PS/AM
Numéro 18/ 02447
COUR D'APPEL DE PAU
1ère Chambre
ARRÊT DU 03/07/2018
Dossier : 16/03381
Nature affaire :
Demande en réparation des dommages causés par l'activité des auxiliaires de justice
Affaire :
G... X...
C/
SCP MICHEL Y...
Grosse délivrée le :
à :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 03 juillet 2018, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du code de procédure civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 07 mai 2018, devant :
Monsieur SERNY, magistrat chargé du rapport,
assisté de Madame FITTES-PUCHEU, greffier, présente à l'appel des causes,
Monsieur SERNY, en application des articles 786 et 907 du code de procédure civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame BRENGARD, Président
Madame ROSA SCHALL, Conseiller
MonsieurSERNY, Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
Le ministère public a eu connaissance de la procédure le 13 avril 2017.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Madame G... X...
née le [...] à HASPARREN (64)
de nationalité française
[...]
représentée et assistée de Maître Lionel FOURGEAU, avocat au barreau de BAYONNE
INTIMEE :
SCP MICHEL Y...
Huissiers de justice
[...]
représentée par Maître Olivia MARIOL de la SCP LONGIN - MARIOL, avocat au barreau de PAU
assistée de Maître Erwan VIMONT, membre de la SCP COULANGES - VIMONT, avocat au barreau d'AGEN
sur appel de la décision
en date du 24 FEVRIER 2016
rendue par le TRIBUNAL DE GRANDE INSTANCE DE DAX
Vu l'acte d'appel initial du 01 octobre 2016 ayant donné lieu à l'attribution du présent numéro de rôle,
Vu le jugement rendu le 24 février 2016 par le tribunal de grande instance de DAX,
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 28novembre 2016 par G... X...,
Vu les dernières conclusions transmises par voie électronique le 26janvier 2017 par la SCP MICHEL Y...,
Vu l=ordonnance de clôture délivrée le 04 avril 2018.
Le rapport ayant été fait oralement à l'audience.
Les faits constants
G... X... est propriétaire d'un appartement locatif situé au [...] qu'elle a donné à bail à Madeleine C... selon contrat de bail du 27 janvier 1996 par la S.C.I. ANETTE dont elle tient médiatement ou immédiatement son droit de propriété.
Ce bail est un bail conventionné régi par les articles L 353-1 à L 353-13 du Code de la Construction et de l'Habitation, consenti moyennant un loyer minoré, et adossé à un contrat de conventionnement signé les 10 avril et 11 mai 1995 par la S.C.I. ANETTE avec la DDE des Pyrénées Atlantiques.
Contrat de conventionnement et bail conventionné à loyers minorés se sont régulièrement renouvelés par tacite reconduction et par périodes de trois ans.
Désireuse de louer son bien au prix du marché libre, G... X... a entrepris en 2012 les démarches nécessaires pour sortir du cadre d'un loyer conventionné, préalablement à l'arrivée du terme du bail, alors en cours prévu pour se terminer le 30 juin 1993, alors que l'appartement était toujours occupé par Madeleine C.... Elle avait ainsi l'obligation :
- de dénoncer la convention passée avec l'organisme public,
- de notifier au preneur son intention de renouveler le bail moyennant réévaluation du loyer selon un acte à délivrer six mois au moins avant l'arrivée du terme, c'est à dire en l'espèce avant le 31 décembre 2012.
A cette fin, elle a saisi la SCP MICHEL Y..., Huissier de Justice, par courrier du 1er mars 2012 en lui indiquant aussi l'identité de son avocat, mandat que l'huissier a accepté par courrier du 16 mars 2012 en sollicitant une provision de 400euros.
La convention passée en 1995 avec la DDE a été dénoncée par acte d'huissier du 30 novembre 2012 délivré, non par la SCP MICHEL Y... mais par Me E... , huissier à [...] pour un coût de 81,75 euros.
Mais le congé avec offre de renouvellement n'a pas été délivré en temps utile avant le 31 décembre suivant ; le loyer s'est donc poursuivi par tacite reconduction au delà du 1er janvier 1993 pour une période supplémentaire de 3 ans
La locataire est décédée en [...] , et G... X... a pu louer son appartement au prix du marché à compter du 1er octobre 2014 moyennant un loyer mensuel de 1.200 euros, soit mensuellement 582,11 euros de plus que le loyer qu'elle a continué de percevoir.
L'action en responsabilité introduite contre la SCP MICHEL Y... tend à la réparation du préjudice représenté par le manque à gagner accumulé pendant la période écoulée entre le 1er janvier 2013 et le 1er octobre 2014.
Le jugement dont appel
Par le jugement dont appel rendu le 24 février 2016, le tribunal de grande instance de DAX a retenu la responsabilité contractuelle de la SCP MICHEL Y... mais, analysant le préjudice subi en une perte de chance, a réduit la demande principale de 8.731,65 euros présentée par G... X... et a condamné la SCP MICHEL Y... à lui payer une somme de 4.000 euros en réparation du préjudice ainsi requalifié, y ajoutant 2.000 euros en compensation de frais irrépétibles
Prétentions et moyens des parties
G... X..., appelante, poursuit la réformation du jugement en ce qu'il a analysé le préjudice en une perte de chance et prétend obtenir la somme de 8.731,65 euros correspondant au différentiel de loyers en estimant qu'elle aurait pu louer à compter du 01 juillet 1993 moyennant un loyer égal à celui qu'elle a pu négocier à compter du 1er octobre 2014. Elle réclame en outre 5.000 euros supplémentaires en compensation de frais irrépétibles.
La SCP MICHEL Y..., intimée et appelant incident, conteste avoir engagé sa responsabilité, en faisant valoir qu'elle n'avait pas reçu de la bailleresse, malgré sa demande, les éléments nécessaires à la présentation d'une offre de renouvellement du loyer sur une nouvelle base non conventionnée.
Elle réclame reconventionnellement la somme de 3.000 euros en compensation de frais irrépétibles.
MOTIFS
Il résulte de l'ensemble des échanges épistolaires intervenus entre G... X... et Michel Y... (courrier initial en date du 1er mars 2012, réponse de l'huissier du 16 mars suivant, courriers de la propriétaire en date des 26 avril 2012 et 08juin suivant) que ce dernier a été mandaté pour dénoncer la convention passée avec la DDE ; G... X... le met expressément en relation avec son avocat Me VELLEMANS, exerçant à CORBEIL (91).
Les courriers ne mandatent pas expressément l'huissier pour délivrer le congé avec offre de loyer pour un nouveau bail au prix du marché libre ; un tel congé en est en effet le complément nécessaire mais il résulte de l'indivisibilité juridique existant entre la procédure de délivrance du congé et celle de dénonciation du conventionnement, que le mandat donné de dénoncer le conventionnement emporte obligation pour l'huissier, dans le cadre de son devoir de conseil, de rappeler à son mandant qu'il lui appartient de fournir les éléments nécessaires afin de pouvoir délivrer un congé proposant au locataire occupant un nouveau loyer réactualisé selon le marché libre, pour le cas où le locataire accepterait de le payer. Cela ne signifie pas qu'il aurait mandat certain de délivrer le congé après la dénonciation mais il a l'obligation de se mettre en situation d'avoir à le délivrer et il doit donner tous les conseils préalables à cette fin.
La propriétaire avait, selon ses propres dires, deux mandataires à savoir l'huissier et son avocat. L'huissier était donc en droit de considérer l'avocat désigné comme mandaté par G... X.... Sont produits diverses pièces et courriers échangés entre les parties et ainsi que des courriers ou courriels envoyés à Me VELLEMANS, avocat de G... X... demeurant à [...] (91) ; aucun écrit émanant de ce dernier adressé n'est versé au dossier alors que G... X... le présente comme son mandataire.
On lit ainsi :
- un courrier daté du 08 juin 2012, par lequel Me Y..., huissier à BAYONNE a mandaté lui même son confrère E... , huissier à [...], pour dénoncer la convention passée avec la DDE, dénonciation qui sera faite par Me E... selon acte du 30 novembre 2012, le courrier évoquant le financement de la publication des actes au fichier immobilier,
- des courriels en date des 06 avril 2012 et 22 mai 2012 par lesquels Me Y... a cherché à prendre contact avec Me VELLEMANS mais sans obtenir de réponse connue,
- deux courriers en date du 08 octobre 2012, envoyés par lettres simples par lesquels Me Y... rappelle tant à G... X... qu'à Me VELLEMANS qu'il fallait aussi donner les éléments du loyer à renouveler, et ce de manière urgente,
- un courrier du 27 novembre 2012 par lequel G... X... se manifeste par écrit auprès de Me Y... en écrivant qu'elle ne peut le joindre par téléphone alors que la fin du délai légal approche.
G... X... indique que le 16 juillet 2012, Me Michel Y... a pointé devant elle toutes les pièces nécessaires lui permettant de réaliser les prestations requises en ce compris la délivrance du congé ; elle reconnaît donc ainsi qu'elle avait conscience dès le 16 juillet 2012 de la nécessité d'avoir à lui donner les éléments du loyer à proposer en fonction du marché libre (on ne peut pas présumer qu'en évoquant la nécessité d'un congé l'huissier se serait référé à une procédure inadaptée au cas d'espèce et qu'il n'aurait ainsi pas fait référence à la nécessité de proposer un nouveau loyer dans le congé). Cette affirmation quant à la réalité du pointage effectuée prouve par conséquent qu'elle savait pertinemment qu'elle aurait à fournir les éléments de fixation du nouveau loyer qu'elle entendait percevoir selon les critères du marché libre ; il lui restait alors 5 mois et demi pour le faire.
En demandant les éléments nécessaires à la fixation d'un loyer renouvelé tant à sa mandante qu'à son avocat par les deux courriers du 08 octobre 2012, certes envoyés par courriers simples mais cependant présumés reçus par leurs destinataires, Me Y... justifie qu'il avait bien pris la mesure de son obligation de conseil et justifie aussi qu'il l'a remplie ; en revanche, faute pour G... X... de démontrer qu'elle ait jamais donné en temps utile à l'huissier, soit directement, soit par l'intermédiaire de son avocat, les éléments de fixation du nouveau loyer à proposer dans le congé à délivrer, G... X... ne démontre pas en quoi Maître Michel Y... a engagé sa responsabilité dans la genèse du préjudice résultant pour elle de la poursuite non désirée du contrat de bail moyennant un loyer plus bas que celui du marché ; la SCP Y... n'avait en effet pas à délivrer de sa propre initiative aucun acte de congé sans avoir disposé préalablement du montant du loyer à proposer (il en eut été différemment si une proposition de nouveau loyer n'avait pas été exigée par la loi) ; il n'avait pas à se substituer à sa mandante pour fixer à sa place le loyer à proposer, le mandat reçu ne pouvant être considéré comme donnant pouvoir à l'huissier de fixer le montant du loyer à proposer ; G... X... ne justifie donc pas lui avoir donné les éléments nécessaires à l'exécution complète du mandat dont elle l'avait chargé ; c'est donc à bon droit que, dans le silence anormal et persistant de ses deux interlocuteurs désignés, (à savoir G... X... et Me VELLEMANS) la SCP Michel Y... s'est abstenue ; elle aurait même commis une faute si elle avait pris l'initiative de fixer elle-même le loyer en lieu et place de sa mandate.
G... X... ne fournit aucun élément relatif à la fixation de la proposition de loyer à faire au locataire en place.
G... X... ne peut utilement avancer qu'elle n'a pu joindre l'huissier au téléphone.
La preuve d'une négligence fautive engageant la responsabilité de Me Michel Y... n'est pas rapportée.
Le jugement sera infirmé.
L'équité commande de faire application de l'article 700 du code de procédure civile.
PAR CES MOTIFS
La Cour, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort :
* infirme le jugement dont appel,
* condamne G... X... à payer à la SCP MICHEL Y... une somme de 3.000 euros en compensation de frais irrépétibles au sens de l'article 700 du code de procédure civile,
* condamne G... X... aux dépens de première instance et d'appel.
Le présent arrêt a été signé par Mme Marie-Florence BRENGARD, Président, et par Mme Julie FITTES-PUCHEU, Greffier, auquel la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LE GREFFIER, LE PRESIDENT,
Julie FITTES-PUCHEU Marie-Florence BRENGARD