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10/09/2020 | FRANCE | N°17/02791

France | France, Cour d'appel de Pau, Chambre sociale, 10 septembre 2020, 17/02791


MHD/SB



Numéro 20/2216





COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale







ARRÊT DU 10/09/2020







Dossier : N° RG 17/02791 - N° Portalis DBVV-V-B7B-GULS





Nature affaire :



A.T.M.P. : demande de prise en charge au titre des A.T.M.P. et/ou contestation relative au taux d'incapacité









Affaire :



[F] [J]



C/



SOCIETE SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES SAS,

CPAM DE L'ISERE









Grosse délivrée le

à :





















RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R Ê T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 10 Septembre 2020, les parties en ayant été p...

MHD/SB

Numéro 20/2216

COUR D'APPEL DE PAU

Chambre sociale

ARRÊT DU 10/09/2020

Dossier : N° RG 17/02791 - N° Portalis DBVV-V-B7B-GULS

Nature affaire :

A.T.M.P. : demande de prise en charge au titre des A.T.M.P. et/ou contestation relative au taux d'incapacité

Affaire :

[F] [J]

C/

SOCIETE SCHNEIDER ELECTRIC INDUSTRIES SAS,

CPAM DE L'ISERE

Grosse délivrée le

à :

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R Ê T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 10 Septembre 2020, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 29 Juin 2020, devant :

Madame DIXIMIER, magistrat chargé du rapport,

assistée de Madame LAUBIE, greffière.

Madame [B], en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame NICOLAS, Présidente

Madame DIXIMIER, Conseiller

Monsieur LAJOURNADE, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur [F] [J]

[Adresse 3]

[Adresse 3]

Comparant assisté de Madame [Y], responsable juridique de L'ADDAH 40, munie d'un pouvoir régulier

INTIMEES :

SOCIETE SCHNEIDER ELECTRIC

[Adresse 2]

[Adresse 2]

Représentée par Maître PENAUD loco Maître BEAUMONT, avocat au barreau de PARIS

CPAM DE L'ISERE

[Adresse 1]

[Adresse 1]

Comparante en la personne de Madame [K], munie d'un pouvoir régulier

sur appel de la décision

en date du 26 JUIN 2017

rendue par le TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE MONT DE MARSAN

RG numéro : 2015.0018

FAITS ET PROCÉDURE

Le 8 décembre 1980, M. [F] [J] a été embauché par la société Merlin Gerin, filiale du groupe Schneider Electric en qualité d'ingénieur.

Le 22 juillet 2005, il a signé un avenant à son contrat de travail avec la société Schneider Electric pour prendre le poste de «'Responsable Déploiement Opérationnel Europe'», basé à [Localité 8] en Isère.

Le 29 mai 2007, un avenant a acté son affectation à [Localité 9], en Autriche, pour y exercer la fonction de «'Business Development'» pour une durée prévisionnelle de 3 à 5 ans, sous réserve des nécessités de service.

Le 1er juillet 2009, à la suite de la «'dissolution'» de la zone sur laquelle il avait été affecté, M. [F] [J] a été rapatrié, de façon anticipée, à [Localité 7] au poste de «'Customer Channels Manager'».

Employeur et salarié ont alors engagé des négociations afin de permettre à Monsieur [J] de se rapprocher de sa famille, installée à [Localité 4].

Du 9 décembre 2013 au 16 mai 2014, Monsieur [J] a été placé en arrêt maladie.

Le 19 mai 2014, il s'est présenté sur son lieu de travail aux fins de reprise de son travail à [Localité 7].

Du 20 au 28 mai 2014, il a soldé ses congés, conformément aux échanges qu'il avait eus avec son employeur.

Le 2 juin 2014, jour de sa reprise après congés, il a été placé en arrêt de travail par le docteur [N] [S], psychiatre et psychanalyste, domicilié à [Localité 6], qui lui a prescrit un arrêt de travail au titre d'un accident de travail constaté le 2 juin 2014, tout en précisant, par courrier du 3 juin 2014, que les symptômes étaient présents principalement depuis la réintégration de son poste par M. [F] [J].

Par lettre recommandée avec accusé de réception en date de 3 juin 2014, M. [F] [J] a transmis cet arrêt de travail à la CPAM des Landes.

Le 9 juin 2014, après avoir réceptionné le certificat médical d'arrêt de travail pour accident du travail que lui avait envoyé le salarié, la société a régularisé une déclaration d'accident de travail auprès de la CPAM de l'Isère et par courrier recommandé du 11 juin 2014 a émis des réserves sur l'accident.

Par courrier en date du 18 juillet 2014, l'organisme social a informé M. [F] [J] qu'un délai complémentaire d'instruction lui était nécessaire.

Par courrier en date du 15 septembre 2014, ce même organisme lui a notifié sa décision de refus de prise en charge au motif que ' le lien de subordination à l'employeur n'était pas établi au moment de l'accident, en effet celui - ci est survenu au cours d'activités personnelles n'ayant pas de relation avec le travail.'

Le 23 septembre 2014, M. [F] [J] a saisi la commission de recours amiable de la CPAM de l'Isère.

Par courrier en date du 24 février 2015, ladite commission a confirmé la décision de refus de prise en charge.

Par jugement en date du 26 juin 2017, le tribunal des affaires de sécurité sociale des Landes ' saisi à la requête de M. [F] [J] aux fins de voir reconnaître l'existence d'un accident du travail et d'une faute inexcusable de l'employeur ' a :

- dit que M. [F] [J] ne rapporte par la preuve de la matérialité des faits qu'il allègue en date du 19 mai 2014 et de leur lien avec son activité professionnelle, et par conséquent de la réalité de la faute inexcusable qu'il impute à la société Schneider Electric,

- rejeté le recours de Monsieur [F] [J] à l'encontre du refus de la CPAM de l'Isère de prendre en charge au titre de la législation relative aux risques professionnels des faits survenus le lundi 19 mai 2014.

Par lettre recommandée en date du 24 juillet 2017, reçue par le greffe le 26 juillet 2017, M. [F] [J] a interjeté appel de cette décision

***

Par jugement définitif, en date du 10 décembre 2015, le conseil de prud'hommes de Grenoble a notamment ':

- prononcé la résiliation judiciaire du contrat de travail de M. [F] [J] aux torts de la société Schneider Electric tenant notamment au non-respect de sa qualification professionnelle, à l'effet d'un rapatriement «'désordonné'» sur sa vie familiale et aux impacts de ces deux manquements sur son état de santé';

- débouté M. [F] [J] de ses demandes relatives à la reconnaissance d'un harcèlement moral.

PRÉTENTIONS DES PARTIES':

Par conclusions du 15 avril 2020 reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, M.'[F] [J] demande à la cour de':

- déclarer recevable et bien fondé son recours ;

- infirmer le jugement attaqué ;

- dire et juger qu'il a bien été victime d'un accident de travail le 19 mai 2014';

- le renvoyer devant l'organisme compétent pour la liquidation de ses droits.

Par conclusions du 22 juin 2020 reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la société Schneider Electric demande à la cour de':

- in limine litis':

- constater la péremption de l'instance et partant, l'extinction de la présente instance,

- laisser les frais afférents à la charge de l'appelant,

- à titre subsidiaire':

- confirmer le jugement attaqué en ce qu'il a jugé que la matérialité des faits allégués du 19 mai 2014 n'est pas rapportée, ni leur lien avec l'activité professionnelle de M. [F] [J],

- dire et juger que la décision de refus de prise en charge du 15 septembre 2014 est définitive à son égard,

- débouter par suite M. [F] [J], et le cas échéant la CPAM de l'Isère, de leurs demandes, fins et conclusions à son encontre,

- à titre très subsidiaire':

- dans l'hypothèse où l'appelant formerait des demandes chiffrées à son encontre ':

- renvoyer l'affaire devant la juridiction du 1er degré afin de permettre aux parties de conclure en réponse dans le respect du principe du contradictoire et de loyauté des débats,

- lui déclarer inopposable l'éventuelle décision de reconnaissance du caractère professionnel de l'accident de M. [F] [J], compte tenu de la décision définitive de refus de prise en charge qui lui a été notifiée le 15 septembre 2014,

- dire et juger en conséquence que la CPAM de l'Isère ne pourra pas récupérer auprès d'elle les sommes susceptibles d'être versées à M. [F] [J],

- débouter la CPAM de l'Isère de l'ensemble de ses demandes, fins et conclusions dirigées à son encontre,

- en tout état de cause, à titre reconventionnel':

- condamner M. [F] [J] à lui payer la somme de 2'500'€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile ainsi qu'aux dépens.

Par conclusions du 25 juin 2020 reprises oralement à l'audience et auxquelles il convient de se référer pour un plus ample exposé des faits, prétentions et moyens, la CPAM de l'Isère demande à la cour de':

- confirmer la décision attaquée,

- débouter M. [F] [J] de son recours,

- constater son respect des dispositions légales,

- dire et juger que c'est à bon droit qu'elle a refusé la prise en charge, au titre de la législation relative aux risques professionnels, des faits survenus le lundi 19 mai 2014.

MOTIFS

En liminaire, Monsieur [J] ne conclut plus en cause d'appel à l'existence d'une faute inexcusable commise par son employeur à son égard.

En conséquence, il convient de confirmer le jugement attaqué en ce qu'il l'a débouté de ses demandes formées de ce chef.

I - SUR LA PÉREMPTION DE L'INSTANCE

Au visa des dispositions de l'article 386 du code de procédure civile, la société Schneider Electric soulève la péremption de l'instance, en faisant observer que':

- la déclaration d'appel est en date du 26 juillet 2017,

- un calendrier de procédure a été adressé aux parties le 9 janvier 2020,

- entre ces deux dates, et pendant une durée de plus de deux ans, aucun acte de procédure n'a été effectué.

L'appelant s'y oppose, se prévalant de l'article R. 142-22 du code de la sécurité sociale et de ce que la direction du procès échappe aux parties en matière de sécurité sociale.

Cela étant, les articles 386 et 387 du code de procédure civile prévoient que':

«'L'instance est périmée lorsque aucune des parties n'accomplit de diligences pendant deux ans. »,

«'La péremption peut être demandée par l'une quelconque des parties.

Elle peut être opposée par voie d'exception à la partie qui accomplit un acte après l'expiration du délai de péremption'».

Le décret numéro 2018-928 du 29 octobre 2018, a abrogé les dispositions des articles R142-22 et R 145-30 selon lesquels':

* Article R 142-22 en son dernier alinéa':

«'L'instance est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. »,

* Article R 142-30':

«'Les dispositions des articles R. 142-22 à R. 142-24-1 et de l'article R. 142-24-3 relatives à la procédure devant le tribunal des affaires de sécurité sociale sont applicables à la procédure devant la cour d'appel.'».

Le décret numéro 2018-928 du 29 octobre 2018, dont l'article 17 prévoyait son entrée en vigueur au 1er janvier 2019, et précisait (art 17 III) «'les dispositions relatives à la procédure devant les juridictions sont applicables aux instances en cours'», a été modifié par le Décret n°2019-966 du 18 septembre 2019 - art. 8, reportant au 1er janvier 2020 les dispositions de l'article 17.

Mais l'article R.'142-10-10, modifié par le Décret n°2019-1506 du 30 décembre 2019 - art. 4 applicable à compter du 1er janvier 2020, y compris aux péremptions non constatées à cette date, conformément au III de l'article 9 du décret n° 2019-1506 du 30 décembre 2019, revient au droit antérieur en ce qu'il prévoit que':

«'L'instance est périmée lorsque les parties s'abstiennent d'accomplir, pendant le délai de deux ans mentionné à l'article 386 du code de procédure civile, les diligences qui ont été expressément mises à leur charge par la juridiction. La péremption peut être demandée par l'une quelconque des parties. Le juge peut la constater d'office après avoir invité les parties à présenter leurs observations'».

Il se déduit de cette succession de textes qu'en la matière, le délai de péremption ne court qu'à compter de la date à laquelle des diligences ont été expressément mises à la charge des parties par la juridiction,

Au cas particulier :

- si la déclaration d'appel est en date du 26 juillet 2017,

- si aucune diligence n'a été effectuée par les parties pendant plus de deux ans à compter de cette date,

il n'en demeure pas moins que la péremption n'est pas encourue, dès lors que':

- la juridiction n'a mis aucune diligence à la charge des parties, avant le calendrier de procédure du 9 janvier 2020,

- les conclusions de l'appelant en date du 6 février 2020, sont intervenues dans le délai de 2 ans de cette injonction.

En conséquence, il convient de rejeter cet incident d'instance.

II - SUR LA RECONNAISSANCE IMPLICITE DU CARACTERE PROFESSIONNEL DE L'ACCIDENT :

Dans leur version applicable à l'espèce, les articles R. 441-10 alinéas 1 et 3 et R. 441-14 alinéa 1 du code de la sécurité sociale prévoient que':

* ''La caisse dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial ou de trois mois à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration de la maladie professionnelle et le certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie.....

Sous réserve des dispositions de l'article R. 441-14, en l'absence de décision de la caisse dans le délai prévu au premier alinéa, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu.'

* ' Lorsqu'il y a nécessité d'examen ou d'enquête complémentaire, la caisse doit en informer la victime ou ses ayants droit et l'employeur avant l'expiration du délai prévu au premier alinéa de l'article R. 441-10 par lettre recommandée avec demande d'avis de réception. À l'expiration d'un nouveau délai qui ne peut excéder deux mois en matière d'accidents du travail ou trois mois en matière de maladies professionnelles à compter de la date de cette notification et en l'absence de décision de la caisse, le caractère professionnel de l'accident ou de la maladie est reconnu''.

Il en résulte :

- que la preuve du respect des délais incombe à la CPAM,

- que l'avis donné par la CPAM à la victime du recours à des investigations complémentaires doit être effectué par lettre recommandée avec accusé de réception ,

- que cette obligation permet de donner date certaine à ce courrier, d'établir également de manière certaine sa réception par son destinataire et de vérifier en conséquence le respect des délais pré cités,

- que de ce fait, le défaut d'envoi du courrier par recommandé avec accusé de réception fait grief à la victime dans la mesure où celle - ci ne peut plus vérifier le respect des délais et éventuellement se prévaloir des conséquences attachées au non - respect des délais pré - cités.

En l'espèce, la CPAM de l'Isère reconnaît n'avoir informé le salarié du recours à un délai complémentaire que par lettre simple, à l'exclusion de tout envoi de lettre recommandée avec demande d'avis de réception.

Elle soutient qu'en tout état de cause, Monsieur [J] a eu connaissance de ce courrier litigieux qui lui a été adressé en temps utile, - à savoir le 18 juillet 2014 - , soit deux jours avant l'expiration du délai d'un mois initial.

Elle en veut pour preuve la pièce :

- qu'elle verse aux débats, intitulée ' journal des transmissions ' datée du 18 juillet 2014 à 15.01, émanant de ses services informatiques, se présentant comme une capture d'écran dont le contenu est constitué par le courrier qu'elle aurait adressé à la victime le 18 juillet 2014 pour l'informer du recours au délai complémentaire,

- qu'elle présente comme le justificatif de l'envoi de la lettre litigieuse.

Cependant, si cet élément établit que Monsieur [J] - qui n'a d'ailleurs jamais contesté avoir reçu ce courrier - a eu connaissance du recours de la CPAM au délai complémentaire, il n'en demeure pas moins qu'il est totalement insuffisant pour démontrer, à défaut de tout autre élément, la date certaine de l'envoi, soit le 18 juillet 2014, deux jours avant l'expiration du délai initial fixé par la CPAM elle - même au 20 juillet 2014.

De ce fait, la CPAM ne rapporte aucun élément permettant d'établir qu'elle a effectivement respecté les délais de l'article R 441-14 alinéa 1 du code de la sécurité sociale relatifs à la prévenance de la victime du recours à une enquête complémentaire.

Ainsi, en l'absence de toute certitude à ce propos, seul l'article R 441- 10 alinéa 1 du code de sécurité sociale '' prévoyant qu'elle dispose d'un délai de trente jours à compter de la date à laquelle elle a reçu la déclaration d'accident et le certificat médical initial pour statuer sur le caractère professionnel de l'accident ' doit recevoir application.

Or, il n'est pas contesté que le refus de prise en charge de l'accident par la CPAM de l'Isère est intervenu le 15 septembre 2014, soit plus de deux mois après l'expiration du délai initial.

En conséquence, sans qu'il soit nécessaire d'étudier plus avant les autres moyens développés par Monsieur [J], il convient en application du troisième alinéa de l'article R.'441-10 du code de la sécurité sociale, pris dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, de reconnaître le caractère professionnel de l'accident déclaré par Monsieur [J], comme s'étant produit le 2 juin 2014, faute de décision de la CPAM de l'Isère au 20 juillet 2014.

III - SUR L'OPPOSABILITÉ À L'EMPLOYEUR DE LA RECONNAISSANCE IMPLICITE D'UN ACCIDENT DU TRAVAIL

Dès lors qu'elle a été notifiée à l'employeur, dans les conditions prévues par l'article R. 441-14, alinéa 4, du code de la sécurité sociale, dans sa rédaction en vigueur au moment des faits, la décision de refus de prise en charge de la maladie au titre de la législation professionnelle revêt un caractère définitif à son égard, de sorte que la mise en cause de ce dernier dans l'instance engagée contre la même décision par la victime ou ses ayants droit est sans incidence sur les rapports entre l'organisme social et l'intéressé.

Cependant, en application des articles R 441-10 et R 441-11 du code de la sécurité sociale pris dans leur rédaction applicable à l'espèce, il existe une exception à ce principe :

- à savoir que de façon constante, il est acquis que si une décision explicite de rejet de la prise en charge succède à une reconnaissance implicite, il appartient aux juges du fond de rechercher si la motivation de la décision explicite de refus n'est pas de nature à rendre inopposable la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l'accident à l'employeur.

En l'espèce, il y a lieu de rappeler que le 15 septembre 2014, par décision notifiée dans le respect des conditions de l'article R 441- 14 alinéa 4 du code de la sécurité sociale, la CPAM de l'Isère a refusé de prendre en charge l'accident au titre de la législation sur les risques professionnels au motif que :

' le lien de subordination à l'employeur n'est pas établi au moment de l'accident, en effet celui - ci est survenu au cours d'activités personnelles n'ayant pas de relation avec le travail. Il n'existe pas de preuve que l'accident invoqué se soit produit par le fait ou à l'occasion du travail, ni même de présomptions favorables précises et concordantes en cette faveur ..' .

Or, il vient d'être jugé que l'accident de travail déclaré par le salarié comme s'étant produit le 2 juin 2014 devait être retenu à l'égard de la victime.

En application des principes sus rappelés, il appartient donc à la cour de rechercher si la motivation de la décision explicite de refus est ou non de nature à rendre inopposable la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l'accident à l'employeur, et pour ce faire, d'examiner si au vu des éléments du dossier, l'existence d'un accident du travail peut être retenu.

***

En application de l'article L. 411-1 du Code de sécurité sociale:

" Est considéré comme accident du travail, quelle qu'en soit la cause, l'accident survenant par le fait ou à l'occasion du travail ".

Constitue un accident du travail un événement ou une série d'événements survenus à des dates certaines par le fait ou à l'occasion du travail, dont il est résulté une lésion corporelle, quelle que soit la date d'apparition de celle-ci.

Il appartient donc à celui qui prétend avoir été victime d'un accident du travail d'établir les circonstances exactes de l'accident et son caractère professionnel.

Pour ce faire, il ne peut se contenter des simples déclarations qu'il a faites à son employeur.

Encore faut - il qu'il les étaie et les corrobore par des éléments objectifs, tels que témoignages, constatations médicales et autres...

En l'espèce, contrairement à ce que l'employeur soutient, il résulte de l'ensemble des pièces versées au dossier - enquête de la CPAM, courriers électroniques échangés entre les parties, certificats médicaux, attestations - que le 19 mai 2014, Monsieur [J] devait nécessairement se présenter sur son lieu de travail à [Localité 7] dans la mesure :

- où son arrêt de travail s'achevait le 16 mai 2014,

- où les 17 et 18 mai étaient une fin de semaine,

- où ses congés ne débutaient que le 20 mai pour s'achever le 28 mai 2014.

En effet, si le report de la visite médicale de reprise l'empêchait de travailler effectivement et maintenait la suspension de son contrat de travail jusqu'au jour de l'examen médical litigieux en application de l'article R 4624-31 du code du travail, il n'en demeure pas moins que n'étant plus placé en arrêt de travail et n'étant pas en congé, il devait se présenter sur son lieu de travail.

De ce fait, si le salarié ne peut pas reprocher à son employeur de ne pas lui avoir laissé des consignes de travail ou même du travail à effectuer puisque jusqu'à la réalisation de l'examen médical de reprise, il ne pouvait pas reprendre effectivement, en revanche, il peut légitimement lui faire grief :

- de ne pas l'avoir avisé officiellement dès ce moment là de sa mutation, pour un poste demandant une qualification moindre à celle dont il disposait et de ne pas avoir recueilli son accord sur la modification des conditions essentielles de travail que cela entraînait pour lui,

- de lui avoir laissé découvrir ce changement de poste par la consultation de sa messagerie professionnelle ce jour là qui lui a permis de lire un mel daté du 23 décembre 2013,

- de ne pas même s'être assuré qu'il avait une chaise à son bureau sur laquelle il pouvait s'asseoir à son retour le 19 mai 2014.

Soutenir pour l'employeur que le salarié avait accès à sa messagerie professionnelle pendant son arrêt de travail et que de ce fait, il était au courant avant le 19 mai 2014 de sa mutation est totalement inopérant dans la mesure où le 23 décembre 2013, il était en arrêt de travail et qu'il n'avait aucune obligation de consulter durant toute cette période sa messagerie professionnelle.

De même, prétendre toujours pour lui, qu'il existait des chaises dans l'open space dans lequel Monsieur [J] travaillait est tout aussi inopérant dans la mesure où l'absence de chaise est attestée très clairement par une collègue du salarié (pièce n°22 du salarié, 16/01/2015).

L'ensemble de ces éléments ne pouvait que causer un choc au salarié qui en revenant sur son lieu de travail après un arrêt maladie de plusieurs mois pour dépression, apprend que finalement il subit une rétrogradation dans un poste d'une catégorie inférieure au sien et vit, sur le moment, son déclassement puisqu'il ne dispose même pas d'une chaise pour s'asseoir à son bureau.

Ce choc dont l'ampleur s'est pleinement révélé le 2 juin 2014, après les congés de Monsieur [J], a été mis en évidence par les pièces médicales produites par l'intéressé, à savoir :

- le certificat médical initial du docteur [S] qui indique ' anxiété sévère et dépression ',

- l'attestation faite par le docteur [N] [G] , médecin généraliste de Monsieur [J], dans l'Isère, qui a indiqué le 9 septembre 2014 :

- que lors de sa visite à son cabinet, le 14 mai 2014, M. [F] [J] « nécessitait des traitements médicamenteux pour dépression mais que son état était compatible avec une reprise du travail'»,

- tandis que le 20 mai 2014, jour où le salarié est revenu le consulter il «'présentait tous les symptômes d'une rechute de dépression caractérisée en lien avec la reprise de la veille'» (pièce du salarié n°'14),

- la confirmation de ce diagnostic par le docteur [N] [S] qui ajoute que Monsieur [J] souffre d'une «'anxiété sévère'» (pièce du salarié n°1, 20 et 18, 02/06/2014, 03/06/2014 et 05/11/2018), «'principalement depuis [sa] réintégration dans son poste'» (pièce du salarié n° 20, 03/06/2014).

Soutenir pour la CPAM de l'Isère que la dégradation de l'état psychologique de M. [F] [J] serait due à la distance entre son lieu de travail (Isère) et son lieu de résidence et sa famille (les Landes), et non à son travail est totalement inopérant dans la mesure :

- où le docteur [N] [G] exerce en Isère (à [Localité 5]) et non dans les Landes de sorte que le salarié était déjà éloigné de sa famille lorsqu'il a été examiné avant sa reprise';

- où les conditions de sa reprise étaient pathogènes, contemporaines des lésions du salarié, et concordantes avec celles-ci';

- où pour pouvoir caractériser un accident du travail, il suffit que le travail soit une cause de la survenance d'une pathologie sans qu'il ne soit exigé qu'il en soit la cause unique.

La contemporanéité de la reprise et des lésions psychologiques soudaines, les conditions pathogènes de cette reprise et l'état psychologiquement encore fragile du salarié le 19 mai 2014 constituent des présomptions graves, précises et concordantes que les conditions de reprises, qui sont des événements à date certaine intervenus à l'occasion du travail, ont causé une lésion corporelle soudaine.

La preuve de l'accident du travail survenu le 19 mai 2014 dont l'ampleur s'est révélée véritablement les jours suivants est donc rapportée, sans que puissent y faire obstacle la démonstration de l'absence de faute de l'employeur qui est inopérante et la déclaration tardive par le salarié de cet accident.

En conséquence, la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l'accident intervenue en raison du non respect des délais légaux par la CPAM de l'Isère est opposable à l'employeur.

IV - SUR LES DEMANDES ACCESSOIRES

Les dépens de la présente instance doivent être supportés - chacune par moitié - par la CPAM de L'Isère et la société Schneider Electric.

***

Il n'est pas inéquitable de débouter la CPAM et la société Schneider de leurs demandes respectives formées en application de l'article 700 du code de procédure civile.

PAR CES MOTIFS

La cour statuant publiquement, contradictoirement et en dernier ressort,

Rejette l'incident d'instance soulevé par la société Schneider Electric tiré de la péremption d'instance,

Confirme le jugement entrepris en ce qu'il a débouté de Monsieur [F] [J] de ses demandes formées du chef d'une faute inexcusable commise par la société Schneider Electric,

Infirme pour le surplus,

Et statuant à nouveau,

Dit que la CPAM de l'Isère a implicitement reconnu le caractère professionnel de l'accident survenu le 19 mai 2014 dont Monsieur [F] [J] a été victime,

Déclare opposable à la société Schneider Electric la reconnaissance implicite du caractère professionnel de l'accident survenu le 19 mai 2014 dont Monsieur [F] [J] a été victime,

Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,

Condamne la CPAM et de l'Isère et la société Schneider Electric aux dépens qui seront partagés par moitié entre elles.

Arrêt signé par Madame NICOLAS, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : Chambre sociale
Numéro d'arrêt : 17/02791
Date de la décision : 10/09/2020

Références :

Cour d'appel de Pau 3S, arrêt n°17/02791 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2020-09-10;17.02791 ?
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