MM/ND
Numéro 20/2573
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRET DU 06/10/2020
Dossier : N° RG 19/01123 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HGZR
Nature affaire :
Autres demandes en matière de baux commerciaux
Affaire :
SARL OUDOUL 64
C/
Société d'Economie Mixte SEM [Localité 4] PYRENEES
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R E T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 06 octobre 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 Septembre 2020, devant :
Monsieur Marc MAGNON, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame Nathalène DENIS, greffière présente à l'appel des causes,
Marc MAGNON, en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Marie-Paule ALZEARI et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente
Monsieur Marc MAGNON, Conseiller
Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
SARL OUDOUL 64 Organe représentant la société: [Z] [C], Gérant
[Adresse 5]
[Adresse 5]
[Localité 2]
Représentée par Me Isabel SIMOES de la SELARL LEXEO CONSEIL, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
Société d'Economie Mixte SEM [Localité 4] PYRENEES
[Adresse 1]
[Adresse 1]
[Localité 4]
Représentée par Me Jean Michel GALLARDO, avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 15 FEVRIER 2019
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE PAU
EXPOSÉ DES FAITS ET PROCÉDURE :
Dans le cadre de la reprise de la société OUDOUL, placée en redressement judiciaire, et par acte sous seing privé en date du 16 janvier 2008, la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES a donné à bail un bâtiment industriel sis [Adresse 3] à [Localité 4] à la SARL OUDOUL 64 émanation des repreneurs de la société OUDOUL, moyennant le paiement d'un loyer annuel de 63.000€ HT pendant les trois premières années, puis de 96.000€ HT.
Le bail a été conclu pour une durée de 9 ans prenant effet à compter du 1er décembre 2007 pour se terminer le 30 novembre 2016.
Par avenant au contrat de bail en date du 2 mai 2012, il a été convenu que le bailleur s'engagerait à proposer à chaque date anniversaire du bail, une location-vente des biens loués, en tenant compte dans le prix de vente des loyers déjà versés par le preneur. Le montant annuel du loyer a été fixé à 100.000€ et le paiement de la taxe foncière a été mis à la charge du bailleur à compter du 1er janvier 2012.
Selon congé délivré le 2 octobre 2015, la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES a proposé à la SARL OUDOUL 64 le renouvellement du bail et la fixation du loyer du bail renouvelé à la somme de 240.000€ par an . Par mail du 15 décembre 2015 suivi d'un courrier adressé à la mairie de [Localité 4] le 8 janvier 2016, la SARL OUDOUL 64 a proposé de racheter le bâtiment appartenant à la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES moyennant le paiement du prix de 1.263.000,00€.
Par courrier du 23 mai 2016 adressé à la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES, la SARL OUDOUL 64 a déclaré ne pouvoir accepter l'offre de renouvellement du 2 octobre 2015 dans les termes proposés, en raison du caractère trop élevé du loyer réclamé.
Par acte d'huissier de justice du 14 novembre 2016, la SARL OUDOUL 64 a fait assigner la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES devant le Tribunal de grande instance de Pau en responsabilité contractuelle pour obtenir paiement de la somme de 900.000€, aux motifs notamment que :
- la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES n'a pas respecté les termes de l'avenant au contrat de bail en ne lui proposant pas de location-vente des locaux loués, à chaque date anniversaire du bail,
- la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES n'a pas accédé à sa demande d'achat,
ce comportement l'a privée d'une chance de conclure le contrat de vente, et l'a conduit à investir 900.000€ de loyers à perte de 2008 à 2015, sommes qui auraient été investies à titre d'achat,
Par jugement du 15 février 2019, le tribunal de grande instance de Pau a :
Débouté la SARL OUDOUL64 de ses demandes ;
Débouté la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES de sa demande de dommages et intérêts ;
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile ;
Laissé à chacune des parties la charge de ses propres dépens.
Par déclaration en date du 3 avril 2019 , la SARL OUDOUL 64 a relevé appel de ce jugement.
La clôture est intervenue le 17 juin 2020 .
L'affaire a été fixée au 7 septembre 2020 .
Au-delà de ce qui sera repris pour les besoins de la discussion et faisant application en l'espèce des dispositions de l'article 455 du Code de procédure civile, la cour entend se référer pour l'exposé plus ample des moyens et prétentions des parties aux dernières de leurs écritures visées ci-dessous.
PRÉTENTIONS ET MOYENS DES PARTIES:
Par conclusions notifiées le 1er juillet 2019, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, la SARL OUDOUL 64 , demande à la Cour de :
- Dire et Juger que la SEM [Localité 4] PYRENEES a manqué à ses obligations contractuelles issues du bail en date du 16 janvier 2008 et de son avenant en date du 02 mai 2012 ;
- La condamner au paiement de la somme de 233 123,76 € euros en réparation du préjudice subi ;
- La condamner au paiement de la somme de 3 000 euros au titre de l'article 700 du Code de Procédure Civile ;
- La condamner aux entiers dépens ;
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La SEM a constitué avocat mais n'a pas conclu. Elle a déposé en revanche ses pièces sous bordereau de pièces communiquées notifié le 12 novembre 2019.
MOTIVATION :
La société SARL OUDOUL 64 conclut à l'infirmation du jugement qui l'a déboutée de sa demande indemnitaire, en retenant notamment que le lien de causalité entre le manquement contractuel de la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES et le préjudice de perte de chance n'est pas caractérisé, ce préjudice étant lui-même incertain.
Elle soutient à cet égard que contrairement à ce qu'a retenu le tribunal :
elle était en capacité financière d'acheter le bien, si toutefois elle en avait connu les conditions d'achat,
qu'elle a manifesté à plusieurs reprises son intention d'acheter
que la SEM [Localité 4] PYRÉNÉES n'a jamais fait de proposition de location-vente et n'a d'ailleurs formulé aucune contre-proposition de prix à la Société OUDOUL 64,
si bien que la concluante n'a jamais été en mesure d'acheter le local alors qu'elle le souhaitait ardemment.
Elle fait valoir qu'elle a :
- payé des loyers à perte pendant six ans, entre 2012 et 2018, année de son déménagement, sans espoir de devenir propriétaire,
- engagé des frais d'aménagement du local, sans pouvoir en assurer la pérennité,
- fragilisé son entreprise et ses projets, faute de pouvoir offrir à ses partenaires financiers et investisseurs ou fournisseurs une quelconque sûreté sur un bien qui ne lui appartenait pas.
Elle ajoute que si elle avait été destinataire d'une offre de location-vente, comme la SEM [Localité 4]-PYRÉNÉES s'y était engagée, elle aurait pu mieux apprécier le prix qu'elle devait proposer à son bailleur en vue d'un achat.
Elle estime ainsi avoir été privée de la chance d'acquérir les locaux qu'elle louait et propose d'indemniser ce préjudice à concurrence de 35% du montant des loyers acquittés entre 2012 et 2018, soit la somme de 233 123,76 euros.
En droit, selon l'article 1134 du code civil dans sa rédaction antérieure à celle issue de l'ordonnance 2016-131 du 10 février 2016, « les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. Elles ne peuvent être révoquées que de leur consentement mutuel ou pour les causes que la loi autorise. Elles doivent être exécutées de bonne foi. »
Il résulte par ailleurs de l'article 1147 du code civil, dans sa rédaction applicable à la date de l'avenant du 2 mai 2012, que « le débiteur est condamné, s'il y a lieu, au paiement de dommages et intérêts, soit à raison de l'inexécution de l'obligation, soit à raison du retard dans l'exécution, toutes les fois qu'il ne justifie pas que l'inexécution provient d'une cause étrangère qui ne peut lui être imputée, encore qu'il n'y ait aucune mauvaise foi de sa part. »
La responsabilité contractuelle suppose ainsi d'établir l'inexécution d'une obligation contractuelle ou le retard dans son exécution, un préjudice et le lien de causalité direct reliant ces deux éléments.
En exécution de l'avenant du 2 mai 2012, modifiant le contrat de bail conclu entre la SEM [Localité 4] Pyrénées et la SARL OUDOUL 64, le bailleur s'est engagé à proposer, à chaque date anniversaire du bail, une location-vente des locaux loués. Dans cette hypothèse, il devait être tenu compte, dans le prix de vente, du montant des loyers déjà versés.
Il n'est pas contesté que la SEM [Localité 4] PYRENEES ne justifie pas avoir rempli cette obligation. Elle ne produit aucun document permettant de justifier qu'elle a effectivement proposé une location-vente de l'immeuble loué, à chaque date anniversaire du bail.
Elle a ainsi manqué à l'une de ses obligations contractuelles.
La SARL OUDOUL 64 considère que si une offre de location-vente lui avait été adressée à chaque date anniversaire du bail, elle aurait été mise en mesure de connaître les attentes du bailleur et de s'y adapter. Le préjudice qu'elle invoque s'analyse en une perte de chance d' acquérir le local.
Selon une jurisprudence constante, la perte de chance présente un caractère direct et certain, chaque fois qu'est constatée la disparition d'une éventualité favorable.
En l'espèce, la SARL OUDOUL 64 qui n'a jamais exprimé la volonté d'acquérir l'immeuble loué avant le 15 décembre 2015, soit après la notification faite par le bailleur de l'offre de renouvellement du bail, moyennant un loyer déplafonné, a toujours conservé la possibilité d'adresser une offre d'achat au bailleur dans des termes précis puisqu'elle avait connaissance du projet de promesse unilatérale de vente qui avait été adressé au précédent exploitant, la SARL OUDOUL, avant son entrée dans les lieux.
Par ailleurs, le bailleur ne s'est jamais engagé à vendre l'immeuble loué au prix et aux conditions fixés par le preneur, de sorte qu' il n'est pas démontré qu'une offre de location-vente émanant du bailleur, même tenant compte des loyers déjà versés par le preneur, conformément aux dispositions de l'avenant litigieux, aurait été plus favorable que l'offre d'achat formulée par la SARL OUDOUL 64.
La SARL OUDOUL 64 ne démontre pas en conséquence le caractère certain et direct de la perte de chance qu'elle invoque.
Le jugement est ainsi confirmé en ce qu'il l'a déboutée de toutes ses demandes et lui a laissé la charge de ses propres dépens.
sur les demandes annexes :
La SARL OUDOUL 64, qui succombe, supportera la charge des dépens d'appel. Elle ne peut de ce fait bénéficier des dispositions de l'article 700 du Code de procédure civile.
PAR CRS MOTIFS :
La cour, statuant publiquement, par arrêt mis à disposition au greffe, contradictoirement et en dernier ressort,
Confirme le jugement déféré en ce qu'il a débouté la SARL OUDOUL 64 de l'ensemble de ses demandes, et lui a laissé la charge de ses dépens de première instance,
Y ajoutant,
Condamne la SARL OUDOUL 64 aux dépens d'appel,
Dit n'y avoir lieu à faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
Le présent arrêt a été signé par Madame Marie-Paule ALZEARI, Présidente, et par Madame Nathalène DENIS, greffière suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,