JN/SB
Numéro 18/02186
COUR D'APPEL DE PAU
Chambre sociale
ARRÊT DU 14/06/2018
Dossier : 17/01278
Nature affaire :
Demande d'indemnités liées à la rupture du contrat de travail CDI ou CDD, son exécution ou inexécution
Affaire :
Société METAL IMPROVEMENT COMPANY LLC
C/
Eric X...
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
A R R Ê T
Prononcé publiquement par mise à disposition de l'arrêt au greffe de la Cour le 14 Juin 2018, les parties en ayant été préalablement avisées dans les conditions prévues au deuxième alinéa de l'article 450 du Code de Procédure Civile.
* * * * *
APRES DÉBATS
à l'audience publique tenue le 14 Mars 2018, devant :
Madame THEATE, Président
Madame NICOLAS, Conseiller
Madame DIXIMIER, Conseiller
assistées de Madame HAUGUEL, Greffière.
Les magistrats du siège ayant assisté aux débats ont délibéré conformément à la loi.
dans l'affaire opposant :
APPELANTE :
Société METAL IMPROVEMENT COMPANY LLC, représentée par monsieur Olivier Y...
[...]
Représentée par Monsieur Z..., défenseur syndical, muni d'un pouvoir régulier
INTIME :
Monsieur Eric X...
né le [...] à LE BLANC-MESNIL
de nationalité Française
[...]
(bénéficie d'une aide juridictionnelle Partielle numéro 2017/2333 du 28/04/2017 accordée par le bureau d'aide juridictionnelle de PAU)
Représenté par Maître A..., avocat au barreau de BAYONNE
sur appel de la décision
en date du 27 FEVRIER 2017
rendue par le CONSEIL DE PRUD'HOMMES - FORMATION PARITAIRE DE BAYONNE
RG numéro : 15/00241
FAITS ET PROCÉDURE
Selon contrat à durée indéterminée du 20 janvier 1986, puis avenant du 1er juillet 2000, M. X... Eric (le salarié), a été embauché par la SOCIÉTÉ MÉTAL IMPROVEMENT COMPANY LLC (l'employeur), en qualité d'« opérateur machines», puis affecté au poste de chef d'équipe.
Par lettre remise en main propre le 29 mai 2015, l'employeur a reproché au salarié à titre de faute une « non-conformité non signalée sur axe du 27 mai 2015 », et, envisageant une sanction, l'a convoqué à un entretien préalable du 8 juin 2015.
Cet entretien a été reporté au 13 puis au 18 juin 2015, par deux courriers successifs des 3 et 4 juin 2015, tous deux en la forme recommandée avec accusé de réception, contenant mise à pied à titre conservatoire dans l'attente de la décision à intervenir.
Le salarié s'est présenté à cet entretien préalable, assisté d'un délégué du personnel.
Par lettre recommandée avec accusé de réception du 6 juillet 2015, l'employeur a notifié au salarié son licenciement pour faute grave.
Par requête du 5 août 2015, le salarié a saisi le conseil des prud'hommes de Bayonne, d'une action formée contre son employeur, en annulation de la mise à pied, contestation de la cause réelle et sérieuse de son licenciement, et paiement de sommes.
La tentative de conciliation a échoué.
Par jugement du 27 février 2017, le conseil des prud'hommes de Bayonne, section industrie, a :
- annulé la mise à pied prononcée le 3 juin 2015,
- dit que le licenciement ne repose pas sur une cause réelle et sérieuse,
- condamné l'employeur à payer au salarié les sommes suivantes :
$gt; 2.298,17 €, à titre de rappel de salaire pour la période du 3 juin au 6 juillet 2015,
$gt; 4.468 € à titre d'indemnité compensatrice de préavis,
$gt; 446,80 €, à titre d'indemnité compensatrice de congés payés sur préavis,
$gt; 19.439 €, à titre d'indemnité conventionnelle de licenciement,
$gt; 19.000 € à titre d'indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse,
$gt; 900 € au titre de l'article 700 du code de procédure civile,
- condamné l'employeur à remettre au salarié un bulletin de paye pour les sommes allouées, un certificat de travail et une attestation destinée à « pôle emploi » dûment rectifiés,
- rappelé que l'exécution provisoire est de droit pour toutes les créances salariales,
- débouté le salarié de ses autres demandes,
- débouté l'employeur de ses demandes,
- condamné l'employeur aux dépens.
Ce jugement a été notifié aux parties par lettre recommandée avec accusé de réception, reçue de l'employeur le 2 mars 2017.
Par déclaration remise au greffe de la cour le 29 mars 2017, l'employeur, par son représentant, défenseur syndical patronal, régulièrement mandaté, en a régulièrement relevé appel.
L'ordonnance de clôture est intervenue le 14 février 2018, renvoyant l'affaire pour plaidoirie à l'audience du 14 mars 2018.
PRÉTENTIONS DES PARTIES
Selon ses dernières conclusions en date du 26 juin 2017, auxquelles il est expressément renvoyé, l'employeur, LA SOCIÉTÉ MÉTAL IMPROVEMENT COMPANY LLC, conclut à l'infirmation du jugement déféré, et statuant à nouveau, au débouté de l'intégralité des demandes du salarié, et à sa condamnation à lui payer 2.000€ sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
Selon ses dernières conclusions en date du 5 septembre 2017, auxquelles il est expressément renvoyé, le salarié, M. X... Eric, conclut à la confirmation en toutes ses dispositions du jugement déféré, et y ajoutant, à la condamnation de l'appelante à lui payer 1.200 € sur le fondement de l'article 700 du code de procédure civile.
SUR QUOI LA COUR
Sur la cause réelle et sérieuse du licenciement pour faute grave
Aux termes de l'article L 1232-1 du code du travail, tout licenciement pour motif personnel est justifié par une cause réelle et sérieuse.
La faute grave, dont la preuve incombe à l'employeur, se définit comme un fait ou un ensemble de faits imputables au salarié, qui constitue une violation des obligations découlant du contrat de travail ou des relations de travail, d'une importance telle qu'elle rend impossible le maintien du salarié dans l'entreprise pendant la durée du préavis.
Pour qualifier la faute grave il incombe donc au juge de relever le ou les faits constituant pour le salarié licencié une violation des obligations découlant de son contrat de travail ou des relations de travail susceptible d'être retenue, puis d'apprécier si ce manquement était de nature à exiger le départ immédiat du salarié.
La lettre de licenciement sert de cadre strict au contrôle du juge.
Par la lettre de licenciement, l'employeur, au titre de la faute grave du salarié, lui reproche en substance la dissimulation, tant le 27 mai 2015, que le 2 juin 2015, de la non-conformité d'une pièce traitée par le salarié, à savoir un axe ou une tige de train d'atterrissage, et d'avoir remballé ces pièces pour expédition, au lieu d'en signaler leur non-conformité, alors même que cette non-conformité pouvait avoir des conséquences très graves pour le client (société Messier Bugatti Dowty, leader mondial dans la conception et fabrication des trains d'atterrissage d'avions), et subséquemment pour l'entreprise, en termes d'altération de son image, et d'exposition à de graves sanctions commerciales et financières.
Le salarié conteste la volonté de dissimulation qui lui est reprochée, faisant valoir qu'il ne l'aurait pas reconnue, contrairement à ce qu'affirme l'employeur dans la lettre de licenciement, puisqu'au contraire, la pièce n° 10 produite par l'employeur, s'agissant du rapport de contrôle du 20 mai 2015, démontrerait qu'il a signalé sur ce document la non-conformité par la mention « très léger débordement sur les deux premières pièces. Étiquette rouge » ; s'agissant de fabrication de pièces non conformes, il fait valoir qu'il n'est pas le seul employé dans ce cas, et soutient que l'employeur a pris contre lui une sanction à titre d'exemple, et non pour la gravité des faits reprochés, ainsi qu'annoncé dans une note de service du 4 juin 2015, en ces termes (sa pièce n° 4) :
« Nous en sommes à quatre non-conformités de grenaillage sur les ressorts à lames pour Cousso.
Et la dernière malgré un outillage refait.
Les pièces non conformes sont systématiquement rebutées (150 € pièce) et nous passons pour des incompétents.
Donc le prochain qui génère, fait un débordement de grenaillage sur ses pièces prendra la porte ».
Au cas particulier, il doit être constaté que le grief invoqué par l'employeur dans la lettre de licenciement, ne consiste pas à reprocher au salarié la fabrication de pièces non conformes, mais à lui reprocher, suite à une fabrication de pièces non conformes, de ne pas les avoir signalées comme telles, et au contraire, de les avoir dissimulées, et ce à deux reprises, les 27 mai 2015, puis à nouveau, le 2 juin 2015, alors même qu'entre-temps, et le 29 mai 2015, l'employeur, suite au premier manquement, avait remis au salarié en main propre et pour ce motif convocation à un entretien préalable à une éventuelle sanction.
Il est établi aux pièces du dossier, ce qui ne fait l'objet d'aucune contestation, qu'au titre des procédures relatives à la qualité et à la conformité des produits fabriqués, (pièce n° 7,8, et 9 de l'employeur), il pèse sur le salarié, une obligation d'information en cas de problème avec les pièces en cours de grenaillage, une pièce non conforme devant être identifiée, séparée du reste du lot, placée dans une zone de mise en attente clairement identifiée, pour faire l'objet d'un contrôle qualité.
Le salarié ne l'ignorait pas, puisqu'il se prévaut d'avoir effectué un tel signalement, sur une fiche de « rapport contrôle réception » s'agissant de la pièce n° 10 produite par l'employeur.
Cependant, cette pièce n° 10, porte la date du 20 mai 2015, si bien qu'elle ne concerne pas les non-conformités du 27 mai, puis 2 juin 2015, dont la dissimulation est reprochée par l'employeur dans la lettre de licenciement.
Or, le salarié ne conteste pas les non-conformités qui lui sont reprochées à ces deux dates.
Et, par les attestations qu'il produit dans les formes légales, l'employeur démontre sous ses pièces n° 11,13, et 15, que le 27 mai 2015 et le 2 juin 2015, le salarié a non seulement généré des pièces non conformes, mais surtout, ne les a pas signalées, puisqu'au contraire, ces pièces avaient été « emballées », c'est-à-dire mises en condition d'être expédiées au client.
C'est ainsi que M. B... (pièce n° 11), indique que le 27 mai 2015, au changement de poste, il a repris la production d'axes Messier Bugatti Dowty, entamée par M. X... Eric, les a déballés, et a constaté avec le chef d'équipe, qu'une quinzaine de pièces non conformes avaient été rangées au fond du carton, ce salarié précisant qu'il a pensé que son collègue « avait cherché à les cacher », qu'il lui en a donc parlé, lequel « l'a reconnu », que « ce n'est pas la première fois que M. X... cherche à dissimuler des non-conformités, je trouve que c'est grave car j'aurais pu être tenu responsable de ces non-conformités' ».
Aucun élément ne permet de discréditer la portée de cette attestation.
En effet, le salarié, pour soutenir qu'elle serait fausse, conteste avoir reconnu cette dissimulation auprès de son collègue, et conteste le nombre de pièces non conformes invoquées par le témoin. Or, ses seules allégations de contestation de ses propres propos, ne font pas la démonstration de la fausseté de l'attestation ; de même, pour contester le nombre de pièces non conformes citées par le témoin, l'appelant se prévaut toujours de la pièce n° 10 produite par l'employeur, dont il a déjà été dit, qu'elle ne se rapporte pas, au vu de sa date (21 mai 2015), aux faits qui lui sont reprochés le 27 mai 2015.
De même, M. C... (pièce n° 13), après avoir rappelé que les opérations de contrôle s'effectuent sur la première pièce du lot, indique que le 2 juin 2015, M. X... l'a appelé pour faire ce contrôle, mais qu'il s'est rendu compte que ce n'était pas la première pièce du lot mais la seconde qui lui était présentée, ce qui lui a paru étrange, si bien qu'il a demandé à contrôler la première pièce, qui était déjà remballée, et qui s'est avérée être non conforme et non signalée, ce salarié indiquant qu'il était « méfiant car ce n'est pas la première fois que M. X... essaye de cacher les non-conformités qu'il produit ».
Le salarié conteste également la véracité de cette attestation, au motif que la pièce adverse n° 12, s'agissant du rapport de contrôle, démontrerait que 23 pièces conformes ont été autorisées à l'expédition.
Il omet d'indiquer la mention portée sur ce document, par le contrôleur, selon laquelle « l'opérateur n° 6 ne m'a pas fait contrôler la première pièce mais la deuxième, débordement sur première pièce », mention qui corrobore les déclarations du témoin.
Il s'en déduit que les contestations émises par l'appelant, ne sont pas de nature à altérer la valeur probante de l'attestation produite.
M. D... (pièce n° 15), indique quant à lui qu'à l'occasion de l'entretien préalable, le salarié a reconnu avoir généré des non-conformités sur les pièces, et les avoir remballées sans les signaler.
Il est en outre établi par l'employeur, que, (s'agissant des seuls avertissements relatifs au même comportement de non-déclaration de pièces non conformes, et à l'exclusion de l'avertissement pour non-respect des procédures de traitement des pièces):
-le 26 mars 2010, pour des faits du 18 décembre 2009, commis sur des axes, le salarié a fait l'objet d'un avertissement, pour manquement à ses obligations professionnelles, dont l'un d'entre eux consistait à s'être abstenu de solliciter contrôle de la première pièce,
-le 9 avril 2013, pour des faits du 12 au 13 février 2013, le salarié a fait l'objet d'un nouvel avertissement, pour avoir endommagé une pièce aéronautique et tenté de masquer le défaut par une opération de ponçage manuel strictement interdite, au lieu d'en informer immédiatement le service qualité.
Il n'est ni contesté, ni sérieusement contestable, que le fait d'adresser à un client, une pièce destinée à équiper un train d'atterrissage sur avion, comportant un défaut de conformité, engendre un risque technique majeur, et subséquemment, celui de la mise en cause de la compétence de l'employeur, pouvant se traduire en termes de perte de marché.
Il est ainsi établi que les deux manquements reprochés au salarié par l'employeur dans la lettre de licenciement, sont constitués, et sont caractéristiques d'une faute grave, et ce d'autant que le salarié, informé par l'employeur de cette gravité dès le 29 mai 2015, a réitéré son comportement fautif quelques jours plus tard, alors même qu'il avait déjà fait l'objet de précédents avertissements pour des faits de même nature.
C'est donc en vain, et de manière contraire aux éléments du dossier, que le salarié se prévaut de l'absence de motif réel et sérieux à son licenciement, de même que de l'absence de gravité des faits qui lui sont reprochés, pour prétendre qu'il aurait fait l'objet d'un licenciement « à titre d'exemple », dénué de cause réelle et sérieuse.
Le licenciement pour faute grave est justifié.
Le premier juge sera infirmé en ce qu'il a jugé contre.
Sur la mise à pied conservatoire
En application des dispositions des articles L 1333-1 et L 1333-2 du Code du Travail:
«En cas de litige, le conseil de prud'hommes apprécie la régularité de la procédure suivie et si les faits reprochés au salarié sont de nature à justifier une sanction.
L'employeur fournit au conseil de prud'hommes les éléments retenus pour prendre la sanction.
Au vu de ces éléments et de ceux qui sont fournis par le salarié à l'appui de ses allégations, le conseil de prud'hommes forme sa conviction après avoir ordonné, en cas de besoin, toutes les mesures d'instruction qu'il estime utiles. Si un doute subsiste, il profite au salarié. »,
«Le conseil de prud'hommes peut annuler une sanction irrégulière en la forme ou injustifiée ou disproportionnée à la faute commise ».
Il est établi aux pièces du dossier, ainsi que déjà exposé, que :
-le 27 mai 2015, le salarié, lequel avait déjà fait l'objet de deux avertissements préalables pour les mêmes motifs, a omis de signaler la non-conformité d'une pièce destinée à équiper un train d'atterrissage sur avion, et l'a au contraire dissimulée,
-la gravité des faits lui a été rappelée par l'employeur par une lettre remise en mains propres le convoquant à un entretien préalable à sanction,
-le 2 juin 2015, nonobstant les rappels ci-dessus, le salarié a réitéré le même comportement.
Il se déduit de ces éléments que la mesure de mise à pied conservatoire mise en 'uvre par l'employeur dès le 3 juin 2015, dans l'attente de la décision à intervenir, est justifiée et proportionnée à la gravité des faits reprochés au salarié.
Le premier juge sera infirmé, pour avoir jugé contre.
La faute grave est privative de l'indemnité de préavis, de l'indemnité de licenciement, et du salaire correspondant à la mise à pied.
Le licenciement pour faute grave étant justifié, le salarié ne saurait prétendre à des dommages et intérêts réparant l'absence de cause réelle et sérieuse de son licenciement.
Le salarié sera débouté de l'intégralité de ses prétentions.
La disparité dans la situation des parties, justifie qu'il ne soit pas fait application des dispositions de l'article 700 du code de procédure civile.
Le salarié intimé, qui succombe, supportera les dépens.
PAR CES MOTIFS :
La cour, après en avoir délibéré, statuant, publiquement, par arrêt contradictoire et en dernier ressort,
Infirme en toutes ses dispositions le jugement du conseil des prud'hommes de Bayonne en date du 27 février 2017,
Et statuant à nouveau pour le tout,
Déboute le salarié, M. X... Eric, de l'intégralité de ses demandes,
Dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du code de procédure civile,
Condamne le salarié, M. X... Eric, aux dépens, à recouvrer aux formes de l'aide juridictionnelle,
Autorise l'avocat de la cause qui en a fait la demande à recouvrer directement contre la partie condamnée ceux des dépens dont il aurait fait l'avance sans avoir reçu provision.
Arrêt signé par Madame THEATE, Présidente, et par Madame HAUGUEL, greffière, à laquelle la minute de la décision a été remise par le magistrat signataire.
LA GREFFIÈRE,LA PRÉSIDENTE,