CD/SH
Numéro 22/02341
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 14/06/2022
Dossier : N° RG 20/00865 - N° Portalis DBVV-V-B7E-HQ3E
Nature affaire :
Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice
Affaire :
[M] [O]
C/
[C] [X]
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 14 Juin 2022, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 05 Avril 2022, devant :
Madame ROSA-SCHALL, faisant fonction de Présidente et Madame ASSELAIN, Conseillère,
assistées de Madame HAUGUEL, Greffière, présente à l'appel des causes,
Madame ROSA-SCHALL, en application des articles 786 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Madame ASSELAIN et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame DUCHAC, Présidente
Madame ROSA-SCHALL, Conseillère
Madame ASSELAIN, Conseillère
qui en ont délibéré conformément à la loi.
Le dossier a été communiqué au Ministère public le 9 septembre 2020
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame [M] [O]
née le 16 Mai 1946 à SAINT GEOURS DE MARENNE
de nationalité Française
43, Rue du Général de Gaulle
97118 SAINT-FRANÇOIS (GUADELOUPE)
Représentée et assistée de la SELARL DUALE-LIGNEY-BOURDALLE, avocats au barreau de PAU
INTIME :
Monsieur [C] [X]
né le 17 Avril 1953 à Brest (29)
de nationalité Française
575 route du Moulin
40230 SAUBION
Représenté et assisté de Maître LONNE de la SELARL HEUTY LONNE CANLORBE VIAL, avocat au barreau de DAX
sur appel de la décision
en date du 24 DÉCEMBRE 2019
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DAX
RG numéro : 17/01186
EXPOSE DU LITIGE
Par acte sous-seing privé du 19 juillet 2012, Mme [M] [O] a conclu un compromis portant sur la vente sous conditions suspensive à M. [C] [X] d'une maison d'habitation avec terrain cadastrée section A 440, 443, 1243, 1345, 1347, 1349, 1351, 1352, 2048, 444, 435 et 438 moyennant le prix de 580.000 euros.
Au moment du compromis, le plan d'occupation des sols de la commune était en cours de modification, susceptible de rendre inconstructible l'ensemble immobilier.
Le 13 juin 2012, Mme [M] [O] avait donné mandat à M. [C] [X] de 'signer en son nom tous les papiers administratifs et réglementaires, toutes les demandes et les plans concernant un permis de construire sur (sa) propriété, sise 575 route du moulin à 40230 Saubion'.
Dans ce cadre, M. [C] [X] a fait procéder à une division parcellaire, afin, selon ses dires, que les terrains demeurent constructibles.
La vente des parcelles a bien été régularisée pour le prix global de 580.000 € prévu au compromis, mais suivant deux actes authentiques distincts :
- un acte reçu le 9 février 2013 par la SCP Darmaillacq & Ducasse, par lequel Mme [M] [O] a vendu à M. [C] [X] un terrain non bâti cadastré section A 1345 moyennant le prix de 220.000 euros,
- un acte du même jour établi par le même notaire par lequel Mme [M] [O] a vendu à M. [C] [X], pour la totalité de l'usufruit, et ses trois enfants pour la nue-propriété, les parcelles visées dans le compromis de vente du 19 juillet 2012 moyennant le prix de 360.000 euros.
Par la suite, M. [C] [X] a procédé à la vente de trois lots issus des parcelles cadastrées section A 1345 et 435 pour un montant global de 545.000 euros par actes du 19 novembre 2013, 23 novembre 2013 et 28 fevrier 2017 par la société Darmaillacq & Ducasse.
Le 16 décembre 2016, l'administration fiscale a établi à l'égard de Mme [M] [O] une proposition de rectification pour un montant de 67.366 euros au motif que le terrain cadastré section A 1345 ne constituait pas une dépendance immédiate de la résidence principale, et ne bénéficiait pas dès lors de l'exonération de plus-value.
Mme [M] [O] s'est acquittée de la somme de 62.100 euros sollicitée par l'administration fiscale après un dégrèvement gracieux à hauteur de 5.266 euros.
Par actes d'huissier délivré les 5 et 7 septembre 2017, Mme [M] [O] a fait assigner la SCP DARMAILLACQ & DUCASSE et M. [C] [X] devant le tribunal de grande instance de Dax aux fins, sur le fondement des articles 1116 et 1382 du code civil, reprochant au notaire un manquement à son obligation de renseignements et à M. [C] [X] des manoeuvres dolosives constitutives d'un dol.
Suivant jugement réputé contradictoire en date du 24 décembre 2019, le premier juge a :
- débouté Mme [M] [O] de l'ensemble de ses demandes formées à l'encontre de M. [C] [X]
- condamné la SCP DARMAILLACQ & DUCASSE à verser à Mme [M] [O] la somme de 62.100 euros au titre du préjudice subi,
- débouté Mme [M] [O] de se demande en réparation d'un préjudice moral,
- condamné Mme [M] [O] à payer à M. [C] [X] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné la SCP DARMAILLACQ & DUCASSE à payer à Mme [M] [O] la somme de 2.500 euros au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné Mme [M] [O] aux entiers dépens exposés par M. [C] [X] , avec faculté de distraction au profit de Maître LONNE de la SCP Heuty-Lonne-Canlorbe, avocat inscrit au barreau de Dax, conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile,
- condamné la SCP Darmaillacq & Ducasse aux entiers dépens exposés par Mme [M] [O].
Par déclaration en date du 16 mars 2020, Mme [M] [O] a relevé appel du jugement qu'elle critique en ce qu'il l'a déboutée de ses demandes à l'encontre de M. [C] [X] et en ce qu'il l'a condamnée à payer sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Seul M. [C] [X] a été intimé.
Aux termes de ses dernières écritures en date du 24 juin 2021, Mme [M] [O] , appelante, sur le fondement des dispositions des articles 1116 ancien et 1137 nouveau, 1382 ancien et 1240 nouveau, 1987 et 1989 du code civil, demande à voir la cour :
- de déclarer son appel recevable et bien fondé,
- d'infirmer la décision de première instance,
Et statuant à nouveau,
- de condamner M. [C] [X] à lui payer la somme de 330.000 € en indemnisation du préjudice subi pour la perte de chance,
- de condamner M. [C] [X] à lui payer la somme de 20.000 € en indemnisation du préjudice moral,
- de condamner M. [C] [X] au paiement d'une somme de 8.000 € sur la base de l'article 700 du Code de procédure civile, outre les entiers dépens de première instance et d'appel avec le bénéfice des dispositions de l'article 699 du Code de procédure civile.
Afin de soutenir ses demandes, Mme [M] [O] expose que M. [C] [X] a opéré des man'uvres afin d'obtenir un mandat particulier de sa part, dont il s'est servi pour procéder à son insu à une division parcellaire, dans l'optique de vendre deux parcelles après avoir obtenu leur constructibilité, cela en dissimulant à la demanderesse : son projet de division pour vente en plusieurs lots et la plus-value attachée à cette division, dont elle n'a pas eu connaissance avant la signature.
Par conclusions déposées le 31 mai 2021, M. [C] [X] demande à la cour :
- de confirmer le jugement en toutes ses dispositions,
- de condamner Mme [M] [O] à lui payer une indemnité de 7.000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
- de condamner Mme [M] [O] en tous les dépens, en ce compris ceux d'exécution forcée si elle s'avère nécessaire, dont distraction au profit de la SCP Heuty-Lonné-Canlorbe-Vial conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Il expose :
- avoir fait le nécessaire pour maintenir la constructibilité du terrain et non l'obtenir, celle-ci étant remise en question par la révision du document d'urbanisme
- le mandat n'est pas vérifié par l'autorité administrative par combinaison des articles R.423-1 et R.435-1 du Code de l'urbanisme, de sorte qu'il n'était même pas nécessaire à M. [C] [X] pour déposer les demandes d'autorisation d'urbanisme
- que les deux parties avaient intérêt à conserver la constructibilité des parcelles. Si cette dernière avait disparue, M. [C] [X] aurait été fondé à agir pour dissimulation dolosive et non-conformité des qualités de l'immeuble promis à l'immeuble vendu.
L'ordonnance de clôture a été rendue le 02 mars 2022 et l'affaire, appelée à être plaidée à l'audience du 05 avril 2022, a été mise en délibéré.
MOTIFS
Suivant les dispositions de l'article 1116 ancien du code civil, applicable à la présente espèce, ' le dol est une cause de nullité du contrat, lorsque les manoeuvres pratiquées par l'une des parties sont telles, qu'il est évident que, sans ces manoeuvres, l'autre partie n'aurait pas contracté'.
Mme [M] [O] reproche à M. [C] [X] des manoeuvres opérées entre la signature du compromis de vente et celle des actes authentiques, ayant consisté en la division et vente par lots des parcelles et ce afin d'obtenir leur constructibilité qui a entraîné, à son insu, une plus-value.
Mme [M] [O] a signé les actes authentiques de vente au moyen d'une procuration donnée à un clerc de l'étude notariale.
Or, cette procuration, en date du 29 novembre 2012, jointe aux actes authentiques, mentionne qu'elle est donnée en vue de ' vendre le bien ci-après désigné de gré à gré, par lot, en totalité ou en partie, aux personnes moyennant les prix et aux charges et conditions que le mandataire jugera convenables (...)'.
Mme [M] [O] avait donc pleinement connaissance de ce que les parcelles, objets du compromis allaient être vendues par lots.
De plus, la procuration donnée à M. [C] [X] le 13 juin 2012, en vue de 'signer en son nom tous les papiers administratifs et réglementaires toutes les demandes et les plans concernant un permis de construire sur la propriété sise au 575 route du moulin 40230 SAUBION' montre bien que la constructibilité du terrain se trouvait dans le champ contractuel.
La cour précise que les parcelles étaient constructibles au moment de l'avant contrat de vente. La révision du plan d'occupation des sols leur faisait courir le risque de perdre cette qualité. Les deux parties à la vente avaient donc intérêt à ce que l'ensemble des parcelles demeure constructible.
En ce qui concerne les démarches effectuées dans le cadre de l'enquête publique, Mme [M] [O] n'est pas fondée à soutenir qu'elle les ignorait puisque le rapport du commissaire enquêteur montre d'une part, qu'elle avait formé, dans le cadre de la phase de concertation, une demande afin de pouvoir transformer les granges en gîtes ou chambres d'hôtes et d'autre part, qu'une réponse lui a été donnée suite à un courrier du 30 mai 2012, remis en mains propre à l'administration par M. [C] [X].
Mme [M] [O] a nécessairement eu connaissance du rapport du commissaire et de la réponse à ce courrier.
Cette lettre que Mme [M] [O] argue de faux, est rédigée à la main. Le premier juge a justement observé que si aucune certitude n'existe quant à l'écriture du corps du document, la signature correspond bien à celle figurant sur les documents versés au débat (procuration du 13 juin 2012 et procuration notariée) dont elle ne conteste pas l'authenticité. En signant le courrier du 30 mai 2012, Mme [M] [O] s'en est approprié les termes.
Il résulte de cet ensemble d'éléments, que Mme [M] [O] , qui avait intérêt à ce que les biens objets du compromis demeurent constructibles faute de quoi le respect par elle de l'obligation de délivrance aurait été discutable, avait bien connaissance du projet de modification des règles d'urbanisme, a demandé, de concert avec M. [C] [X] que les parcelles restent constructibles et qu'elle a eu connaissance en signant la procuration notariée de la vente par lots des biens. Aucune manoeuvre ne peut donc être imputée à M. [C] [X].
Par conséquent, le jugement déféré sera confirmé en ce qu'il a débouté Mme [M] [O] de sa demande de dommages et intérêts au titre du dol.
Mme [M] [O] supportera les dépens, dont distraction. Au regard de l'équité elle sera condamnée à payer à M. [C] [X] la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, le montant alloué par le premier juge étant en outre confirmé.
PAR CES MOTIFS
La Cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par mise à disposition, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Dans la limite de sa saisine,
Confirme la décision déférée,
Y ajoutant,
Condamne Mme [M] [O] à payer à M. [C] [X] la somme de 1.500 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne Mme [M] [O] aux dépens, dont distraction au profit des avocats de la cause pouvant y prétendre.
Le présent arrêt a été signé par Mme DUCHAC, Présidente, et par Mme HAUGUEL, Greffière, auquel la minute de la décision a été remise par la magistrate signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,
Sylvie HAUGUELCaroline DUCHAC