabonaise et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
o 371'760'€ d'indemnité conventionnelle de licenciement en application de l'article 311 de la convention collective nationale de l'industrie du pétrole, ou subsidiairement, 96'038'€ d'indemnité légale de licenciement sur le fondement des articles 73, 153 et 154 du code du travail de la République gabonaise et des principes fondamentaux de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
o 425'000'€ de dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sur le fondement de l'article L. 1235-3 du code du travail ou bien sur le fondement des articles 74 et 75 du code du travail de la République gabonaise et de la convention numéro 158 de l'Organisation internationale du travail (OIT)';
- lui allouer 5'000'€ au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- assortir les condamnations d'une astreinte de 1'500'€ par jour de retard à compter de la date de l'arrêt à intervenir afin de donner un effet utile à la décision sur le fondement de l'article 6 de la convention européenne des droits de l'homme';
- se réserver la faculté de la liquider,
- frapper les condamnations des intérêts au taux légal à compter de la saisine du conseil de prud'hommes du 4 juillet 2016 et faire application des dispositions autorisant la capitalisation des intérêts
- condamner l'intimée aux entiers dépens,
- à titre infiniment subsidiaire et purement conservatoire, si par impossible, la cour considérait que l'employeur est la société Professional Resources Limited (PRL), il lui est alors demandé de rouvrir les débats afin de permettre à l'appelant d'appeler dans la cause ladite société en intervention forcée, société écran, domiciliée dans un cabinet d'avocats aux Bermudes à l'adresse suivante : Professional Resources Limited (PRL), C/O Appleby avocats, [Adresse 5].
Dans ses dernières conclusions adressées au greffe par voie électronique le 6 février 2022, auxquelles il y a lieu de se référer pour l'exposé des faits et des moyens, la société Halliburton demande à la cour de':
- juger recevables ses conclusions
- déclarer M. [F] [X] mal fondé en son appel et l'en débouter,
- et, statuant à nouveau :
- à titre principal :
- infirmer le jugement attaqué en ce qu'il a dit qu'elle était l'employeur de M. [F] [X],
- constater que la société Halliburton n'est pas l'employeur de M. [F] [X] et la déclarer hors de cause,
- en conséquence, débouter M. [F] [X] de l'intégralité de ses demandes,
- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé l'ensemble des demandes de M. [F] [X] prescrites et l'a débouté de l'intégralité de ses demandes,
- à titre subsidiaire :
- juger que la loi française est inapplicable et, en conséquence, débouter M. [F] [X] de l'ensemble de ses demandes celles-ci étant toutes fondées sur le droit français,
- à titre très subsidiaire :
- constater que le calcul de la rémunération mensuelle de M. [F] [X] n'est pas démontré, en tirer toutes les conséquences,
- sur la nullité du licenciement : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
- sur la cause réelle et sérieuse du licenciement : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et le débouter de sa demande à ce titre,
- sur la demande de réintégration : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
- sur la demande de dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
- sur la demande au titre du délit de marchandage : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
- sur la demande au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
- sur la demande au titre l'information relative à la possibilité de s'assurer contre le risque vieillesse : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
- sur la demande au titre de l'affiliation obligatoire au service Pôle emploi des expatriés et/ou défaut d'information relative à la faculté de s'assurer volontairement contre le risque de perte d'emploi :
* à titre principal : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
* à titre infiniment subsidiaire : nommer un expert lequel aura pour mission d'évaluer le préjudice réel,
- sur l'obligation de formation continue : dire et juger la demande de M. [F] [X] inopérante et l'en débouter,
- à titre infiniment subsidiaire :
- dire et juger que le droit du Gabon n'est pas applicable à la procédure,
- en conséquence, débouter M. [F] [X] de l'ensemble de ses demandes,
- en tout état de cause : condamner M. [F] [X] à lui verser la somme de 10'000'€ au titre de l'article 700 du code de procédure civile';
- le condamner aux entiers dépens.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 9 février 2022.
MOTIFS DE LA DÉCISION
Attendu qu'il y a lieu de déclarer totalement recevables les écritures de la SAS Halliburton comme ayant été déposées avant l'intervention de l'ordonnance de clôture et en réponse à celle de M. [X] en date du 25 janvier 2022';
Sur l'existence d'un contrat de travail entre les parties
Attendu que devant la cour les parties ne contestent nullement que la loi française est applicable quant à la demande liée à l'existence du contrat de travail ';
Attendu que l'article 8 du décret n° 2016-660 du 20 mai 2016 relatif à la justice prud'homale et au traitement judiciaire du contentieux du travail, dont l'article 45 du même décret prévoit l'application aux instances introduites devant les conseils de prud'hommes à compter du 1er août 2016, a abrogé les articles R 1452-6 et R 1452-7 du code du travail';
Que l'article R 1452-6 abrogé disposait que': «' Toutes les demandes liées au contrat de travail entre les mêmes parties font, qu'elles émanent du demandeur ou du défendeur, l'objet d'une seule instance ; cette règle n'est pas applicable lorsque le fondement des prétentions est né ou révélé postérieurement à la saisine du conseil de prud'hommes'»';
Attendu qu'il convient de rappeler que l'appel contre le jugement du conseil de prud'hommes étant en date du 27 juin 2018, les dispositions de l'article R.1452-6 du code du travail demeurent applicables à la présente instance';
Que compte tenu de ces éléments la demande de la SAS Halliburton tendant à être mise hors de cause est recevable et doit être examinée';
Attendu que le contrat de travail est une convention par laquelle une personne s'engage à travailler pour le compte d'une autre, en contrepartie d'une rémunération, dans le cadre d'un lien de subordination caractérisé par l'exécution du travail sous l'autorité de l'employeur, lequel a le pouvoir de donner des ordres et des directives, d'en contrôler l'exécution et de sanctionner les manquements de son subordonné';
Que l'existence d'une relation de travail salarié ne dépend ni de la volonté exprimée par les parties ni de la dénomination qu'elles ont donné à leur convention ni de l'existence de bulletins de paye, mais des conditions de fait dans lesquelles est exercée la prestation de travail';
Attendu qu'en l'absence de contrat écrit, c''est à la personne qui entend se prévaloir de l'existence d'un contrat de travail, d'en rapporter la preuve';
Attendu que la SAS Halliburton admet dans ses écritures devant la cour que M. [X] a été salarié de l'entreprise jusqu'en 1985';
Attendu que M. [X] produit au dossier un courrier de la société Otis en date du 6 juillet 1981 s'engageant à embaucher le salarié moyennant un salaire précisé et un système de rotation sans que soit présent au dossier l'acceptation de cette promesse';
Attendu que la société Otis a ensuite délivré jusqu'en 1984 des attestations d'emploi de M. [X]';
Que ce point est d'ailleurs totalement confirmé par le relevé de retraite complémentaire de M. [X] émanant de l'organisme Agirc et Arrco démontrant que celui-ci a été salarié de la SAS Halliburton du premier août 1981 au 28 février 1985';
Que ces seuls éléments sont insuffisants pour caractériser l'apparence d'un contrat de travail';
Attendu que M. [X] produit au dossier les éléments suivants'au soutien du fait qu'il a été salarié de la SAS Halliburton postérieurement à 2005:
une délégation de pouvoir en date du 30 décembre 2010 mentionnant explicitement que M. [X] est «'employé de Halliburton'» et reçoit délégation de pouvoir d'acquérir au nom et pour le compte de la SAS Halliburton deux parcelles de terrain à [Localité 8] au Gabon';
une procuration générale de la SAS Halliburton, dont le siège social est situé à [Localité 4], en date du 15 avril 2004, désignant M. [X] «'en qualité de mandataire pour gérer et conduire toutes les affaires courantes et futures'». Ce document traduit porte la mention de «'procuration'» mais doit s'analyser en une délégation de pouvoir. En effet au point 7 du document il est mentionné «'engager, rémunérer, licencier, fixer et modifier les devoirs et les conditions d'emploi des employés'»';
un amendement pour les services de pompage entre la société Total Gabon et la SAS Halliburton. Il est spécifié concernant la SAS Halliburton les mentions suivantes «'Halliburton SAS, société dûment constituée en vertu des lois françaises, ayant son siège social [Localité 4] et ayant un établissement stable au [Adresse 6]». Il ressort de ces éléments que la SAS Halliburton Gabon ne constitue qu'un établissement appartenant à la SAS Halliburton France. Compte tenu de la présence des statuts au dossier la SAS Halliburton Gabon n'est devenue une filiale de la SAS Halliburton qu'en 2016 ';
une attestation d'employeur de la SAS Halliburton Congo en date du 6 décembre 2000 spécifiant que M. [X] est présent dans les effectifs de l'entreprise en qualité d'ingénieur. L'attestation est libellée au nom de la SAS Halliburton avec une seule domiciliation au Congo. Dans ces conditions il convient de dire qu'il ne s'agit nullement d'une filiale de la SAS Halliburton. Cet élément est confirmé dans le listing de toutes les sociétés Halliburton où la filiale Congo ne figure nullement ;
une attestation d'emploi de la SAS Halliburton, domiciliée au Congo, certifiant avoir employé M. [X] du 14 mars 1998 au 31 juillet 2007 en qualité de superviseur, coordinateur et directeur des opérations';
une attestation de M. [I] indiquant «'j'atteste que M. [X] était le chef de base de Halliburton Gabon et travaillait pour Halliburton France'»';
une attestation de M. [N] qui indique avoir travaillé avec M. [X] depuis 2008 et que celui-ci avait été recruté verbalement par la société Halliburton France, avec une affectation sur les chantiers du groupe Total en rotation. Il précise «'j'atteste que la société Halliburton SAS france utilise, pour de nombreux expatriés une entreprise basée aux Bermudes dénommée Professionnal Resources Limited (PRL)'. Cette société emploie officiellement des expatriés qui en réalité travaillent pour le compte de la SAS Halliburton France'»';
une lettre de licenciement de M. [X] par la société PRL en date du 8 janvier 2012';
un solde de versement de salaire et indemnités au 31.12.2011 établi par la société PRL';
Attendu qu'il résulte de l'ensemble de ces éléments que M. [X] justifie avoir exécuté son travail sous l'autorité de la SAS Halliburton, laquelle avait le pouvoir de donner des ordres et des directives et d'en contrôler l'exécution (comme le démontre la délégation de pouvoir de 2010 et la procuration générale de 2004)';
Attendu qu'aucune pièce au dossier ne permet d'établir que M. [X] était sous lien de subordination avec la société PRL';
Que pour des raisons inexpliquées par des pièces du dossier, hormis les affirmations de l'attestant M. [N], seule la rémunération était effectuée par une filiale de la société Halliburton, la société PRL';
Attendu que de la même façon c'est la société PRL qui a mis fin au contrat de travail de M. [X] pour un refus de transfert';
Attendu que c'est donc par une très exacte appréciation du droit applicable aux éléments de l'espèce que les premiers juges ont dit que M. [X] était bien lié par un contrat de travail à durée indéterminée avec le SAS Halliburton au-delà du 28 février 1985 et jusqu'à la cessation de la relation de travail ';
Que le jugement déféré sera confirmé sur ce point';
Sur la rupture du contrat de travail
Attendu que le départ à la retraite du salarié est un acte unilatéral par lequel le salarié manifeste de façon claire et non équivoque sa volonté de mettre fin au contrat de travail';
Attendu que lorsque le salarié, sans invoquer un vice du consentement de nature à entraîner l'annulation de son départ à la retraite, remet en cause celui-ci en raison de faits ou manquements imputables à son employeur, le juge doit, s'il résulte de circonstances antérieures ou contemporaines de son départ qu'à la date à laquelle il a été décidé, celui-ci était équivoque, l'analyser en une prise d'acte de la rupture qui produit les effets d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse si les faits invoqués la justifiaient ou dans le cas contraire d'un départ volontaire à la retraite';
Attendu que M. [X] ne conteste nullement avoir sollicité auprès de la société PRL une demande de retraite anticipée au mois de juin 2012, ce que confirme le courrier de la société en date du 19 juin 2012 signé et approuvé par le salarié';
Attendu que M. [X] produit au dossier un document au soutien de ses allégations selon lesquelles il a été «'contraint et forcé, sous la menace d'un licenciement, d'accepter momentanément de partir en Irak malgré les risques pour sa vie'», soit la lettre de licenciement de la société PRL en date du 8 janvier 2012 mais non contresignée par le salarié pour un seul refus de transfert ';
Qu'en effet la société PRL mentionne explicitement dans son courrier que le salarié doit apposer la date et la signature sous la mention «'je confirme la réception de la lettre et mon acceptation des conditions énoncées'»';
Attendu que M. [X] admet lui- même en page 9 de ses écritures qu'il a accepté de rejoindre l'Irak avant d'être placé en arrêt de travail au mois de juin 2012';
Attendu que le salarié a adressé un courriel en date du 8 juin 2012 à la responsable du service des congés maladie, mentionne «'je souffre de colique néphrétiques et d'hypertension, mon médecin m'a prescrit un traitement et m'a demandé d'attendre deux semaines avant d'effectuer une deuxième radiographie pour contrôler si tout va bien. Je ne prévois pas de retourner en Irak, en raison des conditions de vie, je suis claustrophobe, qui ne conviennent pas à mon état de santé. Je demande un départ anticipé en retraite'»';
Attendu qu'aucune pièce médicale ne vient confirmer les dires mentionnés dans le courriel';
Attendu que ces seuls éléments sont insuffisants, au vu des circonstances antérieures et contemporaines à son départ pour pouvoir qualifier d'équivoque sa demande de mise à la retraite' qui devra donc être qualifiée de départ volontaire ;
Attendu que sa décision, dont la teneur est claire et non équivoque, marque la cessation des relations contractuelles avec son seul employeur reconnu par la présente décision, soit la SAS Halliburton, le moyen tiré du principe de l'autonomie juridique des personnes morales étant en l'espèce inopérant ';
Attendu que la rupture du contrat de travail est donc intervenue, compte tenu des pièces du dossier le 20 juin 2012';
Sur la prescription
Attendu qu'il résulte de la combinaison des articles 2224 du code civil et L. 1471-1, alinéa 1, du code du travail, dans sa version antérieure à l'ordonnance n° 2017-1387 du 22 septembre 2017, que l'action par laquelle une partie demande de qualifier un contrat, dont la nature juridique est indécise ou contestée, de contrat de travail, revêt le caractère d'une action personnelle et relève de la prescription de l'article 2224 du code civil';
Que la qualification dépendant des conditions dans lesquelles est exercée l'activité, le point de départ de ce délai est la date à laquelle la relation contractuelle dont la qualification est contestée a cessé. C'est en effet à cette date que le titulaire connaît l'ensemble des faits lui permettant d'exercer son droit';
Attendu que la relation contractuelle dont la qualification en contrat de travail a été sollicitée a pris fin le 20 juin 2012';
Que peu importe qu'aucun licenciement n'ait été opéré par la SAS Halliburton, le salarié évoquant dans ses écritures en page 10 qu'il «'a été contraint de formuler une demande de retraite anticipée'» en raison du fait qu'il ne souhaitait pas rejoindre le pays dans lequel il était affecté, soit l'Irak';
Que d'ailleurs M. [X] ne soutient nullement qu'il a continué à exercer ses fonctions après la date du 20 juin 2012';
Attendu que c'est bien le 20 juin 2012 que la relation de travail avec la SAS Halliburton a cessé et, à cette date, M. [X] disposait donc de tous les éléments lui permettant d'exercer son droit';
Attendu que M. [X] a saisi le conseil de prud'hommes le 5 juillet 2016 d'un certain nombre de demandes supposant au préalable l'établissement d'un contrat de travail' dans le respect du délai de prescription susvisé ;
Que les demandes découlant de la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail ne sont donc nullement prescrites';
Attendu que le jugement déféré sera donc infirmé sur ce point';
Sur la loi applicable
Attendu qu'en l'espèce, les parties reprennent devant la cour leurs prétentions et leurs moyens de première instance.
Qu'en l'absence d'élément nouveau soumis à son appréciation, la cour estime que les premiers juges, par des motifs pertinents qu'elle adopte, ont fait une exacte appréciation des faits de la cause et du droit des parties au regard de la loi applicable au présent litige';
Attendu qu'il convient donc de confirmer le jugement entrepris sur ce point';
Sur les demandes au titre de la rupture du contrat de travail
Attendu qu'ainsi qu'il a été jugé par la présente cour la rupture du contrat de travail est intervenue suite au départ volontaire de M. [X] à la retraite';
Qu'ayant échoué à voir juger que son départ volontaire produit les effets d'un licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse, il sera débouté de ses demandes au titre de la réintégration, de l'indemnité pour procédure irrégulière, de l'indemnité de préavis et de licenciement et des dommages et intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse';
Sur les demandes au titre de l'exécution du contrat de travail
Sur la demande de dommages et intérêts pour absence de cotisations retraite et défaut d'information de la faculté d'adhérer volontairement à une assurance retraite
Attendu qu'il est avéré au vu des pièces produites que l'employeur a procédé à paiement de cotisations pour la période allant de l'embauche au 28 février 1985 sans qu'aucun élément au dossier explique clairement la cessation de cette action';
Attendu que rien au dossier ne permet d'établir que l'employeur avait informé le salarié expatrié de sa situation au regard de la protection sociale';
Attendu qu'il résulte des pièces produites au dossier, et notamment de son bulletin de salaire de décembre 2011 que M. [X] a bien bénéficié d'un plan de retraite'mentionné dans les déductions avant impôts correspondant aux ressortissants de pays tiers ;
Qu'il avait donc parfaitement connaissance de l'existence d'un plan de retraite mis en place par la société PRL';
Attendu qu'il convient de constater que M. [X] ne produit au dossier qu'une situation très parcellaire de sommes versées au titre de sa retraite';
Qu'en effet il se contente de produire au dossier la retraite perçue au titre du régime général en omettant de livrer à la cour les sommes perçues dans le cadre de son plan de retraite';
Attendu que l'employeur justifie d'ailleurs que M. [X] a perçu dans le cadre du plan retraite la somme de 196 833,91 $ le 13 juillet 2012';
Attendu que compte tenu de l'ensemble de ces éléments, M. [X] ne justifiant d'aucun préjudice sur ce point, il sera débouté de sa demande de ce chef';
Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de l'affiliation au régime obligatoire pôle emploi des expatriés et de défaut d'information relatif à la faculté de s'assurer volontairement contre le risque de perte d'emploi
Attendu que conformément à l'article L.5422-13 du code du travail tout employeur assure contre le risque de privation d'emploi tout salarié, y compris les travailleurs détachés à l'étranger ainsi que les travailleurs salariés français expatriés';
Attendu que la SAS Halliburton ne conteste nullement ne pas avoir respecté ces dispositions, s'abritant derrière le fait que le droit français n'était pas applicable et que M. [X] n'était pas son salarié';
Que rien au dossier ne permet d'établir que le salarié a été informé de ce défaut d'affiliation';
Attendu que M. [X] a subi un préjudice du fait de ce manquement en raison du fait que durant le temps de la relation contractuelle il ignorait ne pas être protégé au titre de l'assurance chômage';
Que compte tenu des pièces versées au dossier le préjudice de M. [X] sera évalué à la somme de 24 000 euros';
Sur la demande de dommages et intérêts pour marchandage ou prêt de main d''uvre illicite
Attendu que conformément à l'article L.8231-1 du code du travail, le marchandage, défini comme toute opération à but lucratif de fourniture de main d''uvre qui a pour effet de causer un préjudice au salarié qu'elle concerne ou d'éluder l'application des dispositions légales ou de stipulations d'une convention ou d'un accord collectif de travail, est interdit';
Que l'opération de fourniture de main d''uvre présente un caractère lucratif dès lors que l'entreprise bénéficiaire n'a pas à supporter les charges sociales et financières qu'elle aurait eu si elle avait employé ses propres salariés';
Attendu qu'il est démontré par les développements précédents que la SAS Halliburton a continué après l'année 1985 à employer M. [X] alors même que celui-ci était rémunéré par une autre société du groupe, la société PRL';
Que la SAS Halliburton a ainsi profiter du travail de M. [X] sans en supporter les charges sociales et financières';
Attendu que le salarié n'a pas pu, durant la vie contractuelle bénéficier des dispositions de la convention collective applicable, ni des dispositifs légaux en matière de retraite et d'assurance chômage (préjudices déjà réparés par des demandes spécifiques du salarié)';
Attendu que compte tenu des éléments du dossier et de la situation de M. [X] telle qu'elle résulte des pièces produites il convient de condamner la SAS Halliburton à lui verser la somme de 50 000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du préjudice subi résultant des faits de marchandage';
Sur la demande d'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé
Attendu que l'article L 8221-1 du code du travail prohibe le travail totalement ou partiellement dissimulé défini par l'article L 8221-3 du même code relatif à la dissimulation d'activité ou exercé dans les conditions de l'article L 8221-5 du même code relatif à la dissimulation d'emploi salarié';
Que l'article L 8221-5 dispose notamment qu'est réputé travail dissimulé par dissimulation d'emploi salarié le fait pour un employeur de mentionner sur les bulletins de paie un nombre d'heures de travail inférieur à celui réellement accompli';
Que toutefois, la dissimulation d'emploi salarié prévue par ces textes n'est caractérisée que s'il est établi que l'employeur a agi de manière intentionnelle';
Attendu que les pièces du dossier, notamment du bulletin de salaire de décembre 2011 de la société PRL domiciliée aux Bermudes et des très larges délégations de pouvoir données par la SAS Halliburton à M. [X] en 2004 et 2010 démontrent que la société a intentionnellement dissimulé cet emploi par le jeu de marchandage';
Attendu que compte tenu du seul bulletin de salaire produit au dossier il y a lieu de condamner la SAS Halliburton à payer la somme de 92 940 euros au titre de l'indemnité forfaitaire pour travail dissimulé';
Sur la demande de dommages et intérêts pour violation de l'obligation de formation professionnelle continue et d'adaptation
Attendu qu'il n'est pas contestable que les fonctions occupées par M. [X] étaient d'une technicité certaine et nécessitaient donc des temps de formation aux fins de maintenir ses capacités à exercer valablement les tâches qui lui étaient dévolues';
Attendu que la solide expérience professionnelle du salarié dans le domaine des hydrocarbures ne dispensait nullement l'employeur de son obligation de formation, notamment quant à l'adaptation des différents postes sur des territoires très différents';
Attendu que le salarié justifie par les pièces de son dossier d'un préjudice lié à la carence de l'employeur à assurer son adaptation professionnelle';
Attendu que la SAS Halliburton sera donc condamné à lui verser la somme de 2 000 euros de dommages et intérêts à ce titre';
Sur les intérêts
Attendu que les créances accordées par la présente cour sont seulement indemnitaires';
Qu'elles produiront intérêt au taux légal à compter de la présente décision avec capitalisation';
Sur la demande d'astreinte
Attendu qu'il n'y a pas lieu, compte tenu des éléments de l'espèce, d'assortir les condamnations d'une astreinte';
Sur les demandes accessoires
Attendu que la SAS Halliburton qui succombe doit supporter les entiers dépens y compris ceux de première instance';
Attendu que l'équité commande de condamner la SAS Halliburton à payer à M. [X] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile';
PAR CES MOTIFS
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe,
DECLARE recevables les conclusions de la SAS Halliburton déposées par voie électroniques le 6 février 2022';
DECLARE recevable la demande de la SAS Halliburton tendant à la mettre hors de cause';
INFIRME le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 4 juin 2018 sauf en ce qui concerne l'application de la loi française et la reconnaissance de l'existence d'un contrat de travail entre M. [F] [X] et la SAS Halliburton';
Et statuant à nouveau sur les points infirmés et y ajoutant,
DECLARE recevables, comme non couvertes par la prescription, les demandes formulées par M. [F] [X]';
DIT que la demande de mise à la retraite de M. [F] [X]' doit donc être qualifiée de départ volontaire';
DEBOUTE M. [F] [X] de ses demandes afférentes à la rupture du contrat de travail et à sa réintégration ';
CONDAMNE la SAS Halliburton à payer à M. [F] [X] les sommes suivantes':
24 000 euros au titre des dommages et intérêts pour violation par l'employeur à son obligation d'affiliation au régime général d'assurance chômage';
50 000 euros à titre de dommages et intérêts pour le préjudice subi des faits de marchandage';
92 940 euros au titre de l'indemnité pour travail dissimulé';
2 000 euros au titre des dommages et intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de formation et d'adaptation';
DEBOUTE M. [F] [X] de sa demande de dommages et intérêts pour violation par l'employeur de son obligation de cotisation retraite ou de défaut d'information de la faculté d'adhérer volontairement à une assurance retraite';
DIT que les créances indemnitaires porteront intérêt au taux légal à compter de la présente décision avec capitalisation sur le fondement de l'article 1343-2 du code civil';
DEBOUTE M. [F] [X] de sa demande de paiement des condamnations sous astreinte';
CONDAMNE la SAS Halliburton aux entiers dépens et à payer à M. [F] [X] la somme de 3 500 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Arrêt signé par Madame CAUTRES-LACHAUD, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,