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29/06/2018 | FRANCE | N°17/02353

France | France, Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 29 juin 2018, 17/02353


PhD/SL



Numéro 18/2395





COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1







ARRET DU 29/06/2018







Dossier : N° RG 17/02353





Nature affaire :



Action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants















Affaire :



Dominique X... Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SAS Y... E... »



C/



Jean Roger Maurice Y..., SAS Y... ag

issant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège

















Grosse délivrée le :

à











RÉPUBLIQUE FRANÇAISE



AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS











A R R E T





Prononcé publiquement par mise à dispos...

PhD/SL

Numéro 18/2395

COUR D'APPEL DE PAU

2ème CH - Section 1

ARRET DU 29/06/2018

Dossier : N° RG 17/02353

Nature affaire :

Action en responsabilité pour insuffisance d'actif à l'encontre des dirigeants

Affaire :

Dominique X... Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SAS Y... E... »

C/

Jean Roger Maurice Y..., SAS Y... agissant poursuites et diligences de son Président domicilié en cette qualité audit siège

Grosse délivrée le :

à

RÉPUBLIQUE FRANÇAISE

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS

A R R E T

Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 29 Juin 2018, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de procédure civile.

* * * * *

APRES DÉBATS

à l'audience publique tenue le 24 Avril 2018, devant :

Madame Valérie SALMERON, Président

Monsieur Philippe DARRACQ, conseiller en charge du rapport,

Madame Adeline Z..., Vice Président Placé par ordonnance 20novembre2017

assistés de Madame SAYOUS, Greffier, présent à l'appel des causes.

Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.

dans l'affaire opposant :

APPELANT :

Monsieur Dominique X... Es qualité de « Mandataire liquidateur » de la « SAS Y... E... »

de nationalité Française

2 Rue du 49 ème

[...]

Représenté par Me Antoine A..., avocat au barreau de BAYONNE

INTIMES :

Monsieur Jean Roger Maurice Y...

né le [...] à BAYONNE (64100)

de nationalité Française

[...]

SAS Y... agissant poursuites et diligences de son Président domicilié [...]

Représentés par Me Isabelle B... de la SCP UHALDEBORDE-SALANNE B... D... BERTIZBEREA, avocat au barreau de BAYONNE

sur appel de la décision

en date du 29 MAI 2017

rendue par le TRIBUNAL DE COMMERCE DE BAYONNE

FAITS-PROCEDURE -PRETENTIONS et MOYENS DES PARTIES

M. Jean Y..., né [...], a créé et développé une activité spécialisée dans le froid professionnel et la distribution d'électroménager.

A la suite du départ à la retraite de M. Jean Y..., l'activité commerce de détail en électroménager a été reprise par la société Y... distribution (sas), créée le 01/07/1990 et M. Philippe Y..., fils de Jean, désigné en qualité de président.

La société Y... (sas), dirigée par M. Jean Y... est restée propriétaire des locaux désormais pris à bail par la société Y... distribution.

Suivant acte sous seing privé en date du 02/01/1996, la société Y... distribution a confié à la société Y... la fourniture de prestations de services comptables, contrôle de gestion, assistance administrative et financière, renouvelable par tacite reconduction, moyennant un prix annuel de 840.000 francs HT.

M. Philippe Y... a été placé en arrêt de travail courant 2007 jusqu'au mois d'août 2011.

Par jugement du tribunal de commerce de Bayonne du 17/06/2013, la société Y... distribution a été placée en sauvegarde.

Par jugement du 30/09/2013, la procédure de sauvegarde a été convertie en redressement judiciaire, M° X... étant désigné en qualité de mandataire judiciaire et M° C... en qualité d'administrateur.

Par un premier jugement du 10/02/2014, le tribunal de commerce a ordonné la cession partielle de l'entreprise au profit d'un certain repreneur, et, par un second jugement du même jour, a prononcé la liquidation judiciaire de la société Y... distribution, et désigné M° X... en qualité de liquidateur.

La cour d'appel de Pau, par arrêt infirmatif du 31/03/2014, a ordonné la cession partielle de l'entreprise au profit d'un autre repreneur, et par un arrêt du 10/04/2014, a confirmé la liquidation judiciaire.

Suivant exploit du 16/06/2016, M°X..., en qualité de liquidateur de la société Y... distribution, a fait assigner par devant le tribunal de commerce de Bayonne M. Jean Y... et la SAS Y... en responsabilité pour insuffisance d'actif d'un montant de 1.217.882,96 euros en leur qualité de gérants de fait, sur le fondement des articles L651-1 et L651-2 du code de commerce.

Par jugement du 29/05/2017, auquel il convient de se référer pour un exposé plus ample des prétentions et moyens initiaux des parties, le tribunal de commerce a :

- rejeté la demande d'insuffisance d'actif telle que présentée par le liquidateur

- rejeté les fautes de gestion et d'ingérence alléguées par le liquidateur

-condamné M° X... ès qualités à payer à chacun des défendeurs la somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts

- condamné M° X... ès qualités aux dépens et à payer aux défendeurs une indemnité de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.

Par déclaration au greffe faite le 27/06/2017, M° X... ès qualités a relevé appel de ce jugement.

La procédure a été clôturée par ordonnance du 22/03/2018.

Le 24/04/2018, les intimés ont communiqué et produit un arrêt rendu le 29/03/2018 par la chambre correctionnelle de la cour d'appel de Pau sur les poursuites engagées contre M. Philippe Y....

Les parties ont accepté de voir révoquer l'ordonnance de clôture, admettre cette pièce aux débats et fixer la nouvelle clôture au 24/04/2018.

Par dernières conclusions notifiées le 20/03/2018, M° X... ès qualités a demandé de voir, au visa des articles L651-1 et L651-2 du code de commerce :

- infirmer le jugement entrepris

- débouter la société Y... et M. Jean Y... de leurs demandes

- dire que la société Y... a commis des fautes de gestion par l'intermédiaire de M. Jean Y..., dirigeant de fait de la société Y... distribution

-dire que ces fautes de gestion ont contribué à l'insuffisance d'actif de la société Y... distribution

- condamner solidairement la société Y... et M. Jean Y... à supporter tout ou partie de l'insuffisance d'actif de la société Y... distribution, laquelle s'élève à 1.217.882,96 euros

- dire que cette somme sera augmentée des intérêts au taux légal à compter de la date de l'assignation

- dire que les intérêts se capitaliseront dans les termes des articles 1153 et suivants du code civil

- condamner solidairement la société Y... et M. Jean Y... à lui verser la somme de 5.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile

Par dernières conclusions notifiées le 23/11/2017, la société Y... et M. Jean Y... ont demandé à la cour de :

- confirmer le jugement entrepris sur l'absence d'insuffisance d'actif et de faute de gestion

-faisant droit à leur appel incident, condamner M° X... ès qualités à payer à chacun d'eux la somme de 20.000 euros à titre de dommages et intérêts pour procédure manifestement abusive, outre 10.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, cette indemnité s'ajoutant à celle allouée par le jugement entrepris

Par conclusions notifiées par RPVA le 16/02/2018, le ministère public a demandé la confirmation du jugement entrepris en relevant l'absence d'élément tendant à établir une gestion de fait de M. Jean Y....

MOTIFS

Il convient, avec l'accord des parties, de révoquer l'ordonnance de clôture et de fixer la clôture de l'instruction de l'affaire au 24/04/2018 ;

1-1-sur la responsabilité pour insuffisance d'actif

L'article L651-2 du code de commerce, dans sa rédaction applicable à la date du jugement d'ouverture de la procédure collective de la société Y... distribution, dispose que lorsque la liquidation judiciaire d'une personne morale fait apparaître une insuffisance d'actif, le tribunal peut, en cas de faute de gestion ayant contribué à cette insuffisance d'actif, décider que le montant de cette insuffisance d'actif sera supporté, en tout ou partie, par tous les dirigeants de droit ou de fait, ou par certains d'entre eux, ayant contribué à la faute de gestion [...] ;

Au sens de ces dispositions, qui présentent une double nature de réparation d'un dommage et de sanction du dirigeant fautif, la mise en jeu de la responsabilité de ce dernier suppose d'établir des fautes de gestion présentant une certaine gravité ayant concouru à l'insuffisance d'actif ;

La loi 2016-1691 du 09/12/2016 a modifié l'article L651-2 en précisant que la faute de négligence ne pouvait pas fonder une action en responsabilité pour insuffisance d'actif ;

En raison de sa nature de sanction, ce texte, plus favorable au dirigeant, doit être appliqué aux procédures en cours ;

En l'espèce, sont en débat l'insuffisance d'actif et les fautes de gestion imputées aux dirigeants de fait ;

1-2-sur l'insuffisance d'actif

L'insuffisance d'actif qui peut être mise à la charge du dirigeant est celle qui est constatée au cours ou à l'issue de la procédure collective, à l'exclusion de tout passif social postérieur au jugement d'ouverture, à moins qu'il s'agisse d'un passif trouvant son origine antérieurement à l'ouverture de la procédure et sa cause dans la faute de gestion relevée, seule la faute de gestion antérieure au jugement d'ouverture pouvant fonder les poursuites ;

Si, pour prononcer une condamnation en application de l'article L. 651-2, il n'est pas

nécessaire que le passif soit entièrement chiffré ni que l'actif ait été réalisé, l'insuffisance d'actif doit être certaine au jour où le juge statue, à concurrence d'un montant au moins égal à celui de la condamnation ;

En l'espèce, M° X... ès qualités expose que :

-le passif social antérieur s'élève à 1.146.963,10 euros et qu'il faut y ajouter la «créance déclarée par la société Y... distribution» pour un montant de 468.604,93 euros, soit au total 1.585.568,03 euros

-l'actif réalisé à ce jour s'élève à 367.685,07 euros

-l'insuffisance d'actif est donc égale à 1.217.882,96 euros

Les intimés contestent l'existence d'une insuffisance d'actif en reprenant l'analyse de chacun des postes présentés par le liquidateur ;

S'agissant du passif antérieur, le liquidateur a produit l'état des créances, réactualisé au 15/06/2016, faisant ressortir un passif déclaré de 1.146.963,10 euros dont 26.400euros à titre non définitif, non remis en cause par les intimés ;

En revanche, le liquidateur ne peut ajouter à ce passif la prétendue créance de 468.604,93 euros que détiendrait la société Y... distribution sur la société Y... au titre des travaux de mise en conformité des locaux loués, ne s'agissant pas d'une dette sociale mais d'une éventuelle créance à inscrire à l'actif et dont le recouvrement devrait venir en déduction du passif ;

En réalité, la position du liquidateur revient ici, sous couvert d'une action en insuffisance d'actif, à poursuivre la société Y... et son dirigeant en paiement d'une créance de travaux qui aurait été, selon le liquidateur, indûment réglée par la société Y... distribution en sa qualité de locataire, et ce en contournant les textes applicables aux litiges nés du contrat de bail ;

S'agissant des créances sociales fixées par le juge prud'homal ayant sanctionné les licenciements abusifs et les faits de harcèlement moral imputés à faute à M. Philippe Y... en sa qualité de dirigeant de la société Y... distribution pour un montant cumulé de 174.851,56 euros, il n'y a pas lieu de les déduire, comme le demandent les intimés, du passif déclaré au motif que cette dette est exclusivement imputable à M. Philippe Y... dès lors que, dans sa demande, le liquidateur n'a pas retenu l'état des créances nées d'un contrat de travail au titre des dettes antérieures au jugement d'ouverture ;

Par ailleurs, les créances nées postérieurement au jugement d'ouverture étant exclues de l'insuffisance d'actif, les considérations des intimés sur l'éventuelle prise en compte de la créance de loyers dues par la société Y... distribution à la SCI Arlotea, pour la partie des locaux loués à cette société, sont sans objet ;

Le passif doit donc être chiffré au montant déclaré de 1.146.963,10 euros ;

S'agissant de l'actif, les intimés font valoir à bon droit que, outre les actifs réalisés pour le montant indiqué par le liquidateur, il faut inclure les actifs recouvrés et inscrits dans les comptes de la liquidation judiciaire, soit :

-la somme de 179.851,96 euros remise par le Crédit Mutuel en deux versements inscrits en crédit les 19/05/2014 et 25/07/2014

-la somme de 909.000 euros, inscrite en crédit le 19/10/2015 réglée par la SCI Artolea, dirigée et contrôlée par M. Philippe Y..., en restitution des sommes apportées en compte courant en 2012 par la société Y... distribution dont 520.000 euros ont servi à financer l'acquisition d'un bien immobilier par M. Philippe Y..., lequel a été condamné de ce chef pour abus de biens sociaux par arrêt confirmatif de la cour d'appel de Pau ;

Si l'arrêt de la cour d'appel de Pau du 30/01/2018 ayant confirmé la condamnation de la SCI Artolea au paiement de la somme de 909.000 euros n'est pas définitif, cette somme, qui fait partie de l'actif à la date où la cour statue, doit être prise en compte dans l'analyse de l'insuffisance d'actif ;

Par conséquent, le montant de l'actif s'élève au total à la somme de 367.685,07+179.851,96 + 909.000 euros = 1.456.537 euros ;

En l'état des constatations qui précèdent, l'actif suffit à couvrir le passif ;

L'existence d'une insuffisance d'actif n'est donc pas établie à ce jour ;

2-sur les fautes de gestion

En droit, la direction de fait désigne les personnes tant physiques que morales qui, dépourvues de mandat social, se sont immiscées dans le fonctionnement d'une société pour y exercer, en toute souveraineté et indépendance, une activité positive de gestion et de direction ;

Pour mettre en jeu la responsabilité du dirigeant de fait, il faut caractériser des actes de gestion fautifs en relation avec l'insuffisance d'actif ;

En l'espèce, M° X... fait valoir que M. Jean Y..., seul ou par l'intermédiaire de la société Y... n'a eu de cesse de s'immiscer dans la gestion de la société Y... distribution dont il était le seul interlocuteur et décideur, comme dans les autres sociétés dirigées par son fils Philippe qu'il a cherché à évincer :

-en prenant en main la politique sociale et donnant des instructions aux salariés acquis à sa cause au détriment du dirigeant de droit

-par le biais de la convention de prestations de services comptables et administratif qui a servi d'instrument de gestion de fait de la société Y... distribution et qui s'est avérée être «un moyen de contrôle, de surveillance et de gestion des revenus issus du travail de M. Philippe Y...» (sic), moyennant une redevance exorbitante pour des services défectueux que la société Y... distribution a indûment pris en charge, outre la lourde charge des loyers également réglés à la société Y... qui a ainsi tiré profit de la société Y... distribution en lui imposant des charges supérieures à la normale tout en ayant connaissance de la situation économique de l'entreprise

-en imposant à la société Y... distribution de prendre en charge le financement des travaux de mise aux normes de sécurité des locaux loués d'un montant de 438.604,93 euros HT, réalisés en mai 2012 alors que ces travaux incombaient au bailleur, la société Y... dont M. Jean Y..., commettant une nouvelle faute de gestion, a refusé de convoquer l'assemblée générale pour délibérer sur cette question

-en participant à l'offre de reprise déposée par la société en formation GSF et compagnie, dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire

Selon M° X... :

-l'immixtion de la société Y... a entraîné le blocage de la politique commerciale et de l'ensemble des pouvoirs et décisions de M. Philippe Y... sur la direction de son entreprise, y compris sur les salariés qui étaient subordonnés de fait à M. Jean Y...

-a privé la société Y... distribution de ses moyens humains, matériels et techniques, opéré le contrôle et la gestion inopportune et inadéquate de la société, rendant impossible la poursuite de l'activité et le règlement des créanciers, et contribué à l'aggravation des difficultés rencontrées par celle-ci, conduisant à la cession de l'entreprise ;

Mais, la thèse du liquidateur, carencée en fait et en droit, qui confond éventuelles fautes contractuelles et fautes de gestion, et fait abstraction de toute l'analyse des causes des difficultés de l'entrepris, ne résiste pas à l'examen ;

En premier lieu, sur les causes des difficultés de l'entreprise, la cour d'appel de céans, dans son arrêt du 31/03/2014, a retenu que «l'administrateur avait daté l'apparition des difficultés de l'entreprise entre les exercices 2011 et 2012, soit après le retour de M. Philippe Y..., après une absence d'environ quatre ans et, d'autre part que la baisse du chiffre d'affaires assurément majorée par la crise générale a surtout été contemporaine des difficultés managériales lourdes au sein de l'entreprise et d'actes de gestion anormaux non imputables au personnel et consistant en des virements illicites en compte courant importants (900 KE) au profit de la SCI Artolea, propriétaire d'une partie des locaux de l'entreprise et appartenant à 90 % au dirigeant; que le commissaire aux comptes avait déjà constaté un virement anormal de 520.000 euros au mois de mars 2012 qui aurait servi à financer un bien immobilier sans lien avec l'activité de l'entreprise ni faite dans son intérêt» ;

M. Philippe Y..., dans son rapport de gestion en date du 22/06/2013, sur l'exercice 2012, a expliqué les mauvais résultats par «une double crise, externe d'abord, qui touche l'ensemble de l'économie, du secteur marchand dans l'électroménager et la cuisine aménagée, et interne ensuite, provoquée par une partie importante des salariés qui, pour des raisons diverses, se sont opposés aux orientations de la direction» ;

Le liquidateur, dans son exposé des faits, indique que, entre 1990 et 2007, date de l'arrêt de travail de M. Philippe Y... pour une grave dépression, le chiffre d'affaire et la rentabilité de la société Y... distribution ont connu une stabilité, avant de décroître les années suivantes jusqu'au retour du dirigeant en août 2011 lequel a réussi à réaliser un bénéfice de 74.323 euros permettant à l'entreprise de retrouver son équilibre financier ;

Il résulte des constatations qui précèdent que M. Philippe Y... a dirigé son entreprise en toute indépendance entre 1990 et 2007 et dès son retour en 2011, et, au demeurant, le liquidateur n'a produit strictement aucun élément qui serait susceptible d'établir une immixtion quelconque de M. Jean Y... dans la gestion sociale;

Cette absence de preuve couvre également la période d'arrêt de travail au cours de laquelle M. Philippe Y... a pu exercer ses prérogatives de dirigeant à temps partiel, comme en atteste sa demande de reprise du travail à temps complet en 2011, et les embauches qu'il a signées durant cette période ;

Au demeurant, le liquidateur est dans l'incapacité de citer un quelconque acte de gestion fautif qui aurait pu être commis entre 2007 et 2001 en relation avec la prétendue insuffisance d'actif ;

Spécialement, les allégations de prise de contrôle de la gestion de la société Y... distribution à travers la convention d'assistance signée en 1996 avec la société Y... distribution sont dépourvues de tout fondement factuel ;

D'une part, il ne ressort strictement d'aucun élément que cette convention d'externalisation du suivi comptable et administratif n'aurait pas été librement négociée par M. Philippe Y... qui l'a signée en 1996, six ans après la création de la société Y... distribution alors entrée dans son rythme de croisière grâce à son dirigeant, ainsi que le revendique le liquidateur lui même ;

D'autre part, M° X... ès qualités ne démontre pas que, sous couvert de cette convention, M. Jean Y..., présenté comme l'interlocuteur de la société, se serait chargé d'organiser, avant, pendant, ou après l'arrêt de travail de son fils, la gestion de la société, de conduire sa politique commerciale et financière, ou de négocier avec ses différents partenaires, aucun acte précis n'étant invoqué ni établi en ce sens ni, a fortiori, son caractère fautif en relation avec une éventuelle insuffisance d'actif ;

Cette convention, renouvelable annuellement par tacite reconduction, a été exécutée sans discontinuité jusqu'à sa dénonciation par M. Philippe Y... dans le cadre de la procédure de redressement judiciaire ;

La nature des prestations fournies et le montant annuel de la prestation de 130.800euros, et non de 180.000 euros comme soutenu à tort par le liquidateur, n'a jamais fait l'objet d'observation du commissaire aux comptes et il n'est pas sérieux de soutenir que son coût serait exorbitant en produisant un terme de comparaison dont les prestations ne sont pas équivalentes ;

Au surplus, l'administrateur judiciaire, revenant sur la décision du dirigeant, loin de remettre en cause ce contrat en cours, a demandé à la société Y... de poursuivre l'exécution de ses prestations, selon les conditions contractuelles, jusqu'au terme de la période d'observation ;

Par ailleurs, les allégations du liquidateur sur les manquements de la société Y... à ses obligations contractuelles ne relèvent pas d'une responsabilité pour faute de gestion de fait mais de la responsabilité civile de droit commun ;

M° X... est tout aussi défaillant dans la démonstration de ses allégations selon lesquelles M. Jean Y..., directement ou par l'intermédiaire de la société Y..., se serait immiscé dans la politique sociale de l'entreprise à travers des décisions précises et concrètes telles que des embauches, des licenciements, des instructions données au personnel ou des mesures d'organisation du travail ;

Il ressort du rapport de l'inspection du travail du 10/08/2012, saisie par le délégué du personnel de faits de harcèlement moral, insultes, licenciements abusifs, mesures vexatoires, que, un an après son retour de maladie, M. Philippe Y... a créé un climat tel dans l'entreprise que 16 salariés sur un effectif de 26 se sont présentés spontanément à la médecine du travail estimant qu'ils se sentaient menacés, plusieurs d'entre eux présentant des signes de souffrance au travail avérée médicalement, et 6 étant en arrêt de travail, tandis que 11 personnes ont quitté l'entreprise. Selon le rapport, cette situation est exclusivement imputable à la personnalité de M. Philippe Y... qui, après avoir été traité pour des troubles psychologiques, a décidé de sa propre initiative d'arrêter son traitement, ce qui a eu pour conséquence directe des sautes d'humeur incontrôlables, un comportement agressif [...]. L'inspecteur devait enfin préciser que M. Jean Y..., âgé de 86 ans, alerté par les salariés sur la dégradation de leurs conditions de travail, ne pouvait cependant pas intervenir sur le comportement de son fils, ni dans la gestion de l'entreprise ;

Dans sa «lettre au personnel de l'entreprise» du 24/12/2012, présentée par l'appelant comme une preuve de son ingérence toxique dans les affaires de la société Y... distribution, M. Jean Y... s'est en réalité borné à répondre à un courrier des salariés du 12/12/2012 dénonçant le climat social au sein de l'entreprise, en essayant d'expliquer le comportement de son fils par sa maladie pour calmer la colère des salariés et conserver leur engagement au service de l'entreprise, ce qui est impropre à caractériser un acte de gestion ;

La lettre des actionnaires de la société Y... distribution du 01/08/2012, adressée à M. Philippe Y..., l'invitant à suivre son traitement médical et à prendre du recul avec la direction de l'entreprise témoigne de ce que celui-ci dirigeait l'entreprise et n'avait d'autre but que de le sensibiliser sur les conséquences de ses décisions sur la dégradation du climat social, la multiplication des arrêts de travail, les doléances des salariés ayant conduit à l'ouverture d'une enquête de l'inspection du travail en janvier 2012 ;

M° X... ès qualités, non seulement défaillant dans la preuve de ses allégations d'une prise de contrôle de la politique sociale par M. Jean Y..., a donc dénaturé le sens et la portée du courrier de M. Jean Y... et des actionnaires pour y voir une immixtion fautive quand il s'agissait d'initiatives visant à l'apaisement social dans l'intérêt de l'entreprise ;

La persistance du conflit social et les grèves ont contribué à la fragilisation de la société Y... distribution qui sera ultérieurement sanctionné par plusieurs décisions du juge prud'homal pour licenciements abusifs et harcèlement moral imputables à M. Philippe Y... ;

Les autres griefs articulés par le liquidateur concernant le financement, en 2012, des travaux de mise en conformité des locaux loués à la société Y... sont tout aussi inopérants.

En effet, il ne suffit pas d'affirmer que ces travaux auraient dû être financés par le bailleur pour en déduire l'existence d'une gestion de fait alors que cette contestation touche à l'exécution du contrat de bail relevant de la juridiction de droit commun ;

Et, il ne ressort d'aucun élément que M. Jean Y... aurait contourné les prérogatives décisionnaires de son fils pour faire prendre en charge par la société Y... distribution les travaux de mise en conformité des locaux

d'exploitation ;

A cet égard, le liquidateur ne peut sérieusement soutenir encore que le refus de M. Jean Y... de convoquer l'assemblée générale de la société Y... pour délibérer de la mise en conformité des travaux relèverait d'un acte de gestion de fait de la société Y... distribution ;

La cour observe que le liquidateur n'a, au demeurant, entrepris contre la société Y... aucune action en remboursement des travaux de mise en conformité réglés en 2012, se bornant à inclure, dans le cadre de la présente instance, cette prétendue créance dans l'insuffisance d'actif, en violation de la loi, comme cela a été relevé ci-avant ;

Enfin, le moyen tiré de la présentation de l'offre de reprise présentée par la société GSF dans le cadre du plan de cession est totalement inopérant, cet acte n'étant pas susceptible de caractériser une gestion de fait de la société Y... distribution et étant postérieur au jugement d'ouverture ;

En définitive, il suit des considérations qui précèdent que M° X... ès qualités ne rapporte pas la preuve d'acte de gestion de fait imputable à la société Y... et à M. Jean Y... ;

Le jugement entrepris sera donc confirmé en ce qu'il a débouté le liquidateur de ses demandes ;

3-sur la procédure abusive

En droit, l'exercice d'une action en justice, de même que la défense à cette action, constitue en principe un droit et n'ouvre droit à réparation sur le fondement de l'article 1382 du code civil, devenu 1240, que si elle a dégénéré en abus ;

La cour doit constater que M° X... ès qualités a recherché la responsabilité pleine, entière et exclusive de M. Jean Y... et la société Y... dans la totalité d'une prétendue insuffisance d'actif, non démontrée, alors même qu'il a été jugé, à sa demande, que M. Philippe Y... avait prélevé en 2012 sur les comptes sociaux la somme de 909.000 euros, dont 520.000 euros destinés au financement de l'acquisition d'un immeuble personnel, asséchant la trésorerie de la société Y... distribution alors en difficulté , ces faits établissant des fautes de gestion, au-delà même de leur qualification pénale, en relation directe avec la prétendue insuffisance d'actif telle visée par le liquidateur dans la présente action ;

M° X... ès qualités a agi avec une légèreté blâmable, non pas en ce que son action ne repose sur aucun élément factuel sérieux ni aucune démonstration de l'existence d'une insuffisance d'actif mais en raison de son double caractère discriminatoire, par

rapport au sort réservé au dirigeant de droit dont les agissements ont pourtant déstabilisé et fragilisé la société et aggravé le passif social, et partial par son ralliement, sans discernement, au point de vue du dirigeant de droit sur l'origine des difficultés de l'entreprise imputées à son père, en contradiction avec les faits objectivement établis, confiant sa défense à l'avocat chargé de la défense des intérêts de la SCI Artolea sur son action en restitution et qui avait également assisté M. Philippe Y... devant le tribunal correctionnel de Bayonne alors qu'il s'étaitlui-même constitué partie civile contre celui-ci, et relayant ainsi un conflit familial au détriment de l'analyse des fautes de gestion à l'origine de l'insuffisance d'actif vainement imputé aux défendeurs ;

Cette légèreté blâmable a fait dégénérer en abus dommageable l'action en responsabilité pour insuffisance d'actif vainement engagée contre les défendeurs ;

Le jugement entrepris sera confirmé en ce qu'il a alloué à chacun des défendeurs une indemnité de 2.500 euros en réparation de leur préjudice pour procédure abusive ;

Le jugement sera également confirmé sur les dépens et M° X... ès qualités sera condamné aux dépens d'appel ;

Infirmant sur le jugement sur les frais irrépétibles, M° X... ès qualités sera condamné à payer aux intimés une indemnité de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, au titre des frais irrépétibles de première instance et d'appel ;

PAR CES MOTIFS

La cour, après en avoir délibéré, statuant publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,

REVOQUE l'ordonnance de clôture, admet aux débats l'arrêt de la cour d'appel de Pau rendu le 29/03/2018, et fixe la clôture de l'instruction de l'affaire au 24/04/2018,

CONFIRME le jugement entrepris en ce qu'il a débouté M° X... ès qualités de ses demandes et condamné ce dernier à payer à chacun des défendeurs une somme de 2.500 euros à titre de dommages et intérêts et sur les dépens,

INFIRME le jugement entrepris en ses dispositions au titre de l'article 700 du code de procédure civile,

et statuant à nouveau,

CONDAMNE M° X... ès qualités aux dépens d'appel,

CONDAMNE M° X... ès qualités à payer aux intimés une indemnité globale de 7.000 euros sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile pour l'ensemble de la procédure.

LE GREFFIERLE PRESIDENT

Catherine SAYOUSValérie SALMERON


Synthèse
Tribunal : Cour d'appel de Pau
Formation : 2ème ch - section 1
Numéro d'arrêt : 17/02353
Date de la décision : 29/06/2018

Références :

Cour d'appel de Pau 21, arrêt n°17/02353 : Infirme partiellement, réforme ou modifie certaines dispositions de la décision déférée


Origine de la décision
Date de l'import : 27/03/2024
Identifiant URN:LEX : urn:lex;fr;cour.appel;arret;2018-06-29;17.02353 ?
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