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17/01/2019 | FRANCE | N°17/02168

France | France, Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 17 janvier 2019, 17/02168


VS/CS



Numéro 19/209





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 17/01/2019







Dossier : N° RG 17/02168 - N° Portalis DBVV-V-B7B-GSWC



Nature affaire :



Demande en exécution ou en dommages-intérêts pour mauvaise exécution d'un contrat non qualifié















Affaire :



SA ENEDIS

SARL SOLAND





C/



SA ENEDIS

SARL SOLAND





































Grosse délivrée le :

à











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T



Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 janvier 2019, les parties en ayant été préalablemen...

VS/CS

Numéro 19/209

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1

ARRET DU 17/01/2019

Dossier : N° RG 17/02168 - N° Portalis DBVV-V-B7B-GSWC

Nature affaire :

Demande en exécution ou en dommages-intérêts pour mauvaise exécution d'un contrat non qualifié

Affaire :

SA ENEDIS

SARL SOLAND

C/

SA ENEDIS

SARL SOLAND

Grosse délivrée le :

à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 17 janvier 2019, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 16 octobre 2018, devant :

Valérie X..., magistrat chargé du rapport,

assisté de Mme SIX, Greffière présente à l'appel des causes,

Valérie X..., en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries, en présence de Marc Y... et en a rendu compte à la Cour composée de :

Madame Valérie X..., Président

Monsieur Marc Y..., Conseiller

Monsieur Philippe DARRACQ, Conseiller

qui en ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANTE et INTIMEE

SA ENEDIS agissant poursuites et diligences de ses représentants légaux domiciliés, en cette qualité, au siège de la société, anciennement dénommée ERDF

[...] LA DEFENSE

Représentée par Me Sophie Z... de la SELARL SELARL LEXAVOUE, avocat au barreau de Pau

Assistée de Me Michel A..., avocat au barreau de Paris

INTIMEE et APPELANTE :

SARL SOLAND prise en la personne de son représentant légal domicilié [...]

Représentée par Me Alexa B... de la SELARL AQUI'LEX, avocat au barreau de Pau

Assistée de Me E..., avocat au barreau de Béziers

sur appel de la décision

en date du 19 MAI 2017

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE MONT DE MARSAN

Exposé des faits et procédure :

Le 31 août 2010, la Sarl Soland, qui a pour objet la production d'électricité d'origine renouvelée, a déposé un dossier auprès d'ERDF pour la mise en oeuvre d'une centrale photovoltaïque située à Solférino dans le cadre de la loi 2000-108 du 10 février 2000 de modernisation et de développement du service public de l'électricité.

Par décret du 09.12.2010, il a été décidé que les dossiers n'ayant pas fait l'objet d'une acceptation avant le 10.12.2010 étaient éliminés, qu'un nouveau dossier devait être déposé sur la base d'un nouvel arrêté fixant un nouveau tarif de rachat de l'électricité photovoltaïque, arrêté du 04.03.2011 faisant chuter le prix de l'électricité racheté de 0.50 € à 0.28 € et interdisant toute centrale de plus de 100 kWc sans appel d'offre préalable.

La Sarl Soland a reproché à ERDF d'avoir failli à son obligation d'instruire sa demande et de lui faire une proposition de raccordement dans les délais requis, engageant à ce titre sa responsabilité.

Par exploit en date du 13.07.2015 de Me C..., huissier de justice à Nanterre, la Sarl Soland dont le siège social est [...], a assigné la SA Electricité Réseau Distribution France (ERDF), sise [...], aux fins de :

- condamner ERDF à lui payer la somme de 123.702 €, outre intérêts de droit à compter de l'assignation

- condamner ERDF à lui payer la somme de 3.000 € au titre de l'art 700 du cpc, ainsi que les entiers dépens

- ordonner l'exécution provisoire de la décision à intervenir.

Par jugement en date du 16.12.2016, le tribunal de commerce de Mont de Marsan a rejeté la demande de sursis à statuer d'ERDF- devenue Enedis- sollicitée dans l'attente de la réponse de la CJUE à la question posée par la Cour d'appel de Versailles, estimant que le résultat de cette prétendue question préjudicielle n'avait aucune incidence sur la présente affaire.

Par jugement en date du 19 mai 2017 ([...]), le tribunal de commerce de Mont de Marsan a :

- débouté Enedis, anciennement ERDF, de sa demande de sursis à statuer dans l'attente de l'arrêt de la cour d'appel de Pau sur l'appel-nullitéformé sur le jugement du 16.12.2016 que de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles sur la tierce opposition

Vu l'art 1382 du code civil,

- condamné Enedis, anciennement ERDF, à payer à la Sarl Soland la somme forfaitaire de 10.000 € au titre du préjudice subi, outre intérêts de droit à compter du 13.07.2015, date de l'assignation

- condamné Enedis à payer à la Sarl Soland la somme de 5.000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile ( cpc)

- ordonné l'exécution provisoire du présent jugement nonobstant appel et sans caution sauf en ce qui concerne l'article 700 du cpc

- condamné Enedis aux entiers dépens, en ce compris les frais de l'instance liquidés à la somme de 140,40 € TTC

- débouté les parties du surplus de leurs prétentions devenues inutiles ou mal fondées.

Par déclaration en date du 9 juin 2017, la SA Enedis, anciennement ERDF, a relevé appel du jugement. (RG 17-02168).

Par déclaration en date du 16 juin 2017, la Sarl soland a relevé appel du jugement.(RG 17-02242).

Par ordonnance du 17 janvier 2018, le magistrat chargé de la mise en état a ordonné la jonction des deux instances sous le numéro de RG 17-02168.

La clôture est intervenue le 8 octobre 2018.

Prétentions et moyens des parties:

Vu les conclusions notifiées le 4 octobre 2018 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la SA Enedis anciennement ERDF demandant, au visa des articles 1382 et 1383 du code civil, de :

- rejeter l'appel formé par Soland à l'encontre du jugement rendu le 19 mai 2017 par le tribunal de commerce de Mont-de-Marsan.

- infirmer le jugement rendu le 19 mai 2017 par le tribunal de commerce de Mont-de-Marsan en tant qu'il a partiellement fait droit aux demandes de Soland.

En conséquence,

- débouter Soland de l'intégralité de ses demandes.

En tout état de cause :

- condamner Soland à payer à Enedis la somme de 10.000 euros sur le fondement des dispositions de l'article 700 du cpc ;

- condamner Soland aux entiers dépens de l'instance avec recouvrement au profit de Maître Sophie Z..., SELARL Lexavoué Pau-Toulouse, conformément aux dispositions de l'article 699 du cpc.

Vu les conclusions notifiées le 11 septembre 2018 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, de la Sarl Soland demandant, au visa de la loi n° 2000-108 du 10 février 2000, le décret n° 2000-877 du 7septembre 2000, le décret n° 2003-229 du 13 mars 2003, l'arrêté du 17 mars 2003, le décret n° 2003-588 du 27 juin 2003, le décret n° 2006-1731 du 23 décembre 2006, le décret n° 2007-1280 du 28 août 2007, le décret n° 2007-1826 du 24décembre2007, le décret n° 2008-386 du 23 avril 2008, la délibération de la CRE du 9 juin 2009 et la décision de l'autorité de la concurrence du 14 février 2013, des articles 9 et 668 du cpc, 1240 du code civil, anciennement 1382, 1190 du code civil anciennement 1162,

- Jugeant que la directive 2009/28/CE lue en combinaison avec les articles 107, 3° b, c et e, et 109 du TFUE exclut l'incompatibilité de l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Jugeant que, par application de l'article 10 du règlement n° 659/1999 du 22mars1999 du Conseil de l'Union Européenne, la Commission de Bruxelles a validé l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Jugeant que le propre de la responsabilité civile est de replacer la victime dans la situation qui aurait été la sienne si la faute n'avait pas été commise et, par voie de conséquence, en l'absence d'annulation des contrats en cours, que la concluante aurait obtenu un contrat d'achat insusceptible d'être remis en cause,

- Jugeant que par sa validation législative du 12 juillet 2010, l'arrêté du 12janvier2010 n'a plus le caractère réglementaire,

- Jugeant l'impossibilité pour le tribunal de commerce puis la Cour de céans de remettre en cause une disposition législative,

- Jugeant l'absence de démonstration de la réunion des trois critères de l'aide d'Etat exclus par la CJUE au visa de l'article 9 du cpc,

- Constatant que ERDF comme ses assureurs n'invoquent pas que les contrats en cours soient annulables,

- Jugeant que même une illégalité de l'arrêté ne peut avoir pour effet de remettre les contrats conclus en cause et que le contrat d'achat aurait nécessairement été conclu en 2011 sans difficulté puisque l'arrêté du 12 janvier 2010 ne fait l'objet d'aucun recours et qu'il est définitif,

- Jugeant que même dans l'hypothèse d'une invalidation de l'arrêté du 12janvier2010, celle-ci ne peut être rétroactive au vu de la jurisprudence de la CJUE et du nombre de contrats impactés,

- En tout état de cause, jugeant la conformité avec le droit européen de l'aide d'Etat apportée aux énergies renouvelables et au secteur photovoltaïque en particulier excluant que l'arrêté du 12 janvier 2010 puisse être invalidé, même s'il devait être considéré comme une aide d'Etat et avait organisé la CSPE,

- Jugeant que la notification d'un arrêté vise uniquement à permettre le contrôle de sa compatibilité avec le Droit communautaire mais que seule l'incompatibilité avec ce Droit est susceptible d'entraîner l'illicéité de la demande,

- Constatant que la demande ne consiste pas à obtenir un contrat d'achat en application de l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Constatant que si l'arrêté du 12 janvier 2010 devait être écarté, l'arrêté du 10juillet2006 s'appliquerait avec un tarif de 60,176 cts/kWh en lieu et place des 42 ou 50 cts revendiqués,

- Jugeant la faute d'ERDF consistant en l'absence de transmission dans le délai réglementaire de trois mois d'une proposition technique et financière et en la violation de l'obligation d'instruction des dossiers de manière non-discriminatoire,

- Jugeant l'existence du lien de causalité aussi bien sur la causalité adéquate que sur l'équivalence des conditions,

- Constatant l'absence d'une quelconque pièce venant démontrer l'augmentation prétendue par la seule ERDF des demandes de raccordements durant la dernière semaine d'août 2010,

- Rappelant que nul ne peut se constituer de preuve à soi-même et qu'il appartenait donc à ERDF de produire la file d'attente des dossiers de demande de raccordement,

- Jugeant qu'ERDF est soumise à une obligation de résultat par l'absence d'aléa sur la réalisation de sa prestation et que ceci entraîne l'existence du lien de causalité,

- Constatant qu'ERDF n'a pas même respecté une obligation de moyen en embauchant uniquement 18 intérimaires à l'automne 2010 alors que la période était prétendument critique,

- Constatant la parfaite connaissance par ERDF du problème des retards dans le traitement des demandes de raccordement excluant toute imprévisibilité et toute extériorité, et par voie de conséquence toute force majeure,

- Constatant la baisse très importante des demandes de raccordement en soutirage et l'application de la même documentation technique aux demandes de raccordement en injection, excluant toute irrésistibilité, et par voie de conséquence toute force majeure,

- Constatant l'aveu d'ERDF devant l'Autorité de la concurrence de ne pas avoir traité les dossiers dans l'ordre chronologique, fait constitutif de discrimination,

- Jugeant qu'il est démontré qu'il était possible de se déplacer dans les locaux d'ERDF pour retourner sa PTF acceptée le mercredi 1er décembre 2010, et confirmant ainsi le lien de causalité,

- Jugeant l'inapplicabilité du moratoire du fait de la faible puissance de la centrale,

- Rejeter toute conséquence du défaut de notification de l'arrêté du 12 janvier 2010,

- Rejeter l'argument de l'illégitimité et de l'illicéité de la demande,

- Confirmer le jugement en ce qu'il a retenu la faute commise par ERDF et la responsabilité de celle-ci,

- Constatant la pérennité du tarif d'achat et la fiabilité de la technologie photovoltaïque,

- Constatant la fiabilité des prévisions de production d'énergie par la transmission de pièces afférentes à plusieurs dizaines de centrales en fonctionnement,

- Jugeant que la jurisprudence indemnise dans une telle hypothèse (contrat d'achat obligatoire à un tarif connu pour une durée déterminée) la perte de marge sur le contrat perdu,

- Constatant que même l'application de la théorie de la perte de chance aboutit à l'indemnisation de près de 100% de la perte de marge,

- Infirmer partiellement le jugement en ce qu'il a limité le quantum de l'indemnisation à une quote-part du préjudice démontré,

- Par voie de conséquence, condamner ERDF devenue ENEDIS à payer à la Sarl soland une indemnité sur la base de la somme de 123 702 € outre intérêts au taux légal à compter de l'assignation,

- A titre subsidiaire, si la méthode de la VAN (valeur actualisée nette) devait être retenue, condamner ERDF devenue ENEDIS à payer à SOLAND une indemnité sur la base de la somme de 261 730 €,

- Jugeant qu'en tout état de cause, si l'arrêté du 12 janvier 2010 ne pouvait servir de base au calcul de l'indemnisation, la Cour peut valablement l'évaluer à titre forfaitaire et non plus consécutivement au calcul lié à l'arrêté, à la somme de 123 702 € et condamner ENEDIS sur la base de ce montant,

- Condamner en outre ERDF devenue ENEDIS au paiement de la somme de 10.000€ au titre de l'article 700 du cpc. ainsi qu'aux entiers dépens, distraits au profit de Maître Alexa B... .

Motifs de la décision :

Le Président n'ayant pas autorisé à l'audience le dépôt de note en délibéré en application de l'article 445 du cpc, les pièces produites à l'appui de cette note sont irrecevables.

En cause d'appel, les parties s'entendent sur le fait d'une part que ERDF a reçu le 31août 2010 le dossier de la Sarl soland de demande de raccordement qui devait faire l'objet d'une proposition de raccordement (PDR) dans un délai de 6 semaines, soit au plus tard le 14 octobre 2010, et d'autre part que la PDR n'a été formulée que le 2 décembre 2010, et acceptée dès le 6 décembre 2010.

Le dossier n'a donc pas été instruit dans les délais par ERDF, devenue Enedis.

La Sarl soland estime avoir subi un préjudice en lien direct avec la faute ainsi commise par ERDF.

Par ailleurs, la Sarl soland reproche à ERDF de ne pas avoir respecté l'obligation d'égalité de traitement des dossiers en faisant passer en priorité des dossiers avant le sien, notamment celui de la société Hélios production déclaré complet le 28octobre2010 pour le 1er décembre 2010 (pièce 44) et celui du D... Coatyliven, dossier complet au 31 août 2010 et obtention de la PTF dès le 23 novembre 2010 (pièce 50).

La Sarl soland considère avoir subi un préjudice direct lié à cette faute qui est la perte de chance de bénéficier du tarif d'électricité antérieur à celui fixé par arrêté du 4mars2011 pour une durée prévisible du contrat de 20 ans.

De son coté, la société Enedis conteste le lien de causalité entre les fautes dénoncées et le préjudice allégué dès lors que la Sarl soland n'avait matériellement pas le temps d'adresser les documents avant le 2 décembre 2010 pour bénéficier des tarifs photovoltaïques en vigueur avant le moratoire.

De plus, la société Enedis oppose la théorie de la causalité adéquate du dommage en matière de responsabilité délictuelle, le fait fautif devant être déterminant dans l'apparition du préjudice. Elle invoque l'intervention du gouvernement qui, par l'introduction du décret du 9 décembre 2010, a institué un moratoire sur l'obligation d'achat d'électricité produite par les centrales photovoltaïques et la baisse subséquente des tarifs de rachat d'électricité ce qui a bouleversé les critères à prendre en compte pour déterminer les tarifs applicables. Or, la société Enedis n'est pas à l'origine d'une telle modification réglementaires et notamment du fait que le nouveau régime tarifaire soit moins favorable que le précédent.

Enfin, la société Enedis rappelle que la Cour de cassation conditionne l'indemnisation d'un préjudice à sa licéité et elle l'applique notamment aux aides illicites d'Etat incompatibles avec les règles de droit européen.

Elle se prévaut de l'illicéité de l'arrêté du 12 janvier 2010, considéré comme une aide d'Etat, arrêté qui n'a pas été notifié à la Commission européenne préalablement à sa mise en oeuvre comme cela résulte d'une réponse ministérielle publiée au Journal Officiel du 27 septembre 2016, ce qui rend illicite l'arrêté du 12 janvier 2010, fondement de la demande indemnitaire de la Sarl soland.

Elle rappelle de surcroît, que les opérateurs économiques n'ont pas de droit acquis au maintien des réglementations et qu'ainsi dans le secteur éolien, les producteurs d'électricité se sont vus obligés de rembourser une partie non négligeable des montants perçus au titre de l'obligation d'achat à la suite de l'annulation des tarifs de rachat de novembre et décembre 2008 par arrêt du Conseil d'Etat du 28novembre2014 pour aide d'Etat illégale à la suite de l'arrêt de la CJUE du 19décembre 2013.

La faute de la société ERDF n'est pas contestée concernant le retard de la réponse apportée à la Sarl soland.

Toutefois et sans avoir à examiner les autres fautes alléguées liées notamment au traitement discriminatoire des dossiers de demande de raccordement pour rachat de l'électricité, l'illicéité du préjudice revendiqué lié à ces fautes est une question préalable et dirimante.

Comme le relève à bon droit la société Enedis, il a été jugé qu'une victime ne peut obtenir la réparation de la perte de ses rémunérations que si celles-ci sont licites.

Contrairement aux affirmations de la Sarl Soland, le moyen de la société Enedis est recevable en dehors de toute demande d'annulation du contrat d'achat d'électricité dès lors qu'elle soulève l'illicéité du préjudice fondé sur un arrêté illicite au regard du droit européen.

Le préjudice allégué est tiré du fait que la Sarl soland n'a pas pu bénéficier des avantages tarifaires de rachat de l'électricité fixés par l'arrêté du 12 janvier 2010, voire de ceux du 10 juillet 2006, en raison du moratoire imposé par le gouvernement sur le principe du rachat de l'électricité par décret du 9 décembre 2010.

Le préjudice allégué découle donc du changement du prix de rachat de l'électricité car si le gouvernement n'avait pas modifié les tarifs de rachat, le préjudice allégué serait inexistant. Contrairement aux affirmations de la Sarl Soland, il est dès lors impossible d'évaluer le préjudice allégué sans se référer aux arrêtés litigieux fixant les tarifs de rachat d'électricité.

Pour écarter le moyen de l'illiceité du préjudice comme rédhibitoire, la Sarl Soland se prévaut encore de deux arrêts du Conseil d'Etat des 15 avril 2016 et 7 juin 2017 qui précisent d'une part que l'illégalité n'entraîne pas à elle seule le remboursement d'une aide d'Etat mais uniquement celui des intérêts que les producteurs auraient dû acquitter en empruntant sur le marché bancaire et d'autre part, que la remise en cause de l'action indemnitaire n'est fondée que si l'illégalité et l'incompatibilité de l'acte avec le traité sur le fonctionnement de l'Union européenne sont réunies.

Toutefois, le caractère illicite des tarifs de rachat d'électricité pratiqués avant 2011, sans avoir respecté les dispositions du traité de fonctionnement de l'union européenne, conduira, dans la logique du droit européen, à rembourser si ce n'est une partie des avantages indus par ses bénéficiaires, à tout le moins les intérêts qu'ils auraient dû verser en empruntant sur le marché bancaire, et ce d'autant plus que la Cour des comptes a considéré dans un rapport public de juillet 2013 que «la situation qu'a connue la filière solaire photovoltaïque durant la période 2010 à 2011 a été qualifiée par certains de «bulle» photovoltaïque provoquée par une déconnexion entre les tarifs d'achat et la réalité des coûts» de production, phénomène qui n'était certes pas propre à la France dans l'Union européenne mais que la Cour des comptes dénonce comme significatif.

De plus, si le dispositif d'aide des producteurs d'électricité d'énergie photovoltaïque mis en place est illégal pour ne pas avoir respecté les modalités de notification préalable des aides d'Etat à la Commission de Bruxelles, il est nécessairement incompatible avec le fonctionnement de l'Union européenne puisque l'article 107 §1 du TFUE déclare incompatibles avec le marché intérieur les aides qui faussent ou menacent de fausser la concurrence.

De surcroît, le seul fait que la Commission de Bruxelles ait eu connaissance du dispositif existant en 2010 à l'occasion de la notification de l'arrêté du 4 mars 2011 et des interrogations d'un député européen le 28 mars 2017, sans avoir déclenché d'enquête sur la période antérieure à 2011, est inopérant sur l'appréciation de la portée de l'illégalité et de l'incompatibilité du système dénoncé mis en place avant 2011, et ce, même si l'intimée constate, en produisant un simple communiqué de presse du 10 février 2017, que la Commission européenne a autorisé trois régimes français d'aides aux producteurs d'énergie solaire et hydroélectrique en France au regard des règles de l'Union européenne en matière d'aide d'Etat, puisqu'elle se fondait sur les seules aides notifiées en 2011.

En outre, dans ce communiqué, elle rappelle d'ailleurs qu'elle a «apprécié les trois régimes au regard des règles de l'UE en matière d'aide d'Etat, qui garantissent un recours limité aux fonds publics et l'absence de surcompensation». Elle a donc vérifié à partir de 2011 le défaut de surcompensation du dispositif d'aide.

Enfin, le fait que la société EDF, qui n'engage que sa seule responsabilité au titre des contrats de rachat d'électricité souscrits auprès d'elle, ait, par communiqué de presse en juillet 2018, indiqué que les contrats signés en vertu des arrêtés de 2006 et 2010 continueront d'être honorés, ne signifie pas que les bénéficiaires de ces contrats n'auront pas à rembourser une partie de l'aide consentie pour les avantages incompatibles avec le fonctionnement de l'Union européenne.

De même, le fait que la société EDF ait indiqué sur son site le 23 décembre 2016 qu'elle avait cédé une quote-part de sa créance sur l'Etat issue de la CSPE (créance des charges de service public de l'énergie) pour 1,542 milliard d'euros à raison du déficit de compensation de la CSPE jusqu'au 31 décembre 2015 est sans incidence sur l'appréciation de l'illégalité ou de l'incompatibilité du dispositif mis en place avant 2011.

S'agissant de l'illicéité du préjudice, que soulève la société Enedis, la cour doit donc répondre aux exigences posées par la CJUE.

En effet, en réponse à une question préjudicielle sollicitée par la société Enedis auprès de la cour d'appel de Versailles, pour répondre à l'interrogation sur la licéité de l'arrêté du 12 janvier 2010 quant à son caractère d'aide d'Etat du dispositif mis en place, la CJUE par ordonnance du 15 mars 2017, a rappelé qu'une aide d'Etat doit répondre à 4 critères en application de l'article 107§1 du Traité de fonctionnement de l'union européenne (TFUE) : une intervention de l'Etat ou au moyen de ressources d'Etat ; cette intervention doit être susceptible d'affecter les échanges entre les Etats membres ; elle accorde un avantage sélectif à son bénéficiaire ; elle fausse ou menace de fausser la concurrence dans le marché intérieur.

La CJUE a précisé que le premier critère était rempli par le mécanisme mis en place et devait être analysé comme une intervention de l'Etat et a indiqué qu'il appartenait aux juridictions nationales de préciser si les trois autres critères étaient remplis pour caractériser une aide d'Etat.

S'agissant de l'interprétation de l'article 108 §3 du TFUE, la CJUE a décidé qu'une aide d'Etat non soumise à la Commission européenne est illégale et a dit, que les juridictions nationales devaient tirer toutes les conséquences de cette illégalité notamment sur la validation des actes d'exécution de cette mesure.

Il appartient à la cour de se prononcer sur les 3 autres critères.

Sur le 2ème critère, la société Enedis fait valoir à bon droit que la mesure en cause est susceptible d'affecter les échanges entre les Etats membres dès lors que les producteurs d'énergie opèrent sur un marché libéralisé au niveau européen caractérisé par des échanges transfrontaliers et notamment par des contrats d'achat et de vente conclus entre Etats membres. Le 2ème critère de l'aide d'Etat est donc rempli.

S'agissant du 3ème critère sur l'avantage sélectif donné au bénéficiaire de la mesure, il est également rempli puisque les producteurs d'énergie solaire ont une activité spécifique qui est ciblée comme catégorie à avantager économiquement dans le dispositif.

Enfin, le 4ème critère est logiquement rempli puisque le dispositif est une mesure d'aide accordant des avantages spécifiques et sélectifs à une catégorie d'acteurs économiques, les producteurs d'énergie solaire, dans un marché intérieur européen libéralisé ; ce dispositif est donc nécessairement de nature à fausser la concurrence à l'égard de sociétés concurrentes situées dans d'autres Etats membres et qui ne bénéficient pas d'un tel soutien.

D'ailleurs, la commission de Bruxelles, dans son communiqué du 10 février 2017, a bien précisé analyser un dispositif reposant sur des aides d'Etat ; ce qui était vrai après 2011, l'était nécessairement pour la période antérieure alors que l'avantage de compensation était plus important et a favorisé un développement excessif des centrales d'investissement photovoltaïques que le gouvernement a été dans l'obligation de réguler fin 2010.

L'arrêté du 12 janvier 2010 constitue donc bien une aide d'Etat au sens de l'article 107§1 du TFUE.

En application de l'article 108§3 du TFUE, l'aide d'Etat est soumise à une obligation de notification préalable à la Commission européenne

Le mécanisme résultant de l'arrêté du 12 janvier 2010 n'avait pas été notifié à la Commission de Bruxelles comme cela ressort de la réponse ministérielle publiée au JO du 27 septembre 2016 qui précisait que l'arrêté du 12 janvier 2010 avait été remplacé par l'arrêté du 4 mars 2011, qui a été présenté en décembre 2014 à la Commission européenne sans que celle-ci ait donné de suite depuis.

Après cette réponse ministérielle, le communiqué de la Commission de Bruxelles sus mentionné a donc été publié le 10 février 2017.

Le moyen soulevé par la Sarl Soland selon lequel une telle aide d'Etat n'avait pas à être notifiée à la Commission de Bruxelles en application du règlement communautaire du 6 août 2008, et précisément de l'article 23 du dit règlement, est désormais inopérant.

D'une part, cet article porte sur plusieurs critères des aides environnementales en faveur des investissements dans la promotion de l'énergie produite à partir de sources d'énergie renouvelables et notamment sur le seuil de 45% des coûts administratifs à ne pas dépasser.

D'autre part, le gouvernement a soumis à la Commission de Bruxelles l'arrêté du 4mars 2011, qui porte sur des tarifs de rachat beaucoup moins favorables pour l'investisseur et sur des conditions plus strictes que l'arrêté du 12 janvier 2010, et le communiqué de presse de la Commission de Bruxelles du 10 février 2017 considère qu'il s'agissait bien d'aides d'Etat à notifier puisqu'elle les a examinées et qualifiées comme telles et n'a pas indiqué qu'un tel dispositif était exempté de l'obligation de notification du dispositif.

Le dispositif litigieux mis en place avant le 4 mars 2011 ne relevait donc pas du régime de l'exemption de notification visé par l'article 23 du règlement européen.

Dès lors, l'arrêté litigieux du 12 janvier 2010 doit être considéré comme illicite au regard du droit de l'Union européenne et le juge national, garant de l'effectivité du droit européen, doit écarter l'application de l'arrêté illicite.

Le même raisonnement doit être tenu concernant l'arrêté précédent du 10 juillet 2006 qui ne peut donc servir de fondement subsidiaire à la demande d'indemnisation. La prescription décennale de toute action en remboursement des avantages consentis illégalement sur le fondement de cet arrêté n'est pas de nature à autoriser la réparation d'un préjudice fondé sur des tarifs illicites contrairement à ce qu'affirme la Sarl Soland.

Il convient d'infirmer le jugement et de débouter la Sarl Soland de ses demandes.

Eu égard à la situation respective des parties et au déroulement de la procédure avec évolution tardive des argumentations depuis l'assignation en juillet 2015, il convient de dire que les dépens de première instance et d'appel seront partagées par moitié entre les parties.

Chaque partie conservera la charge de ses frais irrépétibles de première instance et d'appel.

PAR CES MOTIFS :

La Cour, statuant publiquement , par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

- déclare irrecevables les notes en délibéré

- infirme le jugement

et statuant à nouveau,

- déboute la Sarl soland de ses demandes

- condamne chaque partie à prendre en charge la moitié des dépens de première instance et d'appel, avec distraction conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.

- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile.

Arrêt signé par Madame X..., Président, et par Mme SIX, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.

LA GREFFIÈRE,LE PRÉSIDENT,


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 2ème ch - section 1
Numéro d'arrêt : 17/02168
Date de la décision : 17/01/2019

Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2019-01-17;17.02168 ?
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