JN/SB
Numéro 19/04686
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 28/11/2019
Dossier : N° RG 19/00305 - N° Portalis DBVV-V-B7D-HE7C
Nature affaire :
A.T.M.P. : demande d'un employeur contestant une décision d'une caisse
Affaire :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 1]
C/
Association AGES HELIO venant aux droits de l'Association INSTITUT HELIO MARIN
Grosse délivrée le
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 28 Novembre 2019, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 03 Octobre 2019, devant :
Madame NICOLAS, magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.
Madame NICOLAS, en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame DEL ARCO SALCEDO, Présidente
Madame NICOLAS, Conseiller
Monsieur LAJOURNADE, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
CAISSE PRIMAIRE D'ASSURANCE MALADIE [Localité 1]
[Adresse 1]
[Adresse 1]
Représentée par Maître SERRANO loco Maître BARNABA, avocat au barreau de PAU
INTIMEE :
Association AGES HELIO venant aux droits de l'Association INSTITUT HELIO MARIN
[Adresse 2]
[Adresse 2]
Représentée par Maître GASTINEAU, avocat au barreau de PARIS
sur appel de la décision
en date du 05 DECEMBRE 2018
rendue par le TRIBUNAL DES AFFAIRES DE SECURITE SOCIALE DE MONT DE MARSAN
RG numéro : 2016.0230
FAITS ET PROCÉDURE
Le 24 janvier 2014, l'association Institut Hélio Marin, se présentant selon dernières conclusions sous la dénomination association Ages Helio, (l'employeur), a établi une déclaration d'accident de travail concernant une salariée : Mme [S] (la salariée), pour des faits survenus le 11 janvier 2014.
Le 10 mars 2014, après instruction contradictoire, l'organisme social (CPAM) a notifié à l'employeur, la prise en charge de l'accident au titre de la législation professionnelle.
Le 2 novembre 2015, la salariée a déclaré une nouvelle lésion (cervicalgies), qui a fait l'objet d'un refus de prise en charge par l'organisme social notifié à l'employeur le 23 novembre 2015.
L'employeur a contesté le caractère professionnel des arrêts de travail délivrés à la salariée dans les suites de son accident du 11 janvier 2014, ainsi qu'il suit :
-le 22 février 2016, devant la commission de recours amiable, laquelle par décision du 8 mars 2016, a rejeté la contestation,
-le 23 mars 2016, devant le tribunal des affaires de sécurité sociale de Mont-de-Marsan, lequel, par jugement du 5 décembre 2018, a ordonné avant-dire droit, une expertise médicale judiciaire sur pièces confiées au Dr [R] [B].
Par lettre recommandée avec accusé de réception transmise au greffe de la cour le 25 janvier 2019, l'organisme social a interjeté appel de cette décision, dans des conditions de régularité qui ne font l'objet d'aucune contestation.
Selon avis de convocation contenant calendrier de procédure, les parties ont été convoquées à l'audience de plaidoirie du 3 octobre 2019.
Dans l'intervalle :
-le 31 mars 2016, l'organisme social a alloué à la salariée consolidée, en réparation de l'accident du travail, un taux d'incapacité permanente fixé à 20 % à compter du 1er avril 2016,
-par jugement du 30 janvier 2018, le tribunal du contentieux de l'incapacité de Bordeaux, saisi par l'employeur, a ramené ce taux à 6 % dans le cadre des rapports entre l'employeur et l'organisme social.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon ses conclusions visées par le greffe le 25 avril 2019, auxquelles il est expressément renvoyé, et reprises oralement à l'audience de plaidoirie, la CPAM, appelante, conclut à l'infirmation du jugement déféré, et statuant à nouveau, conclut à la recevabilité de son appel, au débouté de l'employeur de l'ensemble de ses demandes, à la confirmation de la décision de la commission de recours amiable du 8 mars 2016, sollicitant que la décision de prise en charge au titre de la législation professionnelle, des prestations et soins servis à la salariée (Mme [S]), au titre de son accident du travail du 11 janvier 2014, soit jugée opposable à l'employeur.
Par ses conclusions visées par le greffe le 25 juin 2019, auxquelles il est expressément renvoyé, et reprises oralement à l'audience de plaidoirie, l'employeur, l'association Ages Helio, se présentant aux droits de l'association institut Helio Marin, intimé, conclut :
$gt; à titre principal, et au visa des articles 150, 544 et 272 du code de procédure civile, à l'irrecevabilité de l'appel, au motif que la CPAM n'a pas sollicité du premier président l'autorisation d'un tel appel, alors qu'il n'existe aucun motif grave et légitime au sens de ce texte,
$gt; à titre subsidiaire, à la confirmation du jugement déféré,
$gt; en toute hypothèse, à la condamnation de l'appelant à lui payer 1000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI LA COUR
Sur la recevabilité de l'appel
Les parties sont contraires sur les dispositions du code de procédure civile, relatives à l'appel du jugement déféré.
En effet, pour contester la recevabilité de l'appel, l'employeur, intimé, se prévaut des dispositions des articles 150, 544 et 272 du code de procédure civile, selon lesquelles :
Article 150 :
« La décision qui ordonne ou modifie une mesure d'instruction n'est pas susceptible d'opposition ; elle ne peut être frappée d'appel ou de pourvoi en cassation indépendamment du jugement sur le fond que dans les cas spécifiés par la loi.
Il en est de même de la décision qui refuse d'ordonner ou de modifier une mesure . »
Article 272, en sa version applicable à la cause (en vigueur jusqu' au 1er septembre 2017) :
« La décision ordonnant l'expertise peut être frappée d'appel indépendamment du jugement sur le fond sur autorisation du premier président de la cour d'appel s'il est justifié d'un motif grave et légitime.
La partie qui veut faire appel saisit le premier président qui statue en la forme des référés. L'assignation doit être délivrée dans le mois de la décision.
S'il fait droit à la demande, le premier président fixe le jour où l'affaire sera examinée par la cour, laquelle est saisie et statue comme en matière de procédure à jour fixe ou comme il est dit à l'article 948 selon le cas.
Si le jugement ordonnant l'expertise s'est également prononcé sur la compétence, la cour peut être saisie de la contestation sur la compétence alors même que les parties n'auraient pas formé contredit ».
Au vu de ces dispositions, et au visa de décisions jurisprudentielles, l'employeur conclut à l'irrecevabilité de l'appel, faisant valoir que :
$gt; le jugement déféré est un jugement avant-dire droit, à l'encontre duquel l'appel immédiat n'est pas recevable,
$gt; pour être permis, l'appel doit, sous peine d'irrecevabilité, faire l'objet, d'une autorisation préalable du premier président, dans les conditions de l'article 272 du code de procédure civile, et être justifié par un motif grave et légitime,
$gt; il manque pour que l'appel soit recevable, l'autorisation préalable du Premier président, de même que la justification d'un motif grave et légitime.
Au contraire, l'appelante, au visa de la jurisprudence, tant de la Cour de Cassation que de la présente cour, pour conclure à la recevabilité de son appel, soutient que le premier juge, en ordonnant l'expertise, a tranché une partie du fond du dossier, en écartant ses moyens tenant à l'application de la présomption d'imputabilité au travail les arrêts et soins subséquents à l'accident du travail, lesquels, s'ils avaient été retenus, rendaient inutile la mesure d'instruction.
En conséquence, au soutien de sa position, elle se prévaut de l'application des dispositions de l'article 544 alinéa premier du code de procédure civile, selon lesquelles :
« Les jugements qui tranchent dans leur dispositif une partie du principal et ordonnent une mesure d'instruction ou une mesure provisoire peuvent être immédiatement frappés d'appel comme les jugements qui tranchent tout le principal ».
Elle fait en outre valoir, que conformément à son analyse, la lettre de notification de la décision déférée, portait bien la mention que « cette décision est susceptible d'appel ».
Contrairement à ce que soutient l'organisme social, le premier juge n'a pas écarté la présomption d'imputabilité posée par les dispositions de l'article L411-1 du code de la sécurité sociale.
En effet et au contraire, par des motifs explicites détaillés en page trois de la décision, il a expressément jugé que « la présomption d'imputabilité de l'accident au travail est donc acquise à Mme [F] [S] », même s'il a omis de préciser ce point au dispositif de sa décision .
Par ailleurs, au vu des éléments médicaux produits par l'employeur, révélant chez la salariée, un état antérieur, et compte tenu des lésions initiales, le premier juge a estimé légitime l'interrogation de l'employeur, quant à l'imputabilité à l'accident du travail, de la prolongation des arrêts de travail sur une période de plus de deux ans, et a en conséquence ordonné la mesure d'expertise médicale contestée.
Au vu de ces éléments, il est établi que la décision d'ordonner l'expertise médicale, a été prise après avoir tranché la question de l'application de la présomption d'imputabilité.
En conséquence, la décision déférée ordonnant une expertise médicale, tranche une question touchant au fond du droit, et est susceptible d'un recours immédiat.
L'exception tendant à déclarer l'appel irrecevable n'est pas fondée et sera rejetée .
Sur la contestation
Il s'évince des dispositions du jugement déféré, que la contestation portée devant le premier juge par l'employeur, concernait la prise en charge des arrêts et soins prescrits à la salariée après le 11 janvier 2014, date de l'accident du travail.
C'est au visa des éléments médicaux apportés par l'employeur, que le premier juge a estimé que l'employeur sollicitait légitimement le bénéfice d'une expertise judiciaire.
L'appelante, pour contester cette décision, s'appuyant sur de nombreux extraits de décision de jurisprudence, fait valoir en substance que :
- l'employeur n'a pas contesté la prise en charge de l'accident litigieux, au titre de la législation professionnelle,
-la présomption d'imputabilité dont bénéficie la salariée victime de l'accident du travail, s'étend pendant toute la durée de l'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de la victime,
-elle justifie, depuis le certificat médical du 24 janvier 2014, au vu duquel a été effectué la prise en charge, d'une continuité de soins jusqu'à la date de consolidation du 31 mars 2016,
-les certificats médicaux de prolongation ont été validés par le médecin-conseil à plusieurs reprises,
-l'employeur n'apporte pas la preuve d'une cause totalement étrangère à l'accident du travail,
-les éléments médicaux invoqués par l'employeur, et relatifs à un état antérieur, étaient connus de la caisse, et ont fait l'objet d'un refus de prise en charge,
-la demande d'expertise, constitue l'aveu que l'employeur ne détient aucun élément lui permettant de combattre la présomption d'imputabilité.
L'employeur, pour solliciter la confirmation de la décision déférée en ce qu'elle a ordonné une expertise médicale judiciaire, fait valoir que la salariée souffre d'importants états antérieurs révélés dans le cadre de la procédure contentieuse relative à l'incapacité de la salariée, au vu desquels le taux d'incapacité permanente de 20 % a été ramené à celui de 6 %, par le tribunal du contentieux de l'incapacité de Bordeaux, et estime en justifier par la production du rapport médical du médecin désigné par cette juridiction.
Il convient de départager les parties.
Au cas particulier, l'employeur n'a pas contesté et ne conteste pas la prise en charge de l'accident du 11 janvier 2014 au titre de la législation professionnelle .
La présomption d'imputabilité au travail des lésions apparues à la suite d'un accident du travail, instituée par l'article L411-1 du code de la sécurité sociale, s'étend pendant toute la durée de l'incapacité de travail précédant soit la guérison complète, soit la consolidation de l'état de la victime.
Pour la combattre, il appartient à l'employeur de démontrer que les arrêts et soins prescrits au salarié après le 11 janvier 2014, objets de sa contestation, ont une cause étrangère au travail .
Au cas particulier, il ressort des éléments du dossier que :
-la déclaration d'accident du travail effectuée par l'employeur, relate les explications de la salariée victime de l'accident du travail, en précisant qu'à l'occasion de la toilette d'un résident, « en voulant mettre la résidente sur la chaise percée avec ma collègue, la résidente a voulu me pincer, je me suis contractée et j'ai ressenti une vive douleur au bras »,
- l'accident du travail, survenu sans contestation le 11 janvier 2014, n'a donné lieu à constatation médicale que le 24 janvier 2014 , laquelle fait état de « douleur bras plus coude droit en décours effort manutention », ce même document, ayant été complété, par la précision de « épicondylite (mot illisible) droite plus douleur épaule droite avec impotence fonctionnelle »,
- ce premier certificat médical, a été suivi sans discontinuer, de multiples certificats médicaux de prolongation d'arrêt travail, jusqu'au 31 mars 2016, tous établis par le Docteur [W], omnipraticien,
-au titre de ces divers certificats médicaux de prolongation, celui du 27 janvier 2015, fait état d'une résection partielle du dernier centimètre de la clavicule droite, motif pour lequel 4 des 14 certificats médicaux de prolongation ultérieurs seront délivrés,
-le 2 novembre 2015, la salariée a déclaré une nouvelle lésion, que l'organisme social n'a pas jugée imputable à l'accident du travail, et a refusé de prendre en charge au titre de la législation professionnelle,
- le tribunal du contentieux de l'incapacité de Bordeaux, pour faire partiellement droit à la contestation de l'employeur, quant au taux d'incapacité permanente de la salariée imputable à l'accident du travail, a homologué les conclusions du médecin consultant,
-le rapport de ce médecin, après avoir rappelé les faits médicaux, le traitement, les documents présentés, indique que :
« Mme [S] se plaint de cervicalgies. Cet élément n'apparaît pas sur le certificat médical initial mis sur un certificat médical descriptif de lésions nouvelles. Un examen IRM du rachis cervical est effectué le 22 décembre 2014 soit 11 mois après les faits. Il existe une cervicarthrose qui ne peut être une conséquence directe de l'accident du travail mais d'un état antérieur évoluant pour son propre compte.
Un électromyogramme est réalisé le 22 mars 2015 soit 14 mois après les faits. Les conclusions du neurologue sont en faveur d'un étirement mineur du plexus brachial. Au vu des circonstances de l'accident, il n'est pas noté de mouvements entraînant un étirement. La première échographie de l'épaule droite est non datée. On pourrait supposer qu'elle est du 3 février 2014 (comme le coude) mais sans pouvoir l'affirmer. Il est fait mention d'une ostéo arthropathie acromioclaviculaire avec épanchement avec tendons normaux et sans bursite.
L'atteinte acromioclaviculaire correspond à un état antérieur ne pouvant se développer en trois semaines.
L'examen clinique permet de retrouver une gêne fonctionnelle douloureuse du coude, une diminution de la force de serrage de la main. La limitation de l'épaule correspond à l'état antérieur. L'accident peut avoir dolorisé cet état ».
Au vu de ces éléments, le premier juge doit être confirmé, en ce qu'il a retenu que la présomption d'imputabilité est acquise.
La question qui demeure, consiste à déterminer si les éléments apportés par l'employeur, sont de nature à justifier une mesure d'expertise judiciaire.
À ce titre, il convient d'observer que si le rapport médical invoqué par l'employeur, établit l'existence chez la salariée d'un état antérieur évoluant pour son propre compte, c'est seulement pour minorer le taux d'incapacité permanente en lien avec l'accident du travail.
En effet, il ne remet nullement en cause la date de consolidation des blessures au 31 mars 2016, puisqu'au contraire, il conclut également à une consolidation au 31 mars 2016.
Par ailleurs, et nonobstant la constatation d'un état existant, il n'exclut nullement le lien de causalité directe, entre l'accident du travail et la révélation de l'état pathologique antérieur, puisqu'au contraire, il indique qu'il a pu le « doloriser ».
Il s'en déduit que l'employeur l'invoque en vain, pour combattre la présomption d'imputabilité.
Il en va de même du mémoire établi à la demande de l'employeur par le Docteur [Y], établi sur pièces, et qui n'ajoute rien au précédent.
Il s'en déduit que les éléments produits par l'employeur, ne sont pas de nature à combattre la présomption d'imputabilité au travail des soins prescrits à la salariée du 11 janvier 2014, au 31 mars 2016.
Les contestations de l'employeur à ce titre, ne sont pas fondées, et doivent être rejetées sans nécessité d'expertise préalable.
Le premier juge sera infirmé.
L'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile, au bénéfice de l'employeur, qui succombe.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Rejette l'exception d'irrecevabilité de l'appel,
Infirme le jugement du tribunal des affaires de sécurité sociale [Localité 1], siégeant au tribunal d'instance de Mont-de-Marsan, en date du 5 décembre 2018,
Et statuant à nouveau,
Déboutant l'employeur, l'association Ages Helio, se présentant aux droits de l'association Institut Helio Marin, de sa contestation, et confirmant la décision de la commission de recours amiable du 8 mars 2016,
Déclare opposables à l'employeur, l'association Ages Helio, se présentant aux droits de l'association Institut Helio Marin, les arrêts de travail et soins prescrits à Mme [S] au titre de l'accident du travail du 11 janvier 2014, à compter du 11 janvier 2014 et jusqu'au 31 mars 2016,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne l'employeur, l'association Ages Helio, se présentant aux droits de l'association Institut Helio Marin, aux dépens.
Arrêt signé par Madame DEL ARCO SALCEDO, Présidente, et par Madame LAUBIE, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,