EL/CS
Numéro 18/4405
COUR D'APPEL DE PAU
2ème CH - Section 1
ARRÊT DU 23/11/2018
Dossier : N° RG 16/04438
Nature affaire :
Recours contre les décisions des commissions d'indemnisation de victimes
Affaire :
[P] [A], [Y] [A], [E] [A], [W] [F] épouse [A]
C/
Etablissement Public FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 23 novembre 2018, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience en chambre du conseil tenue le 15 Octobre 2018, devant :
Eric LEGRAND, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame SAYOUS, greffier présent à l'appel des causes,
Eric LEGRAND, en application des articles 786 et 907 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Monsieur LEGRAND, Président
Madame MORILLON, Conseiller
Adeline JANSON, Vice-président placé par ordonnance en date du 20 novembre 2017 ,
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTS :
Monsieur [P] [A]
né le [Date naissance 2] 1961 à [Localité 9]
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Monsieur [Y] [A]
né le [Date naissance 5] 1984 à [Localité 7] ([Localité 7])
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Madame [E] [A]
née le [Date naissance 1] 1987 à [Localité 7] ([Localité 7])
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Madame [W] [F] épouse [A]
née le [Date naissance 3] 1961 à [Localité 7] ([Localité 7])
de nationalité Française
[Adresse 4]
[Localité 7]
Représentés par Me Sarah DOUTE, avocat au barreau de Pau
Assistés par Me Yolanda MOLINA-UGARTE, avocat au barreau de Bayonne
INTIME :
Etablissement Public FONDS DE GARANTIE DES VICTIMES
[Adresse 6]
[Localité 8]
Représentée par Me Jacques BERNADET de la SCP BERNADET JACQUES, avocat au barreau de Pau
sur appel de la décision
en date du 25 NOVEMBRE 2016
rendue par le COMMISSION D'INDEMNISATION DES VICTIMES DE DOMMAGES RESULTANT D'UNE INFRACTION DE BAYONNE
Exposé des faits et procédure :
Le 25 juillet 2008, M [P] [A] a été victime d'un accident de la circulation en Espagne impliquant Mme [J] [G] et par acte du 03 novembre 2008, M [P] [A] a déposé plainte contre cette dernière pour infraction qualifiée de lésion avec imprudence prévue par l'article 621 du code pénal espagnol et l'article 147 du dit code.
Par acte du 22 juillet 2011, M [P] [A] a saisi la commission d'indemnisation des victimes du TGI de Bayonne afin de voir ordonner la liquidation de ses préjudices sur la base du rapport d'expertise existant.
Par acte du 22 juillet 2011, Mme [W] [F] épouse [A], a saisi la CIVI afin de se voir allouer à titre de dommages et intérêts la somme de 50 000 euros en réparation de son préjudice moral, des troubles occasionnées dans ses conditions de vie et de travail et de son préjudice sexuel sous le n° RG 11/00052.
Le même jour, Mme [E] [A] et M [Y] [A], enfants de la victime, ont saisi la CIVI afin de se voir allouer la somme de 5 000 euros en réparation de son préjudice moral sous les numéros RG n°11/00053 et 11/00054 .
Par jugement en date du 25 avril 2013, la CIVI a ordonné une expertise médicale et commis pour y procéder M. le docteur [H] [M], expert près la cour d'appel de Pau.
Ce dernier s'est adjoint le concours d'un sapiteur distinct de sa spécialité, à savoir M [S] [U], architecte, afin de recueillir de façon contradictoire un avis sur les aménagements techniques architecturaux du logement directement nécessités par le handicap de [P] [A].
Par jugement contradictoire du 25 novembre 2016, la CIVI a :
- ordonné la jonction des procédures enrôlées sous le n° RG 11/00052, n° 11/00053, n° 11/00054 à celle répertoriée sous le n° RG 11/00051
- déclaré irrecevable la requête de [P] [A], de [W] [F], de [E] [A] et de [Y] [A] en date du 22 juillet 2011.
- débouté les requérants de toutes demandes plus amples ou contraires ;
- dit que la présente décision devra être notifiée à Monsieur le Procureur de la République ;
- laisse les dépens à la charge de la direction Générale des finances publiques conformément aux dispositions des articles R. 91 et R. 92-15 du code de procédure pénale.
Par déclaration en date du 22 décembre 2016, les consorts [A] ont relevé appel de ce jugement.
La clôture est intervenue le 14 mars 2018.
Prétentions et moyens des parties :
Par conclusions notifiées le 10 novembre 2017 auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, M. [P] [A], Mme [W] [F] épouse [A], [Y] [A], [E] [A] demandent à la Cour de :
- réformer le jugement rendu le 25 novembre 2016 par la Commission d'Indemnisation des Victimes du tribunal de grande instance de Bayonne ;
- déclarer recevables leurs requêtes;
En conséquence,leur allouer les indemnités sollicitées, à savoir :
Monsieur [P] [A] :
I. Préjudice patrimoniaux
A. Préjudice patrimoniaux temporaires :
- dépenses de santé : 544,84 euros ;
- frais d'hospitalisation : 682,50 euros ;
- aide de vie avant consolidation : 23 674,00 euros
- aménagements salle de bain-WC : 3 081,45 euros
B. Préjudice patrimoniaux permanents après consolidation :
- aménagements immobiliers : 65 504,16 euros ;
- véhicule adapté : 47 648,00 euros :
- aide technique : fauteuil roulant et lit électrique : 16 752, 42 euros ;
- frais divers : entretien maison, jardin, véhicule : 13 608,00 euros ;
- assistance tierce personne : 171 890,91 euros ;
- perte de gains de futurs:1
'revenus à compter de janvier 2016 : 13 859,52 euros ;
'complémentaire santé : 11 813,13 euros ;
- incidence professionnelle :
'perte d'une chance de progression professionnelle : 20 000,00 euros ;
'indemnité conventionnelle de départ à la retraite : 6 256, 20 euros ;
'pertes autres avantages : 2 000,00 euros ;
'préjudice lié à la diminution des droits à la retraite :
régime général et ARRCO : 88 471,94 euros
retraite ARIAL : 15 358,91 euros
II. Préjudices extra-patrimoniaux
A. Préjudices extra-patrimoniaux temporaires :
- déficit fonctionnel temporaire total : 9 675,00 euros ;
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 75 %: 5 175,00 euros
- déficit fonctionnel temporaire partiel à 70 %: 8 190,00 euros
- souffrances physiques, psychiques e morales endurées : 60 000,00 euros ;
- préjudice esthétique temporaire : 8 000,00 euros ;
B. Préjudices extra-patrimoniaux permanents
- déficit fonctionnel permanent : 249 600,00 euros ;
- préjudice esthétique permanent : 15 000,00 euros ;
- préjudice d'agrément : 70 000,00 euros ;
- préjudice sexuel : 15 000,00 euros ;
-frais de traduction : 2 400,00 euros ;
- frais de défense : 4 000,00 euros ;
Sous déduction des provisions versées par AXA : 342 910,14 euros
2. Madame [W] [F] épouse [A] :
- préjudice moral, troubles dans ses conditions de vie et de travail préjudice sexuel : 50 000,00 euros ;
- frais de déplacement : 5 161,25 euros ;
3. Monsieur [Y] [A]
- préjudice moral: 5 000,00 euros ;
4. Madame [E] [A] :
- préjudice moral : 5 000,00 euros
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Par conclusions notifiées le 17 octobre 2017, auxquelles il est fait expressément référence pour l'énoncé du détail de l'argumentation, le Fonds de garantie demande à la Cour, à titre principal et au visa des articles 706-3 et 706-9 du Code de procédure pénale, de confirmer le jugement entrepris et, dès lors, de déclarer les requêtes des consorts [A] irrecevables pour les motifs retenus par le premier juge.
A titre subsidiaire, le Fonds de garantie demande à la Cour d'ordonner à M. [A] de produire aux débats l'intégralité de ses avis d'imposition pour les années 2008 à 2015 inclus, la déclaration des revenus 2015, un état actualisé de la créance de la CPAM, les débours actualisés de sa mutuelle et un récapitulatif des sommes versées par la MDPH depuis l'accident ;
A titre infiniment subsidiaire, le Fonds de garantie demande à la cour d'allouer à Monsieur [A] les sommes suivantes :
- dépenses de santé : 544,84 euros ;
- frais de télévision : 682,50 euros ;
- assistance par tierce personne : 176 196,00 euros (16276+142920)
- frais de logement adapté : 68 585,61 euros ;
- frais de véhicule adapté : 5 104,28 euros ;
- souffrances endurées : 40 000,00 euros ;
- préjudice esthétique temporaire : 2 500,00 euros ;
- préjudice esthétique permanent : 10 000,00 euros ;
- préjudice d'agrément : 30 000,00 euros ;
- préjudice sexuel : 10 000,00 euros ;
- gêne temporaire totale : 7 429,00 euros
- gêne temporaire partielle (75%) : 3 967,50 euros ;
- gêne temporaire partielle (70%) : 6 279,50 euros ;
- déficit fonctionnel permanent : 203 775,00 euros ;
- d'allouer à Mme [A] la somme de 22 000 euros au titre du préjudice d'affection outre la somme de 3 000 euros au titre des frais de déplacement ;
- d'allouer aux enfants [Y] et [E] [A] la somme de 5 000 euros chacun au titre du préjudice d'affection ;
- de débouter les requérants de toutes demandes plus amples ou contraires ;
- de juger que les dépens seront à la charge de l'état.
Motifs de la décision :
Sur la jonction des instances:
Le jugement frappé d'appel sera confirmé sur ce point comme ayant justement retenu qu'il est d'une bonne administration de la justice de les instruire et de les juger ensemble.
Sur la recevabilité:
Le jugement du 25 avril 2013 ayant ordonné expertise médicale, jugement avant dire droit, n'a pas autorité de la chose jugée et il ne peut être considéré qu'il a statué sur les conditions d'application de l'article 706-3 du code de procédure pénale.
Il appartient donc à la Cour de statuer sur ce point essentiel.
M. [A], a été victime d'un accident corporel de la circulation routière en Espagne qui ne ressort pas des dispositions de la loi française du 5 juillet 1985 mais de la Loi espagnole en application des dispositions de l'article 3 de la Convention de la Haye du 4 mai 1971 qui pose le principe de l'application de la loi interne de l'Etat sur le territoire duquel l'accident est survenu.
La loi espagnole est, ici, applicable à raison du fait qu'était impliqué dans l'accident dont M. [A] a été victime, un véhicule immatriculé en Espagne.
Du fait de cet accident intervenu en Espagne et dans ces conditions, M. [A] ne peut bénéficier des dispositions favorables de la loi française du 5 juillet 1985 mais se trouve assujetti à celles, moins favorables ou du moins différentes, de la loi espagnole.
Or, les dispositions de l'article 706-3 du CPP trouvent à s'appliquer dès lors que la Loi du 5 juillet 1985 n'est pas rendue applicable par la Convention de la Haye du 4 mai 1971.
Le jugement entrepris sera donc infirmé en ce sens que la requête des consorts [A] sera déclarée recevable.
Sur les demandes d'indemnisation:
Au regard du montant des sommes réclamées, poste pour poste, par M. [A], il sera logiquement demandé à celui-ci, qui sollicite la mise en oeuvre de la solidarité nationale, de justifier, d'une part, de ses revenus déclarés par production de ses avis d'imposition pour les années 2008 à 2015 inclus et de sa déclaration des revenus 2015, et d'autre part, des sommes perçues et des débours des organismes sociaux par la production d'un état actualisé de la créance de la CPAM, d'un état des débours actualisés de sa mutuelle médicale et d'un état récapitulatif des sommes versées par la MDPH depuis l'accident.
Dans l'attente de la production de ces éléments, la Cour ordonnera sursis à statuer sur ses demandes.
Il peut, par contre, être statué sur les demandes formées par Mme [W] [F] épouse [A], d'une part, et par [Y] et [E] [A], enfants de M et Mme [A], d'autre part.
S'agissant des demandes formées par Mme [W] [F] épouse [A]:
Celle-ci demande à la cour de lui allouer les sommes suivantes en indemninsation de ses différents préjudices:
- 50 000,00 euros au titre du préjudice moral, des troubles nés de cet accident dans ses conditions de vie et de travail, de son préjudice sexuel,
- 5 161,25 euros frais de déplacement.
Pour sa part, le Fonds de garantie demande à la Cour, à titre infiniment subsidiaire, d'accorder à Mme [W] [F] épouse [A], les sommes de 22 000 euros au titre du préjudice d'affection, outre celle de 3 000 euros au titre des frais de déplacement.
Au regard de la gravité des séquelles physiques connues par M. [A] et de l'importance des bouleversements de tous ordres qui en ont résulté pour son épouse, professeur des écoles et pompier volontaire, au point de générer chez elle un syndrome dépressif réactionnel, la cour estime devoir lui accorder, au titre du préjudice moral, des troubles nés de cet accident dans ses conditions de vie et de travail et de son préjudice sexuel, la somme globale de 40 000 euros.
La somme de 4 000 euros lui sera par ailleurs accordée en indemnisation de frais de déplacement qu'elle a du avancer.
S'agissant des demandes formées par [Y] et [E] [A], enfants de M et Mme [A]:
Les parties étant d'accord sur ce point, la somme de 5 000 euros sera allouée à chacun d'eux, en indemnisation de leur préjudice moral.
La cour, qui a ordonné sursis à statuer sur les demandes de M. [A], réservera les dépens.
PAR CES MOTIFS:
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Déclarant l'appel formé par les consorts [A] recevable,
Vu les conclusions et pièces déposées par les parties,
Vu la décision de la CIVI du tribunal de Grande Instance du TGI de Bayonne en date du 25 novembre 2016,
Vu les articles 706-3 et suivants du CPP,
Confirme la jonction des instances,
Infirmant, pour le surplus, la décision entreprise,
Dit que la requête des consorts [A] est recevable;
Ordonne à M. [P] [A] de justifier, d'une part, de ses revenus déclarés par production de ses avis d'imposition pour les années 2008 à 2015 inclus et de sa déclaration des revenus 2015, et d'autre part, des sommes perçues et des débours des organismes sociaux par la production d'un état actualisé de la créance de la CPAM, d'un état des débours actualisés de sa mutuelle médicale et d'un état récapitulatif des sommes versées par la MDPH depuis l'accident;
Ordonne sursis à statuer sur les demandes de M. [P] [A] dans l'attente de la production de ces éléments;
Renvoie le dossier à la mise en état du 16 janvier 2019,
Alloue à Mme [W] [F] épouse [A], en indemnisation de ses préjudices, la somme de 40 000 euros;
Lui alloue la somme de 4 000 euros en indemnisation de frais de déplacement;
Alloue à M [Y] et Mme [E] [A], enfants de M et Mme [A], la somme de 5 000 euros chacun en indemnisation de leur préjudice moral,
Réserve les dépens;
Le présent arrêt a été signé par Monsieur LEGRAND, Président, et par Madame SAYOUS, greffier suivant les dispositions de l'article 456 du Code de Procédure Civile.
Le GreffierLe Président