JN/CD
Numéro 18/02367
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 28/06/2018
Dossier : 17/01467
Nature affaire :
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Affaire :
Association EUROLACQ ENTREPRISES
C/
René X...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 28 Juin 2018, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 05 Avril 2018, devant :
Madame Y..., magistrat chargé du rapport,
assistée de Madame BARRERE, faisant fonction de greffière.
Madame Y..., en application des articles 786 et 910 du Code de Procédure Civile et à défaut d'opposition a tenu l'audience pour entendre les plaidoiries et en a rendu compte à la Cour composée de :
Madame THEATE, Présidente
Madame COQUERELLE, Conseiller
Madame Y..., Conseiller
qui en ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Association EUROLACQ ENTREPRISES
représentée par son Président, Monsieur Patrice Z..., domicilié [...]
Représentée par Maître A..., avocat au barreau de PAU, assisté de la SELAS B..., avocats au barreau de PAU
INTIMÉ :
Monsieur René X...
[...]
Représenté par Maître C..., avocat au barreau de PAU
sur appel de la décision
en date du 20 MARS 2017
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE PAU
RG numéro : F 15/00106
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat à durée indéterminée (non produit) à effet au 1er janvier 1985, selon l'employeur, et au 1er janvier 1993, selon le salarié, l'association Eurolacq Entreprises (l'employeur) relevant de la loi de 1901, a embauché M. René X... (le salarié), lequel, occupait en dernier lieu, la fonction de directeur, qualification cadre, coefficient 450, au revenu mensuel brut de 5 581,89 €.
Le 27 novembre 2014, sous l'emprise d'un état alcoolique, le salarié, au volant d'un véhicule de service appartenant à l'employeur, a causé un accident de la circulation, à la suite duquel il a été placé en arrêt de travail.
Le 29 novembre 2014, par message électronique doublé d'un courrier, il indiquait à son employeur, que suite à l'accident, et à la demande de l'employeur, il ne s'était pas rendu au bureau et avait été placé en arrêt maladie pour 2 semaines, rappelait de façon chronologique et fonctionnelle, son parcours professionnel dans l'association, son implication et ses résultats, regrettait l'incident (c'est-à-dire l'accident), rappelait ses problèmes de dépression et de traitement médical, et proposait de faire le point.
Le 16 décembre 2014, le salarié adressait à l'employeur - compte tenu de son absence pour maladie - un courrier sur les actions à mener.
Par courrier recommandé avec accusé de réception en date du 24 décembre 2014, l'employeur, en la personne du président de l'association, a convoqué le salarié à un entretien préalable à un éventuel licenciement fixé au 15 janvier 2015, cette convocation étant assortie d'une mise à pied conservatoire.
Le 23 janvier 2015, le président de l'association, par lettre recommandée avec accusé de réception, a notifié au salarié son licenciement pour faute grave, visant des «faits extrêmement graves... consistant en... les circonstances de l'accident du 27novembre 2014, sous l'emprise de l'alcool et sans détention d'un permis de conduire et au volant d'un véhicule de service... de pratiques en termes de gestion paraissant s'affranchir de toute transparence et/ou de la plus élémentaire des rigueurs, ayant participé à plonger la société dans une situation alarmante... » (les faits reprochés étant détaillés, comme étant une exonération de TVA, passée sous silence, d'importants impayés, un défaut de facturation préjudiciable à l'association, l'utilisation du véhicule de l'association à des fins personnelles, l'utilisation de la carte bleue de l'association, à des dépenses non justifiées, l'octroi par lui-même à son propre bénéfice, d'un élément de salaire supplémentaire, d'importantes absences dépourvues de toute justification, l'absence de mise en 'uvre d'un contrat de prévoyance, destiné à couvrir l'association, des pertes de salaire générées par des arrêts maladie, en sus des indemnités journalières servies par la CPAM).
Par requête reçue le 27 février 2015, le salarié a saisi le conseil de prud'hommes de Pau, d'une action formée contre son employeur, en contestation de la cause réelle et sérieuse de son licenciement, et paiement de sommes.
La tentative de conciliation a échoué.
Par jugement du 20 mars 2017, le conseil de prud'hommes de Pau, en sa formation paritaire, a :
- requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
- condamné l'employeur à verser au salarié les sommes suivantes :
16'745,67 €, à titre d'indemnité de préavis,
1 674,57 €, à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
70'582,68 €, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- rappelé le champ d'application de l'exécution provisoire de droit (article R.1454-28 du code du travail : pour les créances salariales ou assimilées et dans les limites maximales de neuf mois de salaire calculés sur la moyenne des trois derniers mois de salaire et pour les remises de documents que l'employeur est tenu de délivrer),
- débouté le salarié de ses demandes indemnitaires pour licenciement abusif et vexatoire,
- débouté le salarié de ses autres demandes,
- débouté l'employeur de ses demandes,
- condamné l'employeur aux entiers dépens.
Cette décision a été notifiée aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception, reçue de l'employeur le 22 mars 2017.
Par déclaration du 14 avril 2017, adressée au greffe de la cour en la forme électronique, l'employeur, par son conseil, en a régulièrement interjeté appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 5 mars 2018.
À l'audience de plaidoirie du 5 avril 2018, avant le déroulement des débats, à la demande concordante des parties et pour permettre un débat complet et contradictoire, l'ordonnance de clôture a été révoquée et une nouvelle clôture a été immédiatement prononcée.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon ses dernières conclusions en date du 15 mars 2018, auxquelles il est expressément renvoyé, l'employeur, l'association Eurolacq Entreprises, appelante, conclut :
- à la réformation du jugement déféré en ce qu'il a dit le licenciement non fondé sur une faute grave et en ce qu'il a condamné l'association employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
16'745,67 €, à titre d'indemnité de préavis,
1 674,57 €, d à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
70'582,68 €, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
- à sa confirmation pour « le reste »,
- statuant à nouveau, au débouté purement et simplement du salarié de l'ensemble de ses demandes, et à sa condamnation à payer à l'employeur 4 000 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile, ainsi qu'à supporter les entiers dépens, avec autorisation du conseil de l'employeur, de procéder au recouvrement direct des dépens de première instance et d'appel conformément aux dispositions de l'article 699 du code de procédure civile.
Selon ses dernières conclusions en date du 1er mars 2018, auxquelles il est expressément renvoyé, le salarié, M. René X..., intimé, formant appel incident, conclut :
1- à la confirmation du jugement déféré en ce qu'il a condamné l'employeur à lui payer les sommes suivantes :
16'745,67 €, à titre d'indemnité de préavis,
1 674,57 €, à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
70'582,68 €, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
2- à sa réformation pour le surplus, et statuant à nouveau, conclut à ce que le licenciement soit jugé abusif, et à ce que l'employeur soit condamné à lui payer les sommes suivantes, avec capitalisation par application de l'article 1154 du code civil, outre les entiers dépens :
100'000 € de dommages et intérêts pour licenciement abusif,
5 000 € de dommages et intérêts pour procédure de licenciement vexatoire,
3 000 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI LA COUR
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement
Le salarié, pour contester la cause réelle et sérieuse de son licenciement, fait valoir que la lettre de licenciement a été signée par une personne, le président de l'association, ne disposant pas des pouvoirs à cet effet, et, en outre, conteste la réalité et la gravité des motifs invoqués dans la lettre de licenciement.
Il fait valoir que les faits d'accident reprochés se sont produits alors qu'il était victime d'un état de burn out, dû à un surmenage professionnel, dont il date l'apparition en juin 2011, avec aggravation en 2013 suite à une séparation, rappelle ses 22 ans de service sans reproche, rappelle son caractère unique, son contexte de traitement médicamenteux important, son alcoolémie à titre exceptionnel ; il conteste pour le surplus, les griefs qui lui sont faits, impute certaines des difficultés qui lui sont reprochées, à l'inertie de la nouvelle direction ou à la personne en charge des opérations comptables, dont il rappelle qu'elle a été licenciée pour ces faits, (laquelle aurait dissimulé, dès fin 2013, des éléments comptables, tels que des avis à tiers détenteur, retards dans le règlement de la TVA, l'URSSAF, retards dans le versement des cotisations et primes d'assurance, faisant valoir qu'il aurait mis en place dès en avoir été informé, un traitement à cette situation), estimant ce grief ancien, parfaitement connu du président de longue date, et donc prescrit, et conteste que les difficultés alléguées aient été de nature à mettre en péril la pérennité de l'association ; il estime que les accusations d'utilisation de la carte bleue de la structure à des fins personnelles sont totalement mensongères ; il conteste également la prétendue « disparition » d'une ligne de précompte, rappelant que cet avantage lui a été consenti depuis l'année 1996 et que la ligne comptable ayant disparu en janvier 2014, l'employeur en était parfaitement au courant, sans qu'aucune dissimulation ne puisse lui être imputée, ce grief étant, à le supposer établi, totalement prescrit.
Sur la contestation de la qualité de la personne ayant pris la décision de licencier
Il résulte des dispositions de l'article L. 1232-6 du code du travail, que seul, «l'employeur » peut prendre la décision de licencier un salarié et « notifier » cette décision au salarié par lettre recommandée avec accusé de réception.
Le salarié conclut à l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement, faisant valoir que :
- en application des statuts de l'association (article 14), seul, le conseil d'administration de l'association a le pouvoir d'embaucher,
- en application de la règle de parallélisme des formes, le conseil d'administration a donc seul, le pouvoir de décider du licenciement,
- le président de l'association, qui n'a pas reçu d'autorisation expresse du conseil d'administration, n'avait pas le pouvoir de procéder au licenciement.
Au contraire, l'employeur, invoquant une jurisprudence constante, selon laquelle, sauf disposition contraire, le président d'une association a le pouvoir de mettre en 'uvre la procédure de licenciement, soutient que les statuts n'attribuent pas le pouvoir de licencier à un autre organe que son président, mais qu'en outre, et en toute hypothèse, il a obtenu le 19 janvier 2015, mandat du conseil d'administration, à l'unanimité, de mener jusqu'à son terme la procédure de licenciement du salarié.
Au cas particulier, les statuts de l'association, produits sous la pièce n° 9 par l'employeur, prévoient :
- par la combinaison des articles 11 et 14 des statuts, que l'association est administrée par un conseil d'administration « investi des pouvoirs les plus étendus, pour autoriser tous actes qui ne sont pas réservés à l'assemblée générale » et qui, notamment, au titre d'une énumération expressément qualifiée de non limitative « surveille la gestion des membres du bureau, se fait rendre compte de leurs actes, autorise tous achats' créé les postes nécessaires au fonctionnement de l'association et peut consentir toute délégation de pouvoirs pour une question déterminée et un terme limité » ;
- les articles 16 et 17, relatifs aux assemblées générales ordinaires et extraordinaires, ne réservent nullement à ces assemblées générales, le pouvoir de licencier l'un des salariés de l'association ;
- l'article 15 des statuts, prévoit que le président « convoque les assemblées générales et les réunions du conseil d'administration, représente l'association dans tous les actes de la vie civile et est investi de tous pouvoirs à cet effet. Il peut déléguer certaines de ses attributions. Il a notamment qualité pour ester en justice au nom de l'association, tant en demande qu'en défense. Il définit les attributions respectives du secrétaire et du trésorier ».
Il se déduit de ces dispositions statutaires, que le pouvoir décisionnel, sauf actes réservés à l'assemblée générale, dont ne fait pas partie la décision de licencier un salarié de l'association, est dévolu au conseil d'administration, le président n'ayant qu'un rôle de représentation de l'association.
Ainsi, conformément à ce que soutient le salarié, la décision de licenciement et de mise en 'uvre de la procédure à cet effet, appartenait au seul conseil d'administration de l'association.
Et la règle selon laquelle la procédure de licenciement ne peut être engagée que par la personne ayant qualité pour le faire, n'est pas susceptible de régularisation a posteriori, si bien qu'une procédure engagée par une personne n'ayant pas qualité pour le faire, n'est pas susceptible d'être ensuite régularisée, et qu'un licenciement notifié dans ces conditions, est nul, ou à défaut de demande en ce sens, doit être déclaré dénué de cause réelle et sérieuse.
Tel est le cas du présent litige.
En effet, le compte rendu du conseil d'administration du 19 janvier 2015, précise:
« M. le Président a informé les membres du conseil d'administration de l'engagement de la procédure de licenciement engagée à l'endroit de M. René X..., directeur de l'association, ainsi que de la teneur de l'entretien préalable intervenu le 15janvier 2015.
M. L' a rappelé qu'en sa qualité de Président de l'association et compte-tenu de ses statuts, il avait toute latitude pour prononcer ou non le licenciement de M. René X....
Toutefois, compte tenu des enjeux du dossier, il demande mandat au conseil d'administration pour poursuivre jusqu'au terme opportun la procédure engagée.
Les membres du conseil d'administration, après débat, par 9 voix pour, 0 voix contre, 0 abstention, donnent mandat à M. L... Président, pour poursuivre jusqu'au terme opportun la procédure engagée ».
Il en résulte, que la procédure de licenciement a été engagée, par la convocation du salarié à un entretien préalable et la tenue de cet entretien, par le président de l'association seul, lequel n'en avait pas le pouvoir, le conseil d'administration de l'association, seul détenteur de ce pouvoir, n'ayant donné, qu'a posteriori, mandat au président de poursuivre la procédure.
Le licenciement sera déclaré sans cause réelle et sérieuse.
Il n'est donc plus utile d'examiner le surplus de la contestation.
Sur le surplus des demandes
Il sera fait droit aux demandes du salarié, s'agissant du paiement du préavis, des congés payés afférents, de l'indemnité légale de licenciement, dont les quantum alloués par le premier juge ne sont pas contestés, s'agissant des sommes suivantes :
16'745,67 €, à titre d'indemnité de préavis,
1 674,57 €, à titre d'indemnité de congés payés sur préavis,
70'582,68 €, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement.
Le salarié n'est pas contesté, quand il rappelle que l'association comportait, au moment de la rupture de son contrat de travail, 7 salariés dont lui-même (page 2 de ses conclusions).
En conséquence, en application des dispositions de l'article L. 1235-5 du code du travail, dans sa version applicable à la cause, le salarié peut prétendre à une indemnité correspondant au préjudice subi.
L'employeur fait valoir qu'aucun préjudice ne serait démontré.
La perte d'emploi, sous la forme d'un licenciement sans cause réelle et sérieuse, est constitutive à elle seule d'un préjudice, qu'il convient de réparer.
Le salarié avait plus de 22 ans d'ancienneté, était âgé de 58 ans au jour de son licenciement, justifie ne pas avoir retrouvé d'emploi et avoir été indemnisé par Pôle Emploi jusqu'au 13 mars 2018 (indemnité sur une base mensuelle de l'ordre de 3200 €), de même, qu'avoir reçu une formation de coach professionnel diplômante, sans pour autant retrouver un emploi.
Au vu des éléments de la cause, son préjudice sera réparé par l'octroi de la somme de 75 000 €.
Il résulte des éléments du dossier, que le salarié, au soutien de sa demande supplémentaire de dommages et intérêts pour licenciement vexatoire, soutient en contradiction avec les éléments du dossier, qu'il aurait dû quitter précipitamment l'entreprise en étant accusé de faits graves un moment où il était particulièrement fragilisé, alors même que son courrier du 29 novembre 2014 démontre qu'il a reconnu lui-même la nécessité de soins, raison pour laquelle il n'a pas repris son poste dans les suites de l'accident qu'il a causé.
C'est à juste titre que le premier juge l'a débouté de cette demande infondée.
Au vu des circonstances particulières de la cause, l'équité ne commande pas de faire application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel.
L'employeur, qui succombe, supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, contradictoirement, en dernier ressort et par arrêt mis à disposition au greffe,
Infirme le jugement du conseil de prud'hommes de Pau en date du 20 mars 2017, mais seulement en ce qu'il a :
- requalifié le licenciement pour faute grave en licenciement pour cause réelle et sérieuse,
- débouté le salarié, M. René X..., de sa demande de dommages et intérêts pour défaut de cause réelle et sérieuse de son licenciement,
Le confirme pour le surplus,
Et statuant à nouveau des seuls chefs infirmés,
Requalifie le licenciement pour faute grave, en licenciement dépourvu de cause réelle et sérieuse,
Condamne l'employeur, l'association Eurolacq Entreprises à payer au salarié, M.René X..., la somme de 75 000 € à titre de dommages et intérêts en réparation de l'absence de cause réelle et sérieuse du licenciement,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile en cause d'appel,
Condamne l'employeur, l'association Eurolacq Entreprises, aux dépens.
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,